Il existe trop souvent un décalage frappant entre les analyses théoriques touchant à l'économie de la Grèce ancienne et les réalités que l'on peut percevoir à travers une analyse directe des sources. Ces douze essais, dont six inédits, entreprennent de soumettre les concepts à l'épreuve des faits. La méthode est appliquée à la question du statut de l'emporion de Naucratis, à l'organisation spatiale des cités de Lesbos, ou encore à la possibilité qu'avaient ou non des marchands de jouer un ...
Introduction
Ce livre rassemble douze essais sur le commerce et l'échange en Grèce ancienne. Six sont inédits. Six autres ont déjà fait l’objet d'une première publication et dans ce cas la date en est précisée en sous-titre. Les articles que nous avons publiés sur des sujets touchant à l’histoire monétaire ne sont pas repris. Il en va de même de l'essai consacré à la notion d'
Après l’ouvrage collectif
Pour ouvrir de nouvelles voies en histoire économique de l'antiquité, il faut inventer de nouveaux concepts mais aussi revenir aux sources, pour faire sauter les verrous qui bloquent la réflexion. Max Weber avait déjà fortement incité à dégager la spécificité de chaque société avant d’élaborer des modèles généraux : “Ce n’est qu’en soulevant des problèmes concrets que des sciences ont été fondées et que leur méthode continue à être développée. Jamais encore des considérations purement épistémologiques ou méthodologiques n’y ont joué un rôle décisif”[2]. Telle est exactement la démarche suivie ici. Sur des questions centrales comme la structuration des échanges internationaux, la formation des prix ou les structures de marché, on proposera ici des solutions nouvelles à de vieux problèmes ou à de vieilles énigmes, mais toujours en se fondant sur un examen détaillé des sources anciennes.
Les études rassemblées dans ce volume ont donc d’abord pour but d’établir des données factuelles sur des bases renouvelées. Il en est ainsi en particulier pour les deux premiers chapitres de l’ouvrage, qui sont consacrés à l'
La dernière partie de l’ouvrage a en outre pour but d’amorcer une nouvelle réflexion sur l'économie de la Grèce des cités sous l’angle de l’échange. Ce travail de conceptualisation est abordé au chapitre XI et surtout au chapitre XII. Rédigé dans une perspective différente, moins technique, mais utilisant de manière systématique les données élaborées dans les chapitres précédents, ce dernier chapitre se présente comme la conclusion de l’ouvrage et la synthèse des positions défendues dans ce livre. Au reste, on ne prétendra nullement ici atteindre des solutions définitives, mais du moins apporter une contribution à la recherche de voies nouvelles pour l’interprétation de l’économie de la Grèce ancienne. Ce travail devra être développé et poursuivi ultérieurement.
Pour les études déjà publiées, c’est en règle générale le texte original des articles qui a été reproduit ici, mais mis aux normes de la collection. Les additions ou corrections, sauf sur quelques points mineurs, sont explicitement signalées entre crochets droits. Pour le chapitre VII, quelques modifications ont été apportées au texte initial, principalement pour ie calcul du volume des exportations de Cyrène, en fonction des éléments nouveaux apportés par la nouvelle loi attique sur le blé récemment publiée (Stroud 1998).
C’est enfin un agréable devoir de remercier ici tous ceux qui nous ont aidé dans la rédaction de ce livre, qu’il s’agisse des six chapitres déjà publiés ou des chapitres encore inédits. Pour le chapitre I, nous sommes particulièrement redevables aux remarques de Jacques Menaut, ainsi qu’à celles de Christine Giesecke, Pierre Debord, Raymond Descat (Bordeaux), Pierre Rouillard (Paris), Pierre Lévêque (Besançon) et Michael H. Jameson (Stanford), qui nous avait communiqué avant publication le texte et la nouvelle datation de l’inscription de Carpathos
Non moins importante fut l’aide apportée par Michèle et François Bresson, qui par leurs conseils et leur relecture attentive ont fortement contribué à l’amélioration du manuscrit. Ajoutons encore qu’Alexandre Marcinkowski a amicalement accepté d'effectuer une relecture minutieuse de l’ensemble du livre. La cartographie est due à la générosité d'Olivier Henry (Bordeaux). Nathalie Tran a mis au service de ce texte sa compétence pour en assurer la mise en page. Nous restons seul responsable des thèses défendues ici et les erreurs qui pourraient subsister nous seraient entièrement imputables.
Chapitre I “Rhodes. l'Hellénion et le statut de Naucratis”,
Chapitre IV “Rhodes : une famille camiréenne de commerçants en blé”,
Chapitre V “La dynamique des cités de Lesbos”,
Chapitre VI “Aristote et le commerce extérieur”.
Chapitre VII “L'attentat d'Hiéron et le commerce grec”, in : P. Briant, R. Descat et J. Andreau, éd.,
Chapitre XI “
Chapitre I. Rhodes, l’Hellénion et le statut de Naucratis (vie-ive siècle a.C.)
A Naucratis, les fouilles britanniques de la fin du siècle dernier ont permis de mettre au jour plusieurs sanctuaires et des quantités importantes de céramique grecque de fabrications très diverses[3]. Mais, au vu des controverses à ce sujet, il ne semble pas que l’étude du matériel archéologique et des sources écrites ail permis jusqu'à présent de déterminer nettement le statut de cet établissement grec en pays égyptien. Or. il nous a paru qu'il était possible de présenter une nouvelle vision des choses, en procédant à une étude plus précise des sources littéraires elles-mêmes, et à un rapprochement, jusqu'ici jamais effectué dans cette perspective, entre, d'une part, les sources littéraires et archéologiques et, d'autre part, un certain nombre de documents épigraphiques – nous entendons par là non seulement les inscriptions provenant du site de Naucratis, mais aussi, voire surtout, les inscriptions de diverses régions du monde grec où il est question de cette ville. Parmi ces dernières, deux décrets de proxénie rhodiens sont plus particulièrement importants pour notre recherche. Ils font donc l’objet d'une étude spéciale. Comme l’analyse de la place de Rhodes au sein de l’Hellénion conduit aussi à donner une nouvelle présentation du fonctionnement et du rôle de ce sanctuaire, il se trouve donc que, globalement, l’étude des rapports entre Rhodes et Naucratis retient particulièrement l'attention. Enfin, à la lumière des résultats acquis, il est possible de proposer une réflexion plus générale sur le statut et le rôle de Naucratis, par comparaison avec les établissements de ce type.
1.1 Si l’on veut bien, pour le moment, faire abstraction des sources tardives, le texte fondamental pour la connaissance du statut de Naucratis reste Hérodote 2.178–179. On sait que l’historien s’était lui-même rendu en Égypte, et qu’il y avait recueilli des informations de première main[4]. Sur Naucratis, il donne le commentaire suivant :
[178] Φιλέλλην δὲ γενόμενος ὁ Ἄμασις ἄλλα τε ἐς Ἑλλήνων μετεξετέρους ἀπεδέξατο καὶ δὴ καὶ τοῖσι ἀπικνεομένοισι ἐς Αἴγυπτον ἔδωκε Ναύκρατιν πόλιν ἐνοικῆσαι· τοῖσι δὲ μὴ βoυλομένοισι αὐτῶν ἐνοικέειν, αὐτόσε δὲ ναυτιλλομένοισι ἔδωκε χώρους ἐνιδρύσασθαι βωμοὺς καὶ τεμένεα θεοῖσι. Τὸ μέν νυν μέγιστον αὐτῶν τέμενος καὶ ὀνομαστότατον ἐὸν καὶ χρησιμώτατον, καλεόμενον δὲ Ἑλλήνιον, αἵδε πόλιές εἰσι αἱ ἱδρυμένοι κοινῇ· Ἰώνων μὲν Χίος καὶ Τέως καὶ Φώκαια καὶ Κλαζομεναί, Δωριέων δὲ Ῥόδος καὶ Κνίδος καὶ Ἁλικαρνησσὸς καὶ Φάσηλις, Αἰολέων δὲ ἡ Μυτιληναίων μούνη. Τουτέων μέν ἐστι τοῦτο τὸ τέμενος, καὶ προστάτας τοῦ ἐμπορίου αὗται αἱ πόλιές εἰσι αἱ παρέχουσαι· ὅσαι δὲ ἄλλαι πόλιες μεταποιεῦνται, οὐδέν σφι μετεὸν μεταποιεῦνται. Χωρὶς δὲ Αἰγινῆται ἐπί ἑωυτῶν ἱδρύσαντο τέμενος Διός, καὶ ἄλλο Σάμιυι Ἥρης, καὶ Μιλήσιοι Ἀπόλλωνος. 179 Ἦν δὲ τὸ παλαιόν μούνη Ναύκρατις ἐμπόριον καὶ ἄλλο οὐδὲν Αἰγύπτου· εἰ δέ τις ἐς τῶν τι ἄλλο στομάτων τοῦ Νείλου ἀπίκοιτο. χρῆν ὀμόσαι μὴ μὲν ἑκόντα έλθεῖν, ἀπομόσαντα δὲ τῇ νηὶ αὐτῇ πλέειν ἐς τὸ Κανωβικόν · ἢ εἰ μή γε οἷά τε εἴη πρὸς ἀνέμους ἀντίους πλέειν, τὰ φορτία ἔδεε περιάγειν ἐν βάρισι περὶ τὸ Δέλτα, μέχρις οὗ ἀπίκοιτο ἐς Ναύκρατιν. Οὕτω μὲν δὴ Ναύκρατις ἐτετίμητο.
“[178] Devenu ami des Grecs, Amasis le montra entre autres en faisant bon accueil à certains d’entre eux ; notamment, à ceux qui venaient en Égypte, il concéda (à ceux d'entre eux qui voulaient résider) la ville de Naucratis pour y résider ; à ceux d’entre eux qui ne voulaient pas résider, mais qui venaient là en navigateurs, il concéda des terrains pour y fonder des autels et des sanctuaires à leurs dieux. Le plus grand de ces sanctuaires, le plus célèbre et le plus fréquenté, appelé Hellénion, a été fondé en commun par les cités suivantes : pour les Ioniens, Chios, Téos, Phocée et Clazomènes ; pour les Doriens, Rhodes, Cnide, Halicarnasse et Phasélis ; pour les Éoliens, la seule Mylilène. C'est à elles qu’appartient le sanctuaire, et ce sont ces cités qui fournissent les présidents du port. Toutes les cités qui prétendent y avoir part le font sans y avoir aucun droit. Séparément les Éginètes ont fondé pour leur propre compte un sanctuaire de Zeus, les Samiens un autre d’Héra, et les Milésiens un pour Apollon. 179 Autrefois, seule Naucratis était un port de commerce, et l’Égypte n’en avait point d’autre. Si quelqu’un arrivait à une autre bouche du Nil, il devait jurer qu'il n'y était pas venu volontairement, et, après avoir prêté serment, il devait faire voile avec son navire vers la branche canopique ; ou bien, si toutefois il n'était pas possible de faire voile du fait de vents contraires, il devait faire faire à sa cargaison le tour du Delta dans des barges, jusqu’à ce qu'il arrivât à Naucratis. Telles étaient les prérogatives dont jouissait Naucratis.”
Il paraît tout à fait clair, malgré C. Roebuck, qu'il faut distinguer à Naucratis deux catégories de gens : les résidents, et les passagers. Cette différence essentielle a été de nouveau soulignée par M. Austin[5]. Précisons seulement que les deux propositions construites avec ἔδωκε établissent un parallèle entre ceux des Grecs venant en Égypte qui veulent y résider (il faut suppléer cette précision d’après lu phrase suivante : “à ceux qui ne voulaient pas résider”, ce qui suppose que l’autre catégorie était formée de gens qui avait une intention inverse), et qui, précisément, reçoivent la ville de Naucratis “pour y résider”, et ceux qui ne font que passer, les navigateurs, qui sont manifestement des commerçants, et qui, eux reçoivent des terrains “pour y élever des autels et des sanctuaires”[6]. Un des problèmes essentiels est évidemment de savoir si les résidents constituaient une véritable cité, et cette fois le problème est beaucoup plus discuté.
1.2. Pour A. Gwynn, J. Boardman, A. J. Graham et G. E. M. De Ste Croix, il ne saurait en être question[7], tandis que pour K. Lehmann-Hartleben, C. Roebuck (avec la réserve que ce dernier tend à confondre résidents et passagers), A. Bernand, M. Austin et P. Vidal-Naquet (avec plus d’hésitation dans l'ouvrage commun à ces deux derniers auteurs), et en dernier lieu P. Faure, Naucratis avait effectivement le caractère d’une cité grecque plus ou moins normale[8]. On doit remarquer que les tenants du premier point de vue n’ont jamais vraiment développé leurs arguments, ce qui n’a pas été le cas pour les seconds, dont il semble que les thèses se soient imposées dans la littérature la plus récente. Pourtant, à elle seule, l’analyse de la séparation entre résidents et passagers, telle qu'elle est exposée chez Hérodote, aurait dû conduire à la bonne solution : elle n’autorise pas à conclure que Naucratis ait pu constituer une cité au vie ou au ve s., bien au contraire.
On doit d'abord éviter de considérer que
Les Grecs qui résident dans cette
Quelle fut donc la signification des mesures d’Amasis ? Les témoignages archéologiques montrent que l'établissement grec existait en tant que place commerciale avant ce pharaon. Il est établi que, dans la moitié nord de la ville, le quartier grec, la partie sud fut la première zone d’établissement, cela à la fin du viie s. selon toute vraisemblance. Là, Grecs et Égyptiens vivaient côte à côte. Les Hellènes reçurent même le droit d’élever un sanctuaire à Aphrodite, qui semble bien avoir été le premier des sanctuaires grecs de Naucratis[21]. Du reste, une allusion de la grande stèle historique d'Amasis semble faire référence à cet établissement[22]. Les événements rapportés par le texte se situent d’abord en l'an I du règne d’Amasis[23]. Apriès s’emploie à susciter des troubles pour reprendre le pouvoir : “(1. 2)... Sa majesté (=Amasis) était au conseil, à s'occuper des destinées de la terre entière ; on vint dire à sa majesté : “Apriès (1. 3) est (parti), il (guide) les vaisseaux qui (ont passé). Des Grecs dont on ne sait le nombre parcourent le Nord, c’est comme s’il n’y avait pas de maître pour gouverner ; il les a appelés, eux l’ont (accueilli). Le roi leur avait assigné une résidence (1. 4) dans le Pehu An : ils infestent l’Égypte en son étendue, ils atteignent Sekhet Mafek, tout ce qui est en ton eau s’enfuit d’eux.” Ce texte comporte cependant un certain nombre de difficultés d’établissement qui ne relèvent pas de notre compétence[24]. Néanmoins, on peut signaler que, pour le premier éditeur G. Daressy, qui soulignait déjà les difficultés de lecture de l’inscription, la résidence des Grecs devait être dans le Pehu An, “c’est-à-dire le bas pays du troisième nome de la Basse Égypte, celui de l’Occident, dont la capitale était Andropolis ; il est, dès lors, fort probable qu’on veut parler de Naucratis, qui est à vingt kilomètres de Kherbeta (Andropolis)”[25]. Si cela est exact, le roi qui a assigné aux Grecs cette résidence dans le Pehu An a fort peu de chance d’être Antasis : on est dans la première année de son règne. Il s'agit vraisemblablement d’une allusion à l’un de ses prédécesseurs. La concentration des Grecs signalée par la stèle dans ce qui était donc probablement la ville de Naucratis tend également à confirmer que la concentration du commerce grec y était antérieure à Amasis (cf. supra et n. 18). Ce texte est évidemment très utile en ce qu’il montre qu'Apriès trouva appui auprès des Grecs même après la bataille de Momemphis, ce qui éclaire bien le texte d’Hérodote 2.169. Les Hellènes, les commerçants du moins, étaient, en période normale, concentrés à Naucratis : à la faveur des circonstances, aventuriers et mercenaires grecs parcouraient tout le Delta. Dans ce contexte, la participation aux troubles des Grecs installés à Naucratis paraît assez probable.
Elle semble confirmée par un fragment d'Aristagoras de Milet, auteur du ive s. a.C., un peu plus jeune que Platon[26]. Pour justifier l'origine du nom de la ville égyptienne de Gynaicopolis, ville du Delta proche de Naucratis, et qui n'est pas loin d’Andropolis, si elle ne lui est pas identique[27], Aristagoras avance trois explications. Les deux premières ne nous intéressent pas ici, mais la troisième fait intervenir Naucratis : τῶν Ναυκρατιτῶν ἀναπλεόντων κατὰ τὸν ποταμὸν καὶ κωλυoμένων ὑπὸ τῶν λοιπών Αιγυπτίων ἀποβαίνειν, οὗτοι καταπλαγέντες ὑπὸ ἀνανδρίας οὐ διεκώλυσαν “Alors que les Naucratites remontaient le fleuve en bateau et que les autres Égyptiens les empêchaient de débarquer, ils [les Gynaicopolites] furent frappés de crainte en raison de leur lâcheté et ne purent les en empêcher.” Cet épisode pourrait bien se rapporter à la période de trouble rapportée par la stèle d’Amasis, avec ses différentes allusions aux combats contre les Grecs (cf. également 1. 11-17), et en particulier à l'ordre d’Amasis, 1. 15-16 : “qu’on ne fasse pas un jour que soit opposition à leurs barques”. L'hypothèse que le texte d'Aristagoras devait être rapproché de ces événements avait déjà été émise en 1855, avant la publication de la stèle d’Amasis, par A. von Gutschmid[28]. Elle a ensuite été repoussée par D. Mallet en 1922, qui considérait qu'aucune source n’était susceptible d'étayer ce point de vue (mais il ignorait apparemment la stèle d'Amasis), et qui trouvait invraisemblable que les Naucratites, supposés occupés exclusivement de leur commerce, aient pu jouer un rôle quelconque dans cette période[29]. Dans ce contexte si particulier des troubles suscités par l’ancien souverain, il ne nous paraît au contraire nullement impossible que les Grecs établis à Naucratis aient pu se joindre aux bandes d'aventuriers grecs qui soutenaient Apriès, alors que la région, sinon la ville de Naucratis elle-même, semble avoir été le foyer initial du soulèvement. Certes, commerce et activités guerrières devaient bien être distincts en temps ordinaires. Mais on aurait probablement tort de penser que des gens dont l'activité essentielle était le commerce ne pouvaient à l'occasion se comporter en aventuriers (que l'on songe seulement à l'esprit d’aventure nécessaire pour faire la traversée de Grèce en Égypte et pour s’y installer[30]).
Après la période de trouble qui précède et qui suit l’avènement d’Amasis, une fois l'ordre établi, il fallut donc veiller à percevoir de nouveau les droits de douane sur la branche canopique : ce lut la tâche de Nekhthoreb, comme on l'a vu précédemment. Quelques années plus tard encore, après qu'Amasis fut devenu philhellène[31], il prit les mesures dont nous parle Hérodote. L'historien indique d'abord quels étaient ces Grecs auxquels le pharaon accordait des avantages particuliers : c’étaient “ceux qui venaient en Égypte”. Cette formule implique donc que, pour Hérodote, les échanges entre la Grèce et l'Égypte ne dataient pas d'Amasis et que les Grecs étaient déjà bien connus dans le pays, ce qui est parfaitement confirmé par toutes les sources. Cependant, l’historien ne donne pas davantage de précisions sur les Grecs qui “venaient en Égypte”. En fait, dans sa formulation, cette phrase a une double fonction. D'une part, comme on vient de le voir, elle indique que les Grecs avaient déjà l’habitude de fréquenter l'Égypte. D'autre part, elle vaut pour le futur : tous les Grecs qui le désireraient pourraient venir habiter Naucratis. Pour ce qui est du premier aspect, la traduction qu'on a souvent donné de la formule ἔδωκε πόλιν ἐνοικῆσαι “il donna comme résidence la ville de Naucratis”, avait paru exclure l'idée que des Grecs aient pu habiter la ville avant Amasis. Il fallait, semblait-il, comprendre qu'Hérodote faisait d'Amasis le fondateur de l’établissement, le premier pharaon ayant autorisé des Grecs à s’y installer, ce qui est en contradiction avec les sources archéologiques. D'où l'idée qu’Hérodote avait par erreur attribué à Amasis l’œuvre de l'un de ses prédécesseurs[32]. Au reste, il est vrai, on s'était interrogé sur le sens de la formule ἔδωκε πόλιν, qui suppose en elle-même que Naucratis existait déjà comme ville au moment du don d'Amasis, mais on avait alors envisagé l'existence d'une ville égyptienne antérieure à l'arrivée des Grecs – existence tout à fait possible au reste[33] –, qui ne paraissait pas poser de question sur le bien-fondé de cette correction.
Mais cette traduction et cette “correction” d’Hérodote ne sont pas acceptables. Remarquons tout d'abord que, si le fait que l’établissement apparaisse d'emblée chez Hérodote sous le nom de Naucratis n’implique pas nécessairement qu'il y avait là une ville grecque qui portait déjà ce nom (on pourrait penser qu’il s'agit là d'un raccourci de langage), du moins la formule autorise cette hypothèse. Or, à l’inverse de ce qu’écrit R. M. Cook, c’est en traduisant ἔδωκε πόλιν ἐνοικῆσαι de la manière indiquée ci-dessus qu’on rompt le parallèle clairement indiqué par Hérodote entre les passagers, qui reçoivent des terrains (ἔδωκε χώρους) pour y élever autels et sanctuaires, et les résidents, qui reçoivent une ville (ἔδωκε πόλιν) pour y résider[34]. C’est un prédécesseur d'Amasis qui avait fixé les Grecs à Naucratis, comme l’indiquent les découvertes archéologiques et, avec les réserves signalées plus haut du fait des difficultés de lecture du document, la stèle d’Amasis. Parmi les Grecs qui “venaient en Égypte” avant Amasis signalés par Hérodote, ceux qui voulaient résider dans le pays s’étaient vu assigner Naucratis comme résidence. Mais, quant à Amasis, son philhellénisme se manifeste à l’égard des résidents en ce qu'ils reçoivent la
Auparavant, certes, les Grecs étaient acceptés, et le sanctuaire d’Aphrodite montre qu'ils avaient obtenu cette forme essentielle de reconnaissance qu'était la possession d'un sanctuaire, mais ils devaient vivre aux côtés des Égyptiens, sans privilège particulier, tout comme par exemple à Tell Soukas, sur la côte phénicienne, d'autres de leurs compatriotes vivaient aux côtés des Phéniciens[36]. Grâce aux mesures d’Amasis, dans cette ville qui leur était maintenant réservée (ou plus exactement une partie de la ville, toute la zone nord, comme le montre la large prédominance des tessons grecs dans ce secteur), les résidents grecs pouvaient vivre en communauté séparée, à l’exclusion des indigènes sans doute. Ils devaient ainsi pouvoir disposer librement des terrains, sans que les Égyptiens de souche puissent y faire valoir leurs droits. Vraisemblablement le droit d'avoir des formes d’organisation interne à la communauté leur fut-il reconnu. De fait, les Grecs pouvaient ainsi préserver leur langue et leurs coutumes. Manifestement, la population grecque de Naucratis ne s’égyptianise pas[37]. Ce trait doit-il être mis en relation avec la loi de la cité des époques ultérieures, telle qu'elle nous est connue par un papyrus traitant des institutions d’Antinooupolis, et qui proscrit l'
Pour autant, en effet, rien n’autorise à affirmer que les Grecs aient pu former une cité, un État, même vassal, disposant par exemple de forces armées et de finances propres[40]. Étrange État qui n’aurait même pas les moyens de décider de ceux qui relèveraient de sa souveraineté, puisque la législation d’Amasis autorisait tous les Grecs qui le voulaient à venir s’installer à Naucratis, sans restriction d’aucune sorte. Pas plus que les Grecs de Daphné ou de Stratopéda, les Phéniciens de Memphis ou les Juifs d’Éléphantine, les Grecs résidents de Naucratis n'étaient indépendants de l’autorité royale. A Memphis, les Phéniciens occupaient le quartier dit du “Camp des Tyriens”, et ils y avaient leurs sanctuaires. Quant aux Juifs d’Éléphantine, sur lesquels nous sommes renseignés de manière très vivante grâce aux “archives d’Éléphantine”, ils connaissaient eux aussi des formes d’organisation interne à leur communauté, comme le montrent en particulier les lettres adressées aux chefs de la communauté par des soldats juifs[41]. Faut-il pour autant parler d'un État des Phéniciens de Memphis ou des Juifs d’Éléphantine (pour ne parler que de ces deux communautés : il y en avait d’autres appartenant à ces deux peuples ailleurs en Égypte, et il y avait d’autres communautés étrangères que celle des Juifs, des Phéniciens ou des Grecs) ? Évidemment non, comme on peut s’en convaincre à la lecture des “archives d’Éléphantine”, qui montrent une totale soumission au pouvoir exerçant la souveraineté sur l'Égypte, les Perses pour la plus grande partie de ces textes. C'est l’illusion d’une perspective hellénocentrique qui a amené à considérer que les Grecs de Naucratis formaient nécessairement une cité, un État. Toutes ces communautés étrangères doivent être restituées dans leur cadre égyptien (sur leur fonction, cf. infra, § 3.3).
Deux conclusions se dégagent donc : la première, essentielle pour notre propos, est que tout indique que les Grecs de Naucratis ne formaient pas une cité ; la seconde que, contrairement à ce qu'on pense généralement, Hérodote ne présente pas Amasis comme le fondateur de l'établissement grec de Naucratis : ce pharaon a seulement réorganisé cette place de commerce, fixant le statut des résidents et des passagers. Aucune correction n’est à apporter au texte d’Hérodote, même dans le détail. Ainsi, si, dans la liste des sanctuaires élevés sur les terrains concédés aux Grecs de passage, l'Historien ne fait pas mention du sanctuaire d'Aphrodite, c'est qu'il existait déjà avant Amasis, et que ce n’est pas ce pharaon qui avait autorisé son érection. Certes, l'omission de tel ou tel sanctuaire pourrait s’expliquer d’abord par le fait qu’Hérodote n'en donne pas une liste exhaustive, mais se contente probablement d'indiquer les plus importants dans la catégorie qu’il a définie (sanctuaires des navigateurs)[42]. Mais, s’agissant du sanctuaire d'Aphrodite tout particulièrement, création antérieure à Amasis et ayant sans doute un statut différent de celui des sanctuaires mentionnés par l’historien (voir infra, § 2.4), il n’avait pas à le nommer de toute façon. Cela nous amène directement au problème des passagers.
1.3. Parlant des Grecs qui n’étaient que de passage à Naucratis et qui y venaient pour commercer, Hérodote mentionne quatre sanctuaires, élevés sur des terrains spécialement concédés à cet effet par Amasis. Or, la présence de tels sanctuaires ne va pas de soi. Certes, il existait déjà sans aucun doute un sanctuaire voué au culte d’Aphrodite[43]. Mais il n’en demeure pas moins fort instructif de voir Amasis autoriser des Grecs à élever autels et sanctuaires[44]. En effet, d’ordinaire, lorsque des Grecs se rendent dans une autre cité du monde hellénistique, ils n’ont nul besoin d’y élever des sanctuaires à leurs dieux : ces divinités sont communes aux Hellènes, à quelque cité qu'ils appartiennent, même si elles prennent localement un investissement particulier ; sont communes aussi, fondamentalement, les pratiques cultuelles, dont l’acte essentiel est le sacrifice[45]. L’accès aux sanctuaires n’était pas réservé aux seuls nationaux. Les étrangers, grecs ou non, pouvaient y faire des dédicaces[46], et, s’agissant de Grecs cette fois, ils pouvaient, s’ils le désiraient, accomplir des sacrifices, sous réserve de passer par la médiation d’un citoyen, responsable devant les dieux et la communauté locale[47]. En revanche, le problème du sanctuaire se pose, dans le monde hellénique, pour les étrangers non grecs, qui peuvent, certes, faire la dédicace de quelque ex-voto à telle divinité locale, mais qui ne peuvent retrouver leurs dieux dans les divinités du panthéon hellénique. On sait par un décret athénien du ive s. que des non Grecs pouvaient alors recevoir de la cité l’autorisation d’acheter un terrain pour y bâtir un sanctuaire. C’est le cas pour les marchands de la phénicienne Kition, cité chypriote, qui obtiennent ce privilège pour bâtir un sanctuaire d'Aphrodite, une Astarté phénicienne sans aucun doute, de même que les Égyptiens ont obtenu ce droit pour un sanctuaire d’Isis[48]. Réciproquement, à Tell Soukas, sur la côte syrienne, ou à Gravisca, près de la cité étrusque de Tarquinia, des Grecs ont pu recevoir, à l’époque archaïque, l'autorisation d’élever des sanctuaires à leurs divinités[49]. A ce sujet, à la suite de K. Lehmann-Hartleben, M. Torelli insiste sur le fait que, dans un monde où en règle générale l'étranger est celui qui n'a aucun droit, l’autorisation d’élever un sanctuaire aux divinités de son pays d'origine constitue pour ce dernier une véritable garantie juridique, un élément de sûreté personnelle[50]. En effet, pour l'hôte, cela signifie prendre un engagement envers une puissance qui, même étrangère, transcende les pouvoirs de l’homme. Rompre ce contrat était donc gros de risques. Concrètement, le sanctuaire pouvait sans doute servir également de lieu de réunion, de dépôt d'archives, bref être un lieu de retrouvailles pour les commerçants étrangers.
Une conclusion s’impose : si, à Naucratis, le souverain égyptien avait autorisé la construction de sanctuaires pour les navigateurs grecs de passage, c’est d'abord, tout simplement, parce qu'il n'y avait pas là de cité grecque. En outre, si Naucratis avait été une cité, ce n’est pas évidemment Amasis, mais la cité elle-même qui aurait fait le don du terrain aux étrangers pour y bâtir leurs sanctuaires – il est vrai que, s’agissant de Grecs, elle n'aurait même pas eu à le faire. En revanche, dans la mesure où le pharaon n'avait nullement abandonné sa souveraineté sur la ville de Naucratis, comme le montre, au ive s. encore, la stèle de Nectanébo, on comprend que ce soit lui qui fasse la concession des terrains aux étrangers de passage. Pour ce qui est des résidents, on peut se poser la question de savoir s’ils disposaient de sanctuaires propres. La chose n’est nullement invraisemblable. Certes, Hérodote ne mentionne pas de sanctuaires particuliers à leur usage, mais, de fait, celui d'Aphrodite n’avait probablement pas le même statut que les autres[51]. Quant aux sanctuaires destinés aux étrangers de passage et ayant telle ou telle origine précise (sanctuaire d'Apollon fondé par les Milésiens, d’Héra par les Samiens...), ils étaient fréquentés par des gens originaires d'autres cités que celle qui en était la fondatrice, comme le montre la diversité des dédicaces trouvées dans ces sanctuaires[52] : cela n’a rien de surprenant, comme on l’a vu précédemment, et cela n'implique absolument pas que la propriété des sanctuaires ait échappé à leurs fondateurs, mais ils l'étaient aussi probablement par les résidents[53]. On peut remarquer aussi que la chronologie du sanctuaire d'Apollon établie par E. Gjerstad, avec un premier temple remontant aux années 570-565 (on retiendra la décennie 570-560 pour fixer les idées), et celle de l'Hellénion s’accordent bien également avec l'exposé d’Hérodote, et n’obligent nullement à refuser à Amasis la paternité du système de séparation entre résidents et passagers qu’il nous décrit[54].
Enfin, si, à la suite d’Isocrate, on admet avec K. Lehmann-Hartleben que l'
On voit donc que, globalement, l’analyse du statut fait aux étrangers de passage oblige à conclure que l’établissement de Naucratis n'avait aucun caractère civique, pas plus au moment de sa fondation qu’après la réorganisation opérée par Amasis. L’étude des décrets rhodiens et celle de la place de Rhodes au sein de l’Hellénion vont permettre de confirmer et de préciser cette analyse.
2.1. Les fouilles de Naucratis ont livré des quantités importantes de céramique rhodienne, du vie s. surtout. Certes, l’attribution des céramiques de Grèce de l’Est à telle ou telle cité n’est pas chose aisée, c’est le moins qu’on puisse dire. Du moins certaines séries particulières, comme les vases de type vroulien, peuvent sans contexte être attribuées à Rhodes[60]. Réciproquement, dans l’île, on a découvert un grand nombre d’objets égyptiens[61], ou de type égyptien, dont un certain nombre sont d’ailleurs antérieurs à l’installation des Grecs à Naucratis. En outre, on a trouvé dans les trésors égyptiens des pièces provenant de chacune des trois cités que compte l’île avant le synœcisme, et, à Naucratis, deux pièces rhodiennes du ive s.[62] Il est vrai que, s’agissant de céramiques ou de monnaies, on ne peut jamais affirmer qu’il y a eu transport par des marchands de la cité d’origine. Il reste que ces découvertes fournissent tout de même en l’occurrence un contrepoint utile aux sources écrites. On ne connaît guère, à Naucratis, qu’une seule dédicace sur céramique d’un Rhodien, celle de
2.2. Les décrets rhodiens concernant Naucratis sont au nombre de deux. Nous les reproduisons ici en suivant, sauf indication du contraire, l’édition de Chr. Blinkenberg, en ajoutant accentuation et ponctuation.
A. Stèle de basalte, achetée au Caire, provenant sans doute de Naucratis. Dimensions (en cm) : (pierre) h = 50 ; (inscription) h = 32,5 ; l =
Éd. Μ. E. Pridik, “Inscriptions grecques de la Collection de V. S. Golenistchev”,
ἔδοξε τᾶι βωλᾶι κα-
ὶ τῶι δάμωι · Δέσπων
ἐγραμμάτευε, Ἀρχε-
[4] άναξς εἶπε · Δαμόξεν-
ον Ἕρμωνος ἐν Αἰγύ-
πτωι οἰκέοντα ἀγγ-
ράψαι πρόξενον Λι-
[8] νδίων καὶ εὐεργέτ-
αν Ἐν τΩι ἸαρΩι τΑς Ἀ-
θαναίας καὶ ἀτέλε-
ιαν ἤμεν καὶ αὐτῶι
[12] καὶ ἐκγόνοις καὶ ἐ-
σαγωγὰν καὶ ἐξαγω-
γὰν καὶ ἐμ πολέμωι
καὶ ἐν ἰρήναι· ἀγγρ-
[16] άψαι δὲ καὶ ἐν Αἰγύ-
πτωι ἐν τῶ[ι] Ἑλλανί-
ωι Π[ο]λυ[κλ]έα Ἁλιπό-
λιọς· τὸ [δ]ὲ ψάφισμα
[20] ἀγγρά[ψ]αι ἐστάλαι
λιθίναν.
L. 20-21, ἐστάλαι λιθίναν. confusion entre ἐστάλαι λιθίναι et ἐστάλαν λιθίναν.
B, Lindos, fouilles de l’acropole. Stèle de marbre blanc, en deux fragments, brisée en haut et en bas à gauche. Dimensions : 33,5 x 30 x 8,5 ; h. lettres. 0,6 à 1,2.
Éd.
[ἔδοξε τᾶι β]ολᾶι· ἐπὶ π[ρ]-
[υτανίων τ]ῶν ἀμφί Δει[ν]-
[ίαν]αν Πυθέω Αἰγ-
[4] [ύπτιον τ]ὸν ἐγ Ναυκράτ-
[ιος], ἑρμ[α]νέα, πρόξενον
[ἤμ]εν Ῥο[δ]ίων πάντων κα-
ὶ αὐτὸν καὶ ἐκγόνους, κ-
[8] αὶ ἤμεν αὐτῶι καὶ ἔσπλ-
[ο]ṿ καὶ ἔκπλον καὶ αὐτῶ-
[ι κα]ὶ ἐκγόνοις ἀσυλὶ κ-
[αὶ ἀσ]πονδὶ καὶ πολέμο
[12] [καὶ εἰρ]ήνης.
L. 3-4, Αἰγǀ[ινάταν], Kinch,
Le premier de ces décrets émane de la cité de Lindos. Il est donc nécessairement antérieur au synœcisme. De plus, à l’époque du décret, comme suffit à le montrer le formulaire du décret, Lindos avait un régime démocratique. Il est donc antérieur à 411, date de l'intervention lacédémonienne dans l''île et du changement de régime[69]. D'après l'écriture, il semblerait que ce décret date des années 440-420[70]. Le second, selon K. F. Kinch et Chr. Blinkenberg, serait à situer dans la période de transition 411-407, pendant laquelle l’État rhodien unifié serait en voie de formation[71]. Quoi qu’il en soit de cette datation et de cette analyse, sur laquelle nous nous réservons de revenir ailleurs, ce décret est révélateur des rapports entre Rhodes et Naucratis à la fin du ve s. ou au début du ive s. En tout cas, ces deux textes n’ont guère retenu l’attention des auteurs qui ont traité des problèmes relatifs à Naucratis. Ce n'est que chez C. Roebuck et M. Austin qu'on trouve un effort d’analyse à ce sujet, mais là encore de manière très succincte[72]. L’interprétation de M. Austin est la suivante : s’agissant du proxène des Lindiens, on a affaire à un résident non citoyen ; dans le second décret, le proxène est un Éginète (la restitution Αἰγ[ινάταν τ]ὸν..., 1. 3-4, est effectivement possible, cf. supra), non citoyen, mais résident lui aussi à Naucratis et y exerçant un métier. Comme la proxénie s’entend comme aide aux étrangers de passage, M. Austin admet implicitement l’existence de trois catégories juridiques à Naucratis : les citoyens, les étrangers résidents et les étrangers de passage, schéma conforme à celui d’une cité grecque ordinaire. Il reconnaît cependant qu’il s'agit là d’un “cas difficile”[73] et critique C. Roebuck lorsque ce dernier considère que ces textes prouvent l’existence d’une catégorie de citoyens à Naucratis[74] : on a le sentiment que M. Austin a lui-même bien senti la difficulté de son interprétation.
En effet, cette analyse est intenable. On doit remarquer dès l’abord qu’elle suppose l'existence de trois catégories juridiques, là où Hérodote affirme explicitement qu’il n’y en avait que deux, et alors qu’il laisse entendre que le système d’Amasis est toujours en vigueur lorsqu'il fait allusion à des cités qui, de son temps, prétendent avoir part à l'Hellénion. Ce faisant, en effet, l'historien admet implicitement que ce droit était toujours réservé aux neuf cités qui avait obtenu d’Amasis ce privilège. Par conséquent, le système mis en place par Amasis avait encore force de loi. qu’il s’agisse du droit à la gestion de l’Hellénion, ou de la séparation entre résidents et passagers, qui en est le présupposé[75]. Une étude précise montre justement que les décrets rhodiens s’accordent parfaitement avec Hérodote. Dans le premier décret. Damoxénos, fils d’Hermôn – un nom et un patronyme qui conviennent parfaitement à un proxène ! – est dit. 1. 4-5, ἐν Αἰγύπτωι οἰκέοντα. En fait, ce “résident en Égypte” habitait très probablement Naucratis. C'est ce qu’on peut supposer d’après l’allusion à l’Égypte des 1. 16-18 : le double de la stèle doit être placé ἐν Αἰγύπτωι ἐν τῶ[ι] Ἑλλανίωι “en Égypte, dans l'Hellénion”, l'Hellénion de Naucratis bien sûr. Certes, depuis la conquête perse, comme les limitations apportées par les pharaons à leur commerce avaient été levées, les Grecs pouvaient s’établir comme marchands partout en Égypte, et Hérodote précise qu’ils usaient effectivement de ce droit[76]. La formule “résident en Égypte” pourrait donc s’appliquer à un personnage habitant ailleurs qu'à Naucratis. Mais le fait que le double de la stèle portant le décret lindien doive être placé dans l'Hellénion confirme bien l’hypothèse fondée sur la similitude du formulaire (“résident en Égypte”, “en Égypte dans l'Hellénion”.
Cependant, le décret des Rhodiens peut paraître aller contre cette vision des choses. En effet, si l’on restitue Αἰγ[ινάταν] on est ramené à l’hypothèse de M. Austin[78]. Mais cette restitution est impossible. En effet, si on l'admet, il faut se demander comment il se fait que l’ethnique soit absent du décret des Lindiens : en fait, c'est la périphrase “résident en Égypte” qui en tient lieu, comme on vient de le voir. Mais peut-être après tout pourrait-on imaginer que Damoxénos soit un Lindien : la forme dorienne du nom (encore qu’évidemment il ait pu y avoir dorisation d’un nom ionien, la transformation d'un nom pour le mettre en conformité avec son propre dialecte étant un phénomène tout à fait fréquent) et sa présence dans l’onomastique de la cité ne contredirait pas une telle hypothèse. L’absence d’ethnique serait alors toute naturelle. Mais, contre cette hypothèse, on doit dire tout de suite que la nomination comme proxène de Lindos d'un Lindien serait un fait unique, à vrai dire impensable, surtout dans les termes de ce décret, où on précise que tous ces privilèges seront valables pour lui et ses descendants (s’il s’agissait d’un Lindien faisant retour à Lindos, ce serait évidemment absurde), ainsi qu’en temps de paix et en temps de guerre (formule tout aussi absurde si le proxène était lindien : pourquoi les Lindiens se seraient-ils saisis d’un de leurs compatriotes rentrant dans sa cité ?). De plus, dans la quasitotalité des occurrences (et l’on possède sans doute plusieurs milliers de décrets de proxénie), le proxène est choisi parmi les citoyens ou les nationaux de l’endroit où il est appelé à exercer sa mission. Ph. Gauthier a paru fondé à écrire qu’“il est légitime de parler d’“hôtes publics” à propos des proxènes : ils reçoivent chez eux les étrangers de passage, ils les secourent matériellement (selon leurs possibilités), ils les protègent en fait et en droit grâce à leur position dans la cité, et tout d'abord grâce à leur qualité de citoyen : mais, fautil ajouter,
Cependant, si dans le très grand nombre de décrets de proxénie que nous possédons le bénéficiaire est bien toujours un citoyen du pays concerné, il y a, à notre connaissance au moins une exception, dont il faut tout de même rendre compte. Il s'agit du décret de proxénie délien
Or, on ne voit pas qu'il ait existé de liens particuliers entre Rhodes et Égine à l’époque archaïque et au vie s. Il serait pour le moins étrange que les Rhodiens aient justement choisi comme proxène un Éginète, c’est-à-dire un non résident (de passage à Naucratis, tout comme les Rhodiens). N’y avait-il donc pas à Naucratis de Rhodien susceptible d’aider ses compatriotes ? A vrai dire, on doit aussi se demander si cette situation consistant pour un Grec à venir résider pour une longue période à Naucratis était concevable sans qu’il devienne
On ne saurait non plus imaginer que les résidents à Naucratis, même installés depuis longtemps gardaient leur ethnique d'origine, Éginète en l'occurrence. C’est d’une certaine façon l'hypothèse émise par D. Roussel. Selon ce dernier, il serait possible, bien qu’on n’en ait pas la preuve formelle, que les gens de Naucratis originaires des cités de l'Hellénion et disposant de ce sanctuaire commun soient répartis en
Revenant au décret des Rhodiens, il est clair que si la restitution Αἰγ[ινάταν] doit être abandonnée, il reste à envisager l’autre solution possible : Αἰγ[ύπτιον] Repoussée par K. F. Kinch et Chr. Blinkenberg. cette restitution avait pourtant déjà refait une timide apparition (avec un point d'interrogation) dans l'index (et non dans le texte) de
Mais ce qui peut légitimement paraître étonnant, c’est de voir un Égyptien de souche, même de “Naucratis”, porter – et en Égypte même cette fois – un nom grec. Ce point nécessite une explication particulière. Pour cela, il convient d’abord de justifier la manière dont nous construisons les 1. 3-5 du décret. K. F. Kinch, de son côté, a construit : Αἰγ[ινάταν τ]ὸν ἐγ Ναυκράτ[ιος| ἑρμ[α]νέα, πρόξενον. Il considérait le fils de Pythéas comme un ἑρμηνεὺς τῶν Ναυκρατιτῶν, ou τῶν ἐν Ναυκράτει Αἰγινατῶν, donc comme l’interprète officiel de telle ou telle catégorie d’habitants de Naucratis, d’où l’article défini, τόν, c'est-à-dire “l'interprète bien connu...” Mais ce n'est pas ce qu’indique le texte qui, traduit en suivant la coupe de Kinch, voudrait dire : “l'interprète originaire de Naucratis”. On voit qu'il y aurait alors contradiction entre l’aspect défini (“l’interprète”, supposé bien déterminé) et l’aspect indéfini (“originaire de Naucratis”). On n’admettra pas non plus la traduction de M. Austin, “Aeginetan (?), an interpreter from Naucratis”[92]. En fait, on sait que dans des décrets athéniens, par exemple, on honore en Denys “l’archonte de la Sicile”, τὸν Σικελίας ἄρχοντα, ou en Hébryzelmis “le roi des Odryses”, τὸν βασιλέα τὸν Ὀδρυσῶν : l’article défini se justifie par le caractère même de la fonction exercée[93]. En revanche, dans un texte comme le décret delphique pour une harpiste et son cousin, où il s’agit seulement d’indiquer une profession, un état, on trouve la formulation suivante : Πολυγνώτα Σ(ω)κράτους Θηβαία χοροψάλτρια,...” Polygnôta, fille de Sôkratès, de Thèbes, harpiste accompagnant le chœur... ”[94]. De même, on a dans le décret des Rhodiens la construction suivante : “(Un tel, fils de Pythéas), Αἰγ[ύπτιον τ]ὸν ἐγ Ναυκράτ[ιος], ἑρμ[α]νέα, πρόξενον κτλ. On comparera pour mémoire avec Arrien (
C'est cette profession d'interprète qui est précisément la clé de l’énigme évoquée précédemment, et c’est Hérodote, encore une fois, qui permet de trouver la bonne solution. C’est par le truchement d’interprètes que l'historien pouvait s’entretenir avec les Égyptiens, les prêtres en particulier, qui sont ses informateurs privilégiés. Dans sa description des Pyramides, il précise que c’est à un interprète qu'il doit la traduction d'une inscription (2.125). Il signale en outre (2.154) – c’est là le point capital (négligé par Kinch, induit en erreur par sa construction des 1. 3-5 de toute façon) – que Psammétique Ier avait confié aux soldat grecs établis dans le pays de jeunes Égyptiens pour que ces derniers puissent apprendre la langue grecque, et que les interprètes de son époque en étaient les descendants. Il ajoute encore (2.164) que les interprètes formaient l’une des sept castes de l’Égypte, ce qui signifie sans aucun doute qu’ils jouissaient d’un statut propre, même si évidemment, pour ce qui est du nombre de ses membres, leur caste ne pouvait être comparée à celle des prêtres ou des guerriers. En tout cas, il paraît tout naturel de supposer que les jeunes indigènes confiés aux Grecs par Psammétique avaient pris des noms grecs (en plus des noms indigènes qu'ils conservaient sans doute par ailleurs), et que leurs descendants avaient fait de même. Que, plus tard, nombre de ces derniers aient habité Naucratis paraît d'autant plus naturel aussi que c’est là plus qu’en aucune autre ville d’Égypte qu’on pouvait avoir besoin de leurs services. La nomination comme proxène par les Rhodiens d’un interprète se passe d'un long commentaire : on peut facilement imaginer tous les avantages de cette situation pour remplir les obligations d’un hôte public en pays “barbare”. Mais cela montre aussi qu'en fait (puisque tel n’était pas le cas en droit), à Naucratis, des indigènes hellénisés comme les interprètes ne devaient plus guère se distinguer des Grecs de souche, même si la fierté de caste de ces derniers n’avait pas disparu, comme en témoigne, dans le décret des Rhodiens, l’indication de l’état d’interprète du fils de Pythéas.
Telle est la justification du système des proxènes à Naucratis, qui n’implique donc absolument pas que les résidents grecs aient formé une cité. Cette fonction spécifique d’hôtes publics relevant de la souveraineté locale, remplie en l’occurrence par des résidents grecs ou par des indigènes hellénisés, par définition, en tant qu’étrangers, même chargés de la gestion du port, les représentants que Lindos ou Rhodes pouvaient avoir dans l’Hellénion ne pouvaient pas la remplir. Les
2.3. A propos de l’Hellénion, Hérodote signale : “Le plus grand de ces sanctuaires, le plus célèbre et le plus fréquenté, appelé Hellénion, a été fondé en commun par les cités suivantes : pour les Ioniens, Chios, Téos, Phocée et Clazomènes ; pour les Doriens, Rhodes, Cnide, Halicarnasse et Phasélis ; pour les Éoliens, la seule Mytilène.” La liste des “cités doriennes” a de quoi surprendre on ne s’attend pas à trouver, pour une période qui remonte aux environs du milieu du vie s., une référence à Rhodes comme
Auparavant, il est vrai, il convient de répondre à la question de savoir si, à une date haute, avant le synœcisme, Rhodes pouvait être considérée comme une
Au reste, la documentation numismatique montre elle aussi des liens étroits entre les cités rhodiennes, bien mis en évidence par E. Babelon pour le ve s. : “Les monnaies au type de la protomé de cheval sont importantes à signaler, en ce sens qu’elles nous révèlent une alliance monétaire entre les trois villes rhodiennes de Camiros, Ialysos et Lindos, avant la fondation de la ville de Rhodes en 407... Certaines pièces même, identiques pour le droit (type de cheval) et pour le revers (type de la rose ou de la tête de lion) ne se distinguent que par la légende. On est autorisé, par là, à conclure qu'avant d’être absorbées dans une nouvelle ville, – Rhodes, qui devait à elle seule, désormais, avoir un atelier monétaire, – les trois villes précitées étaient étroitement unies au point de vue politique, commercial et monétaire”[106]. L’étude du monnayage de la fin de l'archaïsme et du début de l'époque classique permet de tirer des conclusions analogues[107].
S'agissant du terme
Tout d’abord, on a affaire en l'occurrence à des cités dont la puissance est bien attestée par les sources littéraires, ce dont témoignent aussi leur monnayage ou leurs exportations de céramiques, même s’il s’agit là d’un critère qui ne peut être utilisé n’importe comment[111]. A vrai dire, le problème du choix se posa surtout pour les Ioniens. En principe, toutes les cités ioniennes sont membres de la Dodécapole, organisation regroupant les douze cités ioniennes autour de leur sanctuaire du Panionion, sur le Mont Mycale[112]. Mais Hérodote distingue quatre zones dialectales chez les Ioniens[113] : on constate ainsi qu’aucune des trois cités du groupe carien (Milet, Priène, Myonte) n’est représentée dans l’Hellénion, non plus que Samos, qui à elle seule forme un groupe dialectal particulier ; dans le groupe lydien, les trois cités les plus méridionales, Éphèse, Lébédos et Colophon, en sont absentes, tandis que, plus au nord, les cités voisines de Téos, Clazomènes et Phocée y ont part ; dans le quatrième groupe, Chios en est membre, ce qui n’est pas le cas pour Érythrées. Deux conclusions s’imposent. La première n'est guère surprenante : les villes situées un tant soit peu à l’intérieur des terres et qui n’ont pas vocation au grand commerce maritime (telles Colophon, Priène et Myonte) se trouvent normalement exclues. La seconde conclusion est que ce sont globalement les cités ioniennes du nord, voisines les unes des autres, qui ont la prérogative de faire partie de l'Hellénion. Très probablement, ces cités avaient réussi à se réserver les places, et cela au détriment des autres. En effet, la participation à la gestion de l’Hellénion et donc à la nomination des
Le cas d’Halicarnasse, qu’Hérodote présente comme l'une des quatre cités doriennes de l’Hellénion, peut néanmoins paraître faire difficulté. On sait en effet que, même dans les inscriptions les plus anciennes, celles qui proviennent de cette cité ou celles qui concernent des gens d’Halicarnasse à l’étranger, c'est le dialecte ionien qu’on trouve employé[117]. On sait aussi que selon Hérodote lui-même, la cité avait été exclue de l'Hexapole dorienne, devenue de fait Pentapole. Mais l'historien explique cette exclusion par le fait qu’un citoyen d’Halicarnasse aurait emporté chez lui un trépied gagné aux concours du Triopion, alors que l'usage était pour le vainqueur de consacrer son prix à Apollon[118]. Les historiens modernes ont considéré, ce qui est effectivement assez probable, que le véritable motif de l’exclusion était “l’impureté” ethno-culturelle d'Halicarnasse, envahie par des éléments ioniens (mais aussi cariens et perses, ces derniers après que la ville fut entrée dans l'empire de Cyrus)[119]. Arguant de ce fait, un historien comme F. Hiller von Gaertringen considère que cette éviction a nécessairement eu lieu
2.4. Dans ce développement, nous avons suivi fidèlement Hérodote, à la différence de plusieurs auteurs contemporains, qui corrigent “les cités” en “les navigateurs et marchands qui venaient à Naucratis”. C'est déjà le cas chez J. Hasebroek, et on retrouve la même idée chez J. Boardman et M. Austin[122]. Ainsi, ce dernier considère que les cités de l’Hellénion, fort distantes les unes des autres, sans cesse en querelle, et cela même en présence d'un ennemi qui les menaçait toutes, la Perse en particulier, étaient incapables d'agir en commun, incapables donc de nommer tous les ans en leur sein des magistrats chargés de diriger la gestion d'un lointain port égyptien. En outre, cette procédure lui paraît sans parallèle et compliquée. Il considère donc qu’Hérodote “must be writing loosely” et que l’historien a confondu les membres de chacune des cités avec leur
Malheureusement, ce schéma ne correspond pas à la réalité. Tout d’abord, on doit poser la question de savoir s’il est effectivement concevable que ce soient les navigateurs et marchands de
De plus, il n'est pas exact que les Grecs d’Asie aient été incapables d'agir en commun. A deux reprises au moins à l’époque archaïque, et face à la menace perse justement, les Ioniens et les Éoliens sont dans un premier temps capables de s’unir pour défendre leurs intérêts. Ce n’est guère qu’un rapport de forces par trop défavorable (car par deux fois ils ont été abandonnés par les Grecs d’Europe) qui les précipite dans un sauve-qui-peut individuel[127]. En outre, Ioniens et Doriens parvenaient fort bien, les uns et les autres à gérer, malgré leurs divergences intestines, leur organisation religieuse commune, qui pouvait éventuellement jouer un rôle directement politique[128]. On ne saurait non plus manquer d’évoquer les deux grandes amphictionies des Pyles et de Delphes d’une part, de Délos d’autre part. L’appréciation sur la trop grande sophistication du système tombe du même coup, d'autant que M. Austin semble croire qu’il exigeait pour fonctionner une sorte de renégociation annuelle. Certes, initialement, et on a vu pourquoi, les négociations avaient peut-être été difficiles avant le compromis final. Mais ensuite, comme l’indique Hérodote, le système était conçu pour fonctionner de manière extrêmement simple. On doit vraisemblablement envisager la nomination de magistrats chargés de la gestion du sanctuaire, qu’on peut imaginer réunis en un conseil analogue à celui qui réunissait les vingt-quatre hiéromnémons nommés par les douze “peuples” qui avaient part à l’amphictionie pyléo-delphique[129]. C'étaient les cités qui devaient les nommer, de même qu’elles nommaient les
Comment se fait-il que l’on voie Lindos, et non Rhodes, nommer un proxène à Naucratis avant le synœcisme, alors que c’est Rhodes, en tant que
En revanche, même si Polyklès, comme il est probable, n’exerçait pas de charge officielle dans l'administration de l'Hellénion, la procédure de décret par laquelle on lui attribue une tâche précise (l’inscription de la stèle) ne devait guère différer de celle employée pour nommer les représentants
Quant au statut des autres sanctuaires mentionnés par Hérodote, le problème se pose, comme pour l’Hellénion, de savoir s'ils avaient été fondés puis gérés par des navigateurs de passage, ou bien par des cités en tant que telles. On a vu que, s’il n’avait pas signalé le sanctuaire d’Aphrodite, c’est très vraisemblablement parce que ce dernier était une création antérieure à Amasis. Il s’agissait d’un sanctuaire de navigateurs, tout comme celui, plus tardif, des Dioscures, comme le montre l’anecdote, rapportée par Polycharme de Naucratis, mettant en scène un marchand originaire de Naucratis, Hérostratos, qui faisait le voyage de Chypre en Égypte : pris dans une tempête, il promet, s’il arrive à bon port, de faire la dédicace dans le sanctuaire d’Aphrodite d’une statuette de la déesse qu'il a achetée dans l'île avant son départ[138]. Ce sanctuaire, situé dans la partie la plus ancienne de la ville, avait probablement été fondé par les Grecs d’origines diverses qui fréquentaient ou habitaient déjà Naucratis avant qu’Amasis ne sépare juridiquement résidents et passagers[139]. Après cette séparation, on peut penser que la gestion de ce sanctuaire resta aux mains des Grecs établis à Naucratis, ce qui le différenciait des nouveaux sanctuaires autorisés par le pharaon.
S’agissant maintenant du statut exact des sanctuaires des Milésiens, Samiens et Éginètes, on doit remarquer tout d’abord que la formule
Cependant, et on ne pourra être d'accord avec M. Austin à ce sujet, le droit de commercer à Naucratis n’était en aucune façon réservé aux seuls citoyens des cités qui étaient membres de l'Hellénion ou qui possédaient là un sanctuaire particulier[142]. Hérodote ne dit rien de tel, et la documentation épigraphique n’autorise pas davantage une telle conclusion. Les inscriptions dédicatoires sur céramique sont peu nombreuses par rapport à l’effectif total de cette catégorie d’inscription. A. Bernand en a dressé la liste, mais on doit à notre sens en retrancher les quatre “Égyptiens” et le “Chalcidien” :
3.1. Tout ce qui vient d'être exposé suppose le rejet des traditions tardives relatives à l'antique fondation d'une “cité” de Naucratis par les Milésiens. Peut-être ces derniers fondèrent-ils effectivement un
Reste donc le problème de savoir à quel moment Naucratis devint effectivement une cité. Est-ce dès avant l’arrivée d'Alexandre, ou après, à la faveur de la domination gréco-macédonienne sur l’Égypte ? Pour le ive s. on possède un certain nombre de documents, dont au moins un décret de proxénie athénien, daté de 349/348, en faveur d’un certain Théogénès, fils de Xénoklès,
D’une part, en effet, deux
Comment conclure ? Il est sûr que, pour les Grecs résidents installés là depuis des générations, communauté endogamique et “ethniquement” unifiée de plusieurs milliers d’individus, qui préservait ses coutumes propres et sa culture hellénique, avec très vraisemblablement ses formes d’organisation interne, ses hiérarchies sociales et ses notables aussi, la tendance naturelle devait être la constitution d'un État-cité, d’autant plus qu’ils étaient par définition en relations constantes avec la Grèce. On voit, au ive s., deux Naucratites faire la dédicace d’une palestre, ce qui témoigne bien de la vitalité de la culture hellénique[163]. Cependant, aussi longtemps qu’une forte autorité étatique s’exerçait sur l’Égypte, il ne pouvait en être question. Le rôle sans cesse plus grand joué par les Grecs dans le bassin oriental de la Méditerranée et les difficultés internes de l’État égyptien sous les dynasties indigènes au ive s. ont-ils abouti à une modification de l’ancien système dès avant l’époque hellénistique[164] ? Un document comme la stèle de Nectanébo Ier et les références aux “Naucratites d’Égypte”, ainsi que, en sens inverse, l’absence de tout document qui puisse permettre de prouver l’existence d’une cité incitent à penser que ce ne fut pas le cas. On doit cependant reconnaître que le dossier est encore incertain, et on s’abstiendra pour le moment d’une conclusion trop tranchée.
3.2. Si la “colonisation milésienne” est une fable, l’installation de Grecs à Naucratis, qui date, comme on l’a vu, de la deuxième moitié du viie s. et sans doute plutôt des deux dernières décennies, doit être replacée dans le cadre du grand mouvement d’expansion que connaît la Grèce de l’Est dans cette période, et qui amène ses marins sur presque tous les rivages de la Méditerranée et du Pont Euxin. En dehors des nouvelles cités coloniales, des établissements comme Al Mina, Ras El Bassit ou Tell Soukas sur la côte syrienne, ou Gravisca en Italie posent des problèmes juridiques du même type que ceux qui se posent pour Naucratis[165] Gravisca offre sans doute le parallèle le plus frappant. Les Grecs s’y installent au même moment qu’à Naucratis, à la fin du viie s. ou au début du vie s. On y retrouve des commerçants de la Grèce de l’Est et d’Égine, ceux-là même qu’on a vu jouer un rôle prédominant à Naucratis. A Gravisca, les Grecs, artisans spécialisés ou commerçants, reçoivent l’autorisation d’élever des sanctuaires et d’exercer leurs activités. Dans les deux cas, à Naucratis comme à Gravisca, le premier sanctuaire est voué à Aphrodite, avec cette différence qu’à Gravisca la déesse apparaît non sous son aspect de protectrice des navigateurs, mais plutôt sous celui de patronne du “monde des femmes”[166]. Mais, pas plus sur la côte toscane qu’en Égypte, les Grecs ne trouvent un vide politique. Là, à la différence de ce qui pouvait se passer sur les rivages du Pont Euxin ou du pays ligure, il pouvait être question non de s’approprier une portion de territoire, fût-elle de petites dimensions, mais seulement d'établir un point de contact commercial avec un État étranger jaloux de ses prérogatives. A Gravisca, les Grecs apparaissent comme des hôtes provisoires, maintenus en marge de la communauté étrusque tarquinienne. Alliée au caractère mixte de la population (Grecs au nord. Égyptiens au sud), la position géographique de Naucratis, sur la branche canopique du Nil, mais loin à l'intérieur des terres, près de Sais, la capitale, permettait de même un contrôle étroit de la communauté grecque. La concentration dans cette ville du commerce grec témoigne de la même volonté, en même temps que la proximité de Saïs rendait les échanges commodes et fructueux, tout en maintenant les Grecs à distance de la capitale. Bien entendu, pas plus à Naucratis qu’à Gravisca il ne pouvait être question de créer une cité. Il y a tout de même deux différences importantes entre les deux établissements.
A Gravisca, le milieu ambiant était très réceptif à la culture hellénique : l’aristocratie étrusque, en particulier, connaissait une très forte hellénisation. A long terme, les coutumes, les idées des Grecs transformèrent profondément les mentalités de l’Étrurie dans son ensemble. Il n’en était pas de même en Égypte. A cet égard, il faut souligner les deux aspects de l'attitude égyptienne. D'une part, à toutes les époques on constate une grande capacité d’accueil des diverses communautés étrangères. La tolérance dont on fait preuve à leur égard se manifeste entre autres par le droit qui leur est accordé d'élever des sanctuaires à leurs dieux[167] D’autre part, le milieu égyptien reste profondément attaché à ses propres traditions culturelles et rejette totalement les mœurs étrangères : toutes nos sources, tant grecques que juives et égyptiennes, concordent à ce sujet[168]. La tolérance, qui n’est peut-être en réalité qu'indifférence méprisante, cohabite donc avec le rejet radical de l'altérité, d'où aussi, de loin en loin, de violentes explosions de xénophobie, contre les Grecs (à la fin du règne d’Apriès par exemple) ou contre les Juifs (sac du temple d’Éléphantine en 410, dans un contexte particulier de réaction nationaliste et de soulèvement contre la domination perse)[169]. Elles doivent être distinguées de manifestations qui n’ont que l'apparence de l'analogie, comme le massacre des Phocéens par les Agylléens après la bataille d'Alalia, qui se produit dans un contexte de guerre et n’est en aucune façon significatif d’un rejet de la culture hellénique[170]. La raison profonde de ce contraste, c’est qu’il n’y a pas hétérogénéité absolue entre une cité étrusque comme Tarquinia et une
La deuxième spécificité de Naucratis – pour autant qu’on puisse en juger, car nous disposons là de sources fournies par la tradition littéraire, ce qui n'est pas le cas pour Gravisca par exemple – et la marque du philhellénisme d’Amasis, c’est bien entendu le double statut accordé aux Grecs, résidents d’une part, auxquels toute une partie de la ville était réservée, passagers de l’autre, avec ce privilège fondamental qui consistait pour les cités de l’Hellénion en la gestion directe des affaires du port au nom de la Grèce toute entière, et, pour d’autres cités, en la représentation sur place au moyen d’un sanctuaire leur appartenant. En cela, la Naucratis réorganisée par Amasis était sans doute tout à fait exceptionnelle, tandis que jusque là elle était juridiquement plus proche d’établissements comme Gravisca ou Tell Soukas. Bien entendu, Naucratis devait aussi sa spécificité à la concentration dans cette ville des résidents grecs non mercenaires sous la 26e dynastie, qui donnait à la communauté hellénique une importance, d’abord sur le plan numérique et également par le volume des affaires qui s’y traitaient, puisque c’était le seul point de contact commercial entre l’Égypte et le monde grec, que ne pouvaient avoir les multiples places de commerce égayées sur la côte syrienne, par exemple. Le fait que cette importance se soit globalement maintenue même après que les Perses eurent supprimé la concentration du commerce grec dans cette ville explique que Naucratis, à l’arrivée d’Alexandre en Égypte semble-t-il, ait pu tout naturellement se transformer en une cité.
3.3. Cela amène à réfléchir plus en profondeur au rôle de Naucratis, et plus particulièrement à celui du double statut édicté par Amasis. On doit également s’interroger sur les occupations des résidents grecs de Naucratis. S’abstenaient-ils de toute activité commerciale, comme on a bien voulu le dire[173] ? Pour ce qui est de la création de l'Hellénion et de la gestion du port, laissée entre les mains de ses neuf cités fondatrices, il s’agit là manifestement, de la part d'Amasis, d’un gage de sa volonté d’entretenir les meilleures relations avec les principales cités dont les ressortissants commerçaient avec l’Égypte. Mais ce n’était pas par pure bonté d’âme que ce pharaon faisait des concessions aussi importantes. L’Égypte – c’est-à-dire l’État égyptien pour les produits stratégiques, et un certain nombre de princes et notables locaux pour le reste - avait un besoin vital du commerce extérieur pour un certain nombre de produits aussi importants que le bois et le fer, auxquels s’ajoutaient les métaux précieux, l'argent surtout, mais également l’or semble-t-il (cf. la stèle de Nectanébo citée supra, n. 18), et de produits de consommation de luxe comme le vin. Or, les Grecs étaient à même de répondre à cette demande. Certes, les Phéniciens devaient prendre en charge une part importante de ce commerce[174], mais peut-être n’étaient-ils pas à même de répondre à tous les besoins de l’Égypte. De plus, ils étaient trop obligés de tenir compte de la volonté des empires dominant l’Asie antérieure pour ne pas être amenés à prendre le parti des adversaires traditionnels de l'Égypte en cas de conflit[175]. Les
Cependant, il faut encore aller plus loin, et expliquer aussi comment il se fait que l’Egypte, et cela antérieurement à Amasis, ait admis l’établissement d’un nombre important de
Mais de plus – et cela a été presque totalement négligé – les Naucratites pratiquaient eux-mêmes le grand commerce. On est habitué à considérer le commerce entre le monde grec et l’Égypte dans la perspective d'un aller-retour, avec les cités grecques comme point de départ et des Grecs (entendons “de l'extérieur”) comme opérateurs. Mais cette vision des choses, même si elle est fondamentalement juste évidemment, est tout de même incomplète. Ce ne sont pourtant pas les Égyptiens qui, par eux-mêmes, pratiquaient le grand commerce. Bien que le pays possédât des gens de mer, comme le montrent certains témoignages relatifs à la marine de guerre égyptienne, il ne semble pas que les
Au delà des bénéfices tirés des diverses taxes frappant le commerce et l’artisanat de Naucratis, les divers besoins des pharaons et de l'État égyptien auxquels pouvait répondre la communauté grecque de la ville justifient pleinement l’autorisation de son implantation : l'Égypte disposait ainsi de “ses” propres marchands et artisans en la personne des Grecs résidents de Naucratis, qui remplissaient donc le même rôle que les Phéniciens de Memphis, par exemple[191]. Établis dans le pays et y ayant fait souche, ils n’avaient évidemment rien à refuser au pharaon, alors que ce dernier, en cas de crise, pouvait avoir un besoin vital de certains produits stratégiques. C'est la raison pour laquelle il était important de ne pas dépendre de marchands et d’artisans véritablement étrangers au pays. En temps ordinaire, ces marchands installés en Égypte contribuaient aussi au maintien des relations avec le monde extérieur : ainsi en était-il, du temps d'Amasis, pour les relations avec Chypre soumise (si le tribut était perçu en nature, comme on peut le penser, il se posait un problème de transport, etc.).
On nous permettra de revenir aux
Chapitre II. Retour à Naucratis
La question du commerce avec l’Égypte, avec au centre le rôle de l’
Du point de vue archéologique, le fait nouveau a été la reprise des fouilles sur le site de Naucratis par une équipe américaine. La tentative valait d’être faite mais, malgré des efforts méritoires, les conditions des fouilles – la plus grande partie du site antique est maintenant occupée par un lac – ne semblent pas avoir permis d’aboutir à des résultats nouveaux et décisifs sur l’histoire de la ville, de ses sanctuaires ou de sa vie commerciale à l’époque archaïque et classique[194]. Les céramiques d’époque archaïque et du ve s. se ramènent à peu de choses, et, pour les mêmes périodes, les restes d’amphores témoignent des importations bien connues en provenance du bassin égéen[195]. Même pour les éléments de base du plan de la ville, on reste encore largement tributaire des données de Petrie et Gardner. La critique du caractère égyptien de la partie sud de la ville, entreprise par W. D. E. Coulson, A. Leonard et N. Wilkie[196], devra être examinée dans la publication définitive.
Dans la lignée de ces travaux, mais sans pouvoir s’appuyer sur une documentation nouvelle, R. D. Sullivan a considéré que Naucratis aurait été d’abord une fondation militaire[197]. La chose est en réalité douteuse. Nous dirions plutôt qu’en ces hautes époques la séparation entre commerce à l’aventure et guerre piratique n’était sans doute pas aussi nette qu’elle le sera plus tard. C’est la raison pour laquelle aussi, même si on ne peut le prouver formellement, il semble toujours raisonnable d’admettre que les Naucratites avaient pu jouer un rôle militaire au moment de la “révolution nationaliste” et des combats entre Apriès et Amasis[198]. La dimension militaire de la présence grecque en Égypte du viie au vie s. reste en tout cas une réalité incontournable[199]. R. D. Sullivan considère aussi qu’il faudrait faire remonter la première présence grecque à Naucratis à la première moitié du règne de Psammétique Ier plutôt qu’à la fin de son règne, s’appuyant en particulier sur la synchronie avec la céramique du site de Vroulia, à l’extrémité sud de l’île de Rhodes[200]. Vroulia paraît avoir joué le rôle d’un petit port de relais sur la route de l’Orient et de l’Égypte. Pour K. F. Kinch, le fouilleur du site, Vroulia aurait été fondée vers 700 a.C. et abandonnée dans la première moitié du vie s.[201] Cependant, I. Morris a récemment proposé pour Vroulia des dates plus basses et plus resserrées, entre 625 et 575[202]. On voit que, même en se fondant sur les témoignages archéologiques vrouliens, il reste difficile de faire remonter la présence grecque à Naucratis au-delà des dernières décennies du viie s.
Du côté de la recherche égyptologique, on insiste aujourd’hui plus que jamais, au contraire des travaux de l’équipe américaine, sur la présence égyptienne à Naucratis. Certains petits objets trouvés à Naucratis sont indubitablement antérieurs à la 26e dynastie et remontent à la période xe-viiie s.[203] Selon J. Yoyotte, le nom de la ville de Naucratis serait même une transposition en grec du nom égyptien Nokradj, cl non l’inverse[204]. Quoi qu’il en soit effectivement, on sera d’accord avec J. Yoyotte sur l’intérêt particulier de trois petites stèles à décor et inscrites provenant très probablement de Naucratis ou d’une zone proche de Naucratis. La première (Berlin 7780) date du règne d’Apriès (an 2 ou an 12, ce pharaon régnant entre 589 et 570), où Amon-Rê-Baded figure dans le décor avec Mont dame d’Isherou : or, Amon-Rê-Baded a fait l’objet d’une dédicace de Ptolémée Ier ou Ptolémée II sur un tronçon d’obélisque provenant de Naucratis qui nomme le lieu saint appartenant au dieu “le Beau Château”, tandis qu’un manche de sistre (Louvre E 6268) porte deux inscriptions, l’une en l’honneur d’Amon-Rê “qui préside au Beau Château”, l’autre pour Mout, ce qui, ajouté au parallèle des formulaires avec les deux autres dédicaces, conforte l’hypothèse d’une provenance naucratite[205]. La seconde (Le Caire 14/2/25/2) est une stèle de l’an 3 d’Amasis (soit 567), qui honore Amon-Rê, “seigneur du Beau Château”, et a donc toute chance de provenir de Naucratis[206]. La troisième (Ermitage 8499), de l’an 16 d’Amasis (soit 554 a.C.), qui représente Horus, Isis et un pharaon coiffant la couronne d’Osiris, est l’œuvre d’un “homme de Nokradj”, la dédicace étant faite dans le village “Le Mur-de Pekher(y), sur le territoire de Sais”, certainement tout près de Naucratis[207]. Comment ne pas faire un parallèle entre cet “homme de Nokradj”[208] et “l’Égyptien de Naucratis” de la stèle
On relèvera, si nécessaire, qu’il n’est pas étonnant de voir un Égyptien porter en même temps un nom grec. La mention, à l’accusatif, de [---]αν Πυθέω Αἰγ[ύπτιον τ]ὸν ἐγ Ναυκράτ[ιος] (
Enfin, même s’il n’y est pas directement question de Naucratis, on soulignera l’importance de la publication d’un registre douanier de la satrapie d’Égypte, publié par B. Porten et A. Yardeni, et qui a fait l’objet d’un commentaire historique détaillé de la part de P. Briant et R. Descat[213]. Le texte est daté de la 11e année de règne d’un pharaon perse et diverses raisons de formulaire et de paléographie incitent à le dater de la première moitié du ves. Cependant, entre la 11e année de règne de Xerxès (475) et la 11e année de règne d’Artaxerxès Ier (454), un certain doute subsiste encore dans l’esprit des commentateurs. Les premiers éditeurs ont préféré la date haute, entre autres raisons parce que les années 450, celles de l’expédition athénienne en Égypte, leur ont paru trop troublées pour le contexte apparemment tout à fait pacifique du registre de douane[214]. Tout en insistant sur l’incertitude qui leur semble subsister, P. Briant et R. Descat considèrent en revanche que rien ne permettrait d’exclure une date sous Artaxerxès Ier et concluent que la question devrait rester ouverte[215].
On reviendra sur la question de la chronologie, mais auparavant, il faut analyser brièvement le contenu même du document. Le registre répertorie pour chaque entrée le nom du capitaine suivi de ce qui est manifestement son ethnique. Un récapitulatif donne respectivement 36 navires
Phasélis était cette cité située du sud de l’Asie Mineure, aux confins de la Lycie et de la Pamphylie[218], qui jouait pour le monde grec un rôle de plaque tournante dans le commerce avec l’Égypte et l’Orient. On a vu qu’elle faisait partie de l’Hellénion de Naucratis (Hdt. 2.178), ce qui montre l’importance de son commerce dès les années 560 au moins[219]. Dans une monographie consacrée au monnayage phasélitain allant de l’époque archaïque à l’époque hellénistique, Chr. Heipp-Tamer a dressé la liste des trésors où apparaissent des monnaies de Phasélis de la fin de l’archaïsme et du début de l’époque classique[220]. Elle a ainsi pu insister sur le fait que sur les sept trésors en question, quatre sont des trésors égyptiens : Demanhur, daté c. 500 a.C. (
Un épisode fameux de la
C’est dans ce cadre, semble-t-il, que l’on peut mieux comprendre le sens du registre douanier d’Égypte. Ce n’est certainement pas un hasard si les commerçants “ioniens” fréquentant l’Égypte qui apparaissent dans l’année 11 sont exclusivement des Phasélitains. Il faut une date où Phasélis soit la seule cité grecque dont les commerçants puissent gagner l’Égypte, et l’on voit immédiatement que cette date est 475. A ce moment, en effet, non seulement Phasélis n’était pas en guerre avec l’empire perse mais elle en était sujette. En revanche, les ressortissants des autres cités grecques étaient nécessairement exclus des ports de l’empire, ceux des grandes cités de Grèce d’Europe depuis la révolte de l’Ionie (499) et ceux de la côte ouest de l’Asie Mineure depuis 479 et la deuxième révolte contre la Perse. Plus tard, en 455, Phasélis était passée du côté d’Athènes et, à leur tour, ses ressortissants ne pouvaient donc qu’être considérés commme ennemis. A fortiori, le contexte de guerre acharnée dans le Delta entre 459 et 454 exclut encore davantage que le registre douanier puisse dater de 455 : car même si, peut-être, les pertes finales des forces d’Athènes et de ses alliés ont été un peu moins importantes qu’on ne l’a pensé jusqu’ici (“seulement” 70 ou 100 trières peut-être, soit le chiffre tout de même considérable de 14 000 à 20 000 hommes[224],) l’ampleur et la continuité des opérations ne font aucun doute.
Seule cité grecque d’Asie Mineure ou de Grèce d’Europe à commercer avec l’Égypte entre 479 et la bataille de l’Eurymédon, donc en situation de monopole de fait, Phasélis dut trouver bien des avantages dans sa situation, même si elle résultait d’enchaînements de circonstances qu’elle n’avait ni voulues ni maîtrisées. On comprend donc que les Phasélitains n’aient pas été trop pressés de passer dans le camp athénien : leurs intérêts commerciaux étaient prioritairement dans les trafics avec Chypre et l’Orient sous contrôle achéménide et ils avaient beaucoup à perdre à changer de camp. Il n’est même pas aventuré de penser que la convention judiciaire que leur accordèrent un peu plus tard les Athéniens, avec sur ce point le statut d’allié privilégié au même rang que les Chiotes, ait été conçue par les Athéniens comme une compensation pour les pertes qu’ils avaient subies dans leur commerce avec l’Orient : après leur passage dans l’alliance athénienne, les Phasélitains avaient nécessairement dû réorienter leur activité vers le commerce d’intermédiaires sur les marchés égéens, à l’instar du rôle qu’on leur voit jouer plus tard au ive s.
C’est ici le lieu d’ouvrir une parenthèse pour justifier cette vision des choses. On peut être tenté de penser que la guerre n’interrompait pas les échanges commerciaux[225]. En réalité, on ne doit pas douter qu’en cas de conflit, aussi bien pour le monde des cités que pour l’empire perse, la règle officielle était bien en principe la fermeture à l’adversaire. On doit cependant faire une distinction entre les commerçants et les objets de commerce. Dans le cadre de la Grèce des cités, l’état de guerre impliquait ipso facto l’arrestation de tous les ressortissants considérés comme ennemis. Dans les contrats commerciaux du ive s., on prévoit une clause indiquant de ne pas faire escale dans les ports où l’on peut exercer un droit de saisie contre la cité où a été conclu le contrat[226] : a fortiori va-t-il de soi qu’en cas de guerre il était impossible de fréquenter les ports du territoire ennemi. Nous avions souligné que les clauses d’inviolabilité et de neutralité (ἀσυλεὶ καὶ ἀσπυνδεί) concernaient les cités alliées de cités en conflit, mais pas les cités en conflit elle-mêmes[227]. Pour ce qui est des produits provenant du pays adverse, on voit que les cités pouvaient aussi prohiber les denrées venant de pays considérés comme hostiles, ou, en cas de guerre, déclarés ennemis. Le cas le plus net est évidemment celui de l’empire athénien, qui, du fait de sa structure, ses intérêts et ses méthodes de guerre et de gouvernement, fut capable de mener de véritables guerres commerciales contre les cités récalcitrantes à son autorité, au premier chef Mégare, épisode qui fut le
Pour ce qui est des relations entre la Perse et les cités grecques, au moins s’agissant des hommes, il ne doit faire aucun doute que le principe de base était le même. Les commerçants grecs originaires de cités qui étaient en guerre avec la Perse y étaient donc sans aucun doute traités en ennemis. Jusqu’à la paix de Callias (449)[229], il va de soi que, sauf arrangement obtenu localement par quelque pot de vin à un représentant de l’autorité, tout commerçant venant d’Athènes ou d’une cité alliée d’Athènes qui se serait risqué dans un port tenu par l’empire achéménide aurait été immédiatement arrêté comme ennemi. Les marchands étaient naturellement considérés comme des espions potentiels et cela seul aurait pu suffire à justifier leur arrestation. En 491, pour connaître l’état des forces adverses, les Grecs coalisés durent envoyer des espions dans le camp perse, ce qui montre que les autres sources d’informations n’étaient pas disponibles[230]. Dans les situations de conflit, seuls les neutres pouvaient fournir des renseignements sur l’adversaire. Ainsi, en 397/396, alors qu’ils étaient en guerre avec la Perse, c’est par l’intermédiaire d’un Syracusain du nom d’Herodas, qui se trouvait en Phénicie avec un armateur, que les Lacédémoniens apprirent que le roi et Tissapherne étaient en train de préparer une grande expédition navale[231].
Contre cette manière de voir, on pourra cependant invoquer une anecdote rapportée par Hérodote (7.147). L’affaire se situe en 480, au moment où Xerxès faisait passer son armée en Europe. Alors qu’il se trouvait à Abydos, le roi vit des navires chargés de grain passer l’Hellespont, en route pour gagner Égine et le Péloponnèse. Or, selon Hérodote, au lieu de les faire saisir, il les laissa passer, au motif qu’ils se rendaient où ils allaient eux-mêmes, et en considérant que son armée aurait elle-même besoin de grain lorsqu’elle serait dans ces régions. En fait, le propos de Xerxès fait écho au dialogue entre le roi et son oncle Artabane, qui lui avait montré les dangers de pénurie de grain pour une armée aussi nombreuse, à quoi Xerxès avait répondu que son armée trouverait sur place la nourriture dont elle aurait besoin, car la Grèce n’était nullement un pays de nomades mais un pays de producteurs de blé (Hdt. 7.49-50).
Quelle qu’ait été l’attitude effective de Xerxès, il paraît clair qu’on à ici affaire à un
Il est vrai que, apparemment, la documentation archéologique n’incite pas à penser que les choses étaient aussi tranchées. En réalité, avec des modalités pratiques qui méritent une justification particulière, la guerre nuisait directement aux échanges commerciaux. Les échanges entre le monde grec et le monde oriental à la fin de l’archaïsme et au début de l’époque classique ont à cet égard une valeur exemplaire. Si, en valeur, la céramique ne représentait qu’un élément marginal du commerce international, elle constitue néanmoins un marqueur précieux de l’intensité des échanges. Or, avec des rythmes divers, des céramiques attiques n’ont pas cessé d’être importées au Proche Orient et en Égypte, même à l’époque des Guerres Médiques[234]. Cette constatation paraît être en contradiction avec le principe posé précédemment. En effet, une telle continuité laisse supposer que les échanges entre Athènes et le monde tenu par les Perses n’étaient pas interrompus. Mais ces échanges n’impliquent aucun contact direct entre des commerçants athéniens et les ports de l’Orient achéménide. A cette époque, les commerçants ioniens jouaient un rôle décisif dans les échanges. De 545 à 479, sauf pendant la douloureuse parenthèse de cinq années de la Révolte de l’Ionie (entre 499 et 494), les cités ioniennes n’ont pas cessé de faire partie de l’empire perse. On ne doit pas douter que c’est par leur intermédiaire que purent se poursuivre les trafics entre le monde égéen, Athènes incluse, et les ports sous contrôle achéménide.
En revanche, dans le deuxième quart du ve s., entre
Le rôle de Phasélis apparaît maintenant en pleine lumière. Depuis 479 et jusqu’à la période 469-466, soit une douzaine d’années après la deuxième Révolte de l’Ionie, seule Phasélis continua à faire partie de l’empire. Il n’est pas très difficile d’imaginer comment des commerçants de cités grecques appartenant à l’alliance athénienne purent encore faire passer en contrebande à leurs vieux amis et partenaires phasélitains quelques produits qu’ils pouvaient souhaiter se procurer – mais évidemment les quantités ne pouvaient qu’être minimes. Certes, du côté perse, rien ne prouve qu’on ait à proprement parler banni tous les produits venus de l’autre côté de la mer, argent, métal ou bois par exemple, qui pouvaient même au contraire être utilisés dans la guerre comme matériaux stratégiques. Il se peut que l’empire perse ait eu sur ce point une attitude plus souple que l’empire athénien, où la pression commerciale était une véritable arme de guerre. L’origine des produits importés n’est pas indiquée dans le registre de douane de 475, ce qui peut laisser supposer qu’elle n’intéressait pas les contrôleurs de douane. Mais l’absence de la quasi totalité des intermédiaires grecs dans les ports orientaux eut manifestement les plus sérieuses conséquences sur les volumes échangés, qui, pendant le deuxième quart du ve s., tombèrent à un niveau dérisoire.
De la sorte, on peut aussi se faire une tout autre image de ce que fut le commerce égyptien et le rôle de Naucratis dans la longue période de guerre du début du ve s. Le fonctionnement de l’Hellénion fut à coup sûr paralysé à l’époque de la révolte de l’Ionie, entre 499 et 494 (et même 493, pour la (in ultime de la révolte). Il fut certainement de nouveau entravé entre 479 et 469-466, et même paralysé entre 469-466 et 449, avec la réserve qu’entre 459 et 454 il est fort probable que la communauté grecque de Naucratis ne dut pas manquer de nouer des contacts avec les forces d’Athènes et de ses alliées, qui représentaient une aubaine commerciale de premier ordre. Pour le commerce égyptien et oriental, Phasélis assura seule une activité mininum à Naucratis jusqu’à ce que, entre 469 et 466, la cité passât à son tour dans le camp athénien. Lorsqu’Hérodote put visiter l’Égypte après la paix de Callias[239], le fonctionnement de l’Hellénion avait donc été réactivé selon les bases institutionnelles qu’Amasis avait autrefois fixées (toutefois naturellement sans la concentration du commerce grec à Naucratis depuis la conquête de Cambyse), mais après trente années qui avaient presque paralysé les contacts entre le monde grec “libre” et l’Égypte sous contrôle achéménide.
Enfin, le document douanier d’Égypte illustre de manière concrète les importations venant d’outre-mer, les principales importations étant les métaux (fer, bronze, étain), le bois (entre autres sous forme de planches et de rames), le vin, l’huile parfumée et la laine, et même peut-être des vases vernissés vides[240] (de la céramique attique ?). Surtout, on voit les prélèvements fiscaux en or et en argent exigés des commerçants grecs par le fisc royal, qui explique sans doute pour une bonne part l’introduction d’argent grec, souvent monnayé, en Égypte[241], et sans doute aussi dans d’autres régions de l’empire, comme on serait tenté de le penser d’après les trésors de Syro-Palestine contenant des monnaies grecques.
Dans une étude qui s’insère dans un vaste ensemble de travaux relatifs à la
Les conclusions de notre première étude portaient principalement sur trois points. Le premier était la distinction à établir entre résidents et passagers. Cette distinction est fondamentale et tout à fait évidente chez Hérodote 2.178-179, mais notre apport était de montrer que cette différenciation permettait d’expliquer deux documents du ve s. a.C., un décret de Lindos datant des années 440 ou 430 (
Sur le premier point, si l’on s’accorde toujours à admettre comme essentielle la différence entre résidents et passagers, il est clair que l’importance des documents rhodiens pour la détermination du statut juridique de Naucratis jusqu’à la fin du ve s. n’a toujours pas été reconnue et c’est un point sur lequel il va falloir revenir. Pour ce qui est ensuite de la gestion du sanctuaire de l’Hellénion par des représentants des cités, et non par les marins et commerçants de passage à Naucratis originaires de ces cités, il semble que cette vision des choses soit maintenant acceptée[245]. C’est en fait surtout la question du statut de Naucratis et la question de savoir si cet établissement était ou non une cité qui semble avoir retenu l’attention. A nos yeux, cette question n’était pas centrale, ou plutôt la solution du problème découlait logiquement des analyses sur le statut juridique des résidents et des passagers.
Pour Μ. H. Hansen, Naucratis était une cité au moins dès l’époque d’Hérodote. En laveur de ce point de vue sont avancés quatre arguments principaux, mais dont aucun ne peut emporter la conviction.
— Le premier est fondé sur l’analyse des inscriptions et des monnaies de bronze. Tout le monde admet que Naucratis devint une cité au plus tard avec Alexandre. Le problème est donc de savoir si le passage au système civique
Μ. H. Hansen évoque tout d’abord le “décret honorifique” de la fin du ive s.
Est ensuite avancé l’argument des monnaies de bronze à légende NAY trouvées à Naucratis ou dans le voisinage de la ville. Pour Μ. H. Hansen, citant B. V. Head “they are undated, but ‘the style is that of the fourth century’” (avec citation de Head dans
On relèvera en revanche que, à la suite de E. T. Newell[249], G. Le Rider signale l’existence d’une obole d’argent aux types d’Athènes (avec une Athéna à l’œil de profil) et à la légende NAY, au lieu de ΑΘΕ. G. Le Rider suggère que cette émission pourrait également avoir été effectuée à l’époque de Cléomène, en même temps que les bronzes. On conçoit au reste aisément comment Cléomène maître de la satrapie d’Égypte aurait pu favoriser sa petite patrie et l’encourager à frapper monnaie. Cependant, G. Le Rider insiste aussi sur l’importance des émissions de tétradrachmes aux types d’Athènes, très vraisemblablement émis par les pharaons indépendants après 404[250], puis, à coup sûr cette fois, par Artaxerxès III et par les satrapes perses dans l’Égypte reconquise après 343[251]. On suggérera donc avec la prudence de rigueur que, du fait de la similitude des types, l’obole naucratite pourrait aussi avoir été émise à la même époque que les monnayages originaires d’Égypte imitant les monnaies d’Athènes. Si tel était le cas, on aurait éventuellement un argument positif en faveur de l’existence d’une communauté civique en Égypte au ive s. avant Alexandre. On voit combien l’argument est encore ténu, mais qu’en tout état de cause ce ne sont pas les bronzes qui l’apportent.
— Μ. H. Hansen insiste aussi sur le fait qu’Hérodote 2.178 fait usage du terme
Tout d’abord, on doit relever que l’idée que l’emploi du mot
Au reste, ce jugement est conforté par une inscription de l’époque de Psammétique Ier, dans la deuxième moitié du viie s où l’on trouve le mot employé pour désigner une ville donnée en récompense à un Grec de Priène, sans doute un mercenaire qui s’était distingué au service de pharaon, et qui au retour dans son pays fit une dédicace d’une statuette à l’égyptienne rappelant les bienfaits du roi : Πηδῶμ μ’ ἀνέθηκεǀν ὡμφίννεω : ἐξ Αἰγǀύπτὠγαγὼν : ὦι βαǀσιλεὺς ἔδωo’ὡιγύπǀτιος : Ψαμμήτιχοǀς : ἀριστήιια ψίλιοǀν τε χρύσεον καὶ ǀ πόλιν ἀρετῆς ἕǀνεκα. Il est frappant de constater que précisément le roi ait “donné une ville”, par quoi il faut donc certainement entendre autre chose qu’un simple village, c’est-à-dire sans doute la charge de gouverner cette ville[257]. On ne peut qu’être frappé de l’étroit parallèle formulaire entre Hérodote et le texte de l’inscription. Bien évidemment, cette
— En troisième lieu. Μ. H. Hansen s’appuie sur les ethniques pour montrer que, dès le ve s., et a fortiori au ive s., on employait l’ethnique de Naucratis comme un ethnique civique. Il s’appuie pour cela sur une série d’inscriptions portant l’ethnique Ναυκρατίτης, selon lui du ve et du ive s. Il présente alors une critique de nos analyses en considérant que le lieu de provenance des inscriptions n’y avait pas été pris en compte : pour Μ. H. Hansen, les ethniques Μεμφίτης et Δαφναΐτης, attestés en Égypte, ne sauraient être mis sur le même pied que les occurrences de Ναυκρατῖται attestées en Grèce propre, cela non seulement dans des documents privés mais aussi dans des documents officiels, comme les listes de donateurs du sanctuaire de Delphes
En fait, on peut aisément montrer que le problème ne se pose pas dans les termes indiqués par Μ. H. Hansen. Relevons tout d’abord que l’inscription funéraire de Διονύσιος Πορμένοντο[ς]
Nous avions donc posé la question de savoir si ce qui était à nos yeux un changement de désignation – de ἐν Αἰγύπτῳ οἰκῶν à Ναυκρατίτης – avait ou non une signification pour le statut de la communauté grecque de Naucratis. Nous soulignions aussi l’existence de cette curieuse précision Ναυκρατίτης ἐξ Αἰγύπτου, non seulement dans une inscription de Delphes mais aussi dans une inscription d’Ios qui avait été publiée par Fr. Lenormant (
— Reste enfin le cas d’un passage d’Athénée (4 149d) où se trouve cité un texte relatif aux fêtes de Naucratis, œuvre d’un auteur nommé Hermeias. A Naucratis, on faisait un banquet au prytanée lors des fêtes anniversaires d’Hestia Prytanitis et aux Dionysies, ainsi que lors de la fête d’Apollon Kômaios, tout le monde revêtant alors une robe blanche, que dit-il “jusqu’à aujourd’hui on appelle vêtements prytaniques”. Athénée décrit ensuite les rites et pratiques alimentaires liées à ces fêles, puis fait diverses allusions à l’usage du prytanée pendant le reste de l’année (on peut y banqueter quand on le souhaite et son accès est interdit aux femmes).
Pour ce qui est de cet Hermeias anonyme, Μ. H. Hansen considère qu’il s’agit d’un auteur du ive s., Hermeias de Méthymna[263]. Athénée connaît plusieurs Hermeias : l’un de Méthymna, un historien du ive s. a.C., l’autre de Kourion, un poète iambique du iiie s. a.C., un troisième de Samos, auteur d’un
Hermeias de Méthymna est l’auteur d’une histoire de Sicile en 10 ou 12 livres[265]. Il est effectivement bien possible qu’il ait vécu au ive s. On notera cependant avec Μ. H. Hansen lui-même que F. Jacoby n’incluait pas le fragment en question dans ses
Faute de ce que nous considérions pouvoir être une preuve définitive, et tout en penchant pour l’idée que le changement de statut ne s’était effectué qu’avec l’arrivée d’Alexandre, nous avions laissé la question ouverte, car l’existence de l’ethnique nous paraissait être une condition nécessaire mais pas suffisante, pour conclure de manière certaine à l’existence d’une cité au ive s. du fait des particularités du cas de Naucratis. L’obole dont il a été suggéré plus haut qu’elle pourrait être antérieure à Alexandre constitue précisément l’élément qui fait pencher la balance du côté de l’existence de la cité. Comme on voit en outre dans le document de Delphes que les Naucratites apparaissent dans une série des
Nous avons eu récemment l’occasion d’évoquer en détail notre point de vue sur la notion d’
Au delà du cas de Naucratis, M. H. Hansen pose la question de l’existence de l’emporion – le mot et la chose-, à l’époque archaïque[273]. Selon lui, le mot n’apparaîtrait qu’avec Hérodote. Partant de là, Μ. H. Hansen considère que le concept d’emporion au sens de “place de commerce” ne serait qu’un sens dérivé du sens premier de “port de commerce”, institution qui ne serait elle-même apparue qu’avec la différenciation au sein des cités entre commerce de détail, concentré à l’agora, et commerce de gros, concentré dans l’
Cette thèse originale mérite d’être examinée en détail[274]. Au plan méthodologique, on ne peut que souscrire à une tentative de renouveler une problématique de manière radicale, en reprenant la question de l’
Comme le montre Μ. H. Hansen lui-même à propos de Thucydide (mais la même remarque vaudrait pour Hérodote, Xénophon ou Strabon), l’emploi du mot
Mais les faits contredisent aussi l’idée d’une apparition tardive du mot et du concept d’
Or, le parallèle de l’
Μ. H. Hansen veut faire de l’
On voit que la thèse de M. H. Hansen sur l’apparition tardive du concept d’
La controverse sur Naucratis et sur la notion d’
Chapitre III. La coupe d’Arcésilas
La fameuse coupe laconienne dite “coupe d’Arcésilas” présente une scène narrative particulièrement remarquable[298]. Grâce aux travaux de Fr. Chamoux, dont l’apport a été décisif, ainsi qu’à ceux de E. Simon, l’interprétation des principaux éléments du dispositif scénique ne fait plus de doute[299].
L’ensemble est représenté sur deux registres, un registre principal à la partie supérieure qui occupe la plus grande partie de la coupe ; un registre secondaire à la partie inférieure (voir fig. 1.) Sur le registre principal, à gauche de la scène, le roi de Cyrène, Arcésilas II sans doute, est assis sur un tabouret pliant finement travaillé[300]. Il est vêtu d’un long chiton blanc et, par dessus, d’une sorte de manteau ouvert noir à bandes pourpres, avec une bande à motif brodé à la partie inférieure. Il a une barbe longue et peignée. Ses cheveux très longs tombent derrière son dos. Lui seul porte un chapeau, de forme conique. Une étole pourpre lui ceint les reins et revient sur ses bras. Il a aux pieds d’élégantes chaussures aux bouts recourbés et un sceptre à la main gauche. Sous son siège veille un petit guépard (ou un chat ?) pourvu d’un collier : il s’agit donc de la représentation d’un animal domestique d’Arcésilas, non d’un simple motif décoratif[301]. Enfin, il est installé sous un dais de toile blanche dont on distingue parfaitement les éléments de fixation, l’un d’entre eux étant rattaché à une sorte de poutre servant de support horizontal (qui soutient aussi la balance servant aux pesées).
La disposition de la scène suffit donc à montrer qu’Arcésilas en était le personnage principal, le maître des lieux, celui pour qui l’opération de pesée représentée était effectuée. L’inscription à son nom à droite de sa tête, qui l’identifie comme le roi Arcésilas, ne fait qu’apporter confirmation de ce rôle.
Les huit autres personnages, cinq sur le registre principal, trois sur le registre secondaire, sont affairés à leur tâche. Ils sont représentés légèrement plus petits (franchement plus petits pour ceux du registre inférieur). Leurs vêtements sont simples et paraissent être des vêtements de travail. Trois des personnages du registre supérieur sont torse nu, un autre porte une tunique à manches courtes (pour l’un des portefaix, dont l’image est en partie effacée, on ne peut rien dire de son vêtement). Le garde du registre inférieur porte un manteau et les deux porteurs de ballots une tunique à manches courtes. Aucun des huit personnages en question ne porte un chapeau ou des chaussures.
Devant le roi, trois personnages sont occupés à effectuer une opération de pesée, un autre, immédiatement devant Arcésilas et tourné vers lui, est manifestement en train de lui indiquer quelque chose, puisque son index est pointé vers le roi, qui lui même a le bras droit tendu en sens opposé. Une balance occupe le centre et la partie droite de la scène, et les personnages en assurant le service sont représentés sous le fléau, ce qui montre assez la taille de la balance, ou l’importance que le peintre voulait lui accorder dans la scène. Il s’agit là en effet d’une balance destinée à peser des tubercules de silphion, donc des objets pondéreux, d’où la robustesse de l’instrument de pesée. Le fléau de la balance est suspendu à une pièce sans doute métallique en forme de croix, qui passe dans un anneau lui-même relié par une suspension à la poutre déjà évoquée portant aussi le dais d’Arcésilas.
Deux études de Fr. Chamoux, fondées à la fois sur l’examen minutieux des textes de Théophraste et de Pline et sur l’analyse iconographique de la coupe d’Arcésilas et des monnaies, ont montré sans qu’il reste maintenant place au doute que c’étaient bien des tubercules de silphion qui étaient représentés sur la coupe laconienne[302]. La couleur blanche des tubercules de silphion, qui étonnait E. Simon et lui faisait préférer aux tubercules du silphion déjà préparé, puisque selon Pline les tubercules étaient de couleur noire, s’explique par le fait que les tubercules étaient pelés[303]. Le silphion était cette fameuse plante ne poussant qu’en Cyrénaïque. Utilisée en Grèce comme médicament et comme condiment, elle était l’un des éléments de la richesse de Cyrène et fut largement représentée sur les monnaies de la cité, mais surtout aux ve et ive s. pour symboliser l’indépendance de la “république aristocratique” cyrénéenne[304]. Pour Fr. Chamoux, le silphion était monopole royal du temps des Battiades et la scène représenterait la perception du tribut en nature versé par les indigènes libyens[305]. Mais il est plus vraisemblable que la scène ait représenté l’attribution de la part revenant aux Battiades (ou du moins à l’un d’entre eux. qui serait donc Arcésilas II) accordée par les Cyrénéens, conformément à une glose d’Hesychius[306].
La vieille théorie selon laquelle la scène de pesée se serait déroulée sur un bateau, dont on verrait un mât et une voile, a en tout cas été démontée par Fr. Chamoux au profit de l’analyse que nous avons suivie ici (il s’agit en fait d’une poutre tenant lieu de support et d’un dais)[307]. On est donc sans doute sur l’agora de Cyrène. Ce sont vraisemblablement les caves du palais (situé néanmoins sur l’acropole, à quelque distance de l’agora), et non les cales d’un navire, qui sont représentées. Les ballots de silphion entassés, qui représentent la part d’Arcésilas, sont placés sous la surveillance d’un garde, identifié par l’inscription φυλακός.
Pour ce qui est des motifs décoratifs du vase, ils sont tout à fait caractéristiques de la céramique laconienne de la période : oiseaux, animaux divers, comme ici le gecko grimpant sur la gauche de l’image[308]. Des traits stylistiques spécifiques ont permis d’identifier un peintre d’Arcésilas[309].
Jusqu’ici, nous n’avons guère évoqué les inscriptions, qui ont pourtant donné lieu à bien des interprétations divergentes. On trouvera l’essentiel de l’argumentation, avec le rappel d’un certain nombre de positions antérieures et des progrès effectués, dans une étude de G. Neumann[310]. Les inscriptions sont en écriture laconienne. Évoquons d’abord le cas des trois mots du registre inférieur, de gauche à droite : φυλακός n’est qu’une variante dialectale de φύλαξ et désigne le garde en position à l’entrée du magasin ; le second mot est illisible, le troisième, MAEN, au dessus des quatre ballots entreposés, a fait l’objet d’une tentative d’explication de la part de G. Neumann, mais qui reste incertaine[311].
C’est au registre supérieur que se trouvent les mots les plus importants. De gauche à droite, outre le nom du roi Ἀρκεσίλας, on trouve le mot ΣΟΦΟΡΤΟΣ, qui semble être complet à gauche. G. Neumann propose d’y voir le nom propre Σώφορτος, qui entrerait dans la série des noms comme Σώβιος, Σωσθένης, Σώστρατος, etc., et signifierait “dessen (Schiffs-)ladung unversehrt ist”, “celui dont la cargaison est saine et sauve”. Il aurait été donné par quelque riche marchand à l’un de ses fils. Le rang social atteint par les marchands enrichis justifierait que le nom de l’un d’entre eux apparaisse au côté de celui du roi[312]. Cette proposition de lecture, acceptée par E. Simon[313], n’est pas accueillie par
On relèvera en effet tout d’abord que la plupart des noms qui apparaissent ici, du moins en dehors de celui du roi Arcésilas, correspondent à des fonctions. Mais en est-il de même avec ΣΟΦΟΡΤΟΣ ? Fr. Chamoux voyait dans tous ces mots des anthroponymes parlants, ce qui n’est pas davantage une solution satisfaisante[314]. Mais il a en outre avancé l’explication suivante : “Le personnage appelé [Ἰ]σόφορτος a peut-être un stylet à la main pour noter le poids constaté”[315]. Parmi les personnages représentés, celui qui est figuré devant le roi a en effet manifestement une fonction différente de celle des autres. Il est possible que le personnage en question ait eu à la main un stylet, mais la chose ne peut être considérée comme certaine. Mais on a le sentiment que le personnage s’adresse directement au roi, comme pour lui indiquer quelque chose. En ce cas, il est tout à fait réaliste de considérer avec S. Stucchi qu’il indique au roi le résultat d’une opération de pesée : [ἰ]σόφορτος, “charge égale”, pour signifier que les deux plateaux sont en équilibre[316]. On remarquera que, chez Hérodote (4.196), la procédure de l’échange “à la muette” auquel ont recours les Carthaginois sur la côte africaine suppose une égalisation des marchandises, en valeur il est vrai, mais l’emploi du verbe ἀπισόω appliqué aux φόρτια des marchands et à l’or des indigènes fournit néanmoins un parallèle significatif[317]. Il est donc possible que le personnage ait été un “comptable de charge”, c’est-à-dire un comptable des écritures, analogue au φόρτου μνήμων de l’
Avec [---]αθμός (en écriture rétrograde), on a peut-être comme le suggère G. Neumann un composé sur le mot σταθμός, la balance, qui pourrait être [ἐπί]σταθμος, même si cette restitution ne peut être tenue pour entièrement assurée[319]. La restitution [φ]ορμοφόρος, “portefaix”, donne sans doute au mot suivant sa solution définitive, qui correspond exactement au contexte[320]. Il en va de même avec ὀρυξό[ς] (rétro.), où le sens de “déterreur” de Fr. Chamoux convient parfaitement pour des ouvriers chargés de déterrer les tubercules de silphion[321].
Reste le mot σλιφομαχος (rétro.), au dessus du personnage le plus à droite. La variante σλιφο-pour σιλφιο-avec métathèse dans la première syllabe et sans l’élément suffixal -ι- n’est pas sans appui. Il s’agit donc bien ici du silphion. G. Neumann repousse à juste titre tout lien avec μάχομαι, “se battre”, mais fait un rapprochement bien peu vraisemblable avec μάσσω, “pétrir”. Faudrait-il revenir à une ancienne proposition de Fr. Studniczka, qui le premier avait proposé d’établir un lien avec l’égyptien
Il est encore un autre aspect des choses qui doit être souligné : le lien entre la scène de la coupe d’Arcésilas et les représentations de psychostasie égyptienne. La chose a été relevée depuis longtemps, en premier lieu, de manière rapide mais claire, (ordonnancement de la scène, présence du babouin, type de la balance), par O. Puchstein en 1880, dont le point de vue lut ensuite largement suivi[326]. Cependant, plus récemment, cette hypothèse a été généralement repoussée, ainsi par Fr. Chamoux et E. Simon, bien que certains critiques aient cependant continué à retenir cette idée[327]. Pourtant, le lien avec une scène de psychostasie est hors de doute. Il suffira de mettre à jour les analyses d’O. Puchstein.
Pour ce qui est de l’ordonnancement de la scène, la confrontation avec la scène de psychostasie du papyrus de Hunefer est très éclairante. A droite, on y voit Osiris assis en majesté sur un trône, sous un baldaquin, portant les attributs royaux et présidant à la scène : Arcésilas est lui aussi assis sous un dais, et porte le sceptre. Horus s’avance vers lui, conduisant Hunefer ; on remarque la position du bras droit tendu d’Horus, qu’on retrouve dans celle du personnage situé devant Arcésilas.
On remarquera aussi sur le vase d’Arcésilas un oiseau de la famille des échassiers volant vers la gauche, que l’on a identifié soit avec une cigogne, soit avec une grue[328]. Le graphisme de l’oiseau relève d’une iconographie purement grecque. Selon un rapprochement judicieux effectué par E. Simon, la présence d’une pierre sur les pattes de l’animal correspondrait à la fable selon laquelle les grues en avaient besoin comme ballast pour lutter contre le vent[329]. E. Simon repousse donc l’idée que l’objet posé sur les pattes de l’oiseau puisse être un scarabée, même si cette identification reste tentante vu la forme de l’objet en question. Le scarabée était le symbole du dieu Khépri, le dieu de la résurrection, lui-même fréquemment lié à l’oiseau
Fig. 1 : La coupe d’Arcésilas. Cabinet des Médailles. Inv. nº 189.
Fig. 2 : Psychostasie du papyrus d’Hunefer. British Museum. Inv. nº EA 9901/3.
Fig. 3 : Balance de la psychostasie du papyrus d’Anhaï. British Museum. Inv. nº EA 10470/3.
Plus nette encore apparaît l’inspiration égyptienne dans deux détails qui ne laissent pas place au doute. Il s’agit d’une part de la présence d’un babouin perché au dessus de la balance. Au premier abord, ce babouin pourrait paraître n’être qu’un élément de couleur locale africaine[332]. Mais, dans la tradition égyptienne, cet animal était lié à Thot, le dieu des scribes et de la comptabilité[333]. Le dieu Thot apparaît dans les scènes de psychostasie, comme ici sur le papyrus d’Hunefer (
C’est enfin le type de la balance de la coupe d’Arcésilas qui constitue l’élément le plus convaincant, car elle correspond parfaitement à une balance de type égyptien[334].
St. R. K. Glanville a expliqué les étapes de la mise au point et le principe de fonctionnement de la balance égyptienne[335]. Au Moyen Empire (c. 2100 - 1800 a.C.), les quatre cordes de suspension commencèrent à être nouées ensemble et à passer à travers un trou situé à chaque extrémité du fléau, le nœud, fait au dessus du fléau, bloquant ainsi le plateau[336]. Les balances furent ensuite améliorées. Les quatre cordes de suspension furent nouées ensemble selon le même principe que précédemment, mais la collerette en forme de trompette fixée à l’extrémité permettait de faire en sorte que les cordes divergent d’un même point à la partie inférieure de la collerette, assurant ainsi apparemment le meilleur équilibre possible[337]. Les représentations de balances du Nouvel Empire montrent des instruments de ce type et permettent d’observer le soin extrême avec lequel ils avaient été fabriqués, en particulier avec l’usage du métal (très coûteux) dans les différentes parties de l’assemblage. De même, le système du fil à plomb servant d’indicateur de précision des pesées fut encore perfectionné.
C’est précisément un système d’attache des plateaux si typiquement égyptien, avec ces collerettes à l’extrémité du fléau, qu’on retrouve sur la balance de la coupe d’Arcésilas et qui permet donc sans la moindre ambiguïté d’identifier cette dernière avec une balance égyptienne. Par rapport aux balances des vignettes du
St. R. K. Glanville insiste également sur la grande fréquence des représentations de balance dans les scènes de tombes dans l’Égypte pharaonique. Cependant, ce sont d’ordinaire des scènes qui montrent le souverain ou un administrateur percevant un tribut ou une rente. Il s’agit le plus souvent d’objets précieux, soigneusement pesés avec des poids ajustés (comme le montre la série des poids portant l’incription
Pour ce qui est de la chronologie, il est remarquable que l’on trouve des scènes de pesée utilisant des balances traditionnelles jusqu’à l’époque hellénistique avancée, même si, peut-être, ces balances n’étaient alors déjà plus en usage[342]. Sur un papyrus du ier s. a.C., on retrouve encore pleinement, importée du
Il est remarquable que, dans les deux papyri tardifs précédemment évoqués (illustrations non reproduites ici), on retrouve un personnage debout, qui est alors le dieu-faucon Horus, la main tendue pour éprouver le fil à plomb fixé au sommet de la balance. C’est là le parallèle qui explique la position du personnage le plus à droite de la coupe d’Arcésilas. Ce dernier, qui montre le point central du fléau à son compagnon, lequel tourne la tête pour regarder le même point, est exactement dans la même posture que les Horus debout des scènes égyptiennes tardives de psychostasie. La différence tient au fait que, sur la coupe d’Arcésilas, la balance ne présente aucun fil à plomb central : le personnage tend donc la main vers un point vide. L’artiste a copié la scène, mais il n’a retenu que l’aspect formel du geste et il n’a pas représenté le fil à plomb, soit qu’à Cyrène on ait effectivement utilisé une balance d’inspiration égyptienne, avec les cordes de suspension des plateaux sortant des extrémités en forme de collerette, mais sans support vertical (comme on l’a vu, le fléau est ici suspendu à une poutre) et sans fil à plomb central, soit que l’artiste lui-même ait librement réinterprété les éléments d’origine diverse dont il disposait.
En tout état de cause se pose le problème de savoir de quelles sources l’artiste laconien pouvait disposer pour composer cette scène[344]. La question est double : c’est à la fois l’aspect cyrénéen et l’aspect égyptien de la scène qu’il faut essayer de justifier. Les détails relatifs à Arcésilas, à la pesée du silphion, soigneusement représentée, ou encore à l’accumulation dans les réserves du roi, montrent une connaissance visuelle directe ou indirecte des réalités cyrénéennes. L’artiste laconien avait-il fait le voyage de Cyrène, avait-il été résident à Cyrène et en avait-il rapporté un croquis pris sur le vif[345] ? Lui avait-on seulement rapporté un dessin de la scène, comme le suggère aussi Fr. Chamoux, qui évoque “quelque
La scène si pleine de verve de la coupe d’Arcésilas est donc une
Chapitre IV. Une famille camiréenne de commerçants en blé
Des documents du iiie s. a.C. provenant du Sud de la mer Égée permettent de montrer qu’un certain nombre de commerçants rhodiens opérant dans cette zone avaient la même origine géographique à l’intérieur de l’État rhodien et appartenaient, semble-t-il, à la même famille, ou du moins au même groupe familial.
On prendra comme point de départ de cette enquête le décret d’Éphèse
Le même Agathoklès reçoit par décret à Arkésinè d’Amorgos le litre de proxène et d’évergète (
Or, on retrouve des parents de cet Agathoklès à Camiros. On sait que l’État rhodien était divisé en trois
A Arkésinè donc, sur la même pierre que le décret qui accorde la proxénie à Agathoklès, est gravé un décret (
Dans une inscription provenant de la petite île d’Ios, voisine d’Amorgos, le Rhodien Antisthénès, fils d’Aristonikos, et par adoption de Charmoklès, est couronné “pour sa valeur et son dévouement envers le peuple d’Ios”. Le décret continue ainsi : “Que celui qui a acheté le blé public, Arétéas, verse l’argent pour la couronne sur les sommes qu’il doit rendre à l’agoranome, Mégaklès” (
On conclura logiquement que si c’est un
Deux conclusions s’imposent. La première est que des Rhodiens originaires de Camiros (du moins du territoire tribal camiréen) faisaient preuve d’une particulière activité dans cette zone du Sud de la mer Égée où Rhodes jouait manifestement un rôle de redistribution pour le commerce du blé[361]. A Rhodes, on est conduit a imaginer l’existence de maisons de commerce dont les directions devaient être organisées sur un mode familial, comme tendent à le montrer les documents relatifs à ces Camiréens. Ces derniers devaient en outre être plus ou moins spécialisés dans une zone géographique. On comparera avec l’activité des membres d’une même famille d’Halicarnasse en Grèce centrale et du nord-ouest, étudiée par S. G. Miller[362]. A priori, cependant, on se gardera de généraliser cette spécialisation géographique à tous les commerçants Rhodiens. De même, il ne faut vraisemblablement imaginer rien de strict ou de figé dans cette spécialisation, ni a fortiori de “monopole” des Rhodiens de telle origine (Camiréens, Ialysiens ou Lindiens) sur telle zone géographique. Ainsi, la cité de Minoa d’Amorgos nomme proxène le Rhodien Hermokréôn, fils d’Aristonymos (
La seconde conclusion touche à la place des commerçants rhodiens dans la vie de la cité, problème sur lequel on s’est encore récemment interrogé[364]. Comme le montrent aussi les sources littéraires[365], des Rhodiens pratiquaient donc eux-mêmes des activités commerciales. On voit certains de leurs enfants ou parents (sinon eux-mêmes, mais selon toute vraisemblance, cela tient seulement aux lacunes de nos sources) occuper des charges, comme celle de hiérope, qui sont manifestement réservées à l’élite dominante (mais on se gardera, pour l’instant, de tirer des conclusions sur le fait qu’on ne voit pas d’individus de ce groupe familial exercer des prêtrises importantes ou des magistratures supérieures). D’autres analyses permettront de préciser ces résultats.
Chapitre V. La dynamique des cités de Lesbos
L’étude du développement des cités de l’île de Lesbos depuis le plus haut archaïsme jusqu’à l’époque hellénistique ne laisse pas d’étonner eu égard aux idées dominantes sur les facteurs de développement d’une cité grecque. On sait que chez les historiens de l’Antiquité grecque prévaut encore largement le schéma selon lequel, dans la mesure où la terre était “l’élément essentiel de l’activité économique” (nous employons à dessein cette formulation trop vague) la possession d’un vaste terroir agricole suffisait ordinairement à assurer la grandeur d’une cité. Certes, on ne peut qu’être d’accord avec la première proposition, du moins en précisant que la terre était, et de fait de très loin, le principal facteur de production. En revanche, il est légitime de s’interroger sur le point de savoir si on a le droit d’affirmer ipso facto que la richesse et l’étendue des terres dont pouvait disposer une cité était le principal vecteur de sa puissance et de son rayonnement. L’analyse du cas des cités de Lesbos présentée ici peut être considérée comme une sorte de test de la validité de ce modèle. Comme pour tout test, les conclusions de celui que nous allons construire ne peuvent naturellement être que limitées. Néanmoins elles permettront peut-être d’apporter une contribution significative au débat précédemment évoqué. Par la même occasion, l’enquête amènera à formuler quelques remarques critiques sur certaines théories relatives aux modes d’occupation de l’espace.
L’île de Lesbos a en gros la forme d’un triangle rectangle, qu’on aurait placé non loin des rivages septentrionaux de la façade égéenne de l’Asie Mineure[366]. Mais ce triangle présente sur son grand côté (regardant vers le sud), deux profondes indentations, qui donnent à l’île un caractère très original : il s’agit, à l’ouest, du vaste golfe de Kalloni, à l’est du golfe de Hiéra, qui paraît être comme une réplique du premier nommé, mais à une échelle légèrement plus petite. Si l’on examine la situation prévalant au plus haut archaïsme, les cités paraissent distribuées de manière régulière et uniforme sur le territoire lesbien. Il n’y a pas à cet égard de vide à l’est ou à l’ouest, au centre ou à la périphérie. Ces cités, ou ces agglomérations potentiellement appelées à devenir des centres civiques, étaient originellement au nombre de sept : Érésos et Antissa étaient toutes deux situées dans la partie occidentale de l’île, la première sur la côte sud, la deuxième sur la côte nord ; Méthymna était elle aussi située sur la côte nord, mais, à l’est d’Antissa, Arisbè était dans l’intérieur de l’île, au nord du golfe de Kalloni ; le site de Pyrrha se trouvait sur le rivage est du golfe de Kalloni et celui de Hiéra près des rivages ouest du golfe du même nom ; Mytilène enfin était située dans la portion méridionale de la côte est.
Dans son
A Érésos, le terroir agricole n’apparaît pas très étendu. Les orientations de la production sont diversifiées : céréales et coton, vignobles, olives, chênes à vallonnées.
Pour Antissa, on peut faire globalement les mêmes remarques, mais en proportion les céréales et les chênes semblent l’emporter légèrement.
A Méthymna, on constate que le terroir agricole est particulièrement peu étendu relativement à d’autres. Les chênes sont absents et les vignobles l’emportent sur les autres cultures.
A Arisbè, céréales, vignobles et surtout oliveraies se partagent un terroir qui est beaucoup plus vaste que précédemment.
Sur l’ancien secteur de Pyrrha, on a un terroir moins vaste que celui d’Arisbè, mais qui reste nettement plus vaste que celui de Méthymna. La céréaliculture l’emporte.
Les deux terroirs de Hiéra et de Mytilène ont sensiblement la même surface, un peu inférieure à celle de celui d’Arisbè, et la production oléicole est l’activité dominante.
Par rapport à l’Antiquité, il y a certainement des différences marquées sur certains aspects. Ainsi, le Sud de l’île semble avoir connu une occupation humaine plus dense à l’époque moderne et contemporaine que dans l’Antiquité, et donc des zones d’occupation agricole certainement plus étendues. La ville même de Plômarion ne paraît pas correspondre à un centre antique[368]. En outre, la vocation principale de l’agriculture mytilénienne antique paraît bien avoir été la production viticole, tandis que, comme on l’a vu, c’était la production d’olives qui dominait au xixe s. Cela suffit à montrer qu’il ne saurait y avoir de déterminisme étroit en matière d’occupation du sol et d’activité agricole, comme si par exemple l’existence d’un vaste territoire à usage agricole potentiel déterminait de son fait même la mise en valeur effective de ce terroir. Des facteurs d’ordre économique, politique (ou autre) interviennent toujours, naturellement. Ainsi, c’est certainement le changement de la nature de la demande à l’exportation, du fait de conditions socio-économiques d’ensemble très dissemblables, qui explique la différence entre les orientations de l’agriculture mytilénienne, orientée dans l’Antiquité vers la production de vin pour des grands centres urbains ou des marchés lointains où la demande était toujours très forte, vers la production d’olives à l’époque moderne dans le cadre d’une économie plus contractée et de rayon d’action moindre. Mais l’on doit alors signaler que la remarque vaut dans l’autre sens : si par exemple une zone de plaine à forte potentialité agricole se trouvait effectivement employée au xixe s. alors qu’elle ne l’avait pas été dans l’Antiquité, le fait mériterait en soi une explication.
Croquis schématique des terroirs de Lesbos (d’après Koldewey,
Si donc l’on veut bien admettre par hypothèse que des contraintes naturelles inchangées ont, dans des conditions techniques peu différentes, déterminé des zones d’occupation agricole au moins potentiellement identiques entre l’Antiquité et le xixe s., on aperçoit alors une nette différenciation entre les terroirs des anciennes cités lesbiennes. On pourrait établir le classement suivant, par ordre d’importance décroissante : Arisbè (1), Hiéra et Mytilène (2-3), Pyrrha, Antissa et Érésos (4-5-6), et enfin Méthymna (7). Si l’on admettait comme critère de la puissance d’une cité l’importance de son terroir agricole potentiel, on devrait donc placer en tête Arisbè, suivie des autres cités de la liste que nous venons d’indiquer. Ce choix serait d’autant plus justifié si l’on analysait les choses plus en détail et si l’on différenciait les zones de plaine, plus faciles à travailler, demandant moins d’investissement en travail, des autres portions du terroir : en ce cas Arisbè l’emporterait encore plus nettement[369]. L’extension effective du terroir agricole de Mytilène sur des zones a priori moins favorables s’explique manifestement d’abord par des facteurs d’ordre économique, comme on le verra bientôt.
Or, confronté à la réalité du schéma d’évolution historique des cités de Lesbos, il est clair que la hiérarchie construite a priori se révèle tout à fait inadéquate. Tout autre en effet fut l’évolution réelle des cités de Lesbos.
A l’âge du Bronze, même s’il n’est pas certain que l’île ait été la Lazbaz des sources hittites (l’hypothèse apparaît cependant comme de plus en plus probable), la population de Lesbos apparaît déjà comme étant relativement dense. Les sites occupés paraissent déjà en grande partie être ceux qui le seront au premier millénaire (sauf pour Érésos et Arisbè). A une exception près, les implantations sont toujours côtières ou proches de la côte, mais les rivages des golfes intérieurs de l’île ne sont pas négligés. Le littoral sud du golfe de Kalloni paraît même avoir eu une occupation très dense. Le site de Thermi, sur la côte est, semble avoir eu une importance particulière, manifestement plus grande qu’au premier millénaire.
Dès l’époque archaïque, le sens de l’évolution du poids respectif des différentes cités se dessine avec clarté et une nette différenciation apparaît, certaines entités l’emportant sur d’autres, en prenant même le contrôle par la force. Or, l’explication de ce processus et de ces antagonismes ne saurait être recherchée dans une quelconque diversité ethnique héritée de l’époque mycénienne ou des Ages sombres. L’île passait en effet pour avoir une population éolienne homogène, comme on peut l’inférer de la tradition mythologique – et à cet égard la croyance est plus importante que la réalité des faits. Le clan royal des Penthilides se référait en effet à un ancêtre commun du nom de Penthilos, qui avait, disait-on, conduit l’essentiel de la migration éolienne à travers l’Égée[370]. Du reste, malgré les antagonismes existant entre elles, on voit à diverses époques fonctionner des formes d’associations entre cités lesbiennes.
A l’époque hellénistique, une inscription de Délos (republiée dans
N’est-il donc pas légitime a fortiori de supposer que les cités de Lesbos auraient pu connaître une évolution parallèle et harmonieuse, leur plus ou moins grande richesse étant seulement fonction de celle de leur terroir agricole ? L’existence de structures communes ne les prédisposaient pas à se fondre en un état unitaire dont la capitale aurait pu être située au centre de l’île, ἐμ Μέσσω, autour du sanctuaire fédéral de Μέσσον s’il existait déjà à la haute époque ?
La théorie du développement privilégié des “places centrales”, élaborée par les savants allemands Christaller et Lösch trouverait alors ici une excellente illustration[373]. Selon une variante de cette théorie mise au point par P. L. Goutletquer à propos de l’évolution d’une hiérarchie de sites de Basse-Bretagne du Moyen Age à nos jours amènerait précisément à conclure que la place centrale avait dû se constituer autour d’un point de centrage virtuel, non occupé au départ (l’auteur appelle “évolution centripète” cette tendance à la création d’une place centrale autour d’un point virtuel)[374]. Ces théories ne sont certes pas sans intérêt pour nous : à Lesbos, ce centre virtuel de l’île est bien matérialisé dans le sanctuaire fédéral de Messon. Mais, quant au reste, on ne peut que constater que l’évolution s’est faite tout autrement de ce qu’on aurait pu supposer en prenant comme critère d’évolution à la fois la richesse relative des terroirs et une théorie de l’organisation spatiale qui a comme présupposé l’existence d’une hiérarchie des services eux-mêmes fournis par une hiérarchie de villes. Du moins à l’échelle de l’ensemble de l’île, ces théories ne peuvent absolument pas fournir de modèle explicatif[375].
Que constate-t-on en effet ? Trois de ces cités paraissent avoir très vite décliné en tant que pôle autonome. Ce fut certainement d’abord le cas pour Hiéra, qui nous apparaît de la manière la plus fantomatique, et qui fut sans doute très tôt absorbée par sa voisine Mytilène[376].
De Pyrrha, on sait qu’elle existait encore au ive s. a.C. On en avait gardé le souvenir au iie s. p.C., puisque Ptolémée la mentionne dans sa
Deux autres cités eurent un sort plus heureux sans connaître pourtant un grand développement : ce sont les deux cités occidentales d’Érésos et d’Antissa[380]. C’est en punition pour avoir choisi le camp de Persée qu’Antissa fut détruite par les Romains en 167 a.C. Son territoire fut donné aux Méthymniens, fidèles amis de Rome. Avant cet événement, Antissa et Érésos avaient connu une évolution similaire de cités de second ordre, Érésos par exemple n’émettant pas de monnayage avant 200 a.C., avec des émissions réduites et une diffusion limitée.
Deux cités en revanche se détachent et jouent un rôle de premier plan, à l’échelle de l’île et même à l’échelle internationale : Méthymna et Mytilène. La première nommée, Méthymna, était connue pour la qualité de son vin (qui était donc exporté). Elle avait absorbé Arisbè (Hdt. 1.151, cf. Strab. 9.4.5), et même Antissa après 167 a.C. (Liv. 45.31.13) Son monnayage est continu et abondant depuis la fin de l’époque archaïque (avec en particulier les nombreuses émissions du type de la tête casquée). Ses rivalités avec Mytilène, à l’époque de la Première Confédération athénienne comme à l’époque des guerres mithridatiques forment la trame de l’histoire des relations entre cités de Lesbos. Quant a Mytilène, on la voit jouer les plus grands rôles dès l’époque archaïque. C’est ainsi qu’à la fin du viie s. elle avait disputé aux Athéniens la route des Détroits et qu’un peu plus tard, dans les années 560, elle fut la seule cité éolienne membre de l’Hellénion de Naucratis (Hdt. 2.178), ce qui suffit à mesurer l’ampleur de son réseau commercial. Au ive s., on la voit liée par traité aux rois du Bosphore[381]. Ses vins étaient célèbres. Son monnayage était abondant et assez largement diffusé. Sa vie intellectuelle était renommée. Le chiffre de sa population devait être très nettement plus élevé que celui des autres cités de l’île. On peut en trouver une indication dans l’étendue de la superficie entourée par ses murailles, 140 ha, soit cinq fois plus que pour Méthymna, huit fois plus que pour Antissa, et trente fois plus que pour Érésos[382]. Certes, il n’y a pas de lien mécanique à établir entre population d’une
Ainsi, deux cités, et l’une d’entre elles surtout, ont joué un rôle majeur : Mytilène en premier lieu, Méthymna ensuite. Deux autres ont joué les seconds rôles : Antissa et Érésos. Trois enfin ont rapidement disparu et n’ont joué qu’un rôle marginal : Hiéra, Arisbè et Pyrrha. Il apparaît nettement alors qu’une première partition peut être faite entre les cités “intérieures” (même si elles sont près d’un rivage), celles qui ont rapidement quitté la scène – Hiéra, Arisbè et Pyrrha – et les autres, les quatre cités ouvertes sur la mer libre. A l’intérieur de ce groupe, cependant, une deuxième partition doit séparer Antissa et Érésos, situées à l’ouest de l’île et donnant sur le grand large, de Méthymna et Mytilène dans la partie occidentale, face à l’Asie Mineure.
On doit naturellement s’interroger sur le ou les facteurs qui ont amené cette répartition. La possession d’un terroir riche, tant pour Hiéra, Pyrrha qu’Arisbè, n’a pas suffi à susciter le dynamisme de ces trois cités. Dans le cas particulier d’Arisbè, on pourrait se demander si l’aspect marécageux d’une partie du secteur littoral n’avait pas pu jouer un rôle répulsif, mais on peut immédiatement objecter que toute la plaine intérieure, et en particulier la haute plaine de Napè, où un site néolithique a été découvert, restait disponible. Si l’on ajoute que les eaux poissonneuses des deux vastes mers intérieures (de nos jours les sardines du golfe de Kalloni sont célèbres) procuraient un complément de denrées alimentaires et que les golfes bien protégés des vents pouvaient offrir un abri sûr aux navigateurs, la marginalisation des sites intérieurs pourra paraître encore plus incompréhensible.
En fait, l’explication est à chercher d’abord dans la situation relativement aux grands axes commerciaux. Si les cités côtières extérieures se sont développées, c’est parce qu’elles étaient présentes sur les grandes voies commerciales qui irriguaient le monde grec, et cela dès l’époque archaïque. Car même si à cette époque le volume brut des quantités transportées était moins important qu’aux époques ultérieures, l’incidence relative de l’échange sur la vie économique et sociale comme vecteur de développement n’était pas nécessairement moindre[383]. Un indice supplémentaire est fourni par la différenciation même entre les cités côtières extérieures, Antissa et Érésos d’une part, Méthymna et Mytilène de l’autre. Il faut pour comprendre ce phénomène se reporter aux conditions de navigation à voile en mer Égée. Les vents y sont souvent violents, en particulier les vents étésiens, aussi les navigateurs recherchaient-ils les secteurs relativement abrités des vents. Les routes protégées étaient toujours préférées aux routes ouvertes[384]. Aussi les navigateurs empruntaient-ils le chenal longeant la cote d’Asie, où les vents étaient arrêtés par la succession des caps et des îles proches du littoral asiatique, de préférence aux routes passant à l’ouest des îles. Le véritable axe de circulation nord-sud entre les Détroits et, si l’on veut, l’Orient méditerranéen, était donc le chenal longeant la côte d’Asie, dont le point d’entrée se situait précisément au niveau de Méthymna. Quant à Mytilène, avec ses deux ports bien équipés, elle était l’étape naturelle pour la navigation remontant vers le nord ou descendant vers le sud.
A long terme, ce fut donc l’échange, la vie de relations, qui fut le facteur décisif de l’évolution des cités de Lesbos.
Sur Pyrrha, on ajoutera l’étude de Paraskevaidis 1963. Depuis le début des années 1980, plusieurs travaux sont venus enrichir notre connaissance sur les territoires des cités de l’île de Lesbos. H. Plommer (1981) revient sur la question du sanctuaire de Messon. G. P. Schaus et N. Spencer (1994) discutent de la
Chapitre VI. Aristote et le commerce extérieur
L'enjeu n'est pas mince : c'est la nature même de l'économie antique qui divise le monde savant depuis près d’un siècle. Par “nature de l'économie antique”, il faut entendre en fait aussi bien le type et le volume des opérations économiques concrètes que la manière dont la vie économique s'articulait avec la vie sociale et politique. Au reste, parler de “controverses et de divisions du monde savant” est presque abusif dans l'état actuel des choses. En effet, sauf quelques voix isolées, une doctrine règne aujourd'hui sans partage dans le champ des études d'économie antique[385] : celle qui a trouvé sa forme la plus élaborée dans
De fait, il n'est pourtant pas aisé de se situer face à cette “Nouvelle Orthodoxie”, selon le qualificatif donné à cette doctrine par K. Hopkins[388], qui en est lui-même un des principaux représentants. On doit en effet la plus haute reconnaissance à Μ. I. Finley d'avoir fait justice de conceptions modernistes les plus plates qui sans autre forme de procès assimilaient le fonctionnement de l'économie antique à celui de l'économie contemporaine. Ainsi, par exemple, qui oserait aujourd'hui affirmer que les sociétés antiques vivaient de la production et de la vente d'objets manufacturés, à l'instar de nos sociétés modernes ? De même, l'accent mis sur la terre comme facteur de production primordial ne saurait plus maintenant être remis en question de quelque manière que ce soit – notons cependant d’emblée que cette vision des choses n'est pas réellement neuve : en adoptant ce point de vue, on ne fait en réalité que revenir à ce qui était une évidence pour les savants du xixe siècle, peut-être parce qu'ils vivaient dans un monde encore très proche de celui des sociétés préindustrielles, mais sans doute aussi parce que mieux que leurs successeurs immédiats ils avaient su ne pas refuser l'image donnée par toutes les sources antiques d'une économie où l'agriculture jouait un rôle clé comme facteur de production. Cette remarque suffit à montrer qu'admettre sur certains points des convergences avec les thèses de la “Nouvelle Orthodoxie” ne constitue pas a priori un acte d'allégeance à l'égard de cette doctrine, mais peut plus simplement ressortir de la même commune constatation d'évidence, même si cette évidence a longtemps été mise sous le boisseau. De ce fait, il est donc clair aussi qu'une éventuelle remise en cause des thèses de la “Nouvelle Orthodoxie” en d'autres matières n'implique nullement un retour aux vieilles lunes du modernisme.
Ce n’est certes pas le lieu de présenter ici une “théorie générale de l'économie”, qui prétendrait remplacer la “Nouvelle Orthodoxie”. Il y a au reste à cela une raison fort simple. Une telle théorie générale, si théorie générale il doit y avoir, ne saurait être assénée en quelques lignes, à coups de concepts a priori et de formules à l’emporte-pièce, qui peuvent certes frapper les imaginations et entraîner des adhésions momentanées, mais qui ne recouvrent en fait rien de solide. Il n’est rien de plus dangereux que de présenter trop vite de vastes “théories” qui ne sont que des généralisations de conclusions partielles, lesquelles souvent se révèlent en outre franchement discutables, si ce n'est totalement infondées, quelques années plus tard. Un bilan théorique serein en matière d'économie antique ne saurait intervenir qu’après une série d'analyses où seraient examinés les principaux points dont on doit du moins savoir gré à la “Nouvelle Orthodoxie” de les avoir mis en discussion, à une époque où le modernisme et son allié de fait le positivisme régnaient en maître.
Parmi ces thèmes[389], il en est un qui constitue l'un des fondements de la doctrine de la “Nouvelle Orthodoxie” : l'inexistence d'une quelconque forme d'action ou de réflexion politique à l'égard du commerce extérieur de la part des cités-États du monde grec ancien, si ce n'est à la rigueur que ces dernières pouvaient avoir une politique d'importation pour satisfaire les besoins alimentaires de la population. Au reste, l'attitude de l'État n'aurait été que le reflet d'un désintérêt universel à l'égard de l'économie et du commerce extérieur en général, et des exportations tout particulièrement.
Sur ce sujet, les développements les plus significatifs sont ceux de Μ. I. Finley dans le chapitre de
C'est une tonalité absolument identique qu'on retrouve dans
Voici fixé nettement le cadre du débat. Comme Aristote est invoqué à titre de principal témoin par les plus distingués des représentants de la “Nouvelle Orthodoxie”, c'est Aristote qu'il convient donc d'interroger en priorité.
C’est principalement dans la
Dans la
Si l'autarcie, entendue dans un sens matériel, est un idéal, il faudrait donc apparemment conclure pour Aristote, même s'il ne le fait pas lui-même, que la cité parfaite devrait être totalement dépourvue de commerce extérieur. Au reste, cette idée concorderait parfaitement avec la méfiance affichée à l'égard des étrangers en général et des marchands en particulier, nettement affirmée dans la
Pourtant, on l'a vu, Aristote ne va nulle part jusqu'à affirmer explicitement qu'une cité sans commerce extérieur serait un idéal. Discutant des aspects matériels de l'autarcie procurée par la
Dans la pratique en effet, on ne peut jamais se passer de l'échange. Vivre sur soi était encore possible dans les formes les plus “primitives” de la vie sociale où les hommes avaient une activité “directement productrice”[398]. En revanche, dès que la communauté prend une certaine extension, il devient impossible de se passer de l'échange. C'est alors qu'Aristote introduit des précisions qui commencent à dessiner nettement sa conception du commerce extérieur : “(Tout d'abord) des objets utiles s'échangent contre d'autres objets utiles, mais rien de plus : par exemple, on donne ou l'on reçoit du vin en échange de blé, et ainsi pour chacun des autres produits similaires. Ce genre d'échange n'est pas contraire à la nature et n'est pas non plus une forme de l'art d'acquisition, puisqu'il ne servait qu'à compléter l'autarcie naturelle ; et pourtant c'est de lui qu'est sorti logiquement cet art (
Laissons de côté le problème de la monnaie, qui n'entre pas ici dans notre perspective[401]. Du propos d'Aristote, on peut retenir quatre points :
• Tout d'abord, il va de soi pour Aristote qu'une cité ne peut se passer d'échanges extérieurs. Même si, comme on a vu précédemment, on doit souhaiter d'avoir une
• Les échanges extérieurs sont donc une évidente et absolue nécessité. Par échange extérieur, on doit entendre importations et exportations, qui sont pour lui indissolublement liées, on y reviendra.
• Des échanges extérieurs qui se limiteraient à “compléter l’autarcie naturelle” font partie de l'art naturel d'acquisition” : ils ont donc la faveur du philosophe, qui insiste par ailleurs sur le caractère néfaste de la “chrématistique”, sur lequel il disserte longuement. La chrématistique, c'est la forme d'acquisition qui se prend elle-même pour lin, dont le but n'est pas la satisfaction d'un besoin mais la “soif inextinguible de l'or”. Parfaitement “artificielle”, la chrématistique est on le sait sévèrement condamnée par le philosophe.
• Dans le même temps où il affirme le caractère “naturel” d'échanges extérieurs qui se limiteraient à la satisfaction des besoins, Aristote constate, comme avec mélancolie, que la chrématistique, la mauvaise forme d'acquisition, est indissolublement liée à l'échange, qu'elle est sortie logiquement, κατὰ λόγον, de la forme naturelle d'acquisition, de même que l'usage de la monnaie s'est introduit par nécessité, ἐξ ἀνάγκης.
Ainsi, les échanges extérieurs sont pleinement présents dans la réflexion d'Aristote, avec les limites qui lui paraissent souhaitables pour cette activité. On peut à cet égard établir un parallèle entre les conditions qui prévalent pour l'échange entre les particuliers, pour les échanges internes à la communauté, et pour le commerce extérieur. Il est en effet indispensable que les particuliers puissent échanger, car c’est là en fait “le moyen le plus à la portée de réaliser la pleine indépendance[402]”. De même, il est souhaitable que la ville soit située convenablement dans le territoire de telle sorte qu’il y ait toute facilité pour drainer vers elle denrées alimentaires, bois et autres produits indispensables[403]. De même enfin, pour des raisons qui ne tiennent pas seulement à l'échange mais où les motifs commerciaux sont néanmoins aussi au premier rang, est-il indispensable que la cité ait un accès facile à la mer. malgré le risque social et politique que peuvent représenter les commerçants étrangers[404]. Il est également parfaitement logique que, s'agissant non plus de réflexion théorique mais des conditions pratiques de “l'art d'acquisition”, Aristote signale qu'on doit connaître les trois composantes fondamentales qui sont, dans l'ordre :
• Les soins à la production naturelle (agricole) ;
• L'échange, avec le commerce (dans ses aspects de frêtement, transport et vente), le prêt à intérêt et le louage de travail ;
• L'exploitation des bois et l'extraction des minerais (activité considérée comme “intermédiaire” entre les deux premières composantes)[405].
Pour ce qui est des échanges extérieurs, Aristote prend en considération les besoins de la communauté : cette idée, que l'on a déjà rencontrée, est encore réaffirmée nettement dans le livre VII : “C'est pour elle-même qu'une cité doit faire du commerce[406] ”. C'est d'abord pour satisfaire à la
1.
2.
3. Cette idée force, on la retrouve encore dans la
4. Elle est encore présente dans l'
Le texte a paru difficile, du fait du membre de phrase ώσπερ ὅταν... ἐξαγωγήν. Jusque là, le sens était clair. Nous traduisons : “Que ce soit le besoin qui maintient la cohésion des parties en fournissant une unité commune, en voici la preuve : s’il n'existe pas de besoin réciproque entre deux parties, soit de la part des deux à la fois, soit d'une seule, elles n'échangent pas.” La suite a paru incompréhensible. Les uns, à la suite de Münscher, optent pour l'insertion d'un oὐ avant ἔχει et, comme par exemple R. A. Gauthier et J. Y. Jolif, comprennent : “Tel est le cas si quelqu'un a besoin de ce que l’on ne possède pas soi-même[409]”. D'autres, comme H. Rackham[410], considèrent que ces clauses “make neither grammar nor sense” et qu’il s'agit là d'une interpolation ; l'éditeur britannique repousse de toute façon la suggestion de Münscher “(as) there seems to be no question here of foreign commerce.”
Remarquons tout d'abord que, quel que soit son sens exact, la phrase en question s'inscrit trop bien dans un développement sur le besoin comme lien social pour qu'on puisse la rejeter sans autre forme de procès. Avec la correction de Münscher, on a un sens sinon conforme au texte du moins apparemment acceptable (on a déjà vu plus haut, dans la
Or, si l'on fait une enquête chez d'autres auteurs, on découvre que le propos d'Aristote n'est nullement isolé :
• Thucydide prête aux envoyés corinthiens au congrès de Sparte, à la veille de la Guerre du Péloponnèse, les propos suivants : “Quant aux autres, qui sont établis vers l'intérieur, en dehors des voies maritimes, ils ont à savoir que, s'ils ne défendent pas les gens des bas pays, ils auront plus de mal à écouler leurs produits saisonniers et, inversement, à se procurer en échange ce que la mer fournit au continent (τὴν κατακομίδην τῶν ὡραίων καὶ πάλιν ἀντίληψιν ὧν ἡ θάλασσα τῇ ἠπείρῳ δίδωσι)[414]”.
• Isocrate a une conception des manques et des surplus qui s'apparente à celle d'Aristote, mais avec une vision plus nette de l'inévitable morcellement des sources de richesse entre les diverses cités : “En outre, chaque peuple n’a pas un terroir qui se suffise a lui-même, mais tantôt manque d'une chose, tantôt produit d'autre chose plus que le nécessaire[415]”.
• Chez le Platon doctrinaire des
• Chez Xénophon historien, on trouve une intéressante allusion au commerce extérieur dans un discours de Jason de Phères[417] où ce dernier, met en parallèle sa puissance naissante et celle des Athéniens : “C'est qu'avec la possession de la Macédoine, d'où précisément les Athéniens font venir leurs bois[418], nous serons en mesure de construire beaucoup plus de vaisseaux qu'eux.” Les Pénestes fournissant les marins, “pour la nourriture de ces matelots, est-ce nous qui devons être mieux en mesure d'y pourvoir, nous chez qui l'abondance de blé est telle que nous en exportons, ou les Athéniens qui n'en ont pas leur suffisance s'ils n'en achètent point ?” Ainsi, Jason se propose d’utiliser les “surplus ordinaires” que permettent les exportations de blé thessalien pour nourrir les matelots de sa flotte.
• Selon Polybe. l'idéal pour une cité est de pouvoir importer et exporter dans les meilleures conditions. Tel est le cas pour Byzance : “Ce sont donc peut-être les Byzantins qui sont le plus avantagés [par l'existence de la route commerciale avec le Pont dont traite Polybe dans ce passage] en raison des particularités de leur situation ; en effet, ils peuvent exporter la totalité de l'excédent de leur production (ἅπαν γὰρ τὸ περιττεῦον παρ’ αὐτοις) et, pour ce qui leur manque, ils peuvent l’importer directement et avantageusement, sans difficulté et sans risque[419]”.
On voit que les conceptions d'Aristote (importation des manques, exportation des surplus) ne sont nullement isolées non seulement de son temps mais aussi dans l'ensemble de la pensée grecque classique et hellénistique puisqu'on les retrouve sous des formes identiques chez Polybe. Au reste, plutôt que d'être le produit spécifique d'une école dont les enseignements se seraient transmis jusqu'à Polybe, on a manifestement là le reflet d'une
Le ton est différent de celui d'Aristote. Les exemples sont plus nombreux et plus concrets (le Stagirite ne s'écartait pas de la
Mais c'est peut-être là où on l'attendrait le moins, chez Platon, qu’on trouve en fait le point de vue le plus original. Dans la
“– Mais, dis-je, il serait presque impossible de fonder cette cité en un endroit où elle n'aurait besoin de rien importer. – C’est impossible en effet. – Elle aura donc encore besoin d'autres personnes pour lui apporter d'une autre cité ce qui lui manque. – Elle en aura besoin. – Et si l’intermédiaire part les mains vides, sans rien apporter de ce dont manquent ces cités où il va chercher ce dont ont besoin ses propres concitoyens, il reviendra les mains vides, n'est-ce pas ? — Il me semble. — Il faut donc non seulement produire des denrées en quantité appropriée au pays, mais encore, en nature et en quantité, celles dont manquent les partenaires ? — Il le faut, en effet – Il faut donc augmenter dans notre cité le nombre des laboureurs et des artisans. – En effet, il faut l'augmenter[423]”.
Ainsi, pour le Socrate de Platon, il est clair fondamentalement d'une part que l'État ne peut se passer d'échanges extérieurs (c'est là pour lui une évidence première), d'autre part que le financement des importations suppose des exportations qui soient d'un montant équivalent. Si l’on examine les choses plus en détail, on s'aperçoit en outre que Platon admet comme tout à fait naturelle l'idée qu'une partie de la production soit spécifiquement adaptée, en nature et qualité et en volume, à la demande particulière des pays qui sont ses partenaires commerciaux. Enfin, il est clair pour lui qu'une partie des travailleurs de la cité est occupée à financer par son travail les exportations, cette idée étant le corollaire naturel des précédentes. On a vu que l'idée d'un financement des importations par les exportations était implicite chez Aristote. En revanche, l'idée d'une adaptation d'une fraction de la production intérieure pour les besoins des exportations ne se retrouve pas chez le disciple, du moins dans les parties conservées de son œuvre, et ce n'est sans doute pas là un hasard (la vision normative “antichrématistique” est en fait encore plus affirmée chez le Stagirite que chez son maître). Platon passe pour avoir été un idéaliste peu soucieux des réalités, ce qui n'est en fait que très partiellement vrai. Mais en outre, en l'occurrence, il avance son propos comme une vérité d'évidence, ce qui incite à penser que sa réflexion s'inspirait de ce qu'il pouvait observer tous les jours dans les cités les plus avancées du monde égéen.
Certes, sur le plan théorique, c’est bien la vision des manques et des surplus qui est dominante, quand la vision du Vieil Oligarque (les cités tirent leur richesse des potentialités naturelles, nécessairement différentes, de leur territoire) ou celle de Platon (qui va jusqu'à affirmer la nécessité d'adapter une fraction de la production intérieure pour répondre aux demandes spécifiques des partenaires importateurs) paraissent plus isolées. Mais ces différences de degré dans l'approfondissement du problème posé par les échanges extérieurs n’entraînent aucune discordance fondamentale. En tout état de cause, le point de départ de la réflexion des divers auteurs que nous avons cités est toujours le même : il s’agit de compenser par les importations les manques inévitables. La conception autarcique de la vie de la cité n’exclut donc en aucune façon une réflexion sur les échanges extérieurs – de fait, bien au contraire, la théorie de l'autarcie inclut par définition une réflexion sur les importations et exportations, puisque tous les auteurs anciens savaient bien qu'aucune cité ne pouvait se suffire à elle-même. De même qu'un homme vivant tout seul n'est pour Aristote qu’un sauvage, à l'instar des Cyclopes de l'
Par ces analyses du rapport entre théorie et pratique, nous avons déjà abordé le second volet, celui des modalités concrètes d'organisation du commerce extérieur d'une cité.
C’est cette fois la
• Moyens de revenus (πόροι[424])
• Guerre et paix
• Protection du territoire
• Importation et exportation (τὰ εἰσαγομένα καὶ έξαγoμένα)
• Législation[425].
D'emblée, on peut remarquer que le problème des échanges extérieurs, sous la forme de l'importation et de l'exportation, est posé comme l'un des plus importants qui soient pour une cité – hasard peut-être, cette question est même placée avant la législation, sujet dont on connaît pourtant l'importance aux yeux des Grecs de l'Antiquité. Le passage mérite une discussion approfondie :
’Έτι δὲ περὶ τροφῆς, πόση δαπάνη ἱκανὴ τῇ πόλει, καὶ ποία, ἡ αὑτοῦ τε γιγνομένη καὶ εἰσαγώγιμος, καὶ τίνων τ’ ἐξαγωγῆς δέονται καὶ τίνων εἰσαγωγῆς, ἵνα πρòς τούτους καὶ συνθῆκαι καὶ συμβολαὶ γίνωνται· πρòς δύο γὰρ διαφυλάττειν ἀναγκαῖον ἀνέγκλήτους τοὺς πολίτας, πρòς τε τοὺς κρείττους καὶ πρòς τοὺς εἰς ταῦτα χρησίμους[426].
Pour ce qui est du début, le sens est clair et nous reprenons ici la traduction de la CUF : “Puis, au sujet de l’alimentation, il faut savoir le montant et la nature de la dépense qui convient à la cité, les produits de son sol et ceux qui sont importés.” On retrouve là la conception explicitée plus haut, celle d'un commerce extérieur dont la fonction est de compléter les manques de la production par des importations compensées (le raisonnement est implicite) par l'exportation des excédents. Nous avons traduit
Ainsi, Ph. Gauthier a bien vu les difficultés de la traduction de M. Dufour, et sur ce point il n'y a rien à ajouter, sinon qu'il faut évidemment rejeter cette traduction puisqu'elle est inacceptable. Quant à la construction de la phrase, elle ne pose pas en fait de réel problème, à condition qu'on accepte le sens manifeste du propos d'Aristote. Le verbe δέομαι a deux significations, très proches l'une de l'autre : manquer de quelque chose (construit avec l'accusatif ou le génitif de l'objet) ; demander quelque chose à quelqu'un, et en ce cas il se construit soit avec le génitif de la personne et l'accusatif de l'objet, soit avec le génitif de la personne et le génitif de l'objet[428]. C'est évidemment ce second sens, avec une construction employant le double génitif, qui est ici le bon. On doit comprendre : “(Et il faut connaître) les États à qui demander une licence d'exportation, et ceux à qui demander une licence d'importation, afin de conclure avec eux συνθῆκαι et συμβολαί[429]”. Qu'une cité puisse être concernée par le commerce extérieur – et rappelons-le c'est là selon Aristote un des cinq sujets capitaux sur lesquels doit s'exercer la délibération des hommes d'État – au point d'être demanderesse en licences d'exportation et d'importation d'autres cités, voilà qui ne cadre guère avec les conceptions de la “Nouvelle Orthodoxie”.
Il est donc indubitable qu'il existait des συνθῆκαι et des συμβολαί relatives aux exportations et importations. La volonté de Ph. Gauthier de réduire les συνθῆκαι dont il est question à des clauses plus ou moins vagues (“conditions d'accès au port, aux marchés, exemptions de taxes ?”), mais en tout cas renvoyant moins au “commerce des
Quant aux συνθῆκαι περὶ τῶν εἰσαγωγίμων, il n’y a évidemment aucune difficulté à considérer qu'elles pouvaient être incluses dans des traités ou conventions d'alliance. Dans une longue argumentation, Ph. Gauthier voudrait définir de manière stricte les συνθῆκαι comme des traités formels[437]. Il pense apparemment aboutir ainsi à mettre Aristote en contradiction avec lui-même puisque ce dernier parle d'abord de συνθῆκαι περὶ τῶν εἰσαγωγίμων (donc idée d'accords spécifiques sur des produits) et un peu plus loin de συνθῆκαι qui ont pour conséquence de préserver réciproquement de toute injustice les citoyens de la cité partenaire : συνθῆκαι περὶ τῶν εἰσαγωγίμων ne serait donc qu'une formule maladroite qui recouvrirait en fait des accords sur les personnes. En fait, loin d'être sans intérêt comme le voudrait Ph. Gauthier, l'emploi du mot συνθῆκαι par Démosthène dans le
Il est vrai cependant que la plupart des accords ou conventions pouvant être mis en relation avec le commerce extérieur concernent le droit des personnes et non les produits. Est-ce à dire pourtant que lorsque deux États concluaient des accords sur le droit des personnes les conséquences que ces accords pouvaient avoir sur l'échange de leurs produits respectifs étaient involontaires – un effet secondaire en quelque sorte ? Ou bien au contraire les conventions relatives aux personnes pouvaient-elles n'être conclues que dans le but de faciliter l'échange des produits, dans le cadre d'une véritable
Selon Thucydide, un peu avant les premiers engagements qui allaient mettre aux prises Athènes et Corinthe en 433, des envoyés corinthiens s'en prennent à Corcyre devant l'assemblée d'Athènes, pour dissuader les Athéniens de porter secours aux Corcyréens. En particulier, ils accusent ces derniers de ne pas respecter le bon usage de la vie internationale des cités grecques : “Avec cela, la situation de leur cité leur assure l'autarcie et, plutôt que de se lier par des conventions, ils se font juges des torts qu'ils causent à autrui : en effet, ils n'ont pas à prendre la mer pour se rendre chez leurs voisins mais accueillent très volontiers les navires étrangers qui, par nécessité, doivent y faire relâche. Et, dans ces conditions, la belle neutralité[439] qu'ils affichent n'est point due à la crainte de se voir associés aux injustices des autres, mais à la volonté de commettre les leurs tout seuls, d'agir par la violence quand ils sont les plus forts, de prendre leur avantage à l'insu des autres et de ne pas se gêner à s'assurer un profit si l'occasion se présente[440]”. Éliminons tout d'abord un contresens qui pourrait éventuellement surgir à la lecture de ce texte. Thucydide voudrait-il dire que les Corcyréens ne font qu’importer, puisque les commerçants étrangers viennent fréquenter leurs ports alors que les commerçants corcyréens ne fréquentent guère les ports étrangers ? En aucune façon : le discours de l'envoyé de Corinthe veut au contraire montrer l’astuce des Corcyréens. Ce sont les commerçants étrangers qui, forcés de venir dans leurs ports, assurent importation et exportation de leurs productions, sans qu'ils aient eux-mêmes à envoyer des commerçants dans d'autres cités, donc sans être liés par des conventions. On sait en particulier que Corcyre possédait de grands vignobles et que les amphores de Corinthe étaient exportées[441].
Ainsi, l'αὐτάρκεια des Corcyréens correspond manifestement à la définition d'Aristote : c'est la possibilité d'importer les denrées dont on manque, compensée par l’exportation des produits de son propre territoire dont il est possible de disposer. Le rapprochement avec Byzance, cité à propos de laquelle nous avons déjà mentionné le commentaire de Polybe[442], illustre merveilleusement cette proposition, A trois siècles de distance en effet, le commentaire de Polybe est le contrepoint le plus parfait de celui de Thucydide. Comme Corcyre en effet, Byzance est située en un point de passage obligé de tous les navigateurs, sur une route commerciale très fréquentée. Or, nous dit Polybe, les Byzantins peuvent exporter leurs surplus et importer les denrées qui leur manquent dans les meilleures conditions, sans aucune peine et sans aucun risque : ce sont en effet les commerçants étrangers qui viennent chez eux, tout comme pour les Corcyréens. On retrouve là la description de l'αὐτάρκεια d'Aristote. Mais le propos de Polybe, tout comme celui de Thucydide, montre aussi le caractère exceptionnel de l'autarcie de Corcyre et de Byzance. Si les Corcyréens se font eux-mêmes juges des conflits judiciaires avec les étrangers survenant dans leurs ports, sans être liés d'aucune façon par des conventions (συνθῆκαι) d'aucune sorte, ce n'est qu'à leur situation exceptionnelle qu'ils le doivent. S’il en est ainsi, c'est donc que d'ordinaire, pour assurer leurs importations et leurs exportations, les cités doivent au contraire se lier par des συνθῆκαι réglant entre autres le droit des
Notons enfin que le rapprochement avec Thucydide et l'absence de συνθῆκαι liant les Corcyréens à d’autres cités ne permet plus d'accepter la proposition de Ph. Gauthier de distinguer dans le passage en cause de la
Il reste cependant encore deux points à expliciter, dont nous traiterons de manière conjointe : d'une part, savoir si pour de bon, parallèlement avec les σύμβολα et συμβολαί garantissant le droit des personnes, existaient effectivement des accords concernant spécifiquement les
Pour ce qui est du premier point, notons d'emblée que l'existence d'accords mentionnant des objets de commerce est démontrée par des documents comme le traité entre Amyntas III et la Chalcidique[446] déjà mentionné, avec les clauses spéciales relatives au bois qui, on doit le souligner, s'inscrivent dans un accord plus large sur les exportations et importations mutuelles. Mais c'est déjà de bois (selon toute vraisemblance) et d’avirons qu'il était question dans le décret en faveur d'Archélaos de Macédoine, en 407-406[447] :
[30-31] [χσύλ]α καὶ κοπέας καὶ
[ἄλλα hóσv ἐδέοντο παρ’] αὐτõ ἀγαθά
Naturellement, le dossier – de quelle importance, puisqu’il s'agit de la moitié des importations de blé d'Athènes, le plus gros centre de consommation du monde de l'époque – des relations entre Athènes et le royaume du Bosphore entre parfaitement dans la catégorie des συνθῆκαι περὶ τῶν εἰσαγωγίμων[448]. On sait que des privilèges semblables, mais moins avantageux pour eux, avaient été accordés aux Mytiléniens[449].
Mais, dira-t-on, dans le cas du bois de Macédoine et du blé du Bosphore, il s'agit d'accords d'importation pour “compléter l'autarcie” d'une cité. Ce serait oublier naturellement que pour qu'il y ait importation il faut aussi qu'il y ait exportation : les royaumes de Macédoine et du Bosphore en tiraient de gros bénéfices. On pourrait cependant encore objecter qu'en matière de blé, denrée vitale pour l'alimentation de la population, ou de bois, matériau stratégique par excellence, c'étaient les Athéniens qui étaient demandeurs, et non leurs partenaires.
S'agissant de la Macédoine pendant une très longue période, et à plus forte raison encore du royaume du Bosphore, avec l'atélie et le privilège de priorité à l'embarquement dont jouissaient les Athéniens, on peut aussi se demander quel pouvait être éventuellement l'avantage du vendeur en accordant ces privilèges : il ne s'agissait sans doute pas là seulement d'un pur cadeau désintéressé. Pour ce qui est du ve siècle, il ne faut pas oublier que de toute façon Athènes, puissance impériale, maîtresse des mers, était le partenaire obligé de la Macédoine, et même du Bosphore d'une certaine façon, si ces royaumes voulaient vendre toute leur production (il suffit de songer au propos du Vieil Oligarque évoqué plus haut). Au ive siècle, les conditions avaient changé et les rapports se posaient davantage en termes ordinaires de commerce. Mais les Athéniens n'étaient-ils pas le partenaire commercial idéal, avec leurs achats massifs et leurs paiements réguliers (en nature le plus souvent sans doute[450] ?) Privilège de l'acheteur en gros : il peut acheter au meilleur prix, et on lui assure les quantités qu'il souhaite. Même au ive siècle donc, accorder de tels privilèges d'exportation à une cité comme Athènes ne relevait que de l'intérêt bien compris du vendeur, qui était ainsi assuré de vendre régulièrement toute sa production sans souci d'aucune sorte, assuré donc aussi de rentrées d'argent régulières. On comprend qu'en contrepartie les rois du Bosphore se soient contentés d'avantages qui nous paraissent moins importants.
Pour ce qui est cette fois de recherche effective d'un marché d’exportation, on peut d'abord évoquer le fameux décret de Mégare[451], qui illustre parfaitement le propos du Vieil Oligarque. Exemple limite même, car les Mégariens n'avaient qu'une terre peu fertile, pas de revenus portuaires et pas de mines d'argent, ainsi que le signale Isocrate[452]. Ils vivaient de leur rôle d'intermédiaires pour les cités du Péloponnèse et de l'exportation des produits de leur agriculture vivrière et de leur artisanat[453]. Sans doute, le cas de cités vivant ainsi prioritairement des produits d'une petite agriculture vivrière et de l'artisanat n’était-il pas la norme. De ce point de vue, Mégare n'était pas comparable aux grandes cités du monde grec, même si en fait, dans nombre de petites cités de mer Égée encore plus pauvres qu’elle, on n’avait guère à exporter que la force de ses bras. G. E. M. De Sainte-Croix a cependant voulu démontrer que lorsque Thucydide signalait que le décret de Périclès interdisait l’accès des Mégariens à l'
Pour lui en effet, croire que l'interdiction faite aux citoyens de Mégare d'avoir accès à l'agora attique et aux ports de l'empire pouvait gêner économiquement les Mégariens repose sur l'idée que seuls les Mégariens faisaient le commerce de leurs propres produits : rien n’aurait empêché les Mégariens de confier leurs produits à des intermédiaires quelconques pour tourner le blocus athénien. Selon G. E. M. De Sainte-Croix, l'interdit lancé par Athènes aurait été si facile à tourner qu’il serait impossible que le décret de Périclès ait eu la signification qu'on lui prête habituellement. Une prohibition, en temps de paix, portant sur des importations et des exportations lui paraît étrangère à la mentalité des Grecs de l'Antiquité.
En fait, au contraire, on a vu que les développements de Platon et plus encore ceux d'Aristote, ainsi que de nombreux décrets accordant à telle communauté ou à tel particulier le privilège d'εἰσαγωγή et d'ἐξαγωγή, montrent clairement que le contrôle des échanges extérieurs était consubstantiel à la souveraineté de la cité. Ce n'était pas la “liberté de commerce” qui était la règle en la matière, mais, au moins potentiellement, le contrôle des échanges, comme le montrent les décrets donnant en matière commerciale des privilèges analogues à ceux des citoyens.
Mais, surtout, plusieurs passages des
En filigrane de la mesure d'exclusion qui dans la formule de Thucydide frappe les personnes (et n'oublions pas que nous ne possédons pas le texte même du décret), il faut donc voir une mesure de prohibition frappant les produits, les objets de commerce. On rejoint très exactement le propos du Vieil Oligarque et avec le cas des Mégariens on a un cas irréfutable de recherche – désespérée – d'un marché d'exportation par une cité de second rang, ne pouvant aspirer à aucun grand rôle de domination politique et vivant sa vie quotidienne au rythme des productions qu'elle pouvait exporter.
Un document milésien, d'époque hellénistique cette fois, donne un exemple des modalités de recherche d'un marché d'exportation et illustre le propos d'Aristote qui, rappelons-le, faisait référence aux requêtes auprès d'autres États que devait effectuer une cité pour s'ouvrir un marché d'exportation. Il s'agit d'un décret de la cité de Milet pour un citoyen bienfaiteur, Eirénias, fils d'Eirénias[458] :
[II] Ἀντιόχου καὶ παραστησάμενος αὐτὴν εἰς τὸ λαβεῖν παρὰ τοῦ ἀδελφοῦ
βασιλέοις Ἀντιόχου ἀτέλειαν τῶι δήμου πάντων τῶν ἐκ τῆς Μιλησίας εἰσ-
αγομένων γενημάτων εἰς τὴν βασιλείαν, ὥστε διὰ τῆς γεγενημένης
συνχωρήσεως ἔνδοξον μὲν τὴν δωρεὰν εἰς ἅπαντα τὸν χρόνον γεγονέναι
[5] πρὸς ἐπαύξησιν δὲ ἀνήκουσαν τῶν τε τῆς πόλεως καὶ τῶν ἐκάστου τῶν
ἰδιωτῶν προσόδων ....
“(... du roi) Antiochos et qu'il l'a amenée à obtenir du roi Antiochos son frère, en faveur de notre peuple, une exemption de taxes dans son royaume pour toutes les productions du territoire de Milet exportées dans son royaume, de manière que, grâce à cette concession, le cadeau soit illustre pour toujours et qu'il serve à l'accroissement des revenus de la cité comme aussi de chaque particulier...”
Le décret date d'environ 167-160 a.C. L'époque de la concession est à coup sûr celle d'Antiochos IV, qui règne de 175 à 164. Or, à ce moment, depuis la paix d'Apamée, le royaume séleucide a été rejeté au-delà du Taurus : les exportations milésiennes à destination du royaume séleucide sont donc des exportations à grande distance, par voie maritime, et non des transferts vers un territoire voisin. Ce sont les Milésiens qui ont pris l'initiative de la démarche faite auprès d'Antiochos. Il est remarquable que l’atélie concerne explicitement les
Recherche de produits à importer pour la
On a toujours répété que l'absence de souci des Grecs pour le commerce extérieur se manifestait en particulier par leur désinvolture à l'égard de leurs “productions nationales” (concept qui, en soi. mériterait d'être sérieusement revu s'agissant d'une cité grecque), incapables qu'ils étaient de prévoir par exemple des mesures fiscales à l'égard des produits étrangers qui pouvaient menacer leur
Quant au contrôle des exportations, il est largement attesté et encore une fois si une exportation (ou une réexportation) apparaissait nuisible, on la prohibait purement et simplement. Le cas est bien attesté à Athènes et dans une série d'autres cités et il est inutile de s'y étendre longuement[464].
On peut maintenant mieux comprendre le sens de la clause finale du passage des
•
• Importation : c’est l'autorisation accordée aux commerçants d'importer un produit : il peut y avoir prohibition totale (cas de la loi de Thasos sur le vin), ou au contraire incitation à l'importation (proposition, du moins sur la scène du théâtre, d'instaurer un traitement fiscal de faveur à l'importation du vin de Lesbos).
• Exportation : autorisation accordée (cf. la Macédoine pour le bois, le Bosphore pour le blé) ou refusée d'exporter telle ou telle denrée (cf. les interdictions frappant les exportations de blé).
•
• Exportation : autorisation obtenue d'un État étranger, avec éventuellement traitement de faveur, pour importer des denrées de ce pays (cas des Athéniens recevant l'autorisation d'importer du bois de Macédoine ou du blé du Bosphore).
• Importation : autorisation obtenue d'un État étranger, avec éventuellement traitement de faveur, d'importer sur son territoire des denrées produites par la cité (cas des cités de mer Égée cherchant à avoir accès au marché athénien au Ve siècle ; cas des Milésiens obtenant pour leurs produits l'atélie dans le royaume séleucide au iie siècle).
Dès lors, comment peut-on nier que les cités – ou du moins nombre d'entre elles, qui regardaient vers la mer et étaient ouvertes aux échanges – s'intéressaient très directement, en tant qu'États, au commerce extérieur, et pas seulement pour l'importation de denrées alimentaires ? La
Chapitre VII. L’attentat d’Hiéron et le commerce grec
A l’été 340, les heurts entre Philippe et les Athéniens, sans cesse plus violents au cours des années précédentes depuis la paix de 346, débouchent sur la guerre[466]. La chronologie exacte des événements laisse encore quelques zones d’ombre, qui ont donné matière à discussion. La reconstitution la plus vraisemblable est néanmoins la suivante. Philippe vient attaquer Périnthe au mois de juillet 340. Le siège se révèle beaucoup plus difficile que prévu, entre autres parce que la cité reçoit de l’aide de sa voisine Byzance. Après deux mois de siège infructueux, sans abandonner sa première proie. Philippe tente alors de s’emparer de Byzance elle-même, mais là aussi il enregistre un échec devant les murailles de la ville.
Pourtant, peu après, le roi de Macédoine tente et réussit un heureux coup de main. A la mi-septembre, faute de pouvoir gagner Byzance, les navires chargés de blé en provenance du Pont se rassemblent à l’entrée nord du Bosphore, à Hiéron, sur la côte asiatique. Ce poste était le lieu traditionnel de concentration des flottes de commerce se dirigeant vers Athènes et de leur escorte[467]. La petite flotte de Philippe était bien suffisante pour arraisonner tout navire venant du Pont. Pour prévenir cette menace, Athènes avait dès l’année précédente dépêché Charès, à la tête d’une flotte assez importante pour pouvoir tenir tête à celle de Philippe. A l’automne 340, la mission de Charès était de protéger les navires marchands et de les escorter à travers la zone dangereuse que constituaient les Détroits. Si l’on tient compte de la configuration des lieux, c’était là une tâche fort difficile. Le sens tactique de Philippe lui permit d’apercevoir les possibilités qui s’offraient.
Dans le discours
Ὅτε δὴ καὶ τὸ παρανομώτατον ἔργον διεπράξατο τὰ ἐφ’ Ἱερῶι πλοῖα τῶν έμπόρων καταγαγών, ὡς μὲν ὁ Φιλόχορυς λ’ πρὸς τοῖς διακοσίοις, ὡς δ’ ὁ Θεόπομπος ρπ’, ἀφ’ ὧν ἑπτακόσια τάλαντα ἤθροισε. ταῦτα δὴ [πέρ]υσι διαπέπραχεν ἐπὶ Θεοφράστου τοῦ μετὰ Νικομάχον ἄρχοντος, καθάπερ ἄλλοι τε καὶ Φιλόχορος οὑτωσὶ φησίν · "καὶ Χάρης μὲν ἀπῆρεν εἰς τὸν σύλλογọ[ν] τῶν βασιλικῶν στρατηγῶν, καταλιπὼν ἐφ’ Ἱερῶι ναῦς, ὅπως ἂν τὰ πλοῖα τὰ ἐκ τοῦ Πόντου συναγάγωσι. Φίλιππος δ’ αἰσθόμενος οὐ παρόντα τὸν Χάρητα τὸ μὲν πρῶτον ἐπειρᾶτο πέμψαι τὰς ναῦς τὰ πλοῖα καταγαγεῖν · οὐ δυνάμενος δὲ βιάσασθαι στρατιώτας διεβίβασεν εἰς τὸ πέραν ἐφ’ Ἱερὸν καὶ τῶν πλοίων ἐκυρίευσεν. ἦν δ’ oὐκ ἐλάττω τὰ πάντα διακοσίων καὶ τριάκοντα. καὶ ἐπικρίνων τὰ πολέμια διέλυε καὶ τοῖς ξύλοις ἐχρῆτο πρὸς τὰ μηχανώματα, καὶ σίτου καὶ βύρσων καὶ χρημάτων πολλών ἐγκρατὴς ἐγένετο".
“C’est alors qu’il accomplit son action la plus contraire aux lois en s’emparant à Hiéron des navires de commerçants, 230 selon Philochore, 180 selon Théopompe, dont il tira sept cents talents. Il avait accompli cela l’année précédente, sous l’archontat de Théophrastos, successeur de Nikomachos, affaire sur laquelle Philochore en particulier s’exprime ainsi : ‘Charès partit pour une réunion avec les généraux du roi, laissant des vaisseaux à Hiéron, pour qu’ils rassemblent les navires venant du Pont. Informé de ce que Charès était absent, il essaya d’abord d’envoyer ses vaisseaux arraisonner les navires. Comme il n’y parvint pas, il lit passer en force ses soldats sur l’autre rive et il se rendit maître des navires. En tout, il n’y en avait pas moins de deux cent trente. Et mettant à part les navires ennemis, il se servit de leur bois pour ses machines et disposa du blé, des peaux et d’importantes sommes d’argent’”.
L’interprétation du passage est assez claire. Philippe parvient par surprise à s’emparer du convoi rassemblé à Hiéron. Comme l’a souligné F. Jacoby, la différence entre l’effectif rapporté par Théopompe et celui donné par Philochore s’explique manifestement par le nombre de navires que Philippe ne saisit pas. En effet, la formule ἐπικρίνων τὰ πολέμια, “mettant à part les navires ennemis”, laisse clairement entendre que, des navires saisis, Philippe n’a considéré de bonne prise qu’une partie d’entre eux. A la suite de Diels, la mise au point de F. Jacoby a admis que ces navires ne pouvaient qu’être des navires athéniens et, de même, Hammond présume que les navires relâchés étaient ceux qui étaient possédés par des non-Athéniens[470]. Dans cette flotte venant du Pont, les navires athéniens auraient été au nombre de 180, les non-Athéniens de 50.
Dès qu’on s’y arrête un instant, cette vision des choses n’est pourtant pas satisfaisante. Certes, ce furent bien 180 navires sur 230 qui furent saisis. Mais peut-on considérer que les 180 navires saisis étaient “athéniens” ? Il faudrait supposer que les commerçants athéniens aient eu une part écrasante dans le commerce avec le Pont : si l’information était exacte, elle serait de la plus haute importance pour notre connaissance des échanges commerciaux athéniens au IVe s. Mais le moins qu’on puisse dire est que cette proportion ne correspond pas à ce que l’on sait par ailleurs de la part des étrangers dans le commerce athénien. En outre, si c’étaient seulement les commerçants athéniens qui avaient fait l’objet de saisie, on doit admettre qu’après le contrôle, les navigateurs d’autres nationalités pouvaient tout aussi bien gagner Athènes et ravitailler l’ennemi. Or, comme le rappelle Didymos, l’objectif déclaré de Philippe en attaquant les cités des Détroits était de couper la principale artère du ravitaillement athénien. Le raisonnement n’est donc pas le bon. Certes, il est tout à fait admissible que près de 80 % des navires venant du Pont aient eu pour destination Athènes, le plus grand centre de consommation du monde égéen en cette deuxième moitié du ive s., et c’est là cette fois une information intéressante. Mais rien n’indique que tous ces navires aient été athéniens. Ce sont en fait les navires
Lorsqu’il évoque les importations en provenance du Bosphore, Démosthène signale que ce sont 400 000 médimnes qui en sont importés, “comme on peut le vérifier dans les registres des sitophylaques”[472]. L’idée d’une telle vérification a autrefois été rejetée par L. Gernet : Démosthène aurait été l’auteur d’une double inexactitude, tout d’abord en sous-estimant la proportion que représentait le chiffre de 400 000 médimnes de blé bosporan, ensuite en renvoyant aux registres des sitophylaques, dont selon lui la tâche ne pouvait être de noter les provenances du blé importé : “Il y avait certainement des registres des sitophylaques. Mais le citoyen qui fût allé consulter avec la prudence qui convenait ces documents officiels y eût perdu la tête avant de trouver sa référence. A quoi devait naturellement renvoyer Démosthène ? Aux registres de ces magistrats qui avaient, c’est vrai, la haute surveillance du commerce des blés mais
Si l’on se tourne vers d’autres cités, on voit qu’à Kyparissia comme à Délos les importateurs (et aussi explicitement à Kyparissia les exportateurs) devaient faire une déclaration écrite[475]. Le contenu exact des déclarations devait évidemment varier d’une cité à l’autre. Mais l’identité du commerçant et la nature de sa cargaison étaient des éléments que l’on devait retrouver partout, avec bien souvent aussi la provenance des denrées importées. On ne possède pas pour une cité grecque de registres de douanes et sur ce point on doit se contenter des affirmations de Démosthène dans le
Ainsi, en tout état de cause, on ne doit pas douter qu’une vérification des provenances des denrées importées ait d’ordinaire été possible. Pourtant, le détail de l’argumentation qui avait été présenté par L. Gernet mérite encore attention. Il se peut en effet que la vérification des provenances n’ait pas été aisée. A fortiori, on ne doit pas supposer que toutes les cités aient pu disposer de bilans rigoureux pour leurs échanges extérieurs. Dans le détail, nous ne savons pas si à Athènes des bilans récapitulatifs annuels par provenance étaient régulièrement rédigés, mais on doit relever que la formulation du
Si l’on se tourne maintenant vers les exportations, on touche a priori à un domaine plus épineux. On a vu cependant que le règlement de Kyparissia imposait une déclaration des cargaisons exportées comme de celles des denrées importées. En outre, surtout, la grande “inscription des céréales” de Cyrène apporte à cet égard un complément décisif[481]. Rappelons tout d’abord que le texte paraît avoir eu une importance toute particulière aux yeux des Cyrénéens eux-mêmes. En effet, elle est gravée sur la troisième face d’un grand pilier quadrangulaire avec les lois sacrées de la cité de Cyrène gravées à la même époque[482], ce qu’A. Laronde appelle “l’éclatante affirmation des envois de blés de Cyrène sur un cippe qui portait aussi le texte vénérable des lois sacrées”[483]. Les Cyrénéens attachaient donc une importance particulière à ce document qui énumérait les bénéficiaires des largesses des Cyrénéens sous la forme d’envois de blé : les deux reines Olympias et Cléopâtre, la mère et la sœur d’Alexandre, toutes deux résidant en Épire, où Cléopâtre exerçait la régence sur le pays depuis la mort de son époux Alexandre le Molosse en 331-330 et où Olympias était venue la rejoindre, et en outre 43 cités situées sur un axe allant de Rhodes à la Thessalie[484]. Certains chiffres des livraisons effectuées ont disparu. On voit néanmoins qu’elles se montaient au moins à 805 000 médimnes. On peut hésiter sur la nature de ces médimnes :
• Selon G. Oliverio, suivi par A. Laronde, il s’agissait de médimnes laconiens à 52, 5261, l’équivalent de 422 826 hl, soit 32 560 t sur la base d’1 hl de blé à un poids théorique de 77 kg[485]. Cette quantité aurait représenté la nourriture de plus 162 000 personnes pendant un an[486].
• Selon P. Garnsey, il s’agissait de médimnes éginétiques à 77,83 1, l’équivalent de 1 207 500 médimnes attiques, donc 625 698 hl à 51,84 1 le médimne attique, soit encore 48 200 t. Cette quantité aurait représenté la nourriture de près de 250 000 personnes pendant un an.
Cependant, on sait maintenant que cette estimation du poids du médimne de blé était trop élevée : sur la base du chiffre indiqué par la loi attique de 374/373, on doit prendre en compte un médimne attique de grain à
• S’il s’agissait de médimnes laconiens, on aurait donc 422 826 hl à 71 kg l’hl, soit 30 000 t, représentant la nourriture de 150 000 personnes pendant un an.
• S’il s’agissait de médimnes éginétiques, on aurait 625 698 hl à 71 kg l’hl, soit
Quoi qu’il en soit, il s’agissait là d’un montant exceptionnellement élevé, qui représentait autant ou plus que le total de la production de la Cyrénaïque avant la colonisation italienne[488], ce qui amène à penser que ces livraisons se sont en fait effectuées sur plusieurs années, entre 330 et 325, et que l’inscription des céréales en est le récapitulatif[489].
Comme l’indique explicitement le texte, on a affaire à un contexte de famine, donc à une situation exceptionnelle. La mention de la 1. 2, σῖτον ἔδωκε ἁ πόλις, doit-elle s’entendre comme la liste des personnages ou des cités auxquelles Cyrène a fait des dons ? La chose paraît peu probable, à moins d’imaginer que la cité de Cyrène n’ait elle-même acheté le blé aux producteurs cyrénéens pour en faire don aux différentes cités. Au reste, le verbe δίδωμι seul, sans ἐν δωρεᾷ ou δωρεάν, n’a pas directement le sens de “faire don de”[490]. Même si l’hypothèse du don ne peut être radicalement exclue (ce qui au demeurant serait sans conséquence dans la perspective qui est ici la nôtre, celle des modalités de contrôle des navigateurs), il vaut mieux considérer ici que Cyrène a dressé la liste des personnages et cités auxquelles elle a “remis du blé”[491], c’est-à-dire de ceux et de celles à qui ont été accordées des licences d’exportation, le privilège d’ἐξαγωγή[492]. Pour notre propos, l’enjeu n’est donc pas de savoir si les Cyrénéens ont fait ces livraisons à titre gratuit. L’exception n’est pas davantage dans la liste elle-même : on peut penser que soit les Cyrénéens dressaient chaque année des listes analogues, soit ils disposaient au moins des documents de base pour le faire, bref de registres analogues à ceux des sitophylaques à Athènes. Le vrai problème est seulement de connaître la raison pour laquelle les Cyrénéens ont tenu exceptionnellement à en faire l’inscription sur pierre. Par cet acte, les Cyrénéens montraient certes leur fidélité à Alexandre. Certaines absences, en premier lieu celle de Sparte, sont significatives : cela signifie que ces cités n’avaient pas eu de licence d’exportation. C’est peut-être sur l’injonction d’Alexandre, en tout cas pour lui complaire, que les Cyrénéens ont accordé ces expéditions de blé, selon des limites géographiques qui, selon nous, leur ont été imposées par le roi et ses agents. Si le Nord de l’Égée n’est pas concerné, c’est sans doute parce que le roi n’avait pas autorisé l’exportation vers ces régions[493]. Nous avons eu l’occasion de montrer que les licences d’importation ou d’exportation étaient un concept clé dans l’organisation du commerce[494]. Mais on reste surtout sur l’impression que Cyrène tire gloire de sa générosité, ce qui ne pourrait être le cas s’il s’agissait d’une exportation ordinaire. Il se peut que la longueur de la liste des licences d’exportation, pour des montants très importants, ait en soi été considérée comme un bienfait à l’égard des cités qui souffraient de la famine. Ainsi, en 169, Rome accorde aux Rhodiens d’exporter 100 000 médimnes de blé sicilien, ce qui, en raison des perturbations que connaissait alors le marché du fait de l’invasion de l’Égypte par Antiochos IV, constituait une faveur particulière[495]. Toutefois, la générosité de la cité se comprendrait mieux si ces licences d’exportation s’étaient accompagnées d’atélie, comme l’avaient voulu les rois du Bosphore pour Athènes[496]. Outre la licence d’exportation elle-même, la générosité cyrénéenne pourrait donc avoir consisté en outre en l’exemption temporaire des taxes habituelles payées par les exportateurs de blé, pour le montant indiqué. Le contexte de la disette, de la σιτοδεία, appelait en effet la générosité financière, pour les particuliers comme pour les cités[497]. Il se pourrait donc que la licence d’exportation accordée ait été une ἐξαγωγὴ ὰτελής, comme la licence d’exportation de bois que le personnage du vantard de Théophraste se flatte d’avoir refusé d’Antipater, sous le fallacieux prétexte que cela aurait pu lui valoir les attaques d’un sycophante[498].
On l’a vu, la liste de Cyrène n’est probablement pas exceptionnelle : ce n’est que la gravure sur pierre qui l’est effectivement. Dans les cités exportatrices, les archives des magistrats chargés du contrôle du trafic du blé (quel que soit leur nom et leurs attributions précises[499]) devaient renfermer de nombreuses listes de cette nature. Cependant, on ne doit pas esquiver une question clé : comment la cité de Cyrène pouvait-elle savoir que les commerçants de diverses provenances qui venaient s’approvisionner chez elle retourneraient bien dans la cité à qui avait été accordée la licence d’exportation ? En outre naturellement, on doit garder en mémoire l’idée que dans la plupart des cas, ce n’étaient pas des commerçants originaires d’une cité donnée qui transportaient effectivement le blé qui leur était destiné, mais qu’ils avaient recours à des commerçants habitués aux itinéraires internationaux, qui pouvaient être de n’importe quelle nationalité. On est ainsi amené à considérer que les magistrats de Cyrène pouvaient identifier les navigateurs qui venaient dans leur cité et qu’avec un degré raisonnable de confiance ils pouvaient penser que, quelle que soit la nationalité du commerçant, le blé serait bien livré dans la cité à qui il était destiné, et dans la quantité prévue[500].
On relèvera encore le cas de Rome qui, au lendemain de la Ière Guerre Punique et après une période où ses marchands ont ravitaillé les mercenaires insurgés, passe un accord avec Carthage dans lequel elle autorise ses marchands à exporter vers cette cité les marchandises dont elle avait un besoin urgent et interdit en revanche de ravitailler ses ennemis[501]. Il s’agit certes d’un contexte de guerre, mais il n’en reste pas moins qu’on se trouve explicitement dans un contexte où la cité entend bien exercer un contrôle sur la destination de ses exportations.
On n’insistera pas ici sur le cas des exportations de blé bosporan à destination d’Athènes, avec les privilèges de préemption et les privilèges fiscaux relatifs à ces exportations[502]. On soulignera cependant son importance, puisqu’au plan quantitatif, avec l’Égypte, il s’agit d’un des principaux marchés de blé du monde grec. On relèvera aussi que les commerçants n’étaient pas nécessairement des Athéniens, et même que, majoritairement, ils ne l’étaient pas[503].
Tout d’abord, on doit souligner que la procédure utilisée par Philippe en 340 trouve aisément des parallèles. Ainsi, en 338, comme le montre le
Οὕτω δὲ σφόδρα ταῦτ’ ἐπίστευσαν οἱ Ῥόδιοι, ὥστε τριήρεις πληρώσαντες τὰ πλοῖα κατῆγον, καὶ τῶν ἐμπόρων καὶ τῶν ναυκλήρων οἱ παρεσκευασμένοι δεῦρο πλεῖν αὐτοῦ τὸν σῖτον ἐξείλοντο καὶ τἆλλα χρήματα διὰ τοῦτον
“Les Rhodiens le crurent si bien qu’ils armèrent des trières pour conduire dans leur port les navires de passage, et que ceux des marchands et armateurs qui se disposaient à venir ici durent pour cette raison débarquer leur blé et leur cargaison”.
S’agissant de nouveau des Athéniens, on voit qu’en 339-329 ils décident d’intervenir auprès du tyran Dionysios d’Héraclée du Pont, dont la flotte a arraisonné en haute mer le navire marchand d’Hérakleidès de Salamine. A cette fin, ils décident d’envoyer sur place un ambassadeur “pour demander à Dionysios de rendre les voiles d’Hérakleidès et, à l’avenir, de ne pas nuire à ceux qui naviguent vers Athènes”[505]. Deux remarques s’imposent à ce sujet. D’une part, Hérakleidès n’est pas athénien. D’autre part, les Athéniens ne font pas la police des mers et ne demandent pas à Dionysios de ne pas s’en prendre à tous les navires de commerce naviguant dans le Pont (même s’il est vrai qu’il constituent sans doute une majorité des navires se dirigeant vers les Détroits, comme le montre l’affaire de l’attentat d’Hiéron) : c’est aux navires à destination d’Athènes que les Athéniens s’intéressent et c’est pour eux qu’ils demandent une garantie de Dionysios d’Héraclée.
Quant à l’“identité” du navire, l’exemple du
A cet égard, les contrats de prêts maritime, en particulier ceux qui prévoyaient des voyages aller et retour sur une place donnée, jouaient un rôle très important : c’est ce que montrent aussi bien par exemple le
On a souligné depuis longtemps ces éléments de supranationalité dans le droit grec[514]. On doit maintenant souligner que c’est sa destination finale, prévue par le contrat de prêt maritime pour un voyage aller-retour sur une place donnée, Athènes en l’occurrence, qui définit l’“identité” du navire dans le droit international grec (on serait presque tenté de dire la “nationalité” du navire si précisément le terme n’était par trop impropre par ses connotations modernes). C’est ce contrat maritime qui fondait les droits éventuels du commerçant à tel ou tel privilège ou avantage, en particulier les privilèges d’importation ou exportation, avec les exemptions fiscales qui pouvaient leur être liées, les garanties de sécurité sur mer, comme c’est le cas pour les garanties négociées par les Athéniens auprès de Dionysios d’Héraclée, ou même peut-être la protection contre les pirates, comme celle qui est garantie par les Athéniens aux navires venant de l’Adriatique et assurant la
“De même et conformément aux dispositions précédentes, que les
C’est cette fois l’aspect marin d’Aphrodite qui est en jeu. Ceux qui sont invités à participer au culte ne sont pas seulement les
A l’inverse, c’est cette “identité” pourtant toute provisoire et définie par le contrat commercial prévoyant un voyage aller-retour sur une place donnée qui pouvait être à la source des plus graves ennuis, comme la saisie de la cargaison dans les ports où il pouvait être question de saisie sur les citoyens de la cité où avait été négocié le contrat, ou même la saisie du navire et sa destruction (donc sans récupération possible) comme dans le cas de l’attentat d’Hiéron. Dans la pratique, cela signifie que si l’on imagine par exemple deux
Mais de quels documents pouvait-on effectivement disposer pour procéder à un tri de la nature de celui qui est effectué par par les hommes de Philippe à Hiéron en 340 ou par les Rhodiens en 338, ou plus prosaïquement, dans un port quelconque, pour connaître le point de départ et la destination d’un commerçant ?
Pour ce qui est des escales du navire, la cargaison offrait bien des moyens de les connaître : ainsi des amphores vinaires, dont bien souvent la forme indiquait l’origine. Mais pour qui voulait faire l’inspection d’un navire, comme dans le cas de l’attentat d’Hiéron ou de l’arraisonnement en haute mer par les Rhodiens des navires à destination d’Athènes, l’examen des “papiers de bord” ne pouvait manquer de trahir la provenance et la destination. Il devrait en effet être clair que les capitaines de navires et les commerçants avaient sur eux une série de documents qui permettaient de les connaître. Tout indique en effet que les marchands pouvaient emporter avec eux, outre documents de route cl portulans[518], nombre d’autres écrits, sur des supports divers : feuilles de plomb, ostraka, tablettes de bois ou papyrus.
— Pour ce qui est des feuilles de plomb, les lettres de Bérézan, d’Ampurias et de Pech Maho ainsi que celles trouvées à Corcyre, toutes de la lin du vie s. ou du début du ve s., attestent de l’emploi courant de ce support à cette époque dans la correspondance commerciale et dans les documents d’affaire[519].
— Les
— Les tablettes de bois, ou
— Enfin, on ne saurait évidemment négliger le papyrus, dont on faisait un usage de plus en plus important. A cet égard, un document revêt une importance toute particulière. Dans l’
Ἐνταῦθα ηὑρίσκοντο πολλαὶ μὲν κλῖναι. πολλὰ δὲ κιβώτια, πολλαὶ δὲ βίβλοι γεγραμμέναι, καὶ τἆλλα πολλὰ ὅσα ἐν ξυλίνοις τεύχεσι ναύκληροι ἄγουσιν.
“Là, on trouvait une grande quantité de lits, de coffres, de papiers couverts d’écriture, et de toutes les variétés de choses que les négociants emportent avec eux dans des caisses”.
On a considéré que le passage faisait allusion à un commerce du livre, d’ouvrages destiné aux cités grecques du Pont[528]. Qu’un tel commerce ait dû exister, on ne devrait pas en douter. Mais ce n’est pas ce à quoi fait allusion Xénophon, puisqu’il n’emploie pas le terme qui désigne proprement le livre, soit βυβλίον, mais exactement le terme βύβλος, qui désigne directement le rouleau de papyrus[529]. Cependant, ce n’est pas non plus d’un commerce de papyrus vierge qu’il s’agit, comme le montre la précision βίβλοι γεγραμμέναι. C’est donc bien en fait à des “papiers” divers, comme on en trouve ordinairement sur les bateaux, auquel il est ici fait référence. Une loi de Thasos d’époque romaine montre encore de manière indubitable que βύβλοι désigne des documents écrits (en l’occurrence des documents d’archives publiques qui doivent être mis à la disposition des citoyens) et non pas des livres[530]. L’ensemble de la description de Xénophon laisse assez apparaître que les objets de bois dont il est question et qui parce qu’ils flottent ont été rejetés sur la grève font partie de l’équipement ou du chargement ordinaire d’un navire, puisque c’est ce que l’on pouvait s’attendre à trouver à l’occasion du naufrage de n’importe quel navire grec. Les κλῖναι sont manifestement les châlits et couchettes sommaires de l’équipage et des éventuels passagers, et non pas des éléments de la cargaison[531]. Pour ce qui est des caisses de bois servant d’emballages d’une partie de la cargaison, les restes trouvés sur certaines épaves d’époque romaine nous donnent une idée de leur aspect[532]. Enfin, les κιβώτια, les coffres, sont entre autres ce qui servait à transporter des choses plus précieuses ou plus simplement des papiers comme les documents pouvant servir à la navigation ou des documents de bord. Ces βίβλοι γεγραμμέναι ne peuvent donc être que des “papiers” ou des “documents de bord”, ceux du patron du navire, ou ceux des divers
Au reste, comment peut-on imaginer que des commerçants aient pu se déplacer sans leurs livres de compte, quand dans l’activité privée “terrestre”, depuis le Strepsiade d’Aristophane penché sur ses registres de compte jusqu’aux “archives” de Zénon, tout montre le soin que des particuliers pouvaient mettre dans leurs documents comptables[533] ? Pour ce qui est de la marine de guerre, on sait, par exemple d’après le
On doit donc considérer qu’il était tout à fait banal pour
Un épisode du
Il peut paraître tentant de répondre par l’affirmative. Cependant, on voit bien quelles pouvaient être les limites d’une trop grande confiance accordée à un contrat privé conclu à l’étranger : n’était-il pas bien facile de faire un faux contrat pour bénéficier indûment des privilèges accordés par un État à autre ? Certes, pour ce qui est des contrats privés, Aristote considérait déjà comme de règle dans une cité bien administrée qu’ils soient enregistrés par la cité où ils étaient conclus[537]. Manifestement, une cité comme Athènes, qui au ive s. encore n’enregistrait pas ses contrats, était plutôt en retard, mais elle n’était pas la seule de son espèce[538]. L’enregistrement paraît néanmoins avoir été général à la basse époque hellénistique et à l’époque romaine[539]. Cependant, comme l’indique explicitement Dion Chrysostome, qui dégage comme la philosophie de la procédure, cet enregistrement était à usage interne et rien n’indique qu’il ait pu avoir une valeur internationale[540].
Pourtant, le problème de la reconnaissance des privilèges consentis se posait bel et bien. On sait par une inscription de Délos que les
En période de guerre, selon Énée le Tacticien, aucun citoyen ou métèque ne doit quitter le port sans son
En période de paix et dans un cadre commercial ordinaire, les commerçants étrangers détenteurs d’un privilège sur une place donnée devaient-ils donc être porteurs de lettres officielles, comme les Cyrénéens à Camiros ? Il reste à prouver que de tels documents aient pu être systématiquement réclamés à des commerçants bénéficiant d’un privilège, même si une solution de cet ordre nous paraît néanmoins vraisemblable.
Dans un cas, qui nous est rapporté dans le
Κήρυγμα γὰρ ποιησαμένου Παιρισάδου ἐν Βοσπόρῳ, ἐάν τις βούληται Ἀθήναζε εἱς τὸ Ἀττικὸν ἐμπόριον σιτηγεῖν, ἀτελῆ τὸν σῖτον ἐξάγειν, ἐπιδημῶν ἐν τῷ Βοσπόρῳ ὁ Λάμπις ἔλαβε τὴν ἐξαγωγὴν τοῦ σίτου καὶ τὴν ἀτέλειαν ἐπὶ τῷ τῆς πόλεως ὀνόματι, γεμίσας δὲ ναῦν μεγάλην σίτου ἐκόμισεν εἱς Ἄκανθον κἀκεῖ διέθετο.
“Pairisadès, au Bosphore, fit proclamer par héraut que quiconque voudrait charger du blé vers Athènes à destination de l’
Lampis n’est pas citoyen athénien mais esclave, même s’il jouit d’une grande liberté de fait[552]. On ne sait même pas s’il était esclave d’un Athénien. Lampis bénéficie néanmoins des privilèges consentis pour l’exportation vers Athènes. Il est regrettable qu’on ne puisse savoir exactement comment il avait pu se voir reconnaître ce privilège. Il se peut cependant qu’il lui ait suffi d’être déjà bien connu au Bosphore, comme le montrent les divers épisodes du
Ainsi, dans la mesure où les pratiques des commerçants, et cela depuis les origines du monde des cités, s’appuyaient sans cesse davantage sur l’écrit, on voit qu’il était aisé pour une autorité civique ou royale de procéder au contrôle d’un navire[553]. Outre les éléments même de la cargaison, les écrits transportés à bord, éléments de comptabilité, éventuellement journal de route[554], correspondance privée ou lettres officielles pouvant identifier l’équipage du navire ou ses passagers y compris naturellement les
Le monde des commerçants est un monde fluide, fluctuant, un monde interlope, un monde d’oiseaux migrateurs, un jour ici, le lendemain à cent lieues, comme le marchand du mime d’Hérondas, hier à Abdère, aujourd’hui à Brikindara de Rhodes, demain à Phasélis pourvu qu’il trouve une cargaison[556]. La liberté des commerçants, avec leur volonté d’obtenir des profits aussi élevés que possible, s’opposait à la réglementation des cités. Pourtant, que l’on n’imagine pas l’univers du commerce comme une sorte de jungle, un espace sans règle. Certes, toutes les ruses, au besoin tous les mensonges pouvaient être utilisés, pour maximiser le profit ou pour échapper à un contrôle : le cas de Lampis du
Chapitre VIII. L'inscription agoranomique du Pirée et le contrôle des prix de détail en Grèce ancienne
L'inscription agoranomique du Pirée qui a été récemment publiée par G. Steinhauer et qui a fait l'objet d'un commentaire de R. Descat a légitimement suscité l'intérêt[557]. Sur chacune des deux faces contiguës (correspondant aux inscriptions désignées comme A et B par le premier éditeur) d'une même pierre définie (également par le premier éditeur) comme une plinthe[558], on trouve une liste de pièces de triperie : porc, chèvre, brebis (seulement sur la face B) et boeuf, chacune des mentions étant accompagnée de l'indication d'une somme d'argent. G. Steinhauer a donné un riche commentaire du document, entre autres de tout ce qui concerne la définition des viandes. De même, le fait que la liste chiffrée corresponde à des prix et non à des montants de taxe a été clairement démontré. Cette étude n'a donc nullement pour objet de redonner un commentaire complet de cette inscription. Il reste cependant une série de points qui font difficulté et qui obligent à un réexamen d'ensemble du document.
Les textes des faces A et B n'ont pas la même orientation de lecture : avant de graver le second, on a renversé le bloc pour rendre illisible le premier texte. Selon G. Steinhauer, l'inscription A aurait été gravée peu d'années avant l'inscription B. Cette dernière porte en outre en préambule, avant la liste des pièces de triperie, un court texte dont on s'accorde à penser qu'il constitue la clé du document, mais dont la signification a été discutée[559]. En fait, il est capital de tirer au clair la question du rapport entre les deux faces de la pierre et la signification du préambule de la face B, avant de pouvoir aborder la question de la portée du document et plus généralement du contrôle des prix à Athènes.
Le premier éditeur a présenté les deux faces définies comme A et B dans cet ordre. Pour éviter des confusions, nous continuerons à évoquer les faces A et B, mais nous présenterons cependant les deux textes (ici : I et II) en ordre inverse.
Musée du Pirée, nº 4268. Stèle en marbre, polie sur trois faces, seulement dressée à la pointe à la partie postérieure. Les dimensions sont indiquées en ayant la face B dans le sens de lecture. Dim. (en cm) : haut. 90 ; larg. à la base 48,5, au sommet 47 ; ép. à la base 33, au sommet 30. Tenon fortement mutilé à la partie inférieure, long. 29, larg.
Les chiffres sont en système milésien (ς' vaut pour 6) ; – vaut pour 1 obole, = pour 2 oboles ; χ. abréviation de χ(αλκῶν).
I (face B) : Hauteur des lettres (en cm) : 1. 1-2 : 3,5 ; 3-25 : 1,7 à la partie supérieure tendant à diminuer à 1,5.
Ἐ π ὶ Π α [μ μ] έ ν ο υ
ἄ ρ χ ο ν τ ο ς
Αἰσχύλος Αἰσχύλου Ἕρμειος
[4] ἀγορανομήσας τοὺς λίθους
καὶ τὴν ζυγόστασιν ἀνέθη-
κεν
ταγὴν τῶν κύκλῳ κατὰ τὸν νόμον
[8] Ύείων
ποδῶν δύο ζ’ χ.
κοιλίας –ζ' χ.
μήτρας ἡ μνᾶ =ζ'χ.
[12] ἡπατίου ἡ μνᾶ [ἰσόκρ]εως
πλευμονίου ἡ μ[νᾶ ἐξ] ἡμίσους
κεφαλῆς τῶ[ν ὀστῶν τὸ τρ]ίτον
ἐνκεφάλου [--]
[16] Αἰγεί[ων ἤ προβ]ατείων
ποδ[ῶν τ]εττάρω[ν] δ' χ.
ἐνκεφάλου γ' χ. κεφαλῆς – γ' χ.
μήτρας ἡ μνᾶ ἰσόκ[ρεως]
[20] ἡπατίου [ἡ μν]ᾶ ἰσόκρεως
ὔθατος ἡ μνᾶ ἰσόκ[ρεως]
πλε[υμονίου ἡ μνᾶ ἐξ ἡμίσους]
Βοείου π[οδός --]
[24] ἡπατίου [καὶ σπληνὸς ἡ μνᾶ ἰσόκρεω[ς]
πλε[ύμονος ἡ μνᾶ ἐξ ἡμίσους]
ἐνκ[εφάλου --]
[Ἡ μνᾶ τῶν χολικίων πάντων ---]
[28] [καὶ τέταρτον --------]
L. 13, 22, 25 : ἐξημίσους S., de ἐξημίσεος qui ne semble pas attesté (pour la mention du prix avec ἐκ, cf. s.v. ἐκ [
L. 20 : cette ligne n'est pas donnée par S., sans doute abusé par l'ordre des pièces qui n'est pas le même dans le texte II, où le foie apparaît après la μήτρα et l'ὐθάτιον.
L. 25-6 : (24 S.) : ἐνκε[φάλου--ǀ [--------] S., mais 1. 25 on lit distinctement le début du mot πλε[ύμονος, comme sur la face A, et le début de ἐνκ[εφάλου 1. 26 ; on doit donc supposer un parallèle complet entre les deux faces et c’est la raison pour laquelle nous restituons d’après le texte II les 1. 27-28, bien que la pierre soit aujourd’hui illisible à cet endroit (sur ce point, voir aussi infra analyse du rapport entre les deux faces).
II (face A) : Hauteur des lettres (en cm) : 1. 1-29 : 1,8-12,5 ; 30-31 : 0,7.
[Ύείων]
[ποδῶν] δύο [-] χ.
[κοιλί]ας -δ' χ.
[4] [μή]τρας ἡ μνᾶ = δ' χ.
ἡπατίου ἡ μνᾶ ἰσόκ[ρε]-
ως
πλευμονίου ἡ μνᾶ
[8] ἐξ ἡμίσους
κεφαλῆς τῶν ὀσ-
τῶν τὸ τρίτον
ἐνκεφάλου γ' χ.
[12] Αἰγείων
ποδῶν τεττά-
ρων y’ χ.κεφαλῆς -β' χ.
[16] ἐνκεφάλου [--]
μήτρας ἡ μνᾶ -ς' χ.
ὐθατίου ἠ μνᾶ
ἰσόκρεως
[22] πλευμονίου
ἡ μνᾶ ἐξ ἡμίσους
Βοείου ποδός
ἥπατος καὶ σπλη-
[26] νὸς ἡ μνᾶ ἰσόκρεως
πλεύμονος ἡ μνᾶ
ἐξ ἡμίσους
ἐνκεφάλου γ' χ.
[30] Ἡ μνᾶ τῶν [χ]ολικίων πά[ν]των [---]
καὶ τέταρτον Ε[-]Η[---]
L. 8, 23, 28 : ἐξημίσους S., cf. supra app. crit. 1. 13, 22 et 25 texte I.
Selon G. Steinhauer, la paléographie des deux textes (faces A et B) montre qu’ils datent du ier s. a.C. Comme l’a indiqué l'éditeur, on connaît un archonte Pamménès en 83/82[560]. Après avoir souligné ses hésitations et envisagé une période plus tardive, sous Auguste, G. Steinhauer admet cette identification[561]. Le texte daterait donc de la remise en ordre intervenue après la destruction du Pirée sous Sylla. Pour G. Steinhauer, l'identité de l'agoranome nous resterait inconnue. Cependant, un rapprochement proposé par É. Perrin entre l'agoranome Αἰσχύλος Αἰσχύλυ Ἕρμειος et un [Αἰσχύ]λος Αἰσχύλ[ου Ἕ]ρμειος en fonction à Délos comme prêtre ou magistrat vers 42-40 a.C. (
Avant même de s'engager dans l'étude de la signification des premières lignes du texte I, il convient de réexaminer la description et l'analyse de la pierre qui ont été proposées par le premier éditeur. G. Steinhauer définit donc la pierre comme une “plinthe en marbre”[564]. Comme la structure des deux listes est la même, et bien qu'il s'agisse dans les deux cas d'une liste de pièces de triperie, les deux textes sont clairement indépendants l’un de l'autre, ce que confirme pleinement le fait que la pierre a été retournée entre la gravure du premier et celle du second. Pour déterminer celle des deux faces qui fut gravée la première, G. Steinhauer s'appuie essentiellement sur les particularités du support : “[La pierre] porte deux inscriptions (A et B), gravées sur deux faces adjacentes de la pierre. L'inscription du petit côté (A) est antérieure à l’autre. Lors de son remploi pour l'inscription B, la pierre a été retournée et on y a taillé un tenon (0,29 x 0,20, haut. 0,10 m), ce qui détruisit la première ligne de l'inscription antérieure (A). En même temps, sur la nouvelle surface supérieure, on a creusé une mortaise carrée décentrée (de 0,05 m de côté et 0,04 m de profondeur)”[565]. La face A se trouve à droite de la face définie comme face B, lorsqu'on est face à cette dernière et que la pierre est disposée de sorte que la lecture en soit possible. Ainsi, toujours selon le premier éditeur, le premier texte gravé aurait donc été celui de la face étroite (face A). Peu de temps après (car les deux inscriptions seraient à peu d'années près de la même époque), on aurait gravé le texte de la face la plus large (face B).
Fig. 1 : L'inscription agoranomique du Pirée, sens de lecture des deux faces (cl. A. Bresson).
Fig. 2 : L’inscription agoranomique du Pirée, texte I (d'après Steinhauer 1994, 53, fig. 2).
Fig. 3 : L’inscription agoranomique du Pirée, texte II (d’après Steinhauer 1994, 52, fig. 1).
Fig. 4 : L'inscription agoranomique du Pirée, texte II, détail (d’après Steinhauer 1994, 56, fig. 3).
Cette vision des choses ne résiste pas à l’analyse. Il serait bien étrange que l'on ait procédé de la sorte, comme on va entreprendre de le démontrer.
On voit sur la face large (fig. 2, p. 53 St., ici fig. 2) un texte qui a manifestement été gravé avec soin. Les deux premières lignes, celles qui portent le nom de l’archonte, ont une hauteur de 3,5 cm, contre 1,7-1,5 cm ensuite[566]. Le texte est soigneusement aligné sur une marge gauche[567]. Pour faciliter la lecture, il y a aussi sur la pierre un souci de présentation centrée pour mettre en valeur certains éléments du texte : 1. 2 pour le mot ἄρχοντος ; 1. 6 pour la fin de la dédicace (même si la mise en valeur du -'κεν' de ἀνέθηκεν, cf. supra, n'est guère heureuse) ; 1. 8 pour ὑείων, qui marque la première catégorie de viandes de la liste, mais 1. 16 αἰγεί[ων ἤ προβ]ατείων et 1. 22 βοείου π[οδός ---] sont alignées sur la marge gauche. De même, la mise en page du texte joue sur les espaces : avant la première ligne, un espace vide de 5 cm contribue à la mise en valeur du nom de l’archonte Pamménès, membre d’une famille particulièrement en vue dans l’Athènes du ier s. a.C. Après l’en-tête formé par les deux premières lignes, le corps du texte est gravé de manière à ménager un interlignage de
Sur la face la plus étroite en revanche (fig. 2 p. 52 St., ici fig. 3), comme manifestement on manquait de place, il n’était pas question de présentation centrée. Il est vrai que cela ne signifie pas qu’on n’ait eu aucun souci de mise en page. Pour marquer les différentes catégories de viandes, on a décalé ces mentions d’une lettre sur la gauche, cf. 1. 12 et 24 (et il faut effectivement envisager, comme l’a proposé le premier éditeur, une présentation de ce type 1. 1). Cependant, arrivé à la partie inférieure de la pierre, comme le lapicide manquait de place, il a gravé les lignes 30-31 en caractères de très petite taille (0,7 cm), qui ne s'accordent pas avec ceux des lignes précédentes (1,8-2,5 cm). Une autre caractéristique du texte gravé sur la face étroite est que l'interlignage de 0,5 cm ou moins y est proportionnellement réduit par rapport à celui du texte de la face large, ce qui donne un effet optique radicalement différent. La marge de variation des hauteurs de lettres est plus élevée que celle qui est indiquée par le premier éditeur (2,3-2,5 cm, en fait plutôt 1,8-2,5 cm). L'irrégularité est ici très sensible. Ce n'est pas le souci décoratif qui a primé ici, mais celui d'avoir des lettres bien visibles, en gros caractères. Il faut y voir le style et la main d'un lapicide différent de celui du texte de la face large, mais on dirait aussi qu'il y a là un souci utilitaire, le but recherché étant d’obtenir “de gros caractères faciles à lire” (cf. infra 178 n. 123), quand le souci d’élégance cl de présentation l'emportait sur le texte de la face large.
G. Steinhauer a considéré que le tenon, bien visible à la partie inférieure de la face large, avait été taillé dans un second temps et que c'est ce qui avait endommagé la face étroite. Sur la photo de la fig. 2 p. 53, on voit bien le tenon centré. G. Steinhauer lui attribue une hauteur de 10 cm (en fait 5 cm seulement). En réalité, la taille du tenon n'est nullement venue endommager la face étroite : il y a un gros éclat à la partie supérieure gauche de la face étroite et même la partie droite a été endommagée. Il restait donc un espace, même s'il était restreint, pour graver une première ligne. Lorsqu'on regarde la face étroite, on voit que tout l'angle supérieur gauche de la pierre a disparu et qu'une épaufrure endommage l'angle supérieur droit. C’est sans doute cela qui nous prive de la connaissance de la ligne 1 (ὑείων).
Les lettres des lignes 2 et 3 de la face étroite étaient plus petites que celles des lignes suivantes et il est possible qu'il en ait été de même à la ligne 1. Une autre solution, non moins vraisemblable pour cette face dont l'écriture est globalement peu soignée, est que le mot ὑείων ait été oublié lors de la gravure de la stèle et qu'il ait ensuite été rajouté en caractères de très petite taille
Il est en effet inutile de supposer que le bloc ait été retaillé au moment où aurait été gravé ce qui serait supposé être la seconde inscription. Il n'y a rien dans la manière dont le bloc se présente à nous qui oblige à admettre que la face étroite ait été gravée avant la face large. Ajoutons encore que si la dédicace de la face large avait été gravée postérieurement à la liste de la face étroite, il serait étonnant qu'on ait laissé subsister le texte (à l'envers) de la face étroite, qui serait venu contredire le soin mis dans la présentation de la dédicace. Dans l'autre hypothèse, au contraire, le caractère manifestement purement utilitaire de la liste de la face étroite ne se trouvait pas gêné par la présence d'un texte à l'envers sur la face adjacente du bloc. La volonté d'inscrire les 1. 30-31 en tout petits caractères suppose aussi en fait qu'on prenait modèle sur le texte de la face large, où en revanche on n'avait eu aucune difficulté à inscrire ces lignes (voir supra app. crit. texte 1).
On est donc conduit à considérer que, comme c'est d'ordinaire le cas, on a d'abord disposé une belle inscription à valeur décorative sur la face large, sur un bloc qui était pourvu d'un tenon à la partie inférieure. Le caractère légèrement pyramidant de la pierre, dont les dimensions sont plus réduites au sommet qu'à la base (voir supra présentation du bloc), montre assez ce qu'on tenait initialement pour base et pour sommet de ce bloc, qu’on préferera donc ici appeler une stèle. Un certain nombre d'années après la gravure sur la face large, le bloc a été renversé et on a gravé une seconde inscription du même type sur la face étroite : il est banal de commencer à utiliser une pierre sur la face large et de réserver la face étroite pour continuer à graver la suite d'un même texte (quand il s'agit d'une liste par exemple) ou y inscrire un autre texte[568]. La question de la mortaise creusée à la partie inférieure de la face étroite (supérieure de la face large) doit également être posée. Le plus probable est que lorsqu'on a retourné ce bloc qui initialement ne servait que de support à l'inscription de la face large, il a fallu creuser une mortaise à la partie inférieure pour pouvoir la fixer au sol sur un tenon ou à l'aide d'un goujon, puisque primitivement la pierre avait été taillée pour être installée en sens inverse.
Le premier éditeur a aussi voulu tirer argument de la différence dans l’état de conservation des deux faces pour justifier sa chronologie relative : la face étroite serait chronologiquement la première des deux, comme le montrerait “l'excellent état de conservation de la première inscription [face étroite] qui, après que la stèle eut été à nouveau dressée, ne devait plus être visible” ; en revanche, “l'usure de la surface de l'inscription B [face large], dont d'important fragments sont écaillés, surtout dans la partie supérieure gauche et dans la partie inférieure, prouve sa longue exposition en plein air” (p. 54). Dans la mesure où, selon l'éditeur lui-même, les deux faces furent gravées à relativement peu d'années d'intervalle, l'argument de la différence d'usure et des multiples cassures paraît faible. Il est plus important de noter que l'inscription fut découverte en remploi comme marche dans une maison du vie s. p.C. : ainsi doit s'expliquer qu’une face (la face étroite) ait été protégée (car elle ne se trouvait pas à l’air libre), tandis que l’autre, du fait du passage, fut fortement usée et endommagée. Bref, l'histoire de ce bloc, dont le détail bien évidemment nous échappe, suffit largement à expliquer les différences d'usure entre les faces, sans qu'on puisse en tirer d'argument chronologique, dans un sens ou dans un autre.
Nous conclurons en tout cas que l'inscription de la face large, celle qui porte la dédicace, est chronologiquement antérieure à celle de la face étroite. Pour éviter toute confusion avec les définitions du premier éditeur, nous évoquerons désormais le texte I (face large, portant la dédicace, “texte B” Steinhauer) et le texte II (face étroite, “texte A” Steinhauer).
Pour ce qui est de l’enjeu et du sens de l’inscription, on se trouve encore face à un problème identique a celui auquel ont été confrontés le premier éditeur et les commentateurs précédents : soit le texte I fait mention de Pamménès I, archonte en 83/82, soit il désigne son petit-fils Pamménès II, archonte dans la deuxième moitié du siècle[569].
— Si l'archonte Pamménès était l'éponyme de 83/82, plutôt que son petit-fils homonyme, la dédicace de l'agoranome Aischylos serait alors à mettre au compte des reconstructions qui ont suivi le sac du Pirée par Sylla en 86, seulement trois années auparavant[570]. C'est en 84/83 que Sylla restaure un gouvernement légal à Athènes[571]. On s’est demandé si c'est dès cette année là qu’eut lieu la reprise d’émission du monnayage d'argent du Nouveau Style[572] ; en fait, il se peut que ce ne soit que quelques années plus tard et qu'à ces années de reconstruction corresponde le bronze lourd aux types des monnaies d'argent du Nouveau Style, qui aurait été émis faute de pouvoir de nouveau émettre l'argent[573]. La liste des prix du Pirée serait à mettre en relation avec cette remise en ordre. Resterait bien entendu la question du rapport entre l'agoranome Aischylos fils d'Aischylos, du dème d'Hermos, et le personnage connu à Délos vers 42/40 a.C. Même si les deux mentions auraient peu de chance de faire référence à la même personne, il faudrait néanmoins admettre un lien de parenté étroit entre les deux personnages, car, sans faire partie des dèmes les plus modestes, le dème d'Hermos n'était manifestement pas un dème important[574]. Dans ce cas, bien que l'identité du nom du père et du fils nous prive d'un recoupement prosopographique, l'hypothèse du lien de parenté s'imposerait avec la force de l'évidence[575]. On aurait donc affaire au père et au fils (plutôt qu'au grand-père et au petit-fils)[576].
— Si l'on avait affaire à Pamménès II (dans le stemma de Geagan 1992), ce document serait une preuve de plus de ce que ce dernier avait exercé la charge d’archonte, ce qui est de toute façon correspond parfaitement à la brillante carrière de ce personnage et à celle des membres de sa famille[577]. Aischylos, fils d’Aischylos, serait ni plus ni moins le personnage connu à Délos
Comment trancher ? Pour ce qui est de la paléographie des deux inscriptions, elle confirme une datation au ier s. a.C. Les arguments de R. Descat selon lesquels la graphie du texte II correspondrait à celle du lapicide de
Toutes choses égales, la date tardive et l’attribution à Pamménès II paraissent être la solution la plus problable. S. Follet retient une date possible pour l'archontat de Pamménès II entre
Si l'on devait en outre donner un argument de vraisemblance, l'identification de l'archonte mentionné à Pamménès II plutôt qu'à son grand-père homonyme, archonte dans les circonstances difficiles des lendemains du sac de Sylla, présente des avantages incontestables. Le souci de détail mis à fixer les prix des “petits plats” s'accorde mieux avec une période moins dramatique, même si elle fut temporairement difficile, que celle qui suivit la catastrophe de 86.
Pour ce qui est de l'objet de la dédicace, G. Steinhauer a supposé que les λίθοι dont il était question étaient les différentes inscriptions que l'agoranome avait dû faire graver, correspondant aux différentes listes de produits autres que la triperie[587]. Dans ce sens, on relèvera que la mention d'une série de pièces de triperie “au même prix que la viande correspondante” (cf.
Pour ce qui est ensuite de la ζυγόστασις, R. Descat considère qu'il s'agit de “l’ensemble officiel des poids et mesures, ce qu’on pourrait appeler 'la balance publique'”[601]. Certes, et G. Steinhauer le rappelle opportunément, on connaît une série de dédicaces de poids et mesures effectuées par des agoranomes[602]. On pourrait aussi ajouter que, à l'époque impériale, on possède une série de poids qui peuvent porter le nom de la mesure de référence et des éléments de datation et de garantie[603]. Le lien entre la fonction d'agoranome et les instruments de mesure est bien connu et il est inutile d'y insister. Mais ce n'est pas de la dédicace d'instruments de mesure, de μέτρα, dont il s'agit ici[604]. Sur ce point, on doit préférer le rapprochement effectué par G. Steinhauer avec deux inscriptions de Phrygie et avec le ζυγοστάσιον d'Antioche de Pisidie[605]. Le problème mérite cependant d'être traité au fond. La première question qui se pose est en fait de savoir si le mot ζυγόστασις désignait ou non une réalité différente de celle à laquelle renvoyait celui de ζυγοστάσιον. En fait, on peut répondre affirmativement et considérer qu'il y avait bien équivalence entre ζυγοστάσιον et ζυγόστασις (ce dernier mot étant pour le moment attesté exclusivement à Athènes), comme l'admet implicitement G. Steinhauer. Notons qu'il faut aussi adjoindre au dossier la forme ζυγοστασία (cf.
La seconde question tient à la nature même de la ζυγόστασις du Pirée. G. Steinhauer considère que revenaient entre autres à l'agoranome “le soin et les frais d'installation de la balance publique et la construction du bâtiment adéquat, le ζυγοστάσιον, où celle-ci était conservée”[608]. Il s'agirait donc d’une sorte de petit local de rangement du matériel. Cependant, G. Steinhauer donne en outre de ζυγόστασις deux autres définitions, explicites ou implicites, mais contradictoires entre elles et avec la précédente[609] : d'une part, il donne comme équivalent à ζυγοστάσιον le latin
Fig. 5 Fig. 6 Fig. 7
Fig. 5-6 :
Fig. 7 : Support de balance de Pompéi, d'après É. Michon,
Ces divers points établis, la
— Selon G. Steinhauer, επιταγή peut avoir deux sens, celui d'impôt et celui d'ordre. A juste titre, il note que les chiffres mentionnés dans les listes sont trop élevés pour correspondre aux tarifs d'une taxe et qu'on a donc affaire ici à une liste de prix[621]. Il en conclut que le mot επιταγή signifie ici “ordre”, bien que selon lui l’auteur de l'ordre ne soit pas mentionné. L'ordre en question correspondrait aux prix imposés aux “produits du marché” (car tel est le sens qu'il donne à l'expression τῶν κύκλῳ) par une décision de la cité ou pour se conformer à un ordre impérial.
— R. Descat présente une critique détaillée de l'exégèse proposée par G. Steinhauer du mot ἐπιταγή. Il souligne que G. Steinhauer est en difficulté pour justifier ce qui apparaît être comme un double emploi, l'expression κατὰ τον νόμον semblant faire doublet avec l'ἐπιταγή. A juste titre, il repousse l'idée que l'ἐπιταγή puisse en quelque façon faire référence à un ordre impérial[622]. En effet, on ne trouve aucun indice qui puisse justifier ce point de vue, même si la chronologie n'interdit pas absolument qu'il puisse en être question, en admettant que le texte date effectivement du début de l'époque augustéenne[623]. C'est ce qui le conduit à accepter pour ἐπιταγή le sens de taxe sur les produits. Pour ce qui est de τῶν κύκλῳ, il donne en effet le commentaire suivant : “Je ne vois pas à qui peut faire allusion cette expression elliptique qui ne convient pas aux habitudes administratives où les titres des magistrats sont soigneusement mentionnés”[624]. En revanche, à la suite de G. Steinhauer et en s'appuyant en particulier sur une glose d’Aristophane qui donne à κύκλος le sens de marché aux produits alimentaires, il considère que le sens de produits du marché est inévitable[625]. Deux traductions sont alors successivement proposées. La première donne à ἐπιταγή le sens de taxe avec κατά dans un sens final : “Sous l’archontat de Pamménès, Aischylos fils d'Aischylos du dème d'Hermos, agoranome, a consacré les tables et les poids et mesures en vue de la taxe des produits du marché selon la loi”. Mais comme R. Descat admet lui-même que la traduction d'ἐπιταγή par “taxe de marché” a contre elle d'être un hapax, il propose ensuite une seconde traduction, qui donne à ἐπιταγή le sens de “prescription”, “règlement d'une loi” : “[Aischylos] a consacré les tables et les poids et mesures selon la réglementation sur les produits du marché selon la loi”. Selon lui, de toute façon, les deux traductions donnent un sens peu différent, le contrôle et la taxation des produits étant au cœur du travail de l'agoranome.
Pour ingénieuses qu'elles soient, ces interprétations et traductions soulèvent cependant bien des questions. Notons aussi qu'il convient de mener une analyse sans a priori, c'est-à-dire sans supposer que la dédicace donne la clé de la signification de la liste des prix. Les objets ou constructions qui sont l'objet de la dédicace, tables de pierre et support de la balance agoranomique, sont certes à mettre directement en relation avec l'activité du magistrat. Cependant, à moins qu'on puisse en faire la démonstration, la dédicace n'implique pas en soi un lien avec la liste de pièces de triperie. Le texte de la dédicace est en disposition centrée. Le dernier mot, ἀνέθη|κεν, est coupé et -κεν est disposé au milieu de la ligne 6. Vient ensuite l'indication κα[τ’ ἐ]πι|ταγὴν τῶν κύκλω κατὰ τòν νόμον. Vu la disposition de cette formule, dont le début se situe à droite du -κεν de ἀνέθη|κεν, le problème doit être posé de savoir si la formule se rapporte à la dédicace qui précède ou à la liste qui suit. Or, le rattachement de la formule κατ’ ἐπιταγήν κτλ, au membre de phrase qui précède pourrait paraître conforté par son emploi particulièrement fréquent dans les dédicaces[626]. En effet, κατ’ ἐπιταγήν peut y apparaître seul ou bien y être employé avec le génitif de l'agent qui a donné l'ordre de faire la dédicace, qui d'ordinaire est la divinité : d'où la multitude de dédicaces avec la formule κατ’ ἐπιταγήν τοῦ θεοῦ[627]. De là, on pourrait songer à se demander si l’on ne se trouve pas en présence d'un cas où l'auteur de la dédicace aurait demandé et obtenu l'autorisation des autorités du lieu avant de procéder à l'érection de la stèle[628]. Pour κατὰ τον νόμον, on pourrait même trouver un parallèle, bien que ce soit dans une dédicace un peu particulière, dans un acte d'affranchissement de Chéronée de Béotie, au iie S. a.C., le dédicataire précise qu'il opère τὴν ἀνάθεσιν ποιούμενος | διὰ τοῦ συνεδρίου κατὰ τòν νόμον Χαι|ρωνέων[629]. On voit pourtant le défaut de cette solution, qui suppose une αἴτησις non attestée de la part d'Aischylos.
Un autre parallèle peut cependant être invoqué, qui invite cette fois à rattacher la formule à la liste de pièces de triperie qui suit. On le trouve dans le règlement douanier de Coptos, qui date du règne de Domitien. Avant la liste des montants qui doivent être payés par les différentes catégories de personnes en transit est indiqué[630] : Ἐξ ἐπιταγῆς Μ[ετ]τίου [Ῥούφου, ἐπάρ|χου Αίγυπτου], ὅσα δεῖ τοὺς μισθω|τὰς τοῦ ἐν Κόπτωι ὑποπείπτον|4τος τῆι ἀραβαρχίᾳ ἀποστολίου πράσ|σειν κατὰ τòν γνώμονα τῇδε τῇ | στήληι ἐνκεχάρακται διὰ Λουκίου | Ἀντιστίου Ἀσιατικοῦ, ἐπαρχου|8 ὄρους Ḃερενείκης “Par ordre de Mettius Rufus, préfet d'Égypte, ce que les fermiers de l'impôt doivent réclamer pour le droit de passage à Coptos, payables à l'administration des douanes, selon le tarif, a été gravé sur cette stèle par les soins de Lucius Antistius Asiaticus, préfet de la montagne de Bérénice”[631].
’Εξ ἐπιταγῆς équivaut à κατ’ ἐπιταγήν et la clause κατὰ τὸν γνώμονα fournit un parallèle à κατὰ τòν νόμον[632]. Le règlement de Coptos est plus explicite et il nous livre la signification de la liste qui suit, soit un tarif douanier. Dans l'inscription d'Athènes, toutefois, il ne s'agit pas de taxe mais de prix[633]. Reste à élucider définitivement la signification de la formule κατ’ ἐπιταγήν κτλ.
Le sens général d’ἐπιταγή est clair et ne souffre pas discussion : “ordre”, “ordonnance”, “mandement”, “mandat”, d'où également le sens d'“exigence” (par exemple d'exigence des lois) ou bien d’“imposition” de taxe (mais pas en soi de “taxe” ou de “réglementation”)[634]. Pour ce qui est de τῶν κύκλῳ, G. Steinhauer (suivi par R. Descat) considère que l’expression, équivalent de τῶν πέριξ, renverrait en fin de compte au sens de κύκλος comme secteur de l'agora[635]. Certes, les κύκλοι de l’agora peuvent correspondre aux différents secteurs de l'agora, spécialisés dans différents produits, mais on ne voit pas comment τὰ κύκλῳ pourrait signifier “les produits du marché”. On peut supposer que l'on aurait plutôt τὰ τού κύκλου, ou autre formulation semblable. La traduction de τῶν κύκλῳ par “les produits du marché” est donc suspecte. L’usage du datif oriente oriente vers une tout autre signification. Employé comme adverbe ou comme préposition, κύκλῳ se rencontre des milliers de fois dans la littérature grecque ancienne[636]. Le mot désigne ce qui se trouve “autour”, au sens propre ou métaphorique. Cependant, une formule avec κύκλῳ autorise les associations les plus variées[637]. Au demeurant, R. Descat évoque au passage une scholie d'Aristophane, lequel dans une description des aménagements du port d'Athènes signale : ὁ Κανθάρου λιμήν, ἐν ᾧ τὰ νεώρια εξήκοντα εἶτα Ἀφροδίσιον εἶτα κύκλωι τοῦ λιμένος στοαὶ πέντε[638]. Dans cette occurrence, le mot κύκλῳ est à l'évidence employé ici comme une préposition (les cinq portiques se trouvent exactement “autour du port”). Le contexte commercial ou portuaire n'a rien à voir avec l'emploi banal du datif κύκλῳ. Mais il reste à connaître le genre de l'article-démonstratif τῶν. A-t-on affaire ici à τὰ κύκλῳ ου à οἱ κύκλῳ ?
— L'expression τὰ κύκλῳ apparaît chez Aristote avec le sens de “circonstances”[639]. Expliquant dans la
— La formule οἱ κύκλῳ n'est pas rare. Elle peut ainsi désigner “les gens du lieu”, comme dans la description que donne Strabon du sanctuaire de Zeus Labraundeus, à Labraunda, à l'écart de la ville de Mylasa, sur la route d'Alabanda[643]. On pourrait donc supposer que οἱ κύκλο) désigne ici “les gens du lieu”, “les gens fréquentant les lieux”,
Il était certes tentant de dater le texte I du Pirée de 83/82, le contexte paraissant expliquer que l'agoranome de 82/82 ait dû tout à la fois faire la dédicace des équipements de base de l'agora, les tables de pierre et le support de la balance agoranomique, qui avaient pu être renversées et détruites dans la tourmente du sac du Pirée par les troupes romaines, et en même temps procéder à une taxation des pièces de triperie. Il est vrai cependant aussi que, tout au long des guerres civiles romaines, Athènes choisit toujours le mauvais parti[645] : celui de Pompée, qui occasionna un siège prolongé et éprouvant de la part des Césariens en 48, celui des tyrannicides Brutus et Cassius, enfin celui d'Antoine. Ensuite, quelles qu'en soient les raisons, elle n'eut guère la faveur d'Auguste, qui la priva d'Égine et d'Érétrie dont elle tirait revenu et lui interdit de vendre le droit de cité athénienne[646]. Athènes a donc connu d'autres situations difficiles au cours du ier s. a.C., même si elles furent moins dramatiques que la catastrophe syllanienne[647]. Comme on l’a vu, une datation entre 35/34 et 18/17 est la plus probable et donc, selon toute vraisemblance, ces deux inscriptions furent gravées dans des circonstances des plus ordinaires. En tout état de cause, le texte peut maintenant être traduit comme suit :
“Sous l'archontat de Pamménès, Aischylos fils d'Aischylos, qui a exercé la charge d'agoranome, a fait la dédicace des 'pierres' et du support de balance.
Sur injonction du collège auquel il appartient, selon la loi :
G. Steinhauer a parfaitement montré que la liste était une liste de prix, non de montants de taxe, sans quoi on aurait affaire à des prix de vente beaucoup trop élevés[648]. Ajoutons que si l’on suivait l'hypothèse que les indications de prix mentionnées avaient eu pour but de servir à l'établissement d’une taxe alors que les prix effectifs auraient pu être différents[649], plus hauts ou plus bas, on se trouverait dans une alternative sans issue : si les prix réels avaient été plus bas que ceux qui étaient indiqués, la cité aurait lésé les consommateurs en engrangeant des sommes trop importantes ; s'ils avaient été plus élevés, c'est la cité qui aurait été lésée. Mais il y a plus : à Athènes, du moins à la fin du ve s. a.C„ la taxe sur les ventes (ἐπώνιον) était établie non
Dans le
quae probast <mers pretium ei statuit>, prouirtute ut ueneat
quae inprobast, pro mercis uitio dominum pretio pauperet
“Comment procède un bon agoranome pour fixer les prix ? Les bonnes marchandises, il en règle le tarif de manière qu'elles soient vendues pour ce qu’elles valent ; et les mauvaises, pour qu'elles appauvrissent leur propriétaire à proportion des défauts qu'elles présentent[652] Faut-il conclure soit que l'agoranome pouvait fixer tous les prix à sa convenance, soit au contraire que le texte doit être rejeté comme sans valeur[653] ? Choisir la deuxième solution n'est pas acceptable, car pour que la comparaison ait un sens pour un public grec, il fallait au contraire que la pratique de l'agoranome soit parfaitement familière à tout un chacun. Mais la première solution n'est pas davantage recevable. En réalité, comme le montrent le contexte et la référence à la
Mais plusieurs inscriptions portent témoignage de ce que les agoranomes, ou la cité, pouvaient effectivement fixer des prix[657]. On trouve ainsi à Delphes, au iiie s. a.C., une liste de prix de différents poissons[658] et à Akraiphia en Béotie, à la fin du iiie s. a.C., une liste de prix de poissons de mer et de lac, inscrite par les agônarques (le nom béotien des agoranomes) sur décision de la cité[659] ; à Andania en Messénie en 92 a.C., un règlement des mystères présente entre autres une clause relative à l'agora de la panégyrie, laquelle enjoint aux agoranomes de veiller à la qualité des produits vendus et à la conformité des poids et mesures, mais leur interdit de fixer les prix[660] ; à Oinoanda de Lycie, en 124 p.C., la clause du règlement de la fête des
Plusieurs conclusions nous paraissent s'imposer. La première est qu'il n'y a nulle raison de limiter aux agoranomes de panégyries le rôle potentiel de fixation des prix. On remarquera tout d’abord que les deux témoignages sur l'activité des agoranomes lors d'une panégyrie, ceux d'Andania et d'Oinoanda, n’apportent pas une information univoque. Dans le premier cas, la cité interdit à l'agoranome de fixer les prix ; la clause peut certes s'interpréter en supposant qu'il était courant qu'une cité accorde à un agoranome de panégyrie le pouvoir de fixer les prix de certaines catégories de produits, mais elle peut aussi laisser penser que dans un cadre ordinaire, hors panégyrie, les agoranomes d'Andania pouvaient jouir de cette prérogative — au demeurant, les deux explications ne sont pas exclusives l'une de l'autre. En outre, les agoras de panégyrie devaient dans bien des cas traiter des volumes d'échange importants[664] En conséquence, il paraît difficile de réduire à une sorte de situation marginale, sans grande signification sur les volumes d'échange puisque liées à des fêles religieuses, les limitations de prix effectuées lors des panégyries[665]. En outre, les textes d'Athènes et de Pergame ne correspondent pas à des panégyries et rien ne prouve que les textes de Delphes ou d'Akraiphia correspondent à des circonstances de fête : à Akraiphia, la désignation de l'agoranome comme agônarque est un trait dialectal et nullement une indication qui suppose que l'action de ce magistrat ait été limitée au cadre d'une panégyrie[666]. A Cyzique, en 38 p.C., la cité dut faire effectuer de grands travaux et l'afflux de main d’œuvre l’amena à limiter les prix à l'ἐνεστώση τιμή fixée par les agoranomes, qui suivaient eux-mêmes les indications d’une généreuse bienfaitrice[667].Le cas d’Éphèse montre une situation où les interventions sont autant liées aux périodes de fête qu’aux périodes de pénurie liées à des difficultés d'approvisionnement. Quelles que soient les causes d’un déséquilibre potentiel des prix (lié ou non à une fête religieuse), ce serait donc le souci d’y remédier qui pourrait expliquer bon nombre d’interventions des magistrats du marché. Mais il faut en outre relever que le grand souci de détail dans les variétés de poisson à Delphes et à Akraiphia trouve un parallèle dans la liste des pièces de triperie de l'agora du Pirée : or, dans ce dernier cas, le tarif vise manifestement autre chose chose qu'une période limitée dans le temps, comme c’est le cas en revanche pour une panégyrie, pour une période de famine, ou pour tel autre déséquilibre (augmentation temporaire de la demande du fait d’un afflux de main d’œuvre à Cyzique). Les principes réglant l'activité des agoranomes étaient donc certainement les mêmes dans le cadre civique ordinaire ou lors des panégyries. Ce qui ne signifie pas que les pouvoirs et principes d'action des agoranomes étaient toujours identiques.
Car une seconde conclusion qui s'impose est que les pouvoirs accordés aux agoranomes pouvaient varier sensiblement d'une cité à l'autre et selon les occasions. Pour la fête des mystères à Andania, l'agoranonte n’avait pas le pouvoir de fixer des prix, quand ce droit est explicitement accordé aux panégyriarques dans le règlement des
Plus généralement, les autorités du marché avaient le choix entre deux politiques. L’absence de contrôle des prix à Andania devait permettre aux vendeurs d'atteindre les prix élevés dont Dion Chrysostome[668] nous dit pour Apamée, centre d'un
On remarquera en outre que, à trois reprises (Delphes, Andania, Pergame), il est question de poisson, une fois de pièces de triperie (au Pirée), et il faut encore ajouter à cette série la lettre d’Hadrien relative à la vente du poisson à Éleusis, qui n’a pas pour objet de fixer les prix mais qui prévoit cependant que les pêcheurs eux-mêmes ou les premiers acheteurs feront les ventes car l’intervention de revendeurs intervenant en troisième rang (cf. τρίτους ὠνητάς, 1. 10-11) aurait pour conséquence de faire monter les prix[671]. Il s'agit de denrées produites pour l'essentiel dans un cadre local par les pêcheurs ou les éleveurs de la cité[672] et qui en outre ne pouvait pas être stockées (donc sur lesquelles la spéculation était impossible) : dans ce cas, l’offre était prisonnière de la demande et les prix étaient davantage susceptibles d'être effectivement contrôlés par les autorités de la cité. Manifestement aussi, le statut social des pêcheurs et des marchands de poissons était médiocre et la cité n’avait pas à avoir pour eux d’égard particuliers. Certes, si le poisson était une denrée de base de l’alimentation et on soulignera ainsi à la suite de M. Feyel que le poisson représentait une partie importante de l'ὄψον, la part non céréalière de l'alimentation[673] Mais à l’évidence il n’avait pas le caractère vital du blé. Les multiples récriminations contre les marchands de poissons qu'on trouve dans la comédie attique, avec les exagérations de rigueur[674] dont Athénée se fait très largement l'écho, témoignent de cette tension entre vendeurs et consommateurs, qui trouvaient toujours les prix trop élevés[675]. Ainsi, une loi attique de la fin du ive s. dont l’auteur était le riche Aristonikos interdisait aux marchands de poisson de baisser le prix initialement fixé, de sorte qu’ils risquaient de voir leur marchandise rester sans acheteur, donc se perdre, s’ils avaient d’abord fixé un prix trop élevé[676] : pour lutter contre la spéculation, le législateur disposait donc d’autres moyens que la fixation autoritaire des prix. Dans un contexte de contrôle potentiel de l’offre, même si la liberté des prix était donc la règle comme le montre aussi bien la loi d’Aristonikos que le
Dans son analyse sur les “foires et marchés”, L. de Ligt (p. 231-232) considère que l'action sur les prix était exceptionnelle, car elle aurait été contreproductive pour assurer l’abondance des produits sur le marché, la règle étant plutôt d'attirer les commerçants par le biais de l’atélie. Certes, face à ledit du Maximum (301), le refus des vendeurs de se soumettre à la taxation eut pour conséquence le retrait général des marchandises et une nouvelle augmentation des prix, comme le souligne Lactance[678] Mais, même s’il entrait en fait surtout dans le cadre d’une politique fiscale, l’édit du Maximum avait une portée générale et ne visait pas des catégories de producteurs “captifs” d'un marché local, qui devaient bon an mal an se soumettre à la réglementation. Or, dans le cadre de la cité grecque, le souci du “juste prix” n'était pas moins grand que celui de l'abondance (sur lequel au reste L. de Ligt insiste à juste titre). L'inscription d'Andania et la nécessité de préciser l'interdiction de limiter les prix tendrait à laisser penser que, sans être de règle, la pratique de limitation autoritaire des prix était cependant moins exceptionnelle que ne le pense L. de Ligt.
Cependant, si y compris à Athènes la fixation autoritaire des prix à l'agora était bien loin d'être universelle, mais n’était pas non plus ni une chose juridiquement impossible ni un fait rarissime, on peut malgré tout s'étonner aussi que les attestations épigraphiques de listes de prix ne soient pas plus nombreuses. Il y a à cela, nous semble-t-il, une raison toute simple. Comme de nos jours, les prix étaient par essence variables. Même si dans une cité les agoranomes avaient, temporairement ou en permanence, le droit de fixer le prix de certaines catégories de denrées, ces listes n'étaient pas faites pour durer longtemps, elles n'étaient pas un κτῆμα ἐς αἰεί. D'ordinaire, elles devaient sans doute plutôt être dressées sur quelque tablette blanchie, un λεύκωμα, et non gravées sur pierre[679]. Il était sans doute assez rare qu'on procédât à l'inscription sur pierre, chaque cas pouvant avoir une explication propre. Au Pirée, des circonstances particulières peuvent avoir motivé le souci de donner à la liste une tournure plus solennelle, mais, de manière plus prosaïque, le plus vraisemblable est que, disposant du champ épigraphique laissé libre au bas de sa dédicace, l'agoranome Aischylos jugea commode de graver cette liste à la partie inférieure de la stèle. Néanmoins, on se trouva assez vite devant une situation où la liste fut frappée d'obsolescence. Même si l'on ne peut fixer avec précision le laps de temps écoulé entre la gravure de la liste I et celle de la liste II, il est clair en effet qu'il ne fut pas très important puisque les deux textes ont la même structure. On tient là ainsi la raison pour laquelle la liste de prix du texte I (et avec elle la dédicace de l'agoranome Aischylos, mais ce n'est pas elle qui était la cible de cette censure) fut rendue si rapidement illisible, la solution la plus radicale (et la plus économique) consistant à retourner le bloc[680] Lorsqu'il fut décidé de modifier la liste des maxima de prix affichée, il fallut se débarrasser de la première liste,
On remarquera aussi que si l'analyse de la séquence des deux listes de l'inscription du Pirée présentée ici est correcte, l'évolution des prix s'est faite non à la hausse comme le pensait G. Steinhauer, mais
Les prix mentionnés se comptent en oboles et en chalques, des sommes qui a priori peuvent paraître dérisoires. En réalité, ce serait un contresens que de le croire et c'est ce qui justifie pleinement que les indications chiffrées correspondent à des prix et non à des montants de taxe, comme l'a à juste litre conjecturé G. Steinhauer, lequel a noté qu'ils paraissaient être de l'ordre de ceux que l'on voit pratiqués à l’époque classique[683]. En effet, dans les deux textes du Pirée, les prix, exprimés en oboles et en chalques, sont de l'ordre de ceux que l'on trouve exprimés dans l'inscription de Delphes ou dans celle d'Akraiphia[684].
La confirmation que les chiffres mentionnés dans l'inscription du Pirée sont bien des prix et non des montants de taxes, qui porteraient les prix à des valeurs beaucoup plus élevées (selon le montant que l'on retiendrait pour l'ἐπώνιον), se trouve aussi dans la mise en rapport de ces chiffres avec ce que l'on peut savoir des revenus à la basse époque hellénistique. Polybe indique que, au iie s., les légionnaires romains recevaient une solde journalière de deux oboles (= 16 chalques), les centurions quatre oboles et les cavaliers une drachme[685]. Selon P. Marchetti, la solde, qui représentait 4 as à l'époque de la 2e Guerre Punique, serait passée à 5 as à l'époque de Marius[686]. César doubla la solde, qui passe donc théoriquement à 10 as[687]. Ce chiffre est précisément celui qui est, évoqué par des légionnaires séditieux au début du règne de Tibère (à cette époque, seuls les prétoriens ont droit à une solde de deux deniers)[688]. Cl. Nicolet admet que les deux oboles de Polybe étaient l'équivalent d'un sesterce, ou 4 as[689]. Pour résumer, le légionnaire de l’époque marienne aurait donc reçu c. 113 deniers par an, celui de l'époque césarienne et augustéenne 225[690]. A Rome, à l'époque de Cicéron, un esclave manœuvre touchait 12 as par jour (c'était sans doute un chiffre maximum)[691]. La drachme attique et le denier étaient manifestement tenus pour équivalents[692]. Même si les pillages ou les distributions des généraux pouvaient permettre de recevoir en une seule fois des biens ou des sommes d'argent pour une valeur bien plus considérable, on voit que la solde ordinaire du légionnaire ou le salaire de l'esclave étaient tout à fait en rapport avec les prix mentionnés dans l'inscription du Pirée. Il faudrait naturellement avoir des parallèles de salaires journaliers à Athènes et au ier s. a.C. cette fois, mais il est peu douteux qu'ils aient été de l'ordre de ceux que l'on voit apparaître pour les légionnaires ou les esclaves à Rome (et même sans doute inférieurs, mais c'est là une autre question).
Une anecdote de Plutarque se rapportant à Socrate pose l'éternelle question de la valeur relative des biens en fonction des moyens dont on dispose[693] : “Quand Socrate entendit l'un de ses amis noter combien Athènes était chère, disant ‘Le vin de Chios coûte une mine, une robe de pourpre trois mines, un cotyle [1/4 l] de miel cinq drachmes’, il le prit par la main et l'amena au marché au grain : ‘Un hémihekton [4,32 1] de grain pour une obole’ ; puis au marché aux olives : ‘Une choenice [1,08 1] d'olives pour deux chalques’ ; ensuite au marché aux vêtements : ‘Une tunique pour dix drachmes’. La ville est bon marché !”. En fait, pour qui avait une fortune qui se comptait en talents, une somme de quelques chalques était dérisoire. Mais pour la grande majorité, qui avait bien moins d'une drachme par jour pour vivre, même une dépense de quelques chalques pouvait être difficile à solder. La société de la Grèce classique et hellénistique était un monde où la fortune était concentrée entre les mains d’une minorité qui pouvait compter sa fortune en talents d’argent, par opposition avec une masse de citoyens qui restait dans le monde de la nécessité et qui ne connaissait guère que la monnaie de bronze, comme l'a souligné encore récemment M. Vickers[694]. Les prix de pièces de triperie sur l'agora du Pirée apparaissent maintenant sous un autre jour : pour le menu peuple, ils étaient même sans doute relativement élevés. A l'agora, à l'époque de Démosthène ou de Théophraste comme à celle de l'archonte Pamménès, on est dans le monde de la monnaie de bronze, de la nécessité quotidienne, des petites gens ou des gens ordinaires, à qui même des sommes de quelques chalques paraissent importantes. Théophraste avait pu stigmatiser le profiteur qui exigeait de ses esclaves, payés en monnaie de bronze, le montant du change en monnaie d'argent (car malgré sa valeur déclarée le bronze était dans la pratique toujours dévalué)[695]. On songe aussi, dans l'Évangile, à la parabole de la femme qui, ayant perdu l'une des dix drachmes d'argent qui faisaient sa fortune, allume la lampe et balaie avec soin pour la retrouver et qui, lorsqu'elle y est parvenue, convoque amies et voisines pour leur annoncer la bonne nouvelle[696]. Les prix de la triperie sur l'agora du Pirée se comptaient en chalques et en oboles, mais il n'en était pas moins important de procéder à leur contrôle[697].
On aperçoit également l'intérêt de l'inscription agoranomique du Pirée comme indicateur du niveau des prix à Athènes au ier siècle a.C., et plus particulièrement dans sa deuxième moitié. On retrouve à Athènes à la fin de l'époque hellénistique et au début de l’époque impériale des niveaux de prix qui sont de l'ordre de ceux de l'époque classique. L'histoire monétaire d'Athènes au ier s. est chaotique et la cessation des émissions d'argent dans les années 40 de ce siècle n'en est qu'une illustration parmi d'autres[698]. Cependant, alors que l'argent restait encore le métal de référence et que dans la pratique le bronze était plus que jamais l'instrument d'échange courant à Athènes pour la vie quotidienne[699], les prix nominaux restaient fort bas. Sur ce point, l'inscription du Pirée apporte donc une information nouvelle très importante, comparable à celle qu’on trouve de manière ordinaire sur les papyri provenant d’Égypte, mais qui fait si cruellement défaut ailleurs[700]. Si, pour l'empire, on a pu évoquer la question de l'inflation et des “dévaluations”, on voit que c'est en fait une histoire de la “déflation” de la monnaie d’argent en Grèce hellénistique qui reste à écrire[701]
Chapitre IX. Prix officiels et commerce de gros à Athènes
A Athènes, deux sources littéraires et une inscription font référence à une καθεστηκυῖα τιμή. Pour ce qui est des mentions littéraires, il s'agit de deux plaidoyers du corpus démosthénien,
Les justifications proposées sont donc tout à fait exclusives les unes des autres. On a vu en particulier que dans les explications traditionnelles (antérieures à celles de G. Reger et L. Migeotte), on avait une opposition radicale entre les tenants d’un “prix du marché défini par la loi de l’offre et de la demande” et les partisans d’un “prix normal, hors les fluctuations au jour le jour”. En fait, cette contradiction trouve son origine dans deux plaidoyers du corpus démosthénien, le
Dans le C.
Ils sont mentionnés de la manière suivante (§ 39) : ὅτε δ’ ὁ σῖτος ἐπετιμήθη πρότερον καὶ ἐγένετο ἐκκαίδεκα δραχμῶν, εἰσαγαγόντες πλείους ἢ μυρίους μεδίμνους πυρῶν διεμετρήσαμεν ὑμῖν τῆς καθεστηκυίας τιμῆς πέντε δραχμῶν τòν μέδιμνον καὶ ταῦτα πάντες ἴστε ἐν τῷ Πομπείῳ διαμετρούμενοι. πέρυσι δὲ εἰς τὴν σιτωνίαν τὴν ὑπὲρ τοῦ δήμου τάλαντον ὑμῖν ἐπεδώκαμεν ἐγώ τε καὶ ὁ ἀδελφός, καὶ μοι ἀνάγνωθι τούτων τὰς μαρτυρίας. Le texte a subi diverses tentatives de correction, en particulier une adjonction de [ἀντί] avant καθεστηκυίας τιμῆς, ce qui voudrait dire que Chrysippos aurait fait la vente “non pas au cours du grain, mais à cinq drachmes le médimne”[708]. Bien que violente, cette correction paraissait indispensable si l'on voulait attribuer à καθεστηκυῖα τιμή le sens de “cours du moment”, fonction de la loi de l'offre et de la demande. En revanche elle était inutile si l'on considérait que la καθεστηκυῖα τιμή était quelque chose comme le “prix normal”. De fait, si l'on considère qu’apporter des additions à un texte qui par ailleurs est bien conservé constitue une solution extrême (Ad. Wilhelm se refusait déjà à corriger le texte[709],) on doit donc plutôt comprendre le texte de la manière suivante : “Puis, lorsque le grain vit son cours augmenter une première fois et atteindre seize drachmes le médimne, nous avons importé plus de dix mille médimnes de froment et nous en avons assuré la distribution à la
Reste que si l'on admet que le C.
Cette notion de “prix des ventes publiques occasionnelles” nous paraît devoir être réexaminée, même si, comme on va le voir, il faut néanmoins effectivement considérer la
Sauf erreur de notre part, on n’a pas noté jusqu'ici que les sources papyrologiques Ptolémaïques du iiie s. venaient en effet offrir un étroit parallèle aux mentions de
Le
C’est ce que montre en effet le fameux
Le parallèle égyptien, même s'il doit être précisé et nuancé, amène donc à conclure de manière certaine qu'Ad. Wilhelm et L. Migeotle ont eu raison de voir en la
Si le parallèle égyptien conduit logiquement à considérer que la
On comprend mieux cette fois le problème posé par la
La
L. Migeotte a quant à lui accepté l’idée que la
Comment réconcilier la notion de “prix fixé” avec celle de “prix de référence sur la place d'Athènes” ? On se trouve devant une aporie que l’on ne peut résoudre que si l’on revient sur les explications jusqu’ici proposées pour rendre compte de la
Le postulat de départ sera que la
Le décret pour Hèrakleidès de Salamine, qui date de la même période que le
De la sorte, les magistrats avaient réussi à ramener le prix du grain à un niveau acceptable par tous, commerçants comme consommateurs athéniens. La
Revenons maintenant au
De la sorte, on comprend mieux l’inscription de Rhamnonte en l’honneur du stratège Épicharès. Ce dernier avait fait venir du grain à ses frais et en avait assuré la distribution. Il s’agit donc de l’initiative personnelle d’un magistrat, non d’une distribution opérée par la cité, même si le fait que la distribution concerne “les citoyens et les soldats” (διέδοικεν τοῖς τε πολίταις καὶ τοῖς σιρατιώταις) apparente cette vente à celles qui pouvaient être effectuées par la cité. Les étrangers résidants qui n’étaient pas soldats en étaient donc en principe exclus. Cette vente réservée était analogue à celles qui pouvaient être organisées à Athènes au bénéfice des citoyens. Or, ce magistrat fait la distribution à la
Notons au passage que la notion de prix coûtant introduite ici ne recoupe pas celle du ‘Kostenpreis’ auquel A. Böckh (supra n. 2) faisait référence pour essayer de rendre compte de la notion de
On peut encore s’interroger sur l’intérêt d’un importateur comme le Chrysippos du C.
Il reste aussi à analyser la question de l’acceptation de la
Car ces commerçants en grain n’étaient pas des philanthropes : si Hèrakleidès et tous ceux qui avaient suivi sa démarche, dont Chrysippos et son frère, avaient vraiment perdu de l’argent sur cette vente ou sur d’autres, et surtout pour des sommes aussi élevées (jusqu’à 18 T 2 000 dr. pour Chrysippos et son frère), leur affaire aurait périclité et disparu à brève échéance. Il faut seulement songer qu’ils ont accepté de limiter leur profit. Pour les 10 000 médimnes mis en vente par Chysippos, une différence d’une drachme par médimne représente I T 4 000 dr., bien plus que la contribution versée pour la σιτωνία qu’il faut sans doute dater de 328/327. On doit considérer que, si quelque temps plus tôt, tel marchand avait réussi à vendre au prix de gros à 10 dr. le médimne, il aurait donc empoché en sus pour la même quantité 8 T 2 000 dr. Il est cependant plus raisonnable de penser qu’au moment où Hèrakleidès accepta la
Certes, il est vrai que le
Il faut relever qu’au début du iiie s., en 282, le prix du médimne de froment à Délos évolue entre 4 dr. 3 ob. et 10 dr. sur les neuf premiers mois de l'année (et sans doute davantage à la fin de l’année, mais les chiffres manquent pour les trois derniers mois, où en lieu et place on distribue de l'orge)[761]. En Égypte, au iie s., le prix courant du froment était de 2 dr.[762] A Gazôros, en Macédoine, au début du iiie s., un bienfaiteur assure un prix du froment de 2 dr. 4 ob. le médimne et un prix de l’orge de 1 dr. 4 ob.[763] Aussi, pour peu que les commerçants aient pu eux-mêmes s’approvisionner sur des marchés où les prix étaient restés bas (Sicile, Pont, Cyrénaïque[764],) avec 5 dr. pour la
Notons encore que dans le cas de l'inscription
La distinction établie entre τάττειν et καθιστάναι, le premier terme s'appliquant “au prix imposé à l'ensemble du marché ou aux ventes régulières de la cité”, et le second désignant “le prix établi pour les ventes publiques occasionnelles” ne paraît donc pas pertinente[771]. En fait, les deux verbes font référence à des actions qui ne se situent pas au même niveau. La différence véritable tiendrait plutôt au fait que, dans un cas, il s'agit d'une allusion à une action ponctuelle (l'acte de fixation d'un niveau de prix), dans le second à l’installation d'un état permanent après qu'une action ponctuelle a modifié un état antérieur (la détermination d'un prix permanent, d’un prix de référence). La démonstration précédente a en outre montré que la différence entre les deux types de prix était mal adaptée à la description précise des divers processus de vente auxquels nos sources font référence : la différence n'est pas entre des ventes qui auraient été “régulières” et d'autres qui n'auraient été qu’“occasionnelles”, mais entre des ventes de grain appartenant à la cité et des ventes à prix coûtant effectuées par des commerçants privés.
Le prix des ventes directes aux citoyens assurées par les importateurs n'était donc pas un prix spécial à ce type de vente. Lorsque Chrysippos signale qu'il a importé plus de dix mille médimnes de froment et en a assuré la distribution au Pompéion à la
La
On voit aussi la différence entre les ventes assurées aux citoyens à la charge des marchands importateurs et celles qui étaient effectuées au moyen de grain appartenant directement à la cité. Dans les ventes réservées aux citoyens du type de celles qui apparaissent dans le
On voit qu’on ne saurait donc suivre l'idée selon laquelle les prix des “ventes publiques occasionnelles” (en réalité les ventes effectuées par des commerçants privés, mais encadrées par la cité et à prix fixé par elle), auraient créé une dynamique particulière et auraient à leur tour influencé les prix sur l’agora[777]. En fait, la vraie question paraît être celle de la portée même de la
Si la
La manière dont, vers 386/385, le plaideur du
On peut donc maintenant affirmer que, au moins dans la deuxième moitié du ive s. et la première moitié du iiie s. (avant et après cette période aucune source ne nous informe de manière non équivoque), la cité d'Athènes fixait donc un prix officiel de la denrée de première nécessité qu’était le grain. Il n'y a nulle raison de penser que l’établissement d'un prix officiel de cette denrée soit intervenu seulement lors des périodes de crise – à moins de ne considérer que chaque année pouvait voir naître une période de crise. Les différentes dates auxquelles il est fait mention de
Deux questions se posent alors : Qu’en était-il à Athènes pour d'autres denrées importées en gros comme le vin ou l’huile ? Les cités autres qu'Athènes pratiquaient-elles elles aussi un système de prix officiel ? A ces deux questions, pour les mêmes raisons de manque de sources archivistiques déjà évoquées, il n’est pas aisé de répondre avec précision, mais quelques éléments de réponse peuvent cependant être avancés. Dans l’état actuel des choses, ce n'est que pour le grain, denrée vitale pour la survie de la cité, qu'un prix officiel est attesté à Athènes, même si l'on a vu que, pour l'huile, les magistrats pouvaient être amenés à pratiquer des interventions directes sur les marchés : toutefois, dans l’inscription
Quant à la question de savoir si d'autres cités pratiquaient le système des “prix officiels” de la même manière qu’à Athènes, on a vu que le
La différence entre Athènes et les autres cités donne à réfléchir. On a jusqu'ici insisté sur le fait que tendanciellement c'était l’offre,
On pourra cependant encore légitimement s’interroger sur la validité du parallèle développé précédemment entre Athènes et l'Égypte. Il y a là une interrogation possible à laquelle il convient de donner une réponse. Comment en effet concilier l'aspect contraignant et normatif que l’on sait être celui du royaume lagide avec le cadre d'une cité comme Athènes ? On a vu que dans le cadre de la cité comme dans le monde de l'économie royale administrée de l'Égypte lagide, on retrouve une distinction entre d'une part des “prix officiels” (fixés), d'autre part des prix “libres”. La différence est néanmoins bien réelle. 1) Pour ce qui est des “prix officiels” dans le cadre des cités, où les acteurs, bien souvent étrangers à la place où les ventes s'opéraient, étaient libres de leurs actes et de leurs transactions, la
En Égypte, la différence entre les
Dans les cités grecques autres qu’Athènes, les demandes répétées des agoranomes auprès des commerçants importateurs de grain visaient à persuader ces derniers de vendre leurs denrées au prix qui paraissait être le “juste prix”,
Tendanciellement, la
On osera enfin une comparaison avec le marché du pétrole de le fin du xxe s„ qui nous paraît pleinement justifiée vu le parallèle entre les situations de rapports de force entre acheteurs et vendeurs et leurs renversements en raison des fluctuations des quantités offertes sur le marché. L'Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP, en anglais : OPEC) définit ce que l'on appelle un “prix affiché”, qu'elle demande aux états producteurs de respecter dans leurs ventes sur le marché libre. Ces “prix affichés”, dits aussi “prix postés” ou “prix officiels”, correspondent aux prix établis pour des contrats à long terme[792]. Avec l’émergence de l'ΟΡΕΡ dans les années 1970, la hausse de ces prix officiels devint l'arme du cartel des pays producteurs membres de l'OPEP pour augmenter leurs revenus, qui connurent alors une hausse considérable[793]. Le retournement des rapports de force en faveur des pays consommateurs dans les années 1980 a privilégié les prix du marché libre (dits prix “spot”), qui correspondent à des contrats à court terme et suivent étroitement la loi de l'offre et de la demande[794]. Depuis lors, bien qu'ils aient pourtant varié à la baisse puis à la hausse, les prix officiels de l'OPEP restent d'ordinaire trop élevés par rapport au marché et ne sont plus respectés par la plupart des pays producteurs, qui consentent chacun des rabais importants sur le “prix affiché” et ne limitent pas leur production comme il le leur est demandé par l'organisation à laquelle pourtant ils appartiennent[795].
Si l'on inverse la perspective et si l’on considère que vu les conditions de la production du grain dans l'antiquité, c’étaient tendanciellement bien plutôt les vendeurs de grain que les acheteurs qui se trouvaient en position de force, on comprend mieux ce que pouvait être, cette fois du côté des acheteurs, l'intérêt d’établir un “prix officiel”, que la rupture des approvisionnements pouvait rendre caduc (le “prix officiel” était alors inéluctablement entraîné à la hausse), mais que l'on s’efforçait de ramener à des niveaux raisonnables dès que l'horizon commençait à s'éclaircir et que des quantités plus importantes étaient susceptibles d'être livrées. Même s’il ne faut pas pousser le parallèle trop loin, cette notion de “prix officiel” n'est donc pas si éloignée de ce que l'on peut trouver dans certaines pratiques commerciales contemporaines où un État, ou un groupement d’états, s’efforce de contrecarrer, sans vraiment y parvenir durablement, les oscillations du marché.
Ce texte magistralement publié par R. S. Stroud (1998) montre que, dès 374/373 au moins Athènes, pouvait prendre des mesures de gestion particulièrement soigneuses en matière de stockage et de vente du grain[796]. Sur tous les points, l'éditeur a fourni un ample commentaire, tout en invitant dans sa conclusion à prolonger le débat. C’est dans dans cet esprit que nous voudrions faire quelques remarques suggérées par ce beau document.
La loi attique de 374/373 περὶ τῆς δωδεκάτης τοῦ σίτου τῶν νήσων (1. 3-4) prévoyait : ὅπως ἂν τῶι δήμωι σῖ[το]|ς ἦι ἐν τῶι κοινῶι, τὴν δωδεκάτην πωλ[εῖ]|ν τὴν ἐν Λήμνωι καὶ Ἴμβρωι καὶ Σκύρω[ι κ]|αὶ τὴν πεντηκοστὴν σίτο (1. 6-8). La
Revenant sur ces questions, E. M. Harris[798] considère cependant, certainement à juste titre, que la
Mais, pour ce qui est de la
Le grain des îles devait être vendu à un prix fixé par la cité (cf. 1. 44-46), qui devait tenir compte des intérêts contradictoires des citoyens considérés d'une part en tant que consommateurs et d’autre part comme destinataire collectif des sommes qui seraient versées dans le fonds des
Cependant, les prix de 329/328 sont sans doute un peu trop élevés pour être pris comme base d’estimation. Il ne saurait être question d’entrer ici dans une discussion détaillée sur le niveau des prix qui ne pourrait trouver place que dans une étude spéciale. On a vu que, au début des années 320, le prix du froment dans la partie inférieure de la courbe d'un cycle annuel était de 5 dr. le médimne. En tendance cependant, il s’agissait certainement d’une période de prix déjà élevés (si l'on songe à l’effet inflationniste provoqué par la mise en circulation des trésors de Delphes par les Phocidiens, aux grandes frappes macédoniennes et au premier contrecoup de la monétisation des trésors sur lesquels Alexandre avait mis la main). Pour donner un ordre de grandeur du profit effectué par les Athéniens, nous préférerions donc suggérer un prix de 3 dr. le médimne pour le froment, et. pour l’orge, soit 1 dr. et 3 ob., soit 2 dr.[807] On aurait donc des rentrées respectivement de 18 600 dr. (froment) et 37 200 ou 49 600 dr. (orge), avec un total soit de 55 800 dr. ou 9 talents et 1 800 dr., soit de 68 200 dr. ou 11 talents et 2 200 dr. On pourra retenir un rapport plutôt autour de 10 talents dans les années 370, le chiffre pouvant varier d’année en année en fonction des arrivages, des prix, etc., et n’atteignant un montant de l’ordre de 18 talents que dans les années 320, si les taxes furent maintenues jusqu’à cette date.
Ce chiffre de l’ordre de 10 talents doit alors être rapproché du gain de 15 talents que, selon Démosthène
En tout état de cause en effet, on ne doit pas considérer que le grain reçu aurait été divisé en deux parts, l’une qui aurait “suffi” aux besoins des Athéniens, l'autre dont ils auraient pu disposer librement, et qu’ils auraient même pu réexporter. Le présupposé implicite qui est sous-jacent à cette vision des choses est nécessairement que la partie qui aurait été “suffisante” aurait été distribuée gratuitement, tandis que l'autre aurait été vendue, et dans cette hypothèse on est donc conduit à songer à une réexpédition en dehors d’Athènes, puisqu’on a posé au départ que les besoins des Athéniens avaient été satisfaits. En fait, la rhétorique de Démosthène ne consistait pas à opposer deux utilisations différentes qui auraient été faites du grain de Leukôn mais à insister sur le fait que non seulement les Athéniens avaient pu disposer d'un approvisionnement dans une période de disette, mais qu'en plus le grain de Leukôn qui ne leur avait rien coûté leur avait rapporté de l’argent. C'était là un excellent argument dans un plaidoyer où il s’agissait de s’opposer à la ladrerie de ceux qui, sous prétexte de faire gagner de l’argent à la cité, voulaient supprimer les privilèges qu'elle avait consentis à des bienfaiteurs comme Leukôn, l'archonte du Bosphore.
Pour le don de Leukôn, la meilleure comparaison est celle que l’on peut faire avec le grain de la taxe de Lemnos, Imbros et Skyros. On a vu que, sur lu base de 31 000 médimnes de froment et d'orge, on pouvait raisonnablement penser à un profit sur la vente d'environ 10 talents. Sur des bases analogues – même si le calcul a évidemment une large part d’arbitraire puisqu’on ne sait pas à quel prix fut effectivement vendu le grain de Leukôn –, on voit que ce seraient alors environ 45 000 médimnes, soit la cargaison de 15 navires transportant chacun 3 000 médimnes, qui auraient été envoyés par Leukôn. Ce don considérable, représentant hypothétiquement une fois et demi le produit de la taxe en nature des trois îles athéniennes, ne peut cependant à lui seul avoir rassasié les Athéniens si l'on était en période de disette. On voit aussi pourquoi l’hypothèse selon laquelle les 15 talents (et les 45 000 médimnes que nous avons supposés) ne correspondraient qu’au “grain excédentaire” est irréaliste : elle présupposerait que Leukôn aurait expédié gratuitement des centaines de milliers de médimnes, alors que Démosthène signale (
On remarquera enfin que le don de froment fait par Psammétique aux Athéniens en 445/444 se montait à 30 000 médimnes (selon Philochore[811]) ou 40 000 médimnes (selon Plutarque[812].) Le montant des taxes en nature sur la production des îles de Lemnos, Imbros et Skyros (sans doute
Chapitre X. Unités de pesée et poids des offrandes dans les sanctuaires grecs
Le poids des phiales répertoriées dans un inventaire d’Amos (Pérée rhodienne) du milieu de l'époque hellénistique n’est pas donné en chiffres ronds. Ce fait qui pourrait être une curiosité d'intérêt purement anecdotique soulève pourtant de redoutables problèmes dès qu’on s’aventure à vouloir en rendre raison. C'est ainsi qu'on vient récemment de tenter de l’expliquer, comme on l'avait fait ailleurs pour des documents posant des problèmes similaires, par la thèse du recours à des monnaies comme instrument de pesée. Une analyse détaillée des questions soulevées non seulement par l’inventaire d’Amos mais aussi par ceux d’Athènes, Délos et Didymes conduit à une vision des choses bien différente. Pour asseoir de nouvelles conclusions, ce sont en fait aussi bien les modalités de fabrication des offrandes que certaines spécificités du formulaire et du mode de rédaction des inventaires qu’il faut dégager. Au-delà, sans qu'il soit pourtant nécessaire d’avoir recours en quoi ce soit aux théories modernistes, ce sont encore les dangers d'une approche primitiviste de la cité grecque qui apparaissent au grand jour.
Le point de départ de la discussion est donc un inventaire provenant du dème rhodien d’Amos, dans la partie est de la Chersonnèse, qui faisait partie de la “Pérée intégrée” de Rhodes. L’inscription date du milieu de l’époque hellénistique[814]. La stèle qui la porte est mutilée et le texte est de lecture difficile. Cependant plusieurs chiffres peuvent se lire de manière partielle ou complète.
Cf. J. Pouilloux,
--- | [φιάλαν ἄν ἀνέθηκαν--- ---]|κλεῦς [---] | Ἀριστογέν[--- ---] |4 Σ[...]νος Ἀπ[--- ---] | [.]ε[.]ης Δαμοσ[---] | ‘Ạγελόχου Τιμο[--- ---]|τευς, ἄγουσαν Γ[---] |8 φιάλαν ἃν ἀνέθηκαν Δαμο[---] | Δαμαινέτου, Ἁγησικλῆς [---]|σάνδρου, Σωκράτης Σωκρα[τίδα], | ἄγουσαν ΓΔΔΔΔ[..]├ |12 φιάλαν [ἃν] ἀνέθηκαν Ἐμφάνης | Θευφ[ά]νευς, Ἁγέλοχος Παγκρ[ά]|τευς, Πραξίχαρις Πασικράτευς, | ἄγουσαν ΓΔΔΔΔ[---] |16 φιάλαν ἃν ἀνέθηκαν Πάνταινος | Τιμαῖος Ἀλεξίων, ἄγουσ[αν] | ΓΔΔΔ | φιάλ[α]ν ἂν ἀνέβηκαν Ἐμφάνης |20 Θευφάνευς, Ἁγίας Ἁγεστράτου, | Τιμαῖος Σωσιθέου, Τιμόκριτος | Φαιναγόρα, Σ[.......] Διογέ|νευς, Εὐάρατọς Ἐπαγάθου |24 [..]ακ[...]τος ’Ạλ[κ]εσιδάμου, | ἄγουσαν ΓΔΔΔΔΓ├├├ | φιάλαν ἄν ἀνέθηκαν Χαιρήμων | Χάρμιος, Σῖμος Ἀκέστορος, |28 Ἁγησίδωρος Ἀριστοδάμ[ου], | Θαλ[ήτα]ς Ἀριστοδάμου, | Ξεναγόρας Λεωνίδας, Ἐπικρ[---], | ἄγουσαν ΗΔΔΔΔΓΕ├├ |32 φιάλαν ἃν ἀνέθηκαν Χαιριππίδα[ς] | Διογένευς, Διότιμος Ἁγεστ[---], | Παγκλείδας Πασικράτευ[ς], | [Ἐ]πίχαρμος Ἁ[....ά]νακτο[ς,---]|36πος Ν[ικ]αίου, Α[....]κρατίδα[ς ---]- | [.]ο[.], Ξενόκριτος, ἄγουσαν | ΓΔΔΔΔΓ├├|||| | [φι]άλαν [ἃ]ν ἀνέθηκαν Ἀνταγ[όρας] |40 Ἀντι[γέν]ευς, Κριτίας Δαμ[---], | Τιμακλῆς Σωπάτρου, [---] | α[..]ικλου, Ἀριστόβο[υλος ---], | Καλλίμαχος [---], |44 [---] | ---
Comme l'avaient bien vu J. et L. Robert, un collège de magistrats d’Amos, à sa sortie de charge, devait rituellement consacrer une phiale[815]. L'état de la stèle ne permet pas de lire le montant de tous les poids. On peut néanmoins reconnaître :
L. 7 : Plus de 50 dr.
L. 11 : 90 + x dr., avec x compris entre 2 et 9 : le parallèle des 1. 25, 31 et 37 suggérant un chiffre supérieur à 95, en restituant au moins | dans la lacune.
L. 15 : 90 + x dr., mêmes remarques que précédemment.
L. 18 : 80 dr. mais toutes les lettres sont de lecture difficile.
L. 25 : 98 dr.
L. 31 : 147 dr.
L. 37 : 97 dr. 4 ob.
Sauf pour le chiffre de 80 dr. de la 1. 15, mais qui pose sans doute des problèmes particuliers[816], on constate un déficit en poids par rapport aux chiffres ronds qu'on aurait pu s’attendre à trouver, soit manifestement à quatre reprises 100 dr. (1. 11, 15, 25, 37) et une fois 150 dr. (1. 31). Comment en rendre raison ?
P. Debord avait proposé de voir dans cette différence le salaire de Partisan. Sans avoir argumenté de nouveau la question, nous nous étions rallié à ce point de vue dans notre
Dans une étude d’ensemble des problèmes posés par ce document, M.-Chr. Marcellesi fait justice d’une analyse malheureuse de M. Vickers[817]. Est repoussée aussi, à juste titre, l’hypothèse d’une usure des phiales. En outre, tout en acceptant notre point de vue sur l’origine des drachmes mentionnées, qui ne sauraient être que des drachmes rhodiennes, M.-Chr. Marcellesi critique également l’hypothèse du salaire de l'artisan : selon elle, on voit mal pourquoi ce salaire, qui aurait été prélevé sur la somme fournie par les magistrats ou prêtres sortant de charge, aurait varié d’une coupe à l’autre – argument incontestablement tout à fait recevable ; au demeurant, on n’aurait aucune idée de ce que pouvait être le salaire d'un artisan pour un travail de ce type.
M.-Chr. Marcellesi propose donc une autre explication, dont elle considère qu'elle serait corroborée par les inscriptions de Didymes et de Délos. Selon elle, la solution résiderait dans le fait que, faute de disposer de poids de petites dimensions permettant une pesée de précision, on aurait tout simplement utilisé des pièces (en fait, des pièces à fleur de coin) pour opérer la pesée des offrandes : “Le bon état des monnaies pourrait s’expliquer par le fait qu'Amos, petite localité de Carie, n’est pas un lieu d’échanges très intenses et que les monnaies frappées récemment à Rhodes arrivent rapidement dans les caisses publiques ou sacrées, vraisemblablement parce qu'elles sont peu utilisées dans les échanges quotidiens. Il est possible aussi que les trésoriers du sanctuaire aient pris soin de réserver à la pesée des offrandes des monnaies à fleur de coin”[818]. D’où apparemment la diversité des poids relevés.
La pesée d'offrandes au moyen de pièces de monnaies – dans un plateau de la balance les offrandes, dans l’autre des pièces servant comme instrument de mesure –, est une idée qui a cours depuis longtemps et qui a déjà été soutenue à propos des inventaires soit de Délos, soit de Didymes, soit des deux sanctuaires, par Th. Homolle[819], J. Coupry[820], C. H. Grayson[821] (et à sa suite par D. M. Lewis, M. Vickers et T. Linders[822],) L. Migeotte[823] et O. Picard[824].
Disons d’emblée que cette hypothèse d'une pesée à l'aide de pièces de monnaies ne peut être tenue pour satisfaisante. On sait en effet que les cités considéraient comme indispensable d'avoir des mesures étalons pour les produits de l'agora, liquides ou solides, huile, blé, noix ou autre, mais aussi pour les amphores ou pour les tuiles[825] ; qu'à Athènes on jugeait nécessaire d'avoir des magistrats spécialisés, les métronomes, pour contrôler les poids et mesures[826], la charge incombant ailleurs à d’autres magistrats du marché, en général les agoranomes[827] (et aussi, surtout à l’époque impériale et byzantine, aux ζυγοστάται[828],) qu'enfin on prenait un soin particulier à vérifer les pesées sur l’agora, comme le prouvent les grandes quantités de poids retrouvées sur tous les sites où on se livrait à des transactions[829]. Dans ces conditions, comment admettre que, s'agissant de métaux précieux, donc de produits d'une valeur bien plus considérable, on ait laissé régner flou et approximation, comme s'il s'était agi de questions sans importance ? Quand on sait que dans les sanctuaires – et aussi à Amos – on pouvait tenir des comptabilités allant jusqu’à l’obole ou à la fraction d'obole, il paraît difficile de croire que la pesée des objets précieux ait fait l'objet d'un traitement aussi négligent. Comment aurait-on pu être si rigoureux sur l'agora au profit de l’acheteur d'une mesure de blé, pour prévenir une éventuelle fraude représentant une valeur de quelques fractions d’oboles, et si laxiste dans les sanctuaires quand il s'agissait de peser des métaux précieux, argent ou or, pour servir les intérêts de la divinité, et pour des sommes pouvant aller jusqu'à plusieurs drachmes ou plusieurs dizaines de drachmes ?
En effet, le commun des mortels ne pouvait ignorer que toutes les pièces n'étaient pas exactement du même poids[830]. A fortiori, les manieurs d'argent et les spécialistes des finances devaient avoir l'expérience des légères différences entre les pièces. Pour cela, le calcul du poids exact de la pièce n'était même pas nécessaire. Il suffisait de peser deux pièces l'une par rapport à l'autre pour constater que les deux plateaux de la balance ne s'équilibraient pas : le fait que, dans l'usage quotidien, on ait non pas pesé mais compté les pièces[831] ne signifie pas qu'on n'ait pas perçu cette donnée élémentaire. Or, les spécialistes des comptes ne pouvaient ignorer qu'utiliser des poids de référence inférieurs à la norme aurait conduit à gonfler artificiellement le montant des sommes calculées : pour un objet pesant autour de 100 drachmes, comme c'est le cas pour la majorité des phiales d'Amos, qui étaient en argent, l'erreur aurait très vite atteint plusieurs drachmes[832]. Pour le même objet mais cette fois en or, la même erreur de quelques drachmes sur le poids se serait soldée par une erreur de plusieurs dizaines de drachmes en équivalent argent[833]. Une erreur d'une telle ampleur ne laisserait pas d'étonner et, au minimum, nécessiterait quelque justification supplémentaire.
Il est vrai que, selon certains auteurs, les Grecs auraient été incapables de pesées ayant une quelconque précision et d'ordinaire n'auraient même pas fait usage de poids[834]. Cette thèse est totalement démentie par les témoignages épigraphiques et archéologiques. Ainsi, la loi délienne sur le commerce du charbon de bois indique explicitement que l’une des tâches des agoranomes était de remettre aux commerçants qui étaient en règle de leur déclaration de prix la balance et les poids et mesures dont ils devraient se servir dans les échanges[835] ; de même, le décret athénien sur les poids et mesures de la fin du iie s. enjoint explicitement aux magistrats responsables[836] de fabriquer des copies des poids-étalons pouries remettre aux commerçants et interdit l’usage de tout autre poids ou mesure[837]. On ne doit pas douter qu’il en allait plus ou moins de même partout et que c'est la raison pour laquelle, à Athènes ou à Olympie par exemple, on a retrouvé des centaines de poids commerciaux, qui étaient remis aux utilisateurs par les magistrats.
Sans aller aussi loin[838], M.-Chr. Marcellesi considère qu'alors que, par la pesée à l'aide de monnaies, “les subdivisions de la drachme permettaient d'obtenir une grande précision... au contraire, les poids que l'on a pu retrouver, sur l'agora d'Athènes ou à Olympie par exemple, sont rarement inférieurs à 100 ou 200g”. Et d'ajouter : “Cette rareté des poids légers est-elle duc seulement aux aléas de l'archéologie ?”[839] Ce dernier facteur a pourtant sans doute eu un rôle non négligeable : de bronze ou de plomb, des poids de module élevé ont bien plus de chance de s'être conservés – et d'avoir été identités – que des poids pesant quelques grammes, a fortiori s'il s’agit de poids pesant moins d'un gramme[840]. Mais on concédera volontiers que d'ordinaire, sur l'agora, les marchands avaient bien davantage besoin de poids de plusieurs dizaines et centaines de grammes ou davantage (la mine et ses subdivisions ou ses multiples), plutôt que de poids d'une drachme ou moins, dont l'usage ne pouvait intéresser que des spécialistes de produits de valeur (pierres ou métaux précieux en particulier). A Athènes, il existait en fait une série de modules allant de 100 à 1 dr., en particulier entre 10 dr. et 1 dr., chaque module étant connu par un nombre suffisant d'exemplaires pour qu’on ne puisse douter que de tels poids étaient non seulement connus mais d'usage courant[841]. En outre, il existait même des poids de 4, 3, 2 et 1 obole, comme le montrait déjà le catalogue de Pernice en 1894[842].
Module (en ob.) | No Pernice | Symbole | Poids (g) | Poids rapporté à 1 dr. att. (4,366 g théor.) |
4 | 556-557 | 556 : T | 2,85 - 2,72 | 4,28 - 4,08 |
3 | 558-559 | 558-559 : ||| | 2,07 - 2,04 | 4,14 - 4,08 |
2 | 560 | 560 :.· | 1,55 | 4,65 |
1 | 561-562 | 561 : | | 0,665 - 0,65 | 3,99 - 3.90 |
On voit que l'ajustement de ces poids n'est pas parfait, l'écart par rapport au poids standard oscillant entre 2 % (pour un poids rapporté à la drachme de 4,28 g, nº 556) rapporté à une drachme et près de 11 % (pour 3,90 g, nº 561). Cependant, s'agissant de faibles modules et pour des poids de bronze ou de plomb, il est hors de doute que l'erreur liée aux conditions de conservation de l'objet (usure ou oxydation) a joué un rôle significatif pour le niveau des poids que nous pouvons observer, en proportion plus important que pour des poids de grand module, d’autant que la variation de poids porte sur quelques dixièmes de gramme seulement : par comparaison avec des pièces de métal inaltérable, or ou argent, c'est un facteur dont on doit absolument tenir compte dans l'évaluation des poids que l'on peut observer aujourd'hui. Il est vrai cependant aussi que le degré de précision que l'on pouvait atteindre pour les poids officiels de petit module reste un problème qui mériterait un nouvel examen. On se gardera néanmoins de conclure qu'en la matière régnaient amateurisme et imprécision et il paraît plus réaliste de considérer que, au moins pour les pesées de précision, les magistrats disposaient effectivement de poids convenablement réglés, avec une variation par rapport au poids défini inférieure à 1 %. Au reste, c'est précisément à Rhodes en ces années de la fin du iiie et du début du iie s., que l’on voit comment la cité pouvait jouer sur la valeur de l'unité monétaire, produisant d’abord des drachmes à
Certes, l'imprécision jouait lorsqu'il s'agissait de produire en série des dizaines ou des centaines de milliers de pièces fixées à un même module[847] – et c'est précisément la raison pour laquelle la pesée à l'aide de monnaies n'aurait pu être que fort imprécise –, l'erreur relative devenant d'autant plus importante que le module était faible. En revanche, pour la fixation de l'étalon de référence lui-même, il ne devrait pas faire de doute que la technologie des Grecs leur permettait de fixer avec une précision satisfaisante des modules inférieurs à la drachme, et même à l'obole. Plus généralement, même s'il ne peut être question de s'étendre sur le sujet, affirmer que, même pour les métaux précieux, les Grecs auraient disposé de techniques de mesure trop imprécises pour qu'ils aient pu tenir compte de poids de l'ordre de la dizaine de grammes ou du gramme, et même du dixième de gramme, relève donc à coup sûr d'une conception erronée. Dans l'antiquité comme de nos jours, toutes les pesées ne se faisaient pas avec le même souci de précision : l’épicier n’a pas à atteindre le même degré de précision que le bijoutier. En outre, s’agissant des pesées de précision, on doit veiller à ne pas confondre deux niveaux : 1) La réalité, c'est-à-dire des pesées dont l’exactitude devait au reste être variable, avec des erreurs relatives qui selon les cas devaient fréquemment être de l'ordre du 1/100 (i.e. 1/100 ou plus), mais parfois atteindre un degré de précision supérieur à 1/100 – 2) La conscience qu’on avait de cette réalité, c'est-à-dire du degré d'exactitude ou d’inexactitude de ces pesées[848]. Lorsqu'on pesait des objets précieux, on avait le souci d'atteindre un degré de précision jusqu'à l'obole, c'est-à-dire jusqu'à moins d'un gramme (une obole attique d'époque classique pèse théoriquement 0,722 g. une obole rhodienne du iiie s.
Ajoutons encore qu'il semble bien que ce soit un personnel spécialisé qui accomplissait ces pesées ; ainsi, dans le sanctuaire d'Artémis à Éphèse, c'était un ζυγοστάτης esclave sacré de la déesse qui tout à la fois accomplissait ces pesées et manifestement en était responsable, avec toutes les sanctions que pouvait encourir un esclave en cas de manquement[853].
Il n’est donc pas vraisemblable que non seulement à Amos (qui n'était nullement un obscur village arriéré, comme il est souligné ci-après), mais aussi à Athènes ou à Délos par exemple on n'ait pas disposé d'instruments de mesure satisfaisants (balance et poids) pour peser des offrandes d’or ou d'argent. Admettons cependant par hypothèse que, par exemple par commodité, l'on ait opéré ces pesées à l’aide de monnaies. On doit aussi se poser la question de la portée, de la raison, de la signification de ces pesées dont le résultat était soigneusement relevé : on sait qu'il s'agissait d'évaluer la richesse du “propriétaire” du dépôt, d'ordinaire une divinité, sous forme d'un bilan à conserver dans les archives mais souvent en outre gravé sur pierre pour le mettre à la vue de tous[854]. Autant que faire se pouvait, on avait donc intérêt à disposer de chiffres établis sur une base aussi incontestable que possible. L'imprécision liée à l'usage des monnaies, dont on savait qu’elles étaient de poids variable, n'aurait guère permis d’obtenir ce résultat.
Admettons encore néanmoins que l'hypothèse de la pesée à l'aide de pièces soit la bonne et suivons maintenant dans le détail le raisonnement qui nous est proposé : “Pour une phiale de 430 g, si la pesée est faite avec des monnaies attiques à fleur de coin de 4,3 g en moyenne, le poids indiqué sera de 100 drachmes. Si la pesée est faite avec des monnaies usées, de 4,25 g en moyenne, le poids obtenu sera supérieur à 101 drachmes. A Amos, les poids étant le plus souvent inférieurs à un chiffre rond, on peut en déduire que les monnaies utilisées pour la pesée sont des monnaies à fleur de coin. Il y en aurait donc eu, dans la caisse des trésoriers, au moins 150 drachmes ou l’équivalent, par exemple 75 didrachmes, en bon état, ayant peu circulé”[855]. Comme, toujours selon cette hypothèse, Amos aurait été un endroit où les échanges auraient été peu intenses et la circulation monétaire faible, il ne serait pas étonnant qu'on ait conservé de telles monnaies à fleur de coin dans les réserves du sanctuaire. On constate en effet que les chiffres donnés dans les inventaires d’Amos sont tous (sauf le poids de “80 drachmes” sur lequel on verra le commentaire proposé ci-après) inférieurs à un chiffre rond, 100 (4 occurrences certaines, peut-être – vraisemblablement – davantage) ou 150 drachmes (1 occurrence certaine et pas davantage). Dans l'hypothèse qui nous est proposée, à supposer qu'une phiale ait pour de bon pesé 100 drachmes, pour parvenir à des chiffres inférieurs à 100 drachmes il faudrait donc admettre que les pièces ayant servi à la pesée aient été non seulement a fleur de coin, mais que, prises ensemble, les 100 pièces de 1 drachme, 50 didrachmes ou 25 tétradrachmes aient eu en moyenne un poids
Un point de détail vient ajouter à la difficulté que l'on ressent à accepter l’hypothèse de la pesée à l’aide de monnaies. L’un des chiffres de l’inventaire d’Amos comporte la mention de 4 oboles. Or, selon M.-Chr. Marcellesi, à la fin du iiie s. ou au début du iie s. Rhodes ne possédait pas de monnaies d'argent de valeur inférieure à l'hémidrachme. Comment aurait-on donc pu calculer cette valeur d'une obole d'argent ? M.-Chr. Marcellesi considère que les monnaies de bronze avaient un poids trop fluctuant pour qu’on puisse les utiliser comme instrument de pesée et elle suppose que le texte de l'inscription doit être corrigé : il faudrait lire 3 oboles et non 4. Mais ces arguments sont désespérés. Tout d'abord, on doit relever qu'il existait bien à Rhodes des dioboles d’argent, et cela du ive au iie s. a.C. Ensuite, s’agissant des monnaies de bronze, ce n'est pas leur poids fluctuant qui aurait interdit d'utiliser des monnaies dans des pesées, mais tout simplement le fait que, leur métal ayant une valeur plus faible que celui des monnaies d'argent, elles avaient un poids qui les faisait entrer dans une autre série de modules pondéraux que les monnaies d'argent : déterminer le poids d’une obole d'argent à
Contre la théorie de la “pesée par les monnaies”, ajoutons encore qu’utiliser des pièces comme instrument de référence aurait inévitablement conduit à une surévaluation systématique des pesées. A la fin du iiie s., les tétradrachmes rhodiens avaient un poids de
La question du déficit du poids effectif des offrandes par rapport à leur poids nominal est en réalité un problème classique[858]. Pour D. M. Lewis, faire la dédicace d’une couronne d’or de 500 drachmes (d’argent) signifiait qu'on avait dépensé 500 drachmes, et non pas que la couronne devait peser 500 drachmes d’or[859]. C’est ce principe qu’il a appliqué aux offrandes en or des inventaires athéniens pour calculer le rapport or/argent à Athènes aux ve et ive s. Il est vrai que, quelles que soient les déductions à faire à la somme libellée en argent (dans son article de 1968 D. M. Lewis ne signalait lui-même que le salaire de l'artisan), elles s’appliqueraient uniformément à la série d’objets considérés et ne modifieraient donc pas la courbe d’évolution du rapport/argent[860]. Valable en ce qu’il souligne qu’il s'agit bien d'une dépense de 500 dr. (d'argent) et non d'un poids en or, le principe selon lequel une offrande d’un poids de x drachmes correspondait à une dépense de x drachmes ne peut cependant être accepté à la lettre, comme le cas des phiales d’Amos le montre de manière éloquente. Si l'on l’appliquait aux “phiales de 100 drachmes” d’Amos (qui en réalité pouvaient peser par exemple 97 dr. 4 ob., 1. 37, ou 98 dr., 1. 25), on devrait considérer que la dépense des dédicants aurait été de 100 dr. seulement. Or trois éléments, dont deux ont été mis en évidence par D. M. Lewis lui-même, montrent qu'il ne peut en avoir été ainsi.
• Le premier point est celui du salaire de l'artisan. Malgré M.-Chr. Marcellesi, on doit relever qu'il n'est pas exact d'affirmer que l'on n'ait aucune idée du salaire des artisans orfèvres. Pour Athènes, avec beaucoup de prudence il est vrai, D. M. Lewis a retenu des coûts de fabrication à
• Le second point est celui de la perte à la fonte et au travail de l'objet. Même avec des techniques modernes, il semble qu'on ne puisse aujourd'hui tomber en dessous de 1 %, ne serait-ce que par sublimation du métal. Dans un cas de refonte à Athènes, on constate une perte de l'ordre de 10 %[867], dans un autre de 6 %[868]. Il est impossible de connaître avec exactitude le coefficient de perte à la fonte et au travail à Rhodes, mais on ne voit guère comment il aurait pu être inférieur à
• Un troisième point, négligé cette fois par D. M. Lewis, doit encore être évoqué : celui du poids effectif des monnaies. Comme on l’a vu précédemment, ces monnaies n'avaient pas toutes le poids qu'elles auraient dû avoir. Même s'il est vrai qu'à Rhodes la divergence d'avec le poids nominal paraît avoir été moins grande que dans d’autres cités, elle ne contredit pas la règle, qui vaudrait seulement ailleurs avec plus de force, selon laquelle les didrachmes et les drachmes des cités hellénistiques étaient frappés à moins de la moitié ou du quart du tétradrachme[869]. Ensuite, leur circulation plus ou moins longue leur faisait perdre une fraction supplémentaire, même très faible, de leur poids standard (c’est la question du frai des monnaies[870].)
On peut maintenant tenter de reconstituer le processus de fabrication et le coût d'une phiale d'Amos, qui devait peser “environ 100 dr.”, et non pas correspondre à une dépense de 100 dr. pour les dédicants, comme le montre par exemple un décret attique du dème d’Acharncs qui signale qu'un magistrat a fait fabriquer une phiale “pesant une mine d'argent, selon la loi” ([φ]ιάλην πεπόηται μ[ν]ᾶν ἄγουσα|ν ἀργυρίου [κ]ατὰ [τὸν νόμον], Steinhauer 1992, 1. 7-8). Il fallait d'abord réserver 6 à 8 dr. comme salaire de l’artisan. Ensuite, on devait tenir compte de la perte à la fonte et du poids nécessairement mal ajusté des monnaies. On peut imaginer que les dédicants faisaient peser, pour un poids convenu, les pièces qu’ils remettaient – ils avaient donc intérêt à remettre des tétradrachmes, d'un poids mieux ajusté que celui des didrachmes et des drachmes, limitant ainsi la perte en valeur monétaire à 1 ou 2 dr. peut-être[871]. Le poids de métal convenu avec l'artisan était nécessairement supérieur au poids-objectif de 100 dr., peut-être majoré forfaitairement de 5 dr., à charge pour l’artisan de contenir la perte à la fonte dans des limites qui vraisemblablement étaient fixées par avance dans le contrat de fabrication, sous peine de pénalité, cela pour éviter la fraude : une pesée de contrôle lors de la remise de la phiale par l’artisan devait permettre d'en apporter la preuve. Au total, pour une “phiale de 100 dr.”, la dépense effective ne peut guère avoir été inférieure à
Ainsi s’explique au mieux la différence entre poids nominal et poids effectif. Les “phiales de 100 dr.” d’Amos, Didymes, Myonte, Bargylia, Mylasa, etc., relèvent du même processus de fabrication, de même que plus généralement, dans toutes les cités, toutes les offrandes dont le poids était rituellement fixé à l’avance[872]. Le poids effectif était en général légèrement inférieur au poids-objectif. Mais ce n'était pas toujours le cas. C’est ainsi qu’on peut expliquer comment, à Athènes au ive s., sur les vingt premières hydries d'argent du sanctuaire d’Athéna d’un poids nominal de 1 000 dr., 18 aient un poids légèrement inférieur au poids-objectif, mais deux d’entre elles aient un poids supérieur à celui-ci[873]. Cette donnée resterait tout à fait inexplicable en dehors de la théorie du “poids-objectif” précédemment exposée[874].
On voit qu’on n’a nul besoin d’avoir recours à la thèse de la “pesée par les monnaies” pour expliquer le déficit pondéral des offrandes par rapport à leur poids nominal. Malgré tout, dans la mesure où l’on a pensé pouvoir s'appuyer sur certains formulaires des inscriptions de Délos et de Didymes pour justifier cette thèse, il convient donc encore de lever ces objections censées avoir une valeur décisive, la première étant la mention de pesées πρὸς ἀργύριον à Délos, la seconde celle de mentions d'objets sans précision d'ολκῆς καὶ νομίσματος dans les inscriptions de Didymes.
Le sens de la formule πρὸς ἀργύριον, qu’on trouve à de nombreuses reprises dans la littérature, les incriptions et les papyri, mérite d’être examiné en détail. Lorsqu’elle n'indique pas qu'une action est accomplie “dans le but” d’obtenir de l’argent (sens du dictionnaire
Sur les dizaines de mentions de l’expression πρὸς ἀργύριον qui toutes entrent dans l'une des deux catégories précitées, il ne reste à notre connaissance qu'un seul cas qui puisse faire directement allusion à une pesée de monnaies. Il s'agit d'une pratique cultuelle qui nous ramène en Égypte. Hérodote (2.65) signale : “Les habitants de ces villes s'acquittent chacun de leurs vœux en priant le dieu auquel l'animal est consacré ; pour cela, ils rasent la tête de leurs entants, soit en totalité, soit à moitié, soit au tiers, et ils pèsent les cheveux au poids de l’argent ; l'argent pesé, ils le donnent à la gardienne des animaux, qui en échange de cet argent, fournit à ses bêtes des poissons coupés par ses soins. Telle est la nourriture qu'il reçoivent” (οἱ δὲ ἐν τῇσι πόλισι ἕκαστοι εὐχὰς τάσδε σφι ἀποτελέουσι εὐχόμενοι τῷ θεῷ τοῦ ἂν ᾖ τὸ θηρίον ξυροῦντες τῶν παιδίων ἢ πᾶσαν τὴν κεφαλἠν ἢ τὸ ἥμισυ ἢ τὸ τρίτον μέρος τῆς κεφαλῆς, ἱστᾶσι σταθμῷ πρὸς ἀργύριον τὰς τρίχας· τὸ δ’ ἂν ἑλκύσῃ, τοῦτο τῇ μελεδωνῷ τῶν θηρίων διδοῖ · ἡ δ’ ἀντ’ αὐτοῦ τάμνουσα ἰχθῦς παρέχει βορὴν τοῖσι θηρίοισι. Τροφὴ μὲν δὴ αὐτοῖσι τοιαύτη ἀποδέδεκται)[880]. Cette fois-ci, il ne fait aucun doute qu’on a bien affaire à une pesée d'argent. A l’époque d’Hérodote, il ne s’agit probablement pas encore d’argent monnayé, même si les Grecs l’introduisirent en Égypte depuis le tournant du vie et du ve s. En l’occurrence, l'argent servait à acheter du poisson et servait donc indubitablement d'instrument d’échange.
C'est à la même pratique que fait allusion Diodore (1.83.2) et le changement dans le détail de l’expression mérite d'être relevé : “Les habitants de l'Égypte font des vœux aux divinités pour leurs enfants sauvés de maladie. Après leur avoir rasé les cheveux et pesé leur poids d’argent ou d’or, ils donnent le montant du numéraire aux gardiens des animaux précédemment évoqués” (ποιοῦνται δὲ καὶ θεοῖς τισιν εὐχὰς ὑπὲρ τῶν παίδων οἱ κατ’ Αἴγυπτον τῶν ἐκ τῆς νόσου σωθέντων· ξυρήσαντες γὰρ τὰς τρίχας καὶ πρὸς ἀργύριον ἢ χρυσίον στήσαντες διδόασι τὸ νόμισμα τοῖς ἐπιμελομένοις τῶν προειρημένων ζῴων)[881]. Cette fois-ci, la monnaie étant devenu d'usage courant en Égypte, il est normal que Diodore évoque le νόμισμα, qui est ici sans aucun doute possible du numéraire. Pour autant, s’agit-il de “pesée par les monnaies” ? En aucune façon : en effet, on voit que ce n’est pas le poids des cheveux qui est déterminé par le montant en numéraire, mais bien le poids du numéraire qui est déterminé par le poids des cheveux, ce qui est radicalement l’inverse d’une “pesée par les monnaies”. En d’autres termes, on ne se soucie pas de peser les cheveux : pour cela, on n'aurait nullement eu besoin de pièces de monnaies. Il s’agit en tait, dans le cadre d’une procédure rituelle, et non pas d'une procédure technique, de “rendre” au dieu en argent autant que ce qu'il a accordé à l’enfant en le sauvant de la maladie. On remarquera que, en la circonstance, par la procédure de la pesée, le numéraire est traité comme du métal non monnayé, même si pour le destinataire final.
Relevons enfin que dans les papyrus égyptiens d'époque ptolémaïque on trouve à de nombreuses reprises (plusieurs dizaines de fois) l’expression πρὸς ἀργύριον pour signaler que des sommes doivent être comptées “selon l’étalon d’argent”. En effet, après l’introduction de la monnaie de bronze, un agio de
La conclusion préliminaire qui se dégage de l’analyse de l’emploi de la formule πρὸς ἀργύριον est donc qu’on ne saurait nullement considérer a priori que son emploi doive nécessairement renvoyer à une pesée à l’aide de monnaies, même s’il est vrai que, dans le cas des inventaires de sanctuaire, la formule mérite de recevoir une jutification détaillée. En fait, le mot ἀργύριον signifie certes “argent” (donc peut renvoyer à de l'argent monnayé), mais tout aussi bien “étalon”[886].
On commencera ici volontairement par le document chronologiquement le plus tardif. Il s'agit d'un passage du décret sur les poids et mesures datant du dernier quart du iie s. a.C. Ce document fait apparaître la formule προς άργύριον dans un contexte de pesée[887] : § 4, 1. 29-33 ἀγέτω δὲ καὶ ἠ μνᾶ ὴ ἐμπορική στε[φανηφ|όρου δραχ|μὰς ἐκατὸν τριάκοντα κ[αὶ] ὀκτὼ πρò[ς] τὰ στάθμια τὰ ἐν τῶι ἀργυροκοπίωι [κ]αὶ | [ῥοπ]ὴν σ[τε]φανηφóρου δραχμὰς δεκαδύο, καὶ πωλε[ίτ]ωσαν πάντες τἆλλα πάντα ταύ|[τηι] τῆι μνᾶι πλὴν ὅσα πρòς ἀργύριον διαρρήδην εἴρηται πωλεῖν, ἱστάντες τòν πῆχυν τοῦ ζυγ[οῦ | ἰσόρ]ροπον ἄγοντα τὰς ἐκατὸν πεντήκοντα δραχ[μὰ]ς τοῦ σ[τεφανηφ]όρου. On donnera de ce passage la traduction suivante : “Que la mine commerciale pèse cent trente huit drachmes portant une couronne en fonction des poids de l’atelier monétaire, avec un supplément de douze drachmes portant une couronne, et que tout le monde vende toutes les denrées sur la base de cette mine (sauf pour ce dont il est précisé expressément que la vente doit se taire selon l'unité de poids de l'argent) en plaçant le fléau horizontalement pour l'équivalent de cent cinquante drachmes portant une couronne.” Remarquons au passage, si besoin était, que bien que l'on définisse la mine commerciale par référence à la mine monétaire, il est parfaitement clair dans le passage cité qu’on utilise des poids, στάθμια, pour effectuer la pesée : les στεφανηφόρου δραχμαί dont il est question ici ne sont pas des pièces, mais bien un étalon, celui qui est utilisé aussi bien pour les pièces du Nouveau Style que pour les poids de l’atelier monétaire (où bien évidemment on ne pesait pas les monnaies avec des monnaies mais avec des poids étalonnés). Surtout, M. Lang a clairement expliqué la signification de ces lignes. A Athènes, on distinguait étalon de poids et étalon monétaire. Solon avait fixé la mine commerciale à 105 drachmes monétaires[888]. J. H. Kroll a ainsi publié deux poids attiques (qu’il date du ive s.) en bronze et pouvant donc servir de référence (car moins susceptibles de variations que les poids “ordinaires” en plomb des commerçants), portant la légende δημό(σιυν) et la contremarque officielle de la cité (chouette dressée de face entre deux branches d’olivier, avec les lettres [Θ]ΑΕ) : or, ces deux poids sont respectivement marqués “26 dr. 1 1/2 ob.” et “13 dr. 3/4 ob.”, et correspondent donc à un quart et à un huitième d’une mine commerciale solonienne à 105 dr. d’argent[889]. Plus tard, la mine commerciale évolue encore, pour passer à 110 drachmes[890], puis à 138 drachmes monétaires, avant de connaître une nouvelle mutation (décret de la fin du iie s. a.C.) pour peser 150 drachmes monétaires[891]. Le décret distingue donc le commun des marchandises, qui devait être pesé selon l'étalon de la mine commerciale[892], et une liste fixée de marchandises (or et argent naturellement, mais aussi vaisemblablement liste limitée d'autres marchandises précieuses ou semi-précieuses), qui, elles, devaient être pesées selon l'étalon de l'argent, d’où la traduction de πρὸς ἀργύριον proposée : “selon l'unité de poids de l'argent”, i.e. selon “l'étalon de l'argent”. On voit combien il était important de préciser selon quelle unité se faisait la pesée.
Deux autres documents athéniens, chronologiquement antérieurs au décret de la fin du iie s., font mention de pesée πρòς ἀργύριον. L'inventaire du sanctuaire d'Athéna
Le second document est un inventaire de l'Asclépiéion.
Reste à comprendre dans ce contexte le sens de la formule πρòς ἀργύριον, qui n’était pas commenté par A. M. Woodward et S. Aleshire. Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées pour en rendre raison : 1) Qu'on ait pratiqué une opération de pesée particulière dans les cas mentionnés, et uniquement dans ceux-là – 2) Que l’on ait pratiqué toujours une certaine opération de pesée qui, au contraire, aurait été mentionnée uniquement dans ces deux cas – 3) Qu’il s'agisse d'une simple mention aléatoire, d'un ajout correspondant seulement à une variante de formulaire justifiée par un contexte particulier. Les deux premières hypothèses tombent d'elles-mêmes : la première parce qu'on ne voit pas ce qui dans les deux offrandes mentionnées aurait mérité un traitement spécial, et la seconde parce que l'usage de poids est trop bien attesté pour qu’on puisse sérieusement affirmer qu’en Grèce ancienne on ait fait un usage universel des monnaies comme instrument de pesée. Cette mention était donc une simple mention marginale, apparaissant de manière aléatoire lorsqu’on pesait des matières autres que l’argent : on rappelait ainsi qu’elles étaient pesées “selon l’étalon d’argent”, i.e. pas selon l’étalon de la mine commerciale, et qu’on avait donc affaire a des drachmes-poids d’un métal autre que l’argent, mais ici assimilé à l’argent pour le mode de pesée. Les inventaires de Délos confirment ce point de vue et permettent de le justifier de manière complète.
Dans les inventaires de Délos, la mention de pesée πρòς ἀργύριον ou πρòς ἀργύριον Ἀττικòν ὁλοσχερές a de même paru être un argument incontournable en faveur de la thèse de la “pesée par les monnaies”[904]. On peut pourtant montrer que tel n'est pas le cas.
— Dans les inventaires de l'époque classique, on voit apparaître la mention τάδε πρὸς ἀργύριον ἐστάθη pour indiquer une pesée selon l’étalon d’argent d’objets dont soit la matière est manifestement composite (or et argent, par exemple des statuettes faites d’or et d’argent)[905], soit n’est pas explicitement indiquée mais dont en conséquence on peut aussi supposer qu’elle était tout aussi composite[906]. On soulignait ainsi que ce n’était pas la valeur de l’objet qui était en cause, mais seulement le poids, compté selon l’étalon d’argent.
— Dans des inventaires de l’indépendance où sont mentionnés des objets précieux de nature diverse, en particulier des objets d’or et d’or blanc, la formule προς ἀργύριον apparaît manifestement pour signaler que les objets apparaissant dans la suite du texte sont en argent ou sont assimilés à de l’argent, cf.
— Dans un contexte particulier, celui de la mention du poids de couronnes d'or dont le poids est donné en drachmes, apparaît également la formule πρὸς ἀργύριον. Il s'agit de l'inventaire de l'indépendance
La seule différence d'avec les autres entrées, pour le reste en tous points semblables, tient donc à la mention πρòς ἀργύριον. En revanche, on constate que les deux offrandes ont en commun d'être en or et de se succéder l'une à l'autre dans le groupe des entrées enregistrées sous le même archonte, après une curieuse entrée qui fait mention d'une première couronne d'or, στέφανος χρυσοῦς, ὄν ἀνέθηκεν Τίτος Ῥωμαῖος ὁλ(κὴ) ὀβολοὶ ||. On a vu précédemment que, sous l’archontat de Xénôn, avait été répertoriée la dédicace de Flamininus d'une couronne d'or de 110 dr. Le poids de deux oboles pour la couronne, qui à notre connaissance n’a pas été commenté, est évidemment absurde : il faut supposer que le chiffre principal, libellé en drachmes ou peut-être en
On voit donc que, comme pour les sanctuaires d'Athènes, les arguments en faveur d’une simple mention aléatoire sont les seuls que l’on puisse retenir pour en justifier l’emploi dans les inventaires de Délos. On doit d’abord souligner que, compte tenu des répétitions de formulaires au fil des inventaires pour des objets identiques, la formule apparaît rarement (en fait, compte tenu des répétitions d’un inventaire à l'autre, seulement à trois reprises). Or, Délos a longtemps été sous le contrôle d’Athènes. Sauf entre 404 et 394 et dans les premières années qui ont suivi la Paix du Roi de 386, Athènes a exercé une domination continue sur Délos depuis l’époque de Pisistrate jusqu’à 314. On doit ainsi rappeler qu’au ve s. Athènes avait pris un décret pour imposer aux cités de son empire l’usage des monnaies, mais aussi des poids et mesures attiques[909]. Il paraît donc au moins vraisemblable que, comme Athènes, Délos ait elle aussi connu une distinction entre mine commerciale et mine-argent. On sait en tout cas que ce n’est pas seulement le poids des objets d'or et d'argent qui apparaît dans les comptes et inventaires déliens, mais aussi celui d'une série d'autres denrées ou matières de nature différente : fer, étain, bronze, plomb, bois et charbon de bois, pierre, mais aussi ivoire brut, cire, résine, ocre, blanc de céruse, gomme, pourpre ou bitume[910]. Le décret délien sur le commerce du charbon de bois fait allusion à des σταθμὰ ξυληρά (1. 2) ou à des μέτρα ἀνθρακηρά (1. 40), ce qui montre l'usage d'un système de mesure particulier - mais il est vrai que le bois était un produit tout à fait spécifique[911]. Il est donc probable que, comme à Athènes dans les inventaires d’Athéna et d'Asclépios, c'était pour rappeler la distinction entre mine argent et mine commerciale qu’on mentionnait parfois pour des matières autres que l’argent qu'on avait pratiqué une pesée πρòς ἀργύριον.
— Reste le cas particulier de l’inventaire de 250 a.C.,
Pour répondre à toutes les objections en faveur de la thèse de la “pesée par les monnaies”, on doit encore rendre compte de l'existence à Olyntpie d'un poids d'argent d'époque classique, aujourd'hui mutilé et pesant 27 g (originellement sans doute
Contre la thèse de la “pesée par les monnaies”, on doit encore évoquer la mention de
On objectera encore cependant qu'il arrive aussi que dans certains comptes des objets pesés plusieurs fois n’aient pas le même poids[920]. Faut-il en conclure, comme on l’a fait, que ces différences tiennent à l’imprécision de la pesée par les monnaies ? En réalité, d’une pesée à l’autre, on sait que les objets pouvaient éventuellement se détériorer, donc que leur poids pouvait diminuer[921]. Lorsqu’on constate en revanche une série de hausses dans le poids de certains objets, comme c'est le cas pour une série de huit couronnes qui avaient été consacrées bien longtemps auparavant à l'époque classique et qui subirent une pesée de contrôle en 279 a.C. (cf.
Tout d’abord, rien ne prouve que le poids de toutes les couronnes ait été vérifié : sinon comment justifier que sur plus de vingt couronnes[924], malgré les détériorations inévitablement intervenues sur des éléments aussi fragiles et avec l’imprécision liée à toute pesée, on soit parvenu exactement au même chiffre, à l’obole près, pour la majorité d’entre elles ? A propos des vingt-sept hydries du trésor d’Athéna d’Athènes dont le poids était rigoureusement identique pendant près de soixante ans, J. Tréheux admettait lui-même qu’une telle absence de changement tenait tout simplement au fait que le poids en était régulièrement reproduit d’année en année, sans nouvelle pesée[925] : pourquoi n’en irait-il pas de même a fortiori pour les couronnes déliennes, subissant une pesée de contrôle des dizaines d'années après avoir été consacrées[926] ? Tout indique donc que seules les huit couronnes en question subirent effectivement une pesée de contrôle, et que pour les autres on se contenta de copier le poids porté sur l’étiquette, comme on l’avait déjà fait si souvent et comme on continuera de le faire par la suite, pour des raisons dont la sécheresse des inventaires ne nous permet pas de prendre connaissance, mais dont on peut penser que la crainte de les détériorer fut l’élément décisif[927].
Ensuite, c’est encore une fois prêter beaucoup d’amateurisme aux préposés aux inventaires que de penser qu’ils ne se rendaient pas compte qu’en pesant la tablette de bois appendue à la couronne, ils ne pouvaient retrouver le chiffre porté sur “l’étiquette”[928]. On sait aussi que, d’ordinaire, on essayait d’éviter de peser ensemble métal précieux et éléments annexes[929]. L’explication par la pesée avec la tablette de bois ne peut non plus rendre compte du fait que les poids du compte de 279 sont variables, alors que si l’on avait pesé des tablettes de poids plus ou moins standard on se serait attendu à trouver des différences uniformes.
Ce problème a suscité une légitime perplexité[930] Plus généralement, en une conception typiquement primitiviste, on a ainsi voulu expliquer les incohérences des pesées, réelles ou supposées, des inventaires déliens par la médiocrité des balances grecques antiques, supposées toujours défectueuses, et par l’usage d’un instrument de mesure aussi médiocre que les pièces de monnaies[931]. On proposera ici aux spécialistes des inventaires une esquisse d’interprétation, en sachant que ce sont en fait toutes les variations de poids d’offrandes qu’il faudrait prendre en compte. Pour les couronnes, les données simplifiées sont les suivantes[932] :
No de la couronne
Poids inscrit
(époque classique)
Poids en 279
(indépendance)
Poids inscrit
/ poids de 279. En %
5
113 dr. 3 ob.
118 dr. 3 ob.
0,958
10
92 dr. 3 ob.
96 dr.
0,963
6
63 dr.
65 dr.
0,969
15
82 dr. 2 ob.
84 dr. 3 ob.
0.974
1 1
66 dr. 4 ob.
68 dr.
0,980
20
100 dr.
101 dr. 3 ob.
0,985
13
82 dr. 5 ob.
83 dr. 3 ob.
0,992
19
82 dr. 2 ob.
82 dr. 3 ob.
0,997
Il est vrai que Délos indépendante utilisait toujours l'étalon attique, comme l'a souligné à juste titre J. Tréheux[933]. Mais on sait que, avec des variantes à la fois locales et chronologiques, l’étalon attique a connu un fléchissement au cours de l'époque hellénistique, comme le montrent entre autres les émissions d’alexandres ou autres monnaies d’étalon attique postérieures au ive s. : pas avant 173/172 pour les tétradrachmes séleucides, à la fin du iiie s. pour les monnaies attalides[934], dès les années 275 manifestement pour les alexandres du Pont comme le montre entre autres le cas des monnaies de Mesembria[935]. Cet étalon attique réduit semble avoir été fondé sur une drachme à
On ne doit pas négliger que les couronnes ne conservaient pas nécessairement un poids immuable : objets d'une exceptionnelle fragilité, elles étaient par essence sujettes à des pertes de poids, variables de l’une à l’autre. En fait, celles dont le “poids de l’indépendance” est le plus proche de celui du “poids de l’époque classique” sont celles qui avaient le plus perdu de poids, tandis que celles dont le poids a le plus “augmenté” sont en réalité celles dont le poids est resté le plus stable : pour une couronne qui, par hypothèse, aurait gardé son poids de 100 drachmes du ive s., il faudrait s’attendre à trouver un poids de 104 dr. 2 ob. avec l’étalon attique réduit. Les trois couronnes nº 5, 6 et 10, dont le poids de l’époque classique ne représente que
Pour le reste, le coefficient d’erreur lié à toute pesée peut suffire à expliquer de légères variations aléatoires pour les autres objets pesés à plusieurs reprises[937], sans qu’il soit besoin d’aller chercher l’argument du recours à des monnaies comme instrument de mesure. Mais les autorités des cités ou des sanctuaires n’auraient guère eu intérêt à introduire un coefficient d’erreur incontrôlable venant s’ajouter à l’inévitable coefficient d’erreur des pesées. Enfin, en dehors du cas particulier du monnayage amphictionique émis à Delphes et pendant une courte durée, l’idée que la pesée à l’aide de pièces de monnaies aurait pu avoir pour but de permettre de savoir de combien de pièces on aurait disposé en cas de refonte paraît encore moins défendable dans le cas d’un inventaire de sanctuaire[938] : les autorités monétaires d’une cité pouvaient en avoir le souci (mais alors, précisément, elles n’auraient pas opéré une pesée à l’aide de pièces), pas les autorités d'un sanctuaire.
Ajoutons aussi au passage que, dans les comptes delphiques, le processus de calcul de l'
Pour conclure, on voit qu'il est possible de donner une interprétation synthétique des différents emplois de la formule πρὸς ἀργύριον, qui unifie le sens de ses occurrences dans les sources littéraires, les papyri et les inscriptions. S'appliquant à un objet ou une matière qui n'était pas en argent, ou seulement partiellement, la formule πρὸς ἀργύριον signifie 1) Employée dans un contexte de vente : “au poids de l'argent” (donc selon la valeur de l'argent correspondant à ce poids) – 2) Employée dans un contexte monétaire : “en équivalent selon l'étalon d'argent” (pour des monnaies de bronze) – 3) Employée dans un contexte de pesée : “compté selon l'unité de poids de l'argent”, i.e. comptabilisé à un poids qui serait celui de l'objet ou de la matière si il ou elle était en argent. En d'autres termes, la formule πρòς ἀργύριον signifie toujours “au poids de l'argent”, mais cette formule prend une signification spécifique à son contexte d'utilisation, “en argent compté” (1) ou “en compte d’argent” (2 et 3), selon que l’on mettra au premier plan le métal-argent et sa valeur ou l’unité de référence (monétaire ou métrique) utilisée pour établir la quantité de métal. Pour ce qui est de la formule délienne plus technique πρòς ἀργύριον Ἀττικòν ὁλοσχερές, elle signifie “compté selon l'unité de poids d'argent attique complète”, i.e. “selon l'étalon attique plein”. On voit encore une fois que la thèse de la “pesée par les monnaies” ne peut trouver aucun argument dans l'emploi de la formule πρὸς ἀργύριον.
Il reste encore à justifier la formule des inventaires de Didymes selon laquelle certaines offrandes portaient la mention ἀνεπίγραφος ὁλκῆς καὶ νομίσματος. On a voulu y voir la preuve que les objets en question étaient pesés à l'aide de monnaies[941]. Cette présentation des choses ne résiste pas à l'analyse. L'étude de B. Haussoullier sur Milet et le Didymeion, publiée en 1902, donnait pourtant déjà la clé du problème[942]. Il est regrettable que son interprétation n'ait pas été suivie, ou prise en compte, par ceux qui ont traité plus récemment de cette question. C'est donc en nous plaçant directement dans la ligne du propos d'Haussoullier qu'on présentera ici brièvement une nouvelle argumentation de la question, en tenant compte des travaux intervenus depuis la publication de ses
Soulignons d'emblée qu'en soi la formule n'indique nullement que l'on ait effectué une pesée à l'aide de monnaies. Les deux génitifs, ὁλκῆς καὶ νομίσματος, donnent deux indications de nature différente, même si évidemment on ne peut que considérer que ces deux indications étaient étroitement liées entre elles. S'agissait-il d’indiquer d’une part un poids, d'autre part une valeur en numéraire, en supposant que les inscriptions portaient deux chiffres différents ? Telle n’est certainement pas la bonne solution.
Si l’on observe les indications des inventaires de Didymes, on voit que les textes des iiie-Ier s. font mention d’une part d’un chiffre indiquant le poids, d’autre part de l’unité de référence, drachmes d’Alexandre le plus souvent, mais aussi drachmes rhodiennes ou drachmes locales de Miletl[943].
Les monnaies milésiennes de type local du iiie et de la première moitié du iie S. a.C. étaient émises selon un étalon particulier, dit “persique”, de
• Ἀλεξάνδρειαι (dr.) :
• Ῥόδιαι (dr.) :
• Μιλήσιαι (dr.) :
A Milet, cette diversité des unités de référence pour l'argent, à la différence de ce que l’on constate à Athènes ou à Rhodes, obligeait en fait à une telle mention complémentaire[947] : la seule indication du poids n’aurait pas été suffisante, ou aurait introduit une dangereuse incertitude, dans la mesure où coexistaient plusieurs systèmes de références[948]. Mais naturellement, il s'agit bien ici de drachmes-poids et non pas de monnaies[949]. On remarquera que chez Aristophane,
S'agissant des inventaires de Didymes, un point mérite cependant encore d'être expliqué. Les inventaires font apparaître des poids d'offrandes soit avec une précision allant jusqu’à l’obole voire à la fraction d’obole, soit en chiffres ronds, cela bien souvent dans le même inventaire[953]. Ceci oblige à réfléchir à la nature réelle de ces inventaires. La présence de nombreux chiffres ronds au côté de chiffres précis invite à considérer qu’on a affaire à des chiffres qui ne correspondent pas à des pesées effectives au moment de l'inventaire mais à des chiffres qui avaient été lus sur l'objet par le préposé du sanctuaire, et reproduits tels quels. C’est en fait la procédure d’établissement du texte des inventaires de Didymes qu’il convient de rappeler.
— Le document 424 illustre la procédure par laquelle les offrandes entraient dans le trésor du sanctuaire[954]. Il s'agit d'une lettre du roi Séleucos ier et de son fils Antiochos, le futur Antiochos ier, datée de 288/287, qui indique 1. 1 1-16 : “Nous avons envoyé Polianthès apporter au sanctuaire d'Apollon de Didymes, pour en faire la dédicace aux dieux sauveurs, le grand chandelier et des vases d'or et d'argent, portant des inscriptions” (ἀφεστάλκαμεν εἰς | τὸ ἱερὸν τοῦ Ἀπόλλωνος τοῦ ἐν Διδύμοις | τήν τε λυχνίαν τὴν μεγάλην καὶ ποτήρια | χρυσᾶ καὶ ἀργυρᾶ εἰς ἀνάθεσιν τοῖς θεοῖς | τοῖς Σωτῆρσι κομίζοντα Πολιάνθην ἐπι|γραφὰς ἔχοντα)[955]. La lettre précise un peu plus loin. 1. 25-29 : “J'ai dressé pour vous la liste des objets d'or et d'argent qui ont été envoyés au sanctuaire, pour que vous puissiez connaître la nature et le poids de chacun d'entre eux” (τῶν δὲ ἀφεσ|ταλμένων χρυσωμάτων καὶ ἀργυρωμάτ|ων εἰς τò ἱερὸν ὑπογέγραφα ὑμῖν τὴν γραφήν, | ἵνα εἰδῆτε καὶ τὰ γένη καὶ τòν σταθμὸν | ἑκάστου). La liste est donnée en annexe de la lettre, annoncée par un titre, 1. 30 : γραφὴ χρυσωμάτων τῶν ἀφεσσταλμένων κτλ. Elle indique le poids des objets, à l'obole près : ces objets ont donc été soigneusement pesés avant d'être envoyés. L'unité de référence n’est pas indiquée, mais il s'agit évidemment de la drachme attique, qui était l'unité de référence dans le royaume séleucide. La liste envoyée par le roi a donc été reproduite telle quelle, sans doute après une simple pesée de contrôle pour authentifier les objets et vérifier leur poids. Il est bien clair que les autres offrandes, celles des cités étrangères mais aussi celles des particuliers et même celles de la cité de Milet, entraient dans le trésor du santuaire par une procédure analogue. D'ordinaire, cependant, on ne reproduisait pas le document d'accompagnement, puisque la source n'en était pas aussi prestigieuse et que la valeur de l'offrande était moins importante : on se contentait de noter dans l'inventaire des entrées de l’année le poids mentionné sur la lettre d'accompagnement et inscrit sur l'objet. On remarque que les offrandes de Séleucos ont des poids qui ne correspondent pas à des chiffres ronds : ces poids étaient fonction de la forme complexe de l'objet offert. En revanche, les offrandes de cités ou de particulier correspondent souvent à des chiffres ronds : en ce cas, on avait décidé d'offrir par exemple une phiale de “90” ou “100” drachmes, et le poids de l'objet s'en trouvait
— Même sans le document précité, d’autres éléments auraient permis de reconstruire la procédure qu’on vient de décrire. Dans certains cas, les offrandes portent en effet la mention ἀνεπίγραφος (467,1. 20), ou ἀνεπίγραφος ὁλκῆς καὶ νομίσματος (467,1.12 ; 468, 1. 6 et 8 ; 13 ; 469, 1. 7) ou encore ὁλκὴν ἀνεπίγραφον (433, 1. 20). Or, dans ce cas, le poids n'est pas indiqué : preuve que les préposés du sanctuaire ne pesaient pas effectivement les offrandes qu'ils enregistraient. Dans d’autres cas apparaît la mention “portant une inscription”[956], mais qui semble ne devoir être entendue que comme une précision supplémentaire. Dans la majorité des occurrences, en effet, on a certes seulement l’indication de poids et d’unité, sans plus de précision : néanmoins, ces offrandes devaient elles aussi porter une inscription, tout comme celles pour lesquelles cette indication nous est donnée de manière explicite. Le poids de nombre de ces occurrences correspondant à des chiffres ronds, on peut conclure que dans ces cas-là du moins, mais certainement aussi dans les autres (montants à l'obole près) tout simplement parce que les inventaires mélangent souvent les deux types de données, on n’avait pas fait de pesée et on s’était contenté de lire le chiffre indiqué sur l’offrande.
— Relevons enfin que les poids libellés en drachmes rhodiennes émanent d’Iasos (464, 1. 11-13, date : 177/176 Rehm), d’un dédicant dont le nom ne peut être déterminé du fait des aléas de la lecture de la pierre (463.1. 34, date : 178/177 Rehm) ; enfin d’une seconde dédicace d’Iasos (464, 1. 12, date : 177/176 Rehm). C’est tout simplement parce qu’Iasos était une cité de Carie méridionale, certes toute proche de Milet, mais proche également de la zone d’obédience rhodienne et dont l’histoire est liée à celle de Rhodes, que cette cité pouvait utiliser l’étalon rhodien (mais le nº 464 montre que l’offrande avait aussi été ensuite évaluée selon l’étalon attique)[957]. Ces objets n’avaient donc pas été pesés à Milet, mais bien à Iasos, car on ne voit pas pourquoi, à un siècle de distance, les autorités du sanctuaire auraient pris soin d’utiliser l’étalon rhodien pour peser les offrandes d'Iasos et non pas leur étalon local “persique” ou l’étalon attique (universellement connu).
A Didyntes, dans la plupart des cas certainement, les préposés du sanctuaire se contentaient manifestement d’un simplement enregistrement du “poids officiel” de l’offrande, par lecture du bordereau d’accompagnement et de l’inscription portée sur l’objet lui-même, sans contrôle effectif par une pesée qu’ils auraient eux-mêmes effectuée. L’existence d’inscriptions portant le poids de l’objet sur un certain nombre vases précieux atteste de l'existence de cette pratique[958], confirmée abondamment par les textes des inventaires, de Didymes, de Délos et d'ailleurs[959]. En fait, dans les textes qui nous sont conservés, il s'agissait plutôt, année après année, d'enregistrer l'entrée des objets pour pouvoir ensuite les identifier, en se fiant donc à ce qui était écrit sur l'objet, à tort ou à raison selon les cas.
A Amos en revanche, comme en général dans le sanctuaire d’Apollon à Délos et dans les sanctuaires d’Asclépios et d’Athéna à Athènes (mais où on a aussi il est vrai des registres d’entrée), on a un document qui correspond à une pesée de contrôle effectuée sur les offrandes d'une série d'années successives (et dont au demeurant seule une partie nous a été conservée puisque la stèle est mutilée). Les inventaires de Didymes et l'inventaire d'Amos ne sont donc pas en réalité des documents exactement de même nature[960].
S’il est possible, on s'éloigne donc encore un peu plus de la théorie de la “pesée par les monnaies”, puisqu'à l'évidence les offrandes de Didymes qui présentent des chiffres ronds n'avaient même pas été effectivement pesées par les préposés du sanctuaire.
On voit que notre analyse ne contredit en rien la thèse fondamentale d’O. Picard, qui a montré que dans l’usage ordinaire on comptait les pièces de monnaie et qu'on ne les pesait pas[961]. En revanche, pour ce qui est de l’hypothèse selon laquelle on se serait servi des monnaies comme instrument de pesée, à Amos, à Délos, à Didymes ou ailleurs, il est clair qu’il faut la rejeter catégoriquement.
Pour finir, trois remarques nous paraissent encore s’imposer. La première concerne le module des offrandes. A la ligne 18, les chiffres sont très difficiles à lire. Dans l’édition de W. Blümel, ils sont même tous pointés. A vrai dire, le poids total de 80 dr. nous paraît suspect. C’est le seul chiffre rond de la série, quand aucun des autres ne l’est. En fait, le plus probable est qu’on a affaire ici aussi à un chiffre dans les 90 drachmes et tout proche de 100, dont la fin est devenue totalement illisible du fait de l'usure de la pierre. Il nous paraît probable qu’en fait seuls deux modules de phiales apparaissaient dans la partie de l'inventaire qui nous est conservée : 100 drachmes et 150 drachmes. C’était déjà la conclusion implicite que nous donnions dans
La deuxième concerne la date de l’inscription. M.-Chr Marcellesi considère qu’il ne faut pas tenir compte du rapport avec la monnaie attique pour analyser la fixation du poids des offrandes (à 100 drachmes le plus souvent). Admettons ce principe : à l’intérieur du territoire rhodien, pour l’argent, on ne pouvait compter qu'en drachmes rhodiennes et c’est cette règle que nous avions d’emblée admise pour considérer que les drachmes en question étaient à l’évidence des drachmes rhodiennes. Pourtant, auparavant, c’est sur la base de la conversion supposée plus facile des drachmes légères avec la monnaie attique qu’est fondé le raisonnement de M.-Chr. Marcellesi relatif à la date de l’inscription (“80”, 100 et 150 drachmes rhodiennes à
Disons enfin d’un mot (car ce n’est pas le lieu de faire un exposé d’ensemble) que la présentation d’Amos comme une somnolente “petite localité de Carie” où les monnaies ne circulaient que lentement est rien moins que satisfaisante. Amos était certes une petite localité, mais elle était en fait le centre d’un dème prospère de la Pérée rhodienne intégrée, sur la route maritime joignant le port de Rhodes au port de Physkos (autre centre d'un dème rhodien de la Pérée intégrée), et aussi une possible escale pour les navigateurs se rendant de l’Égée en Orient ou inversement. Installé sur un promontoire dominant la mer, la bourgade avait été dotée d'une imposante fortification[963]. On y trouve aussi un théâtre[964] ce qui montre si besoin était que ce n’était guère là un village supposé arriéré de Carie intérieure. Le nombre non négligeable d’inscriptions qu’on y a découvert (9 au total) atteste aussi de la vitalité du centre du dème des
L’hypothèse d’une pesée d’objets précieux au moyen de monnaies n’a donc aucun fondement solide. Pour ce qui est du poids des offrandes, presque toujours légèrement inférieur à ce qui était manifestement leur poids standard, il faut donc considérer qu’en vue de les confectionner, les magistrats devaient déposer une somme supérieure au poids-objectif, tenant compte du déficit inévitable des pièces par rapport à leur valeur déclarée, du salaire de l’artisan, ainsi que des pertes à la fonte et lors de la fabrication. Comme l’a bien pressenti M-Chr. Marcellesi, et même si nous donnons une solution radicalement différente au problème qu’elle a soulevé, le modeste inventaire d’Amos donne ainsi l’une des clés qui permettent de résoudre des problèmes se posant dans des termes identiques dans les plus grands sanctuaires du monde grec. On voit alors qu’il faut faire rentrer dans les limbes la vieille théorie de la “pesée par les monnaies”. En fait, cette hypothèse s'inscrit pleinement dans une vision typiquement primitiviste du fonctionnement des cités grecques. Une analyse plus objective des modes de pesée oblige à conclure que cette vision des choses doit être abandonnée.
Chapitre XI. Prosodoi publics, prosodoi privés : le paradoxe de l'économie civique
On annonce périodiquement que le débat autour de la nature de l’économie antique est définitivement clos. Et, curieusement, c'est d'ordinaire au moment même où l’on vient de prononcer cet arrêt que le débat repart de plus belle, comme un feu mal éteint couvant sous la cendre se rallume à l'improviste. Il y a là un paradoxe qui semble mériter de retenir l'attention.
On connaît si bien les termes du débat qu'il paraît superflu de les rappeler ici en détail[965]. Les travaux de Μ. I. Finley et de son école, qui s'inscrivaient eux-mêmes dans la lignée de ceux de Johannes Hasebroek et Karl Polanyi, ont voulu montrer que l'économie n'existait pas en tant que réalité autonome dans le monde antique, tant au plan des processus réels, car les conditions de fonctionnement d'un grand marché n'étaient pas réunies, que secondairement au plan conceptuel, car l'absence d'une économie de marché empêchait l’émergence d’une quelconque forme de science économique. Certes, selon Μ. I. Finley, on pouvait bien acheter, vendre, souhaiter acquérir plus de biens, sans que pour autant existât un véritable marché. On pouvait aussi disposer de connaissances empiriques comme celle qui veut que la rareté d'une denrée entraîne l'augmentation de son prix tandis que c'est l'inverse qui se produit en cas d’abondance, mais tout cela ne constituerait même pas l'embryon d'une science économique. Pour Μ. I. Finley, un trait caractéristique de l'absence de développement d'une véritable économie se trouve dans le désintérêt de l'État à son égard, dans une équation qui n'a rien à voir avec une théorie du laisser faire. Si l'État s'intéressait à quelque chose, c'était à ses besoins propres : ainsi des émissions monétaires, liées invariablement à des guerres et non aux nécessités du commerce ou de la production.
On doit reconnaître que, contesté sur certains points, le modèle garde encore une forte cohérence d'ensemble, et en tout cas une grande autorité. Le péché mortel, de nos jours, c'est le “modernisme”, accusation qui ne manque pas d'être lancée dès lors qu'on soupçonne la projection des concepts économiques modernes sur l'économie antique. Il est vrai que l'attitude moderniste n’a pas encore totalement disparu et que certaines études en restent profondément imprégnées[966]. Malgré quelques exceptions, il n'en reste pas moins que les thèses de ce qu’on a pu appeler la “Nouvelle Orthodoxie” se sont en général imposées. Certes, les thèses de fond de la Nouvelle Orthodoxie mériteraient d'être passées au crible de la critique, pour examiner ce que les recherches récentes ont pu confirmer ou infirmer. Mais il n'y a là rien que de très normal dans la démarche scientifique. On relèvera aussi les différences très importantes entre le modèle wébérien, qui admettait l'existence d'un véritable capitalisme marchand dans l'antiquité, et le modèle néo-primitiviste de Hasebroek et Finley. Il serait ici hors de propos de procéder à un réexamen point par point de ce modèle. Pour faire avancer le débat, il vaut mieux se situer sur un autre plan et essayer d'examiner sous un angle particulier, celui des “rapports entre l'État et l'économie” (ces guillemets seront justifiés plus loin), la manière dont était structuré le champ de l'économie antique[967]. On sait que Μ. I. Finley a mis en garde contre ce que l'économie antique n'était pas, qu’il a combattu la vision simpliste qui consistait à projeter dans l'antiquité les concepts modernes, celui “d'intervention de l'État” par exemple[968]. En revanche il n’a pas montré comment le champ de l'économie était structuré : la raison en est simple. Pour lui en effet, l'économie ne s'était pas dégagée des besoins et des contraintes immédiates de la société grecque, elle restait “embedded”, immergée dans le social, ce qui supposait du même coup une absence d'autonomie.
Telle est la justification du modèle d'“économie par défaut” que propose Μ. I. Finley. Or, la réalité paraît susceptible d'être analysée d’un point de vue différent. Non qu’on prétende ici apporter des éléments radicalement nouveaux dans le détail. La méthode consiste à pousser certaines analyses jusqu'à leurs conséquences ultimes dans le but de redéfinir les spécificités du champ de l'économie antique et montrer comment la notion d'économie immergée dans le social ne peut plus être considérée comme satisfaisante. Au point de départ, deux points semblent avoir une importance particulière : la définition que l'on donne de l'État et de l'économie. En effet, le système conceptuel qui sous-tend les théories de la Nouvelle Orthodoxie se fonde sur l’existence d’une nature intemporelle de la notion d’État et d’économie : d’où le modèle d'“économie par défaut” auquel on aboutit[969].
S'agissant de l’État, on entend d'ordinaire avant tout son rôle de régulateur et de législateur, naturellement son pouvoir de contrainte, ses droits régaliens aussi : celui de lever l'impôt, de battre monnaie, toutes attributions que l'on s'accorde à retrouver dans un État moderne. S'interrogeant récemment sur les rapports entre l'État et le commerce à l'époque romaine, tel spécialiste commençait aussi par admettre, il est vrai avec quelque regret mais néanmoins de manière très ferme, que la définition ordinaire de l'État pouvait permettre de traiter la question de manière satisfaisante[970].
Que présuppose-t-on lorsque l'on évoque des faits économiques “immergés dans le social” ? L'économie, c'est alors par exemple la production et la vente, en vue de dégager un bénéfice. Comme ce bénéfice peut ensuite être dépensé pour acheter des biens de luxe ou pour pouvoir exercer une liturgie, et non pas “réinvesti”, on décide que l'économie est “immergée dans le social”, dans la mesure où l'emploi des fonds ne correspond pas à un investissement dans une production, fabrication ou autre activité commerciale. On voit qu'il n'est pas sûr que l'on ait affaire ici à un trait significatif d’un fonctionnement original des sociétés antiques. Les formes de consommation varient d'une société à l'autre et à ce compte toute forme d'organisation économique peut être dite “immergée dans le social”, y compris dans notre propre société. Malgré ses défauts, retenons néanmoins la notion d’économie “concrète” définie par la production et l’échange des biens consommés.
Selon ce découpage, on se trouve donc implicitement devant une “économie concrète” qui relève de la sphère de l'activité privée, tandis que l'État, quant à lui, s'occupe des affaires publiques, qui. par essence, sont situées en dehors de la sphère de l’économie. Cette opposition nous est familière, puisqu'elle est ni plus ni moins celle qui est la nôtre à l'époque contemporaine. A la question de savoir si le modèle économique contemporain permettait d’expliquer le fonctionnement de l’économie antique, les modernistes ont implicitement donné une réponse positive. Les tenants de la Nouvelle Orthodoxie ont, quant à eux, répondu par la négative et en ont conclu que l’économie n’avait aucune forme d’existence dans les sociétés anciennes. Dans un cas comme dans l’autre, ce sont les catégories de l’économie politique contemporaine qui ont servi de référence. Telle est la vision des choses qu’il est nécessaire de remettre en question, en montrant que la division des rôles entre l’État et l’activité des particuliers n'était manifestement pas celle qui prévalait, sinon à Rome – on laissera cette question à d'autres –, du moins dans la Grèce des cités.
La définition de l'État-cité en Grèce ancienne est un immense sujet. Si l'on examine la littérature récente sur la question, on voit que deux positions se dégagent :
• Pour les uns, c'est une erreur de vouloir opposer “une fusion de l'État et de la société dans l'antique cité-État à leur séparation dans l'État moderne”. La réalité serait radicalement inverse, dans la mesure où aujourd'hui l'État régnerait sur tout tandis que, dans l'Athènes classique par exemple, “la
• Pour les autres, au contraire, ce n'est que de manière abusive que l'on peut assimiler la cité grecque antique à un État au sens moderne du terme. Solidarité égalitaire et communauté d'intérêts étaient le ciment de la communauté[972]. On a même pu aller jusqu'à nier l'existence de l'État dans la Grèce des cités : “Il y avait un État à Rome ; il n'y en avait point dans les démocraties grecques”. Dans une cité comme Athènes, la seule autorité était celle de la loi et non celle d'un corps constitué autonome : “Le citoyen n'avait pas en face de lui un État, mais une foule d'autres lui-même”[973].
Dans ce débat, la première position paraît intenable. En effet, le fond du problème n'est pas dans les attributions plus ou moins nombreuses de l'État – prise en charge de l'éducation, de la santé, des moyens de communication, etc. Il réside en fait dans les formes d'organisation et d'autorité qu'il pouvait revêtir. A cet égard, les différences apparaissent de manière trop nette pour qu'il soit utile d'y insister. Comme on le sait, l'absence d'agents spécialisés distincts du corps civique est une différence essentielle avec l'Etat moderne : l'armée, la justice, les magistratures diverses sont d'ordinaire directement entre les mains des citoyens, leur émanation même, non une structure distincte pouvant au besoin s'opposer directement à la grande majorité du peuple. Au reste, rien n’identifiait mieux une cité que la mention de la collectivité formée par ses citoyens : “les Athéniens”, “les Rhodiens”, etc. La deuxième position est donc plus proche de la vérité que la première, mais cela ne veut pas dire qu'elle doive être prise à la lettre. Les formes très particulières d'exercice du pouvoir d'État ne doivent tout de même pas faire oublier l'existence d'une autorité propre de l'État.
Ces remarques sont d'autant plus importantes que, peut-être plus qu'aucune autre forme d'État, la
On doit donc retenir l'idée d'une évolution, le principe d'un État
Notre point de départ sera le livre II de l'
Que faut-il entendre par le mot οἰκονομεῖν ? Pour B. A. Van Groningen, “bien que le terme ne soit pas défini scientifiquement (-) la suite de l'ouvrage montre dans quel sens il doit être pris, à savoir celui d'administration financière”[980]. En fait, ces principes d'oὶκovoµία correspondent exactement à la manière de gérer les entrées et sorties d'argent. Banalité, pure ratiocination sur des évidences ? A quoi correspondait véritablement le genre du λόγος οἰκονομικός, qui fleurit à la fin du ve siècle et au ive s ? En fait, il semble bien qu'il ne s'agisse pas d'un genre traditionnel, illustrant des pratiques routinières, mais, au contraire, d'un discours de type nouveau, introduisant une forme de rationalité rompant avec l'idéologie traditionnelle[981]. C'est ainsi qu'apparaît par exemple la définition d'une οἰκονομία Ἀττική mettant au premier plan l’achat et la vente, au détriment des pratiques anciennes d'autoconsommation[982]. Périclès avait déjà lui-même adopté cette pratique consistant à vendre sa récolte en une seule fois, pour ensuite acheter au marché tout le nécessaire, simplifiant ainsi de manière radicale la gestion comptable[983].
Ces λόγοι οἰκονομικοί ont pourtant paru à Μ. I. Finley être la preuve même de l'absence de notion d’économie pour les Grecs[984]. Comment en effet ne pas sourire des propos de l'Ischomaque de l'
Comment une telle “erreur” était-elle concevable ? Notre conception de l'État le fait apparaître exclusivement dans un rôle de maintien de l'ordre et de régulation. Or tel n'était manifestement pas le cas dans le monde des cités de la Grèce ancienne. On doit pour cela remonter à Homère. Ce n’était pas seulement pour venger l'outrage fait à Ménélas que les Grecs s'étaient rassemblés devant Troie. Ce conflit est le type même de l'expédition de pillage qui doit rapporter à ses participants des prises intéressantes. Faut-il rappeler le point de départ de l'
La guerre comme moyen de profit était un principe de base de la “société des cités”. L'asservissement des prisonniers, y compris des Grecs a toujours été largement pratiqué[989]. Surtout, les traités entre cités prévoyaient souvent de manière explicite la répartition des dépenses de guerre et de même les partages de butin qui devaient être effectués après la victoire[990]. Sur certains points particuliers, la société grecque a même poussé plus loin que d'autres le souci de profit financier : il n'est pas rare, lors du siège d'une ville, de voir assiégés et assiégeants passer des conventions en vue du rachat mutuel de leurs prisonniers. Ainsi en est-il du rachat mutuel des prisonniers de guerre entre les forces de Démétrios Poliorcète et les Rhodiens lors du siège de 305-304[991]. Le livre II de l'Économique du PsAristote renferme de nombreuses allusions aux profits de guerre mais l'une des plus significatives est l'anecdote relative à Timothée : “Pendant qu'il assiégeait Samos, il vendait aux habitants les produits de leurs récoltes et tout ce qu'ils avaient encore sur leurs terres : il eut ainsi de l'argent en abondance pour payer la solde de ses troupes”[992]. La guerre rapportait collectivement des profits, mais ces profits devaient être équitablement répartis, et d'abord entre les combattants : à l'époque classique et hellénistique, citoyens mais encore plus alliés et mercenaires attendent d'être payés. Avant même le partage du butin, le premier profit de guerre, c'est la solde. On a souligné ajuste titre le lien direct entre émissions monétaires et campagnes militaires[993]. Naturellement, on ne doit pas ramener toutes les guerres à des expéditions de pillage. Mais même des guerres ayant à l'origine un caractère défensif pouvaient avoir comme conséquence la perception d’avantages tout à fait matériels. C'est de cette manière que les Athéniens purent établir leur domination sur l’espace égéen au lendemain des Guerres Médiques et prélever le
Cette conception de la citoyenneté comme participation à un club distribuant des dividendes est donc présente dans la guerre et autres opérations de politique internationale. Mais elle l'est aussi dans la paix. L’exploitation des mines et des carrières, les impôts de toute nature et en particulier les taxes sur les échanges, sur lesquelles l’État veillait jalousement, apportaient à l’État des ressources considérables[998]. Il est même significatif de l’évolution des temps que dès le ive s. on puisse voir apparaître chez Xénophon, dans les
Lorsque l’utilisation des revenus n'était pas liée aux expéditions militaires, elle devait se faire directement au bénéfice des citoyens. Bien entendu, dès que la
Il est vrai que ces distributions pouvaient être l’objet de débats, ainsi en particulier de cette question qui hante les écrits des penseurs et philosophes des ve et ive s. : les revenus de l’État peuvent-ils ou non faire l’objet de distribution sous forme de
Dans la paix comme dans la guerre, l'État restait donc avant tout une machine à collecter et à redistribuer les
Il est vrai que s'agissant des “dépenses”, comme on l’a vu, plusieurs modalités pouvaient s'offrir. Plutôt que tout simplement distribuer des sommes d'argent à tout le monde, Aristote suggérait de “faire une masse commune des recettes publiques (τὰ μὲν ἀπò τῶν προσόδων γινόμενα) et la répartir en totalité entre les pauvres, avant tout pour l'achat individuel d'un petit domaine, si la somme réunie est suffisante, et, sinon, comme mise de fonds pour un commerce ou une exploitation rurale (πρòς ἀφορμὴν ἐμπορίας καὶ γεωργίας)”[1019]. Notons au passage qu'il est remarquable que le terme ἀφορμή soit exactement celui qu'emploie Xénophon dans les
Pour illustrer le point de vue défendu ici, on prendra un exemple en mettant en parallèle le traité des
Pour ce qui est de la “loi de Samos sur le blé”, on sait que son objet tourne autour de la distribution de rations de blé à tous les citoyens[1024]. Un point important tout d'abord. Ce document était jusqu'ici couramment daté du iie s. En fait, il ne peut guère être situé à une date plus basse que les environs de 200 a.C. et il faut peut-être le remonter sensiblement plus haut, jusqu'à
Pour D. J. Gargola cependant, le point important n'était pas les distributions de blé. Le véritable but de la loi était selon lui de transformer en argent les revenus en nature du vingtième de l'Anaïtide et les mesures prises avaient pour but de simplifier la gestion financière du temple d'Héra. Insister sur la conversion en argent des revenus en nature est bien venu, car ce point de vue a jusqu'ici été négligé. Mais parler de simplification est pour le moins difficile à admettre, car, pour disposer d'argent liquide, il y aurait eu des moyens infiniment plus simples à mettre en œuvre. Tout lecteur de cette loi comprend immédiatement qu’elle prévoit une procédure a priori étrange et en tout cas fort complexe.
Reprenons les choses au point de départ. Le temple d'Héra, et en fait derrière lui la cité de Samos, disposait du vingtième des productions de l'Anaïtide, c'est-à-dire du territoire de la pérée samienne. Que pouvait-il en faire ? On pensera spontanément à deux utilisations possibles :
• Les citoyens aurairent pu se partager ce grain. C’était apparemment la solution la plus simple. Dans ce cas cependant, la déesse, à qui appartenait le blé, aurait été lésée. Il n'était donc pas possible de procéder de cette manière. Le scrupule religieux rendait la chose impraticable, au moins en temps ordinaire.
• Le blé aurait pu être vendu au plus offrant et au meilleur moment, au besoin à l'étranger. Les caisses de la déesse aurairent été remplies de manière optimale. Dans ce cas, ce sont les citoyens de Samos qui auraient été lésés, eux dont l'effort collectif avait permis de conquérir l'Anaïtide et de maintenir sur cette région une domination sans cesse remise en question. Pour des raisons inverses de la précédente, cette solution était donc également exclue. On a vu que, dans un génos ou dans un dème, c'étaient toujours les membres de ce génos ou de ce dème qui étaient bénéficiaires des contrats d'affermage. Il était impensable qu’une denrée aussi précieuse que le blé, dont Samos ne devait guère avoir d'excédent, échappât ainsi massivement à la consommation des citoyens.
Effectivement, c'est à un système beaucoup plus sophistiqué qu'eurent recours les Samiens : 1) Constitution d'un fonds public pour l'achat de blé, servant exclusivement à cette fin. 2) Prêts annuels des sommes ainsi rassemblées, dont les intérêts étaient destinés d’une part à racheter à la déesse le blé de l'Anaïtide, et aussi d'autre part, secondairement, à acheter un complément de quantité de blé, à Anaia ou ailleurs. Détail supplémentaire, les intérêts de l'argent pouvaient eux-mêmes faire l'objet d'un prêt à intérêt pendant la période où ils se trouvaient inemployés. 3) Quant au blé acheté, à la déesse ou à un autre vendeur, il faisait l'objet d'une distribution strictement égalitaire entre les citoyens.
On voit qu'en matière de simplification, il était possible de faire mieux. Une série de traits sont particulièrement significatifs. Pourquoi un système aussi complexe ? Que ferait un Etat moderne dans un cas similaire ? Plaçons-nous dans la situation qui consiste à exclure par avance la distribution pure et simple d’une rente (comme celle que les Samiens tiraient de l'Anaïtide). Le recours à l’impôt ou à une quelconque autre forme de prélèvement annuel et obligatoire permet, par le biais d’un transfert, de financer des opérations de secours ou d'assistance mutuelle. Mais tel n'était pas le principe de fonctionnement dans une cité grecque. En effet, l'idée de base est toujours et avant tout, si possible, d'éviter l'impôt et de trouver les
—
La constitution d’un tel fonds trouve de nombreux parallèles. Naturellement, s'il le faut, l'argent redevient disponible, à charge pour la cité de rembourser ce qu'elle a “emprunté” : c'est ce que se promettent les Athéniens à la fin de la Guerre du Péloponnèse lorsqu'ils doivent aller jusqu'à fondre les
—
La terre d'Anaia est le bien collectif des Samiens. puisque ce sont leurs efforts de guerre qui leur ont permis de conquérir ce territoire et d’y maintenir leur domination, depuis l’époque archaïque jusqu’à l’aube de l’époque romaine[1026]. L'importance de telles distributions est sans doute toute relative. Ainsi, à Samos. le blé distribué ne représentait qu'une part minime de la quantité effectivement consommée par la population citoyenne (sans doute guère plus de cinq à six rations journalières sur une année)[1027]. Cependant, on aurait tort de considérer cet apport comme négligeable. S'ajoutant aux parts de sacrifice des jours de fêtes de la cité ou des organisations civiques intermédiaires, il devait au contraire être fort attendu dans nombre de familles citoyennes pauvres : d’où le souci extrême de réglementation qui entoure tout le processus. On ne peut s’empêcher de penser aux distributions de blé effectuées à Athènes et à cette scholie des
—
Or. précisément, on sait que les citoyens ont besoin d'argent, pour satisfaire toutes sortes de besoins. On connaît le débat qui entoure la nature des prêts, productifs ou non, dans la société grecque antique[1028]. La réponse est sans doute que la destination des prêts était variable mais la question n’a pas à être traitée ici. Ce qu’on doit retenir, c’est cette faim d’argent dans les cités, qui permet par exemple de rendre compte des prêts de faible montant, comme ceux dont bénéficiaient les Athéniens de Rhamnonte grâce au sanctuaire de Némésis[1029]. A une autre échelle, c’est pour la même raison que l’on peut comprendre que les Priéniens aient accepté le dépôt de quatre cents talents d'argent effectué par Oropherne de Cappadoce : en effet, un dépôt pouvait être pour celui à qui il était confié un moyen de faire fructifier de l'argent[1030]. Isocrate savait bien que le mouvement des prêts dépendait de la confiance que pouvaient avoir les prêteurs dans le remboursement, avec intérêt, des sommes qu’ils avaient avancées[1031].
Ce sont donc ces trois objectifs qui sont atteints grâce au système de gestion mis en place par les Samiens. Insister sur le premier d'entre eux est une chose certes importante. Mais vouloir tout ramener à ce seul point, c'est oublier qu'on aurait pu atteindre ce but par d'autres procédés. Le mécanisme mis en place par les Samiens était fort complexe, mais pleinement dans la lignée des mesures prises par les cités grecques dans des circonstances analogues et dont le Ps-Aristote nous donne de bons exemples. Pour que le système pût fonctionner, il fallait trois conditions : d'abord l'existence d'une rentrée de blé permanente (le vingtième d'Anaia) ; ensuite l'existence d'un capital de départ qui permettait de racheter le blé parvenant annuellement ; enfin une organisation d'ensemble rigoureuse avec en particulier un système de prêt contraignant.
On doit souligner que le fait que les responsables de la gestion soient des commissaires et non pas des gestionnaires professionnels, comme ce serait le cas aujourd'hui permettait à la fois de limiter les frais de gestion et aussi de responsabiliser et d'intéresser directement les participants à la gestion : c'était le bien collectif de la cité qui était en jeu. donc indirectement le leur propre ; mais aussi le fait que leur responsabilité personnelle ait été engagée dans le maniement des fonds faisait qu'ils avaient tout intérêt à ce que les opérations soient menées à terme avec succès. De même, dans la mesure où les prêts non seulement devaient être offerts mais aussi devaient trouver preneurs, la responsabilité collective étendue à l'ensemble du peuple et répartie entre ses diverses subdivisions, les chiliastyes, faisait que le contrôle le plus étroit devait être assuré. Notons précisément que dans des cas similaires Aristote recommandait de laisser aux tribus le rôle de gestion des fonds, et que le Xénophon des
Car, à tous égards, le système de Samos fait directement penser au traité des
Lorsque Polybe dresse le tableau de l'extraordinaire montée de la puissance romaine, il met sur le même plan l'augmentation des fortunes privées et la fortune collective de la cité. C'est ce qu'il fait à propos de la nouvelle puissance de Rhodes, pour laquelle il signale la surprise qui se manifeste lorsqu'on voit à quel point la fortune des particuliers et celle de la cité ont pu s'accroître en peu d'années (λίαν θαυμάζειν ὡς βραχεῖ χρόνῳ μεγάλην ἐπίδοσιν εἴληφε περί τε τοὺς κατ’ ἰδίαν βίους καὶ τὰ κοινὰ τῆς πόλεως)[1034]. A Milet. deux inscriptions mentionnent explicitement le lien entre les difficultés ou au contraire l'augmentation des fortunes des particuliers et de celle de l'État. Il en est ainsi d'une inscription de 21 1/210 qui signale le mauvais état des revenus publics et des revenus individuels des particuliers (διὰ τὸ πεπονηκέναι τάς τε κοινὰς καὶ ἰδίας ἑκάστου προσόδους)[1035]. Les
Cette concomitance des
A ce compte, en effet, on pourrait tout aussi bien dire que c'est l'État-
Telle est la raison pour laquelle il nous a toujours paru insuffisant de chercher les manquements de la cité grecque antique par rapport aux normes qui sont, en principe, celles de l'État libéral moderne. En fait, cette “analyse par défaut” projette dans le passé les règles et surtout le champ conceptuel de l'économie classique au moment même où elle croit s'en débarasser. En ne retrouvant pas les traits qui sont ceux de l'économie moderne, on conclut trop vite que les anciens Grecs “n'avaient pas d'économie” et que c'était la politique qui tenait lieu de tout. Telle quelle, la thèse de l'
Si au contraire on saisit que la recherche des
S’agissant de ce que nous appelons économie, le partage entre le public et le privé était différent dans l'antiquité. Dans le système libéral contemporain, le public, c'est l'État, le privé l'économie. Mais cette distinction n'existait pas dans le monde de la cité, même s'il existait un large jeu de possibilités de la réalisation de la forme
C'est enfin une autre distinction qui ne pouvait exister, celle qui prévaut aujourd'hui entre macro-et microéconomie. Dans la mesure où l'État-
Bien entendu, si la place de l’économie n’était pas la même que celle qui lui est dévolue dans la société contemporaine, ce n’est pas seulement parce que le rapport entre la chose publique et les intérêts privés n’était pas le même qu’aujourd’hui. En envisageant les choses sous un autre angle, on trouverait que les circuits de production étaient infiniment plus courts que les nôtres et que la rente jouait un rôle décisif dans les choix financiers et économiques, aussi bien pour les particuliers que pour l’État. Mais en tout cas, on ne peut plus continuer à projeter sur la cité antique l’image de l’État libéral contemporain, car, ce faisant, on en arrive à commettre une erreur d’aussi grande ampleur que les modernistes qui projettent sur le monde antique les catégories de l’économie politique du monde d’aujourd’hui.
D’aucuns considèrent qu’aujourd’hui les débats relatifs à la nature et à la place de l’économie antique sont dans une impasse totale et ne méritent plus qu’on s’y intéresse. Ce point de vue pessimiste et négatif est en réalité hors de saison. Bien au contraire, en parallèle avec de nombreuses études factuelles portant sur des domaines aussi divers que la circulation monétaire, les règlements commerciaux, la fabrication des amphores ou la production agricole, le regain d’intérêt pour les questions économiques dans les travaux récents laisse penser que des avancées décisives sont maintenant possibles[1044]. Si l’on fait définitivement abstraction des catégories conceptuelles modernes, c’est-à-dire si l’on va jusqu'au bout du chemin sur lequel Μ. I. Finley ne s’était engagé qu’à moitié, on doit pouvoir parvenir à construire un modèle de fonctionnement de la société et de l’économie antique qui évite tout à la fois le modernisme et le réductionnisme néo-primitiviste de la Nouvelle Orthodoxie pour enfin restituer à l'économie la place qui lui revient dans l’horizon des sociétés antiques, avec les catégories conceptuelles qui étaient les siennes.
Chapitre XII. Les cités grecques, le marché et les prix
Au cours du xxe s., de manière explicite ou implicite, la réflexion sur la spécificité et la place de l’économie dans les sociétés de l’Antiquité classique, et spécialement en Grèce ancienne, s’est développée en ultime ressort dans le cadre d’une interrogation plus vaste : celle de savoir en quoi a pu consister la spécificité de l’Occident. C’est en Occident, en effet, qu’est apparu un système économique dont le dynamisme a d’abord bouleversé l’équilibre social des sociétés européennes qui lui avaient donné naissance. Il s’est aujourd’hui étendu à toute la planète, en se subordonnant puis en transformant de manière apparemment irrésistible tous les autres systèmes sociaux préexistants.
Il y a certes une distance considérable entre les grandes conceptualisations couvrant l’histoire de plusieurs continents sur deux ou trois millénaires et les recherches des spécialistes, qu’elles portent sur la Grèce ancienne ou l’Orient musulman, l’Inde précoloniale ou la Chine mandchoue. Pourtant, que leurs auteurs le veuillent ou non (parfois aussi à leur corps défendant), les études ponctuelles trouvent souvent leur source d’inspiration dans les grandes synthèses qui ont tenté de répondre au problème évoqué précédemment, celui de l’origine et des formes de développement de l’économie marchande moderne. Il n’est donc pas superflu de commencer par situer ces travaux sur la “cité marchande” dans la perspective de ce débat. Mais c’est ensuite la question du rapport entre l’État et l’échange marchand et, surtout, celle du marché et de la formation des prix qu’il faudra aborder.
Ce sont incontestablement les travaux de Karl Polanyi qui ont le plus inspiré l’histoire économique des dernières décennies. C’est en effet Polanyi qui a fourni le cadre conceptuel d'explication le plus couramment accepté de l’apparition du système économique désigné sous le nom de “capitalisme”, système que l’on pourrait brièvement définir comme celui où l’accumulation du capital s’opère par un processus cumulatif qui se nourrit de lui-même. Si le capitalisme est né en Occident à la fin de l’époque médiévale et à l’époque moderne, il peut donc paraître légitime de s’interroger pour savoir pourquoi cette genèse ne s’est pas produite ailleurs, en d’autres temps et en d’autres lieux, par exemple en Chine ou en Inde, ou encore tout aussi bien en Grèce ancienne. On ne pourra ici rappeler que trop brièvement l’explication synthétique donnée par Karl Polanyi.
Selon ce dernier, on doit rejeter une vision évolutionniste de la genèse du capitalisme[1045]. Le capitalisme n’est pas né d’une extension progressive des échanges provoquée par la division du travail, selon le modèle d’Adam Smith. On peut certes imaginer un modèle théorique unilinéaire qui voudrait que des groupes familiaux ou des villages aient procédé à des échanges réciproques, que ces échanges se soient progressivement développés jusqu’à prendre une envergure régionale puis interrégionale, pour finir, par extension, par devenir un réseau mondial. Mais ce schéma ne correspond nullement à ce que l’on peut observer empiriquement dans le développement historique. En fait, selon Polanyi, le propre des “sociétés précapitalistes” est que l’économie n’y existe pas en tant que sphère autonome. Ce sont de tout autres motivations que le gain qui ont gouverné leurs “systèmes économiques” (qui n’étaient donc pas de vrais systèmes économiques) : dans les sociétés primitives, il s’agissait essentiellement d’un système de réciprocité fondé sur le don-contre don ; dans les sociétés d’empire, comme celles de la Mésopotamie antique, de l’Égypte pharaonique, de la Perse, de la Chine, de l’Inde et de même pour celles de l’Amérique précolombienne, qui pourtant connaissaient déjà un degré élevé de division du travail, c’était la redistribution sous le contrôle de l’État qui prévalait. C’était donc la parenté (dans les sociétés primitives) ou l’État bureaucratique et ses représentations politiques et religieuses (dans les sociétés d’empire) qui gouvernait “l’économie” de ces sociétés, et non pas le marché. Dans ces sociétés, l’économie n’existait donc pas comme sphère autonome : elle était en fait “immergée” dans les institutions sociales ou politiques.
Pour Polanyi, l’échange marchand pouvait certes exister dans les sociétés précapitalistes, mais il n’y jouait qu’un rôle mineur, aux marges d’un système qui l’ignorait et même s’en défendait vigoureusement. L’un des principaux traits qui caractérisaient alors l’échange marchand était la séparation entre commerce local et commerce international. Tandis que le commerce local répondait aux besoins d’échange immédiat des individus, des familles ou autres regroupements de faible envergure, le commerce international répondait pour l’essentiel aux besoins des élites et était aux mains de marchands spécialisés. Les lieux de marchés étaient des points de rencontre aux frontières de deux communautés, des sortes de lieux neutres où les procédures d’échange, et en particulier l’établissement du prix des denrées, s’opérait selon des conventions traditionnelles et non en fonction de la loi de l’offre et de la demande. En réalité, tout en étant séparés l’un de l’autre, commerce international à longue distance et commerce local fonctionnaient selon le principe de complémentarité et non selon le principe de concurrence. Dans les sociétés précapitalistes, il n’existait donc pas de “marché autorégulateur, où toute chose tend à se transformer en une marchandise dont le prix résulte de la confrontation d’une offre et d’une demande, qui rétroagissent elles-mêmes aux variations des prix”[1046].
Pour Polanyi, c’est seulement avec l’alliance des bourgeoisies marchandes et des monarchies centralisées, réalisée à l’époque moderne, que le système d’accumulation capitaliste put prendre son essor. Au cours du Moyen-Age, les marchands atteignirent un haut degré d’autonomie par rapport au pouvoir politique. L’exceptionnel essor des cités italiennes ne put toutefois déboucher sur un véritable capitalisme, sans doute du fait du caractère trop fragile et étroit de leur base politique. Mais, dans le Nord de l’Europe cette fois, l’alliance des bourgeoisies marchandes et des princes contrôlant de vastes espaces où ils faisaient effectivement régner un ordre légal, permit finalement la vraie apparition du capitalisme. Selon Polanyi, c’est donc par le haut, par le grand commerce, et non par le bas, par l’extension progressive des marchés locaux, que le capitalisme prit son essor. S’emparant finalement des processus de production eux-mêmes, alors que jusque là pour l’essentiel ils leur avaient échappé (dans la ville médiévale, la production artisanale était sous le contrôle des corporations, et la production agricole relevait de structures de type féodal), les processus d’accumulation capitaliste devenaient une force irrésistible, destinée à prendre le contrôle de toute la planète.
Le schéma global défini par Karl Polanyi possède une grande puissance de suggestion. En outre, la méthode a aussi permis des analyses institutionnelles solides et bien argumentées, comme par exemple sur les marchés des sociétés précolombiennes ou de l’Afrique traditionnelle du xviiie siècle[1047]. Mais, employée de manière rigide, elle présente cependant un risque indéniable. Étant donné l’objectif qui était le sien, lequel consistait dans un premier temps à essayer d’expliquer l’origine du système d’accumulation capitaliste, on comprend très bien que Karl Polanyi ait développé le concept de sociétés “précapitalistes”. Ces sociétés n’étaient donc pas analysées pour elles-mêmes, mais par rapport au système capitaliste, qui, avec son successeur annoncé le socialisme, jouait donc pour K. Polanyi le rôle de “fin de l’histoire”. En quelque sorte, la méthode consistait d’abord à utiliser une grille de lecture, à opérer une recherche des “manques” par rapport aux traits qui paraissaient pertinents pour expliquer l’essor de l’Occident. La question est de savoir si celte grille de circonstance peut avoir une valeur heuristique universelle. En fait, elle présente le risque de laisser passer l’essentiel de ce qui faisait la spécificité d’un système économique. Un filet aux mailles trop larges ne permet pas de ramener le commun des espèces qui font la richesse d’un fond marin : et l’on conclut que la mer est vide.
Si l’on pose au départ que seul le “système capitaliste” tel qu’il s’est développé dans l’Europe moderne correspond à des mécanismes économiques authentiques, toute société qui l’a précédé ne pourra qu’être considérée comme un échec par rapport à l’idéal qu’il est censé avoir pu atteindre. Plus grave, le concept classificatoire de “société précapitaliste”, qui écrase la perspective temporelle, peut finir par devenir un gigantesque fourre-tout, dans lequel la spécificité de chaque société risque de disparaître. Le danger principal auquel, à notre sens, ont peu ou prou succombé nombre des disciples de Polanyi étudiant les sociétés du monde classique, est celui du primitivisme, inhérent au concept même de société “précapitaliste”. Trop souvent, par un processus circulaire, on doit constater que des spécialistes ont refusé d’admettre l’existence de structures, institutions ou comportements, parce qu’ils les jugeaient non conformes à la représentation d’une société “précapitaliste”, donc nécessairement “primitive”, qu’ils s’étaient forgée.
On doit paradoxalement relever que K. Polanyi lui-même, très impressionné par les prix et la réflexion sur les prix en Grèce ancienne, faisait de la Grèce une semi-exception dans sa vision d’un monde précapitaliste ignorant le marché. Pour lui, c’est l’Athènes du ive s. qui aurait vu la naissance des prix de marché[1048]. Mais dans le domaine de l’histoire économique de l’Antiquité, ce sont les travaux de Johannes Hasebroek et de Moses Finley qui ont bénéficié de la plus grande audience au cours des dernières décennies. Avec la pléiade d’études auxquelles ils ont donné naissance, ils sont devenus une sorte de “Nouvelle Orthodoxie”, selon le mot de K. Hopkins, lui-même ardent défenseur de ces positions[1049]. Aussi bien Hasebroek que Finley (ce dernier se plaçant explicitement dans la filiation des travaux de Polanyi) ont pris des positions qu’il faut bien définir comme une forme de néoprimitivisme. L’historiographie du débat sur l’économie antique a été récemment exposée à plusieurs reprises et il est donc inutile d’y revenir[1050]. En outre, la question (bien plus complexe qu’on ne l’a longtemps cru) de la filiation allant de Weber à Polanyi, et de Polanyi à Finley, a fait l’objet de remarques approfondies de H. Bruhns[1051]. Ce dernier a souligné que M. Finley avait gardé pour l’essentiel l’aspect “type idéal” de la cité grecque, mais qu’il avait fini par donner une vision “incomplète et déformée” de la cité antique de Max Weber[1052]. Au point de départ et au point d’arrivée de la chaîne de filiation, et sur une question aussi décisive que celle du marché dans le monde de la Grèce des cités, Weber et Finley ont en réalité défendu des points de vue diamétralement opposés.
En effet, quoi qu’en dît Finley[1053]. Weber accordait au marché un rôle très important dans l’évolution du monde antique. En une thèse fort originale, ce dernier soulignait le rôle de l’échange marchand non pas comme développement tardif, mais bien aux origines de la civilisation antique, l’évolution ultérieure tendant au contraire à en réduire l’importance[1054]. Tout en montrant les différences structurelles d’avec le système économique contemporain, il n’hésitait pas à admettre “le caractère largement ‘capitaliste’ d’époques entières de l’histoire antique (et précisément des plus grandes)”[1055]. Au demeurant, cette définition n’avait rien à voir avec une quelconque attitude moderniste, car Max Weber s’efforçait de donner des définitions précises et techniques qui montraient que, dans son esprit, il n’y avait nulle assimilation du “capitalisme” antique au “capitalisme” de l’époque contemporaine. Au contraire, il polémiquait sans cesse contre les collages typiquement modernistes d’Eduard Meyer, qui, par exemple, croyait retrouver trait pour trait le xviiie s. européen dans la Grèce hellénistique et sa supposée “industrialisation”[1056].
En revanche, M. Finley considérait que l’échange marchand, quantitativement négligeable, ne jouait aucun rôle structurel dans l’Antiquité classique et niait catégoriquement l’existence d’une quelconque forme de structure de marché dans les mondes anciens[1057]. Bien que les références à Weber dans
Mais l’opposition tient aussi à la méthode. Pour ce qui est de la conception même de l’économie antique, M. Finley croyait possible de définir
Le débat sur l’économie antique, et spécialement sur la question de l’échange marchand, ne doit cependant pas se ramener à un débat historiographique, combien salutaire certes, mais qui, si l’on s’en contentait, se trouverait en porte à faux par rapport aux réalités de la recherche historique en histoire ancienne, qui, dans tous les domaines (critique textuelle, épigraphie, papyrologie, archéologie, numismatique) a accompli d’énormes avancées au cours de ce siècle. H. Bruhns a eu raison d’insister sur la formule de Max Weber évoquée en introduction, qui aux généralisations abusives opposait la rigoureuse épreuve des faits[1062]. C’est à la lumière de ces études factuelles qu’il est possible de poser de manière différente la question des rapports entre État-cité et échange marchand ou celle du marché.
L'idée que les cités grecques, en tant qu’États, aient pu s’intéresser au commerce a rencontré une vive opposition[1063]. Au plan méthodologique, en effet, il a longtemps été admis à la suite des travaux de Johannes Hasebroek et Moses Finley que la cité n’avait décidément rien à voir avec le commerce, qu’elle s’en désintéressait totalement. Tout au plus pouvait-elle avoir une politique d’importation visant à assurer la
Relevons d’emblée qu’il y aurait en fait beaucoup à dire sur cette insistance mise sur les droits de douane et leur utilisation comme critère de définition d’une politique économique dans une société “capitaliste” développée. Il est clair aujourd’hui qu’il ne faut voir là qu’une phase transitoire dans l’histoire de la politique économique des sociétés européennes. L’utilisation des droits de douane comme instrument de guerre économique est certes une pratique qui n’a pas disparu. Mais la vision libérale héritée de l’Angleterre du xixe s., qui est aujourd’hui dominante (autre phase transitoire peut-être, mais là n’est pas la question), veut que les droits de douane soient une entrave au développement, un héritage au sein des sociétés contemporaines des pratiques des États de l’Europe moderne, et non pas un critère de l’existence d’une “politique économique au sens achevé du terme”, si tant est que ce concept ait un sens[1065].
Un des points nodaux des thèses de la “Nouvelle Orthodoxie” relativement au commerce est que la cité avait seulement une politique d’importation visant à assurer au meilleur compte l’alimentation de ses citoyens. Indubitablement, une telle politique existait bel et bien. Vu l’importance de la dépendance envers l’extérieur des cités du monde égéen, il était en effet vital que les cités fissent tout pour éviter une rupture brutale de leurs approvisionnements, qui risquait d’avoir à très brefs délais les plus graves conséquences. C’est naturellement au premier chef Athènes qui était concernée par cette dépendance envers les marchés extérieurs[1066]. Cependant, on sait aussi qu’Athènes n’était pas la seule dans ce cas et que les grandes cités maritimes développées du monde égéen étaient peu ou prou dans la même position, même si les petites avaient un horizon d’approvisionnement plus limité[1067]. On serait bien en peine de fixer le taux de dépendance extérieure d’Éphèse. de Chios, ou de Mytilène. Mais, pour Rhodes, on relèvera seulement qu’au xviiie s., dans les conditions d’une occupation turque plus rude que dans les autres îles du Dodécanèse mais avec une charge de population moindre qu’à l’époque hellénistique et une agriculture beaucoup moins orientée vers l’exportation, l’île ne se nourrissait que huit mois sur douze[1068].
Dans l’Antiquité, on sait que Rhodes importait du grain de l’extérieur, sans doute principalement d'Égypte, même si cette source ne devait pas être unique : en 170, Rhodes demande à Rome une licence d’exportation de 100 000 médimnes de grain de Sicile, sans doute parce qu’à cette époque, l’Égypte était aux prises avec Antiochos IV et du fait de cette guerre ne pouvait plus ou ne voulait plus exporter[1069]. En elle-même, cette dépendance à l’égard des approvisionnements extérieurs doit être relevée comme un fait majeur. Malgré les incertitudes pouvant toujours peser sur les lignes maritimes, le fait que pendant plusieurs siècles les populations des cités aient compté sur ces échanges extérieurs pour ce qui était la hase même de leur alimentation suppose ainsi une confiance raisonnable dans leur pérennité[1070]. Dans l’histoire des sociétés humaines, c’est la première fois que l’on voit de grandes concentrations de population accepter comme un état normal et ordinaire de dépendre aussi directement, pour leur survie même, d’approvisionnements aussi lointains, reposant non pas sur des tributs imposés par une quelconque forme de domination politique, mais sur des échanges de type commercial, assurés par une multitude de décisions individuelles d’achat et de vente.
Que les cités grecques aient pu mener une
Mais la seule politique d’importation ne saurait suffire à rendre compte de l’attitude des cités à l’égard du commerce extérieur. C’est ainsi qu’on doit mettre l’accent sur des accords internationaux, conclus entre cités pour s’assurer des avantages réciproques, dont il est vain de vouloir nier la nature commerciale[1072]. La réflexion d’Aristote montre que l’autarcie n’était nullement une fermeture au commerce extérieur : il s’agissait en fait d’une pratique consistant à offrir à une autre cité, donc de préférence dans un rapport dual, le surplus d’une production qui se trouvait être excédentaire, la cité partenaire fournissant de son côté de la même manière le surplus d’une production différente qu’elle avait en excès, chacune important ce qui lui manquait[1073]. Une cité ayant des excédents de blé et manquant de vin pouvait ainsi nouer un accord profitable avec une cité se trouvant dans le cas inverse. De la sorte, dans la conception d’Aristote, la cité pouvait éviter de tomber dans la “chrématistique”, dans l’attitude consistant à faire du commerce non pas pour satisfaire des besoins, mais pour la simple recherche de gain. En somme, ce qu’Aristote refusait était que le commerce et l’accumulation ne devinssent une fin en soi, hors de tout cadre civique et ne pussent au contraire menacer le cadre de la vie civique.
L’intérêt de la cité pour le commerce extérieur ne se manifestait pas seulement, si cela paraissait utile, par la conclusion de traités d’importation et d’exportation, mais aussi par une politique de réglementation pouvant aller jusqu’à l’interdiction d’importer un produit qui aurait été susceptible de faire concurrence aux produits du pays : c’est de cette manière que l’on peut expliquer les restrictions mises par la cité de Thasos, grande cité viticole, à l’importation de vin dans la zone commerciale qu’elle contrôlait[1074].
Enfin, les cités qui comptaient en leur sein des communautés importantes de marins ou de commerçants pouvaient aussi être amenées à développer des structures institutionnelles leur permettant d’exercer leurs activités dans un cadre juridique favorable. Le cas de l’
Sans l’ombre d’un doute, on voit que les cités pouvaient développer des politiques d’importation, mais on voit aussi combien il serait réducteur de considérer que les cités grecques, en tant qu’États, ne manifestèrent jamais d’intérêt pour le commerce extérieur, sinon pour assurer l’alimentation de leur population.
Cependant, la “Nouvelle Orthodoxie” dispose encore apparemment en dernier recours d’une carte maîtresse : l’analyse selon laquelle, dans les sociétés antiques, comme au reste dans toutes les sociétés préindustrielles, les faits économiques étaient “immergés dans le social” et n’avaient pas d’autonomie propre. En fait, cette conception repose sur une double dichotomie implicite : d’une part, sur l’opposition entre économie concrète et structures sociales ; d’autre part, sur la distinction qui est celle des économistes libéraux contemporains selon laquelle l’économie relève de la sphère de l’activité privée, tandis que l’État doit se borner à son rôle d’autorité régalienne. Or, dans l’Antiquité, le partage entre le public et le privé était fort différent de ce qu’il est aujourd’hui[1078]. La distinction du système libéral contemporain entre le public.
L’
Certes, il serait tout à fait erroné de penser qu’il existait un modèle unique, non contradictoire, de la cité grecque. De même que les modalités par lesquelles l’État pouvait s’enrichir, l’utilisation de l’argent public faisait objet de débat. Fallait-il distribuer des
La “Nouvelle Orthodoxie” considère que le marché n’existait pas dans les sociétés anciennes. Or, non seulement le marché existait bel et bien, mais on peut même dire que, comme structure politique et sociale, il était un élément clé du dynamisme des sociétés civiques, et faisait toute leur spécificité par rapport aux sociétés orientales, qui. elles, fonctionnaient principalement sur le mode de la redistribution. On voit que, sur ce point, le désaccord ne saurait être plus net.
On connaît le mot de Cyrus qui. selon Hérodote (1.153). définissait les Grecs en disant que c’étaient des gens qui au milieu de leur ville avaient un endroit où ils pouvaient se tromper mutuellement par des serments, désignant ainsi l’agora où l’on pouvait acheter et vendre[1080]. La formule était polémique, mais pas inexacte. Ce qui dans le monde grec fondait l’existence du marché était l’égalité juridique et politique entre des partenaires libres et formellement égaux, rapport dont l’agora était la matérialisation. Naturellement, le groupe des citoyens était plus ou moins large, et il suffirait de renvoyer ici aux concepts d’oligarchie ou au contraire de démocratie. De l’archaïsme à l’époque hellénistique, les communautés civiques ont toute une histoire, qu’il serait vain de vouloir évoquer en quelques mots et qui au demeurant est bien connue dans ses grandes lignes, parfois aussi dans le détail, du moins pour une cité comme Athènes. Ces communautés étaient plus ou moins ouvertes, les unes comme Sparte “archaïques”, restrictives et hiérarchisées, d’autres comme Athènes, nombreuses et égalitaires. Cependant, pour ce qui est de la circulation des biens, même si c’était à des degrés fort divers, elles partageaient toutes les mêmes caractéristiques de fond : d’où la tentation de séparer agora politique et agora marchande, puisque sur cette dernière le statut n’intervenait plus dans les rapports d’achat et de vente[1081]. Pas de cité grecque, y compris Sparte, sans agora, sans espace défini et contrôlé par la cité, où pouvait s’effectuer l’échange des biens par achat et vente entre partenaires formellement égaux en droit dans le cadre de cette relation. On a défini (à juste titre) la cité grecque comme un club de guerriers. Mais on pourrait aussi la définir comme un club fermé d’acheteurs et de vendeurs.
Dans les sociétés du Proche-Orient asiatique, la Phénicie mise à part, c’était la redistribution qui réglait encore l’essentiel de la circulation des biens et des richesses, l’échange marchand ne jouant qu’un rôle structurellement secondaire[1082]. En Grèce, depuis le temps des palais, la redistribution avait disparu. Dans le monde des cités, c’était l’achat et la vente qui réglaient la circulation des biens. Ce principe de marché était lié a la capacité pour tout homme libre de conclure une transaction ayant pleine valeur légale. De même, il était possible de passer librement un contrat qui aurait une valeur juridique absolue dans le cadre de la communauté où il avait été conclu et qui pouvait éventuellement aussi avoir une forme de reconnaissance juridique dans d’autres cités[1083]. Au plan des échanges, le contrat (συμβολαῖον, συγγραφή, συνάλλαγμα ou συνθήκη) était un élément essentiel du fonctionnement social de la cité grecque. Certes, la notion de contrat n’est nullement spécifique à la Grèce : la Babylonie ou l’Égypte pharaonique ont elles aussi connu un système de contrat qui. dans la forme, n’était pas très éloigné de celui que connaissait la Grèce. Mais là n’est pas l’essentiel : la différence entre le monde grec et le monde des empires tient au fait qu’en Grèce tout homme libre était susceptible de passer un contrat ayant valeur juridique universelle, alors qu’en Babylonie ou en Égypte le fait du prince pouvait de droit annuler tout contrat passé par des particuliers. En outre, dans le monde des cités, un contrat avait valeur légale pleine et entière même s’il était passé avec un étranger, et le fait que le contractant soit grec ou non ne lui donnait même aucun caractère particulier. Le système des procès d’affaires (
Le rapport politique fondateur de la cité était donc aussi constitutif du marché. La spécificité de la société grecque par rapport aux sociétés orientales ne tenait pas à l’existence de lieux d’échange ou d’une catégorie de marchands : l’Assyrie par exemple avait été très en avance par rapport à la Grèce et. au premier millénaire, il existait en Mésopotamie des groupes de marchands actifs et dynamiques[1085]. La richesse globale ne peut davantage être un critère déterminant. Si les Grecs disposaient d’un net avantage technologique dans certains domaines précis, ceux ci restaient limités – une question qu’on ne saurait traiter ici –, et ce n’étaient certes pas les richesses naturelles dont ils pouvaient disposer qui leur auraient donné une quelconque supériorité : au contraire, le potentiel agricole de l’Égypte ou de la Mésopotamie était très largement supérieur à celui de la Grèce. L’essentiel est ailleurs et réside dans la différence de rapport juridique entre la Grèce et les sociétés orientales.
On voit qu’a été ici mise entre parenthèses la distinction entre le marché au sens de “lieu de marché” – concrètement, dans les cités grecques, il s’agissait de l’agora – et le principe abstrait de marché, où s’opère la formation des prix par le jeu de la loi de l’offre et de la demande. En fait, en Grèce ancienne, l’existence de l’agora était l’une des conditions de l’existence du marché. La fixation des prix de gros, s’effectuait à l’
Au point de départ, le problème est double. Il s’agirait de connaître d’une part la proportion de la production qui, à l’intérieur d’une cité, était mise sur le marché local, d’autre part la proportion du grain exporté sur les marchés extérieurs (quels qu’ils soient) par rapport à l’ensemble de la production.
Certes, de l’époque archaïque au Bas-Empire, les exemples ne manquent pas de paysans vivant en autoconsommation[1087]. Mais on pourrait objecter qu’Hésiode déjà donnait aussi le conseil de ne pas hésiter, “pour fuir les dettes et les tenaillements de la faim”, à prendre la mer pour vendre au dehors[1088]. Les sources attestant l’existence de l’autoconsommation pourraient aisément être contrebalancées par d’autres, qui montrent au contraire l'importance de la vente. Pour ce qui est du marché intérieur, dès le ve s., un homme comme Périclès pouvait mettre toute la production de ses domaines sur le marché[1089]. Il se peut que l’attitude de Périclès n’ait pas été un modèle fréquemment imité et que d’ordinaire les propriétaires se soient contentés de mettre sur le marché leurs surplus : mais ce comportement est néanmoins révélateur du rôle structurel que le marché intérieur pouvait jouer dès cette époque, et qui au reste n’était que l’aboutissement d’un processus déjà engagé à l’époque archaïque[1090]. De toute façon, les quantités de grain (et de vin ou d’huile) que l’on voit circuler sont d’une telle ampleur qu’elles supposent des structures de mise sur le marché qui ne peuvent correspondre à quelques livraisons occasionnelles de la part d’une paysannerie vivant normalement en autoconsommation.
L’idée d’une autoconsommation exclusive a comme présupposé l’existence omniprésente d’une classe de paysans propriétaires autosuffisants. En ce cas, l’échange serait pour l’essentiel un échange non-marchand, fondé sur la réciprocité au sein de la famille ou de réseaux de proximité[1091]. Nul doute que le schéma a une grande part de réalité et que, partout ou presque, l’essentiel de la production, ou du moins une part importante, était consommé dans un cercle local. Mais le schéma est loin d’embrasser toute la réalité et le problème se pose précisément de manière cruciale pour la proportion de la production (quelle qu’en soit la nature) qui dépassait les capacités de consommation locale. Il resterait à prouver que les paysans propriétaires aient été autoconsommateurs de manière exclusive, et surtout que les exploitants aient toujours possédé les champs qu’ils cultivaient. Même pour la petite paysannerie, cette vision intemporelle et idyllique d’un univers de petits paysans propriétaires indépendants néglige la question clé de la rente : loyers en nature, que les maîtres du sol étaient à leur tour susceptibles de mettre sur le marché si leur volume dépassaient leurs propres besoins ; loyers en argent, que les locataires ne pouvaient verser qu’en mettant sur le marché au moins une part du produit de la terre. C’est aussi par le biais des dettes et des emprunts qu'ils avaient dû contracter que pouvait se former un produit exportable. Dans le cadre interne de la cité, la nécessité de se payer un armement d’hoplite et, surtout, chaque année, le paiement de taxes, obligeaient aussi les paysans à vendre au marché pour se procurer des liquidités.
Si l’on prend en considération le niveau civique et si l’on songe non plus à Athènes mais à toutes les cités qui étaient ses tributaires, au ve s. et même plus tard au ive s., on voit qu’elles devaient exporter pour se procurer l’argent nécessaire au paiement du tribut. Or, en dehors même de l’empire athénien, nombre de cités connurent successivement des périodes de domination étrangère, que ce soit celle de Sparte, de la Perse pour les cités d’Asie Mineure, plus tard celle des rois à l’époque hellénistique. Il faudrait enfin ajouter les contributions plus ou moins forcées à diverses expéditions militaires, aux frais des multiples guerres menées dans le monde grec, que ce soit pour payer les soldats-citoyens, pour entretenir des mercenaires ou pour construire des fortifications. Tout cela est parfaitement contradictoire avec une économie de pure autoconsommation.
Selon les lieux et les époques, la part de la production consommée par les producteurs ou mise sur le marché intérieur dut varier sensiblement sans que jamais l’autoconsommation ne cessât d’être un modèle dominant (ce qui ne veut pas dire un modèle exclusif). Mais même l’autoconsommation n’est pas contradictoire avec la mise sur le marché d’une proportion importante de la production. Il pourra être intéressant le moment venu, avec toute la prudence de rigueur, de tenter une estimation globalisante, mais la question méritera une étude spéciale. Du moins ne fait-il aucun doute qu'elle n'était pas négligeable, plus importante sans doute qu’à l’époque moderne. On a pu estimer que la production mise sur le marché international au xviiie s. ne dépassait pas 1 % des quantités produites[1092]. Pour faire une telle comptabilité pour la Grèce ancienne, tout dépendra de la manière dont on l’établira : il conviendra en particulier de savoir si l’on doit y faire entrer des régions productrices comme l’Egypte, dont la Grèce bénéficiait des exportations, mais qui en fait représentait un monde totalement clos ; de même, on devra poser la question de savoir ce que l’on peut définir comme “exportation”, passage d’une région à l’autre, ou bien stricto sensu exportation d’une cité à l’autre, même s’il s’agit d’une cité voisine. En tout état de cause, si l’on adopte une définition stricte de la notion d’exportation, puisque chaque cité était en soi un État pouvant gérer ses importations et ses exportations, il semble probable que Ton aura alors des chiffres supérieurs à ceux de l’Europe du xviiie s. A titre de comparaison, de nos jours, 18 à 20 % de la production mondiale de blé sont mis sur le marché international, mais on remarquera que le chiffre ne dépasse pas 3 à 4 % pour le riz[1093].
Pour ce qui est de l’existence d’un seul “grand marché méditerranéen unifié” qui aurait vu toutes les productions mesurées à la même aune et au même prix, il est clair qu’il n’a jamais rien existé de tel. La Méditerranée antique, celle du ve s. a.C. mais aussi celle de la fin de l’époque hellénistique et du début de l’empire, était encore pour l’essentiel un monde formé de zones homogènes qui communiquaient entre elles, et non pas à proprement parler un monde unifié[1094]. C’est précisément sur ces différences que pouvaient jouer les commerçants internationaux qui passaient sans cesse d’une zone à l’autre, tâche dans laquelle excellèrent les
Soulignons donc d’abord que, dès la fin de l’archaïsme sans doute et plus encore naturellement à l’époque classique et à l’époque hellénistique, les importations de grain dans les grandes cités égéennes avaient un caractère massif. Au ve s., sans même évoquer les périodes ordinaires, on relèvera que la stratégie consistant à ramener toute la population de l’Attique derrière les murailles d’Athènes et du Pirée suppose que son promoteur, Périclès. tablait sur le fait que, quoi qu’il arrive, les importations de blé seraient suffisantes pour approvisionner la ville. Au ve s., Athènes comptait vraisemblablement un minimum de 40 000 citoyens mobilisables au début de la Guerre du Péloponnèse[1095]. Cet effectif n’était plus que de 20 à 30 000 citoyens au ive s.[1096] Si l’on projette des effectifs correspondant à ceux des familles des citoyens et à celles des non-citoyens en proportion de ceux des citoyens, on peut se faire grossièrement une idée des importations nécessaires en période de guerre. Si Athènes importait au minimum 800 000 médimnes au ive s. en période ordinaire (et peut-être davantage) et que ces importations représentaient au minimum la moitié du grain consommé à Athènes[1097], elle dut importer pas moins de 1,6 à 2 millions de médimnes pendant les périodes les plus difficiles de la Guerre du Péloponnèse. Même compte tenu de nombre de circonstances particulières (comme le fait que les invasions péloponnésiennes, du moins pendant la guerre d’Archidamos, n’ont pas nécessairement empêché toute récolte en Attique, et que l’épidémie du début de la guerre avait creusé des pertes sérieuses dans la population), on voit que le montant des importations ne peut qu’avoir été largement supérieur à celui du ive s.
Le fait que ces importations aient eu lieu dans un contexte de guerre touchant le territoire même de l’Attique n’a au demeurant aucune incidence sur la constatation que l’on peut faire que la plus grande cité de la Grèce savait pouvoir compter sur les importations pour nourrir la totalité de sa population. Indépendamment du grain provenant des îles à clérouques, qui prenait obligatoirement le chemin d’Athènes – au demeurant lui aussi transporté par des commerçants privés, comme le montre, si besoin était, la nouvelle loi attique de 374/373[1098] – le reste provenait de cités où il était librement vendu aux commerçants venant approvisionner Athènes. Certes, Athènes tenant la mer et les Détroits, le grain ne pouvait guère prendre d’autres directions[1099]. Mais de cela, dans les cités productrices, on ne devait guère avoir souci et l’on devait se contenter de constater les beaux bénéfices qu’on pouvait faire. On peut même considérer que la demande athénienne a dû avoir un effet dynamisant de première importance pour les régions productrices de blé, en particulier le royaume du Bosphore.
En tout état de cause, aussi longtemps qu’Athènes contrôla la mer, le grain importé à Athènes parvint en quantités suffisantes pour nourrir la population. C’étaient alors les Mégariens qui souffraient, non les Athéniens, et il fallut attendre le blocus péloponnésien consécutif à la défaite d’Aigos Potamoi pour que les Athéniens connaissent les affres de la famine[1100]. Pour l’Athènes du ive s., ces importations représentaient régulièrement la moitié du grain consommé dans la cité, ne répondant en rien au schéma d’un commerce quantitativement négligeable, qui se serait ramené à quelques produits de luxe destinés à la clientèle limitée d’une élite aristocratique. Les 230 navires de commerce venant du Pont Euxin à destination de la mer Égée que Philippe II saisit en 340 a.C.[1101] transportaient nécessairement autre chose et plus que les quelques capes ou paires de chaussures que pouvait vendre à Cyrène un marchand venu d’Athènes vers 400 p.C.[1102] Ironiquement, M. Finley feignait de vouloir faire de ces quelques pantoufles un exemple de “vente courante” dans un soi-disant “marché mondial”. Il s’agissait en fait de sommer les tenants de l’existence du marché dans les sociétés anciennes d’abattre leurs cartes, ce qui après tout était une attitude recevable[1103]. Le défi mérite d’être relevé.
A Athènes, au moins la moitié du grain nécessaire à la cité était donc importée. De ce fait, il est clair que la valeur marginale du grain offert était déterminée non par l’approvisionnement local mais par le grain importé. Ce dernier pouvait avoir des sources variées et lointaines : Égypte, Cyrénaïque. Pont Euxin, Sicile. Cette situation montre que les approvisionnements provenant du bassin égéen, comme le grain provenant des îles à clérouques Imbros, Lemnos et Skyros ou de Chersonnèse, mais aussi sans aucun doute d’une série d’autres provenances proches, n’était pas suffisant, et de très loin, pour satisfaire les besoins de la consommation athénienne.
On sait aussi que d’autres cités égéennes pouvaient faire venir leur blé de régions non égéennes. Ainsi, pour le Pont Euxin, le hasard des sources révèle qu’à l’époque archaïque Égine pouvait entre autres faire venir son grain du Pont, pour manifestement le réexporter vers d’autres consommateurs péloponnésiens, comme le montre la formulation d’Hérodote, qui signale que le grain allait “vers Égine et le Péloponnèse”[1104]. Il en allait de même au ve s. pour Mytilène[1105], Méthônè de Macédoine (en Piéric) et Aphytis (sur la Péninsule de Pallène, en Chalcidique)[1106] et au ive s. de nouveau pour Mytilène, Maronée[1107] et Acanthos de Chalcidique[1108]. Au ive s., le privilège de préemption au Bosphore des commerçants ayant Athènes pour destination ne se comprend que s’il y avait d’autres cités qu’Athènes qui faisaient venir leur grain des
Quoi qu’il en soit, on voit que nombre d’autres cités importaient donc elles aussi du grain du Pont. Pour ce qui est des autres sources d’approvisionnement extérieures à l’Égée, un document exceptionnel, la stèle de Cyrène, dresse la liste des destinataires du grain exporté par cette cité à destination de la Grèce. Il s’agit certes d’une période de disette exceptionnelle et il pourra paraître légitime de supposer qu’un certain nombre de ces cités n’aient pas en temps ordinaire été importatrices de grain cyrénéen. Athènes ne représente alors que 12,5 % du total et l’on aperçoit une grande diversité parmi les destinataires. On sait aussi que, selon Thucydide, c’est en réalité entre autres pour couper l’approvisionnement en grain des Péloponnésiens en provenance de Sicile qu’Athènes lança en 427 une expédition au secours de la cité sicilienne de Leontinoi. bloquée par les Syracusains[1111].
La consommation de grain non-égéen dans les grandes mais aussi dans les petites cités du monde égéen doit donc être considérée comme un fait assuré. Si l’on n’était pas dans une période de guerre et s’il n’y avait pas des accords privilégiant un seul partenaire, le grain circulant à l’échelle internationale pouvait ainsi passer d’une zone à l’autre (par exemple du Pont ou de Sicile vers la Grèce égéenne) et aller au plus offrant sur les grands marchés qui étaient régulièrement dépendants de l’extérieur pour leurs approvisionnements.
Il est vrai cependant que la part des importations de provenance lointaine n’était certainement pas partout la même et c’est dans cette perspective qu’il faut poser la question de la formation de marchés régionaux. Dans le cas de Délos et des Cyclades, dont on admettra ici qu’il constitue un exemple de situations qu’on aurait pu retrouver dans les autres régions du monde grec, G. Reger[1112] a eu raison d’en souligner l’importance. Ainsi, à Délos. il est probable que les approvisionnements en provenance des îles voisines, c’est-à-dire des Cyclades, jouaient un rôle essentiel. Dans une étude qui fait date, G. Reger a établi de remarquables comparaisons avec la situation de la Grèce moderne, où les paysans produisaient d’ordinaire plus que la consommation qui leur était nécessaire pour accumuler des réserves et pouvoir ainsi faire face en cas de difficulté les années suivantes[1113].
Les Cyclades n’ont pas la réputation d’être riches, mais, en s’appuyant sur des estimations de production et des parallèles modernes, G. Reger considère qu’elles devaient parvenir à l’autosuffisance alimentaire et ainsi pouvoir sans difficulté alimenter la petite agglomération de Délos indépendante. Dès avant l’augmentation en flèche de la population de la colonie athénienne après 166 (en fait surtout après 140), la population de Délos devait cependant compter sur les importations du fait de l’étroitesse de son territoire (en y incluant Rhénée et les domaines d’Apollon à Mykonos), qui ne devait guère pouvoir nourrir régulièrement plus de 50 % de la population[1114]. Mais, selon G. Reger, Délos aurait à cet égard été exceptionnelle dans les Cyclades. Les autres îles auraient en revanche pu atteindre l’autosuffisance et même avoir des surplus[1115]. En ce cas, la formation des prix du grain dans la zone insulaire n’aurait pas été liée aux importations depuis l’extérieur de la zone, mais à une situation purement régionale. Cette conclusion doit cependant être nuancée.
Il est certes exact que le rôle de l’approvisionnement de proximité doit être réévalué. Ainsi, les cités côtières d’Asie Mineure devaient sans doute de la même manière chercher à s’approvisionner dans leur arrière-pays immédiat[1116]. On voit de même l’île de Samothrace chercher son grain dans la Chersonnèse voisine[1117]. Les exemples pourraient être multipliés. Dans le cas des Cyclades, il faut donc se méfier du
La disette est en effet une situation qui se reproduit périodiquement dans les conditions d'une agriculture traditionnelle[1119]. En année creuse, il n’est pas évident que les réserves des années précédentes aient partout été suffisantes pour satisfaire les besoins des populations, cela d’autant plus que, d’une île à l’autre, voire d’un village à l’autre, les situations pouvaient être très changeantes[1120]. En ce cas, les cités des Cyclades devaient donc importer de la zone extra-égéenne. Hérodote rapporte déjà comment une série d’années de famine avait poussé les habitants de Théra à partir fonder Cyrène[1121]. La stèle de Cyrène de 325 confirme que les difficultés pouvaient être suffisamment grandes pour contraindre les cités insulaires à recourir à des importations extra-cycladiques[1122]. Qu'en était-il dans les années ordinaires ? Les îles étaient-elles toutes autosuffisantes et leurs échanges réciproques suffisaient-ils à alimenter leurs populations ?
La réponse à cette question dépend de beaucoup d’estimations : de la charge de population des surfaces cultivées (même si l’on ne doit pas douter que la fin de l’époque classique et l’époque hellénistique fut une époque de mise en exploitation maximale), de la productivité, des rations effectivement consommées, de la valeur nutritive des céréales, etc., en ayant recours de manière systématique aux parallèles avec la Grèce moderne[1123]. Mais le commerce du grain autour de Rhodes au xviiie s., tel qu’il a été reconstitué par M. Efthymiou-Hadzilacou peut aussi fournir un parallèle intéressant[1124]. On observe tout d’abord la diversité, la complexité et la variabilité des situations. Certaines îles étaient manifestement excédentaires. Ainsi, Astypalée et Carpathos pouvaient exporter leur grain assez facilement. D’autres, comme Nisyros ou Chalkè, n’étaient pas autosuffisantes et dépendaient des réexportations en provenance de Rhodes, qui elle-même, on l’a vu. ne produisait pas assez pour nourrir sa population et faisait venir son grain de Caramanie, c’est-à-dire des régions du Sud de l’Asie Mineure allant du golfe Céramique à la Cilicie, mais aussi de Chypre et de Syrie. Cos, en général exportatrice, pouvait elle-même se trouver certaines années en position d’importer du grain. On constate le même phénomène pour Ténus, en général exportatrice, mais parfois contrainte de faire venir du grain de Caramanie[1125]. En revanche, Kythnos exportait sans doute régulièrement le quart de son orge au xixe s.[1126]
Cela ne signifie pas que ce tableau doive être projeté directement dans l’Antiquité, car, entre autres différences, la charge de population n’était pas la même. Ainsi, Carpathos antique, avec ses trois agglomérations de type urbain, était peut-être plus peuplée qu’à l’époque moderne. On tient là néanmoins une indication précieuse de la complexité des échanges, même pour le commerce du grain. A l’époque moderne, des quantités notables de blé (surtout) étaient exportées vers les marchés extérieurs, essentiellement vers la France. “L’Archipel” (par quoi il faut entendre aussi bien les îles proches de Rhodes que les Cyclades) était indubitablement exportateur, mais laissait la première place (dans une proportion de 2/3 - 1/3 peut-être) au grain venant de “Caramanie”[1127].
Pour revenir à la situation de l’Antiquité et plus particulièrement à celle de la haute époque hellénistique, on observe incontestablement divers indices d’importation extracycladique. Certes, notre documentation ne nous permet guère ordinairement de savoir d’où venait le grain transporté par un commerçant. De là à conclure qu'il s’agissait nécessairement de grain venant d’une île voisine, il y a cependant un pas qu’il est plus difficile de franchir. L’activité des marchands rhodiens à Éphèse où ils importent du grain, leur rôle presque sans aucun doute analogue dans les Cyclades à Amorgos et à los[1128], a plus de chance de correspondre à du grain importé d’Égypte (avec laquelle Rhodes entretient alors des relations privilégiées) qu’à du grain qu’ils auraient transféré d’une île à l’autre.
On relèvera aussi que le marchand de grain Épianaktidès de Théra honoré à Arkésinè d’Amorgos[1129] n’importait évidemment pas du grain depuis son île d’origine, toujours au bord du déficit alimentaire[1130]. Théra se retrouve naturellement parmi les cités importatrices dans la stèle des céréales de Cyrène[1131]. On a certes ainsi une fois de plus la preuve que l’ethnique ne garantit nullement l’origine de la cargaison du commerçant, mais, en renversant l’argument, on voit que ce commerçant originaire des Cyclades mais qui est honoré sur la même pierre que des Rhodiens peut aussi bien être allé s’approvisionner à Rhodes. En outre, c’est sur la même pierre que celle où étaient gravés les décrets pour Épianaktidès de Théra et Agathoklès de Rhodes, que fut inscrit un décret de proxénie pour trois Rhodiens, trois frères, dont le mérite était de se dévouer “pour les Arkésiniens qui se rendent à Rhodes”[1132]. Nous avions supposé que ces Arkésiniens se rendant à Rhodes pouvaient entre autres être des
Au reste, aurait-on vraiment pris des décrets pour remercier des commerçants rhodiens s’ils avaient simplement importé du grain d’une Cyclade voisine ? On se souviendra aussi de ce que les inscriptions ne sont nullement des archives et que ce sont les seuls marchands que l’on voulait honorer pour susciter l’émulation avec les autres qui apparaissent dans nos sources[1133]. Les multiples transports de grain ou autres denrées allant d’une île à l’autre dans de petits caboteurs, dont pourtant implicitement la notion d’approvisionnement régional présuppose l’existence (au demeurant à juste titre), n’ont en revanche guère laissé de trace dans les sources épigraphiques. Le doute méthodologique sur l’origine du grain mentionné dans les inscriptions pourra certes toujours subsister, mais la probabilité joue de manière écrasante en faveur de grain de provenance lointaine. Le parallèle avec l’époque moderne et avec le rôle redistributeur de Rhodes pour les grains de Caramanie pousse fortement à adopter ce point de vue.
Pour ce qui est enfin du rôle de Délos comme centre régional de transit et de redistribution de grain au iiie s. et au début du iie s., sur lequel on verra le dossier rassemblé par G. Reger[1134], rien ne prouve que ce grain ait nécessairement eu une provenance exclusivement insulaire. Il est probable encore une fois que la réalité est plus complexe. Délos se trouvait sur la route traversant l’Égée et son sanctuaire en faisait un point d’attraction pour toute la région. Ces facteurs peuvent largement suffire à considérer que des marchands en grain de tous horizons ont pu trouver commode d’y retrouver leurs clients potentiels. En tout cas, les hommes d’affaires qu’on voit à l’œuvre à Délos dans ces opérations de financement des achats de grain ne sont pas à proprement parler des gens du cru, mais d’une part un Rhodien[1135], d’autre part un banquier de Syracuse résidant à Délos[1136]. Délos attirait donc des hommes d’affaires d’un horizon plus vaste que celui des Cyclades. De la même manière, il n’y a nul inconvénient à considérer que le grain négocié ait pu avoir tantôt une origine régionale, tantôt une origine plus lointaine : peu importait pourvu que tout le monde y trouvât son compte.
Enfin, le meilleur argument contre l’idée que Délos eût été un marché fermé au grain non cycladique se trouve dans les courbes de prix de cette denrée. Ainsi, en 282, on voit le prix du froment monter en flèche avant la soudure, de 4 dr. 3 ob. et 10 dr., pour finir par n’être même plus coté[1137]. Une telle courbe de prix est la preuve d’une insuffisance d’approvisionnement, régional ou non. Mais en tout état de cause les prix déliens étaient suffisamment attractifs pour attirer des commerçants en grain de toute provenance, qui étaient susceptibles de faire sur ce marché des profits substantiels.
On retiendra donc que, même si probablement elles n'étaient pas toutes autosuffisantes y compris en année ordinaire, les Cyclades assuraient sans aucun doute une part importante de leur alimentation. Elles devaient cependant aussi importer des régions extra-cycladiques, les unes peut-être assez régulièrement, d'autres seulement dans les années difficiles. Mais les contacts avec le monde extra-cycladique ne se limitaient pas aux importations : leurs exportations de denrées alimentaires (non pas seulement les grains, mais aussi le miel, le vin le fromage, etc.), qui sont bien attestées, mettaient les cités des Cyclades en liaison avec divers marchés extérieurs, proches ou lointains. A l’époque classique et au début de l’époque hellénistique, les Cyclades occidentales, en particulier Kéos ou Kythnos par exemple, si proches de l’Attique, regardaient certainement plutôt vers Athènes que vers Délos, de même que plus tard les Cyclades orientales étaient manifestement dans l’orbite de Rhodes, ce qui contribue aussi à remettre en cause le concept de marché régional clos.
Pour Kéos, on doit ainsi relever que 25 noms de Kéiens apparaissent dans les inscriptions ou sources littéraires attiques des ve-iiie s. a.C.[1138] De même, pour ce qui est de la circulation des monnaies des cités de Kéos ou du
En outre, dans le monde insulaire de l’époque moderne, on observe des mécanismes complexes qui, si on les rapporte à l’Antiquité, doivent éviter de tomber dans le piège du choix dichotomique entre “fermeture” ou “ouverture sans contrôle”. Ainsi par exemple, au xviiie s., les autorités ottomanes de Rhodes se livraient à des manipulations spéculatives qui donnent à réfléchir : les marchands de blé plus ou moins complices des autorités mettaient la main sur le blé produit localement dans l'île, qui était de haute qualité et qui se vendait à prix élevé sur les marchés extérieurs, et vendaient en revanche à la population locale du grain de mauvaise qualité importé de la côte sud de l’Asie Mineure[1144] N’est-il pas légitime de penser que de même, dans l’Antiquité, mais cette fois à leur profit, il pouvait arriver que les paysans des îles ou d’ailleurs en manque de liquidité vendent à l’extérieur le froment qu’ils avaient produit pour se contenter eux-mêmes d’orge importé ?
En tout cas, c’est parce que certains, cédant à l’attrait pour les prix élevés des marchés extérieurs, étaient susceptibles d’y vendre du grain que nous possédons une série de documents émanant d’autorités civiques ou de satrapes interdisant de manière temporaire ou permanente l’exportation de grain[1145]. C’est dans le même esprit que la loi de Téos prévoyait la peine de mort pour ceux qui auraient essayé d’empêcher les importations de grain dans la cité ou spéculé à la hausse sur le prix du grain importé[1146]. L’interdiction d’exporter ressort bien évidemment de la volonté de conserver son grain pour soi. Mais ce point mérite cependant une justification complémentaire. En effet, en cas d’approvisionnement insuffisant du marché local, les prix y étaient nécessairement élevés, de sorte que producteurs et marchands de grain ne pouvaient que tirer largement bénéfice de la situation. Dès lors, pourquoi était-il de surcroît nécessaire d’interdire les exportations de grain ?
En fait, lorsque la disette régnait un peu partout, même si ce faisant ils nuisaient directement à l’approvisionnement de leurs concitoyens, ceux qui avaient des réserves encore disponibles étaient tentés d’aller les vendre sur de grands marchés extérieurs où le niveau des prix était plus élevé que sur le marché local et où en outre, éventuellement, les prix nominaux étaient payés en monnaie de valeur pleine[1147]. Les interdictions d’exporter le grain se conçoivent donc par l’existence de prix inégaux sur les différents marchés, et il était tentant d’encaisser des profits exceptionnels sur ces différences. En nous obligeant à deviner les comportements des acteurs, les législations civiques nous donnent ainsi de précieux renseignements sur le jeu des marchés.
La formation des prix dans les petites cités qui n’étaient que temporairement dépendantes des importations dépendait de facteurs spécifiques. Le caractère très rural des petites villes des Cyclades et la préférence pour l’autoconsommation était certainement un élément clé. Posséder des liquidités en monnaies d’étalon attique, ou temporairement, d’étalon rhodien au iie s. jusqu’en 166, était de fait indispensable, pour pouvoir acheter sur le marché international. Pour ce qui est de l’argent disponible, les Insulaires en avaient comparativement peu. ce qui en temps ordinaire devait suffire à établir un niveau moyen des prix, même nominaux, inférieur à celui des grands centres égéens. Chacune de ces petites îles formait potentiellement un univers clos, comme un isolat. Il se peut que, dans les années ordinaires, une disette dans une région voisine n’ait pas eu d’incidence sur les prix d’une cité autosuffisante (on inscrira Délos dans cette catégorie, puisqu’elle se trouvait dans une situation privilégiée dans les Cyclades du fait de la puissance financière qu’elle représentait)[1148]. Dans la mesure où une cité pouvait à sa guise bloquer les exportations, il n’y avait pas de raison que les prix connaissent une évolution à la hausse si le marché pouvait être normalement approvisionné.
Pour les années creuses en revanche, puisque l’approvisionnement dépendait alors de marchands faisant le grand commerce, qui n’avaient pas de raison de faire des cadeaux aux insulaires, le constat est évident. En cas de disette, un manque de liquidités devait tout simplement empêcher d’importer un volume suffisant de nourriture, avec toutes les conséquences que l’on connaît pour les populations traditionnelles (sous-alimentation de certaines catégories de populations, etc.), mais le prix des quantités effectivement disponibles n’en devait pas moins rester élevé. Du fait de leur possibilité de se fermer aux échanges extérieurs (en l’occurrence à l’exportation), les marchés régionaux n’étaient donc pas concernés par les fluctuations de prix si leurs approvisionnements internes étaient suffisants. En revanche, ils subissaient pleinement la loi du marché s’ils devaient avoir recours au grain circulant à l’échelle internationale. Il va de soi cependant que même ces marchés régionaux ne pouvaient être déconnectés des mouvements à long terme qui traversaient l’ensemble du monde grec. Ainsi, à l’époque hellénistique, le recul d’Athènes et son impact sur la population et l’activité du monde égéen en est un bon exemple[1149].
La formation des prix sur les différentes places égéennes ne peut donc s’être opérée de manière totalement indépendante d’une cité à l’autre, avec les nuances que l’on vient d’apporter selon qu’un marché soit dépendant de l’extérieur seulement de temps à autre, ou au contraire de manière chronique[1150]. L’idée selon laquelle il faudrait qu’il n’y ait qu’un seul “prix mondial” pour qu’on puisse justifier de l’existence d’une structure de marché n’est pas acceptable[1151]. L’établissement d’un prix uniforme (qui au reste n’exclut pas des modèles plus complexes[1152] est seulement liée aux conditions si particulières de la mondialisation contemporaine et ne concerne au demeurant qu’un nombre limité de biens. Un bref regard sur la situation actuelle suffira à éclairer les différences. De nos jours, dans le cas des céréales, on se trouve en présence d’une demande éclatée entre une multitude de consommateurs, face à une offre concentrée entre quatre ou cinq zones exportatrices, les échanges étant eux-mêmes aux mains d’un nombre très restreint de grandes sociétés spécialisées, dont les deux premières contrôlent plus de 50 % du blé mis en circulation sur la planète. De ce fait, la fixation des prix du blé s’effectue aisément sur un petit nombre de marchés à terme, en fait principalement le Chicago Board of Trade[1153]. De la sorte, il existe effectivement un prix mondial de référence (qui varie fortement d’une année à l’autre) des diverses céréales.
En Grèce, à l’époque classique et à la haute époque hellénistique, malgré l’existence d’une multitude de petits exportateurs régionaux, quelques grandes zones (Pont, Egypte, Cyrénaïque, Sicile) concentraient certes l’essentiel de la production mise sur le marché. Pour ce qui est de la demande, elle était également éclatée entre une multitude de cités, mais un marché, celui d’Athènes, écrasait cependant tous les autres par les approvisionnements qui lui étaient nécessaires. Mais pour ce qui est de l’échange, du fait de la très petite taille des entreprises en Grèce ancienne (pas seulement des entreprises commerciales), il était en revanche entre les mains d’une multitude d’acteurs opérant chacun pour son compte, ce qui était comparativement un facteur très favorable aux consommateurs. La spéculation organisée par Cléomène de Naucratis eut des effets particulièrement ravageurs précisément parce qu’elle tendait à concentrer l’offre effective en provenance d’Égypte en une seule main.
Les conditions qui expliquent l’existence de “prix mondiaux” n’existaient donc pas dans l’Antiquité, même si les prix sur la place d’Athènes, nécessairement connus de tous les acteurs, devaient influencer fortement la tendance générale des prix. Dans les cités de Grèce égéenne dépendant des approvisionnements extérieurs, il n’existait donc pas un seul prix, mais des prix divers sur des marchés segmentés, qui étaient toutefois en interdépendance les uns avec les autres. Il est évidemment dommage que le manque de sources empêche de faire des comparaisons année par année d’une place à l’autre, mais le moins que l’on puisse dire est que les trop rares sources de la fin du ive s. et du iiie s. paraissent donner des indications de prix du grain plutôt convergentes que radicalement divergentes, ce qui aurait été le cas si les divers marchés n’avaient eu aucune interconnexion. On pourra trouver la comparaison périlleuse, mais, faute de mieux, on doit constater qu’à Athènes vers 329 les prix “raisonnables” tournent autour de 5-6 dr., et qu’à Ephèse autour de 300 ils sont à 6 dr. ou moins de 6 dr.[1154]
Au ive s., les mouvements spéculatifs sur le grain destiné aux cités égéennes dépendant de grain importé, au premier chef à Athènes, qui mettaient en jeu aussi bien l’Égypte ou Cyrène que le royaume du Bosphore ou la Sicile, sont donc la preuve de l’existence non d’un marché unique, mais d’un “marché global”, où, pour reprendre les définitions qui avaient été posées au départ, les niveaux de prix, certes divers, étaient pourtant
Il n’y a donc nulle raison de rejeter le témoignage apporté par ce plaidoyer ou d’en avoir une vision réductrice[1158]. Le comportement d’anticipation des marchands qui dirigeaient leurs cargaisons sur les places où les prix étaient les plus élevés est la preuve d’un comportement de marché. Cette interdépendance des différentes places acheteuses est précisément une caractéristique de base de la structure des marchés en Grèce ancienne, qui coexiste avec la segmentation, potentielle ou réalisée, en marchés clos parce qu’autosuffisants. Au ve s., grâce à sa domination politique, Athènes avait temporairement réussi à constituer une vaste zone non seulement politique mais aussi économique sous sa direction, avec une seule législation et une seule autorité centrale, naturellement à son bénéfice, même si les cités de l’empire pouvaient aussi tirer avantage de l’existence de ce vaste marché ainsi constitué[1159]. Seule l’issue catastrophique de la Guerre du Péloponnèse était venue remettre en cause cet extraordinaire réseau de nature tout autant économique que politique qu’Athènes était parvenue à établir. Au ive s., cette cité était seulement
Cependant, le fait que l’idéologie civique, dont Aristote est un des représentants éminents, mais dont le témoignage n’est pas unique, ait manifestement tenu pour le principe de complémentarité dans les échanges extérieurs vient encore d’une autre manière poser la question de l’existence du marché.
Le principe de complémentarité, qui consiste à troquer ses surplus contre ceux du partenaire, si possible, selon Aristote, dans le cadre d’accords commerciaux officiels entre cités (vin contre blé, fer contre bois, etc.) était certes à la base d’une société où la production des principaux objets de commerce – produits agricoles, miniers ou autres produits du sous-sol, les marbres par exemple – dépendait étroitement des conditions naturelles. Pourtant, cela ne signifie nullement que l’économie grecque en soit restée à une sorte de troc plus ou moins primitif ou plus ou moins amélioré. Ce point mérite d’être examiné plus à fond.
Certes, les conventions d’échanges bilatérales avaient la faveur d’Aristote car, selon lui, elles permettaient d’éviter que le commerce ne donnât lieu à un développement de type chrématistique, c’est-à-dire à des formes d’échanges qui n’avaient pas pour fin la satisfaction immédiate des partenaires mais bien le pur profit.
Mais on s’est à juste titre posé la question de savoir pourquoi Aristote avait choisi comme exemple le cas des accords bilatéraux entre Étrusques et Carthaginois. Le fait qu’il s’agisse de partenaires non-grecs a fait douter de l’exemplarité du cas proposé[1160]. En réalité, pour les Grecs, Étrusques et Carthaginois, partenaires familiers d’échanges établis depuis des siècles, étaient des Barbares d’une nature particulière puisque leur organisation politique était celle de la cité[1161]. Héritier d’une longue tradition, Polybe rapporte que c’était un lieu commun chez les historiens grecs de vanter l’excellence des constitutions des Lacédémoniens, des Mantinéens et des Carthaginois[1162]. Le propos d’Aristote aurait été sans objet si le cas des cités étrusques et de Carthage n’avait pas été assimilé à celui des cités grecques. Mais outre le caractère exemplaire pour son propos du contenu de ces accords, il y avait une raison supplémentaire à l’intérêt d’Aristote : le fait que les échanges entre Carthage et les Étrusques avaient pu se développer sans qu’aucun des deux partenaires n’ait connu le monnayage d’argent.
En effet, l’apparition du monnayage d’argent en Étrurie ou à Carthage fut tardive. Bien que depuis le viiie s. sa civilisation se soit développée en osmose avec la Grèce, ce n’est qu’au iiie s. que l’Étrurie, alors passée sous contrôle romain, entra véritablement dans le cycle d’une économie utilisant le monnayage d’argent[1163]. Certes, Vulci émit quelques monnaies d’argent au ve s., des monnaies d’argent sont attestées sporadiquement au ive s. (ainsi à Populonia). Il est cependant clair que ces rares monnaies, de même que les quelques monnaies grecques qui pouvaient pénétrer en Étrurie, ne jouaient qu’un rôle marginal dans les échanges. Comme instrument d’évaluation, d’accumulation et de transfert de valeur, la société étrusque utilisait de manière préférentielle des lingots de cuivre ou d’alliage de cuivre. Pour ce qui est de Rome elle-même, selon la tradition depuis le roi Servius Tullius au milieu du vie s., l’unité de référence était un poids déterminé de bronze[1164]. Ce ne fut que par le contact avec le monde plus évolué et composite de la Campanie et de la Grande Grèce que Rome, à partir de 310-300, émit son propre monnayage, et encore s’agissait-il d’émissions isolées. Et ce fut seulement à partir de la guerre contre Pyrrhus, dans les années 270, que les émissions (argent et bronze) commencèrent à devenir plus régulières[1165].
Pour ce qui est de Carthage, un monnayage d’argent émis à son nom mais en Sicile apparut lors des guerres contre Syracuse et son tyran Denys l’Ancien, qui mena la résistance à l’avancée punique[1166]. Il s’agissait manifestement de solder des dépenses de guerre, et en particulier de payer des mercenaires habitués à recevoir une solde en argent. Les premiers tétradrachmes d’argent, sur étalon attique comme toutes les monnaies d’argent carthaginoises jusqu’aux guerres contre Rome, datent donc des années 409-390 environ. D’autres émissions d'argent eurent lieu dans les années 350-340 et 317-290, dans le contexte des guerres contre Timoléon, puis contre Agathoclès. Il fallut attendre la première moitié du ive s. pour que Carthage inaugure un monnayage propre, d’or puis d’électrum, frappé à Carthage ou en Sicile sur l’étalon du sicle, mais peu abondant (sauf à la fin du ive s.) et toujours lié à un contexte de guerre. En revanche, un monnayage de bronze circula de plus en plus largement au cours du ive s. dans l’ensemble du domaine punique.
Ainsi, tant à Rome et en Étrurie qu’à Carthage, non seulement les échanges locaux mais aussi le commerce international utilisèrent pendant des siècles d’autres modes de règlement que les monnaies d’argent. Or, la tradition grecque n’ignorait pas ces réalités. Ainsi, dans un exposé sur le caractère conventionnel de la valeur chez des peuples différents, le Ps-Platon signale l’adoption d’un système de monnaie fiduciaire de cuir à Carthage : “De même, les Carthaginois utilisent ce type de monnaie conventionnelle : dans un petit sac de cuir est cousu quelque chose de la taille d’un statère ; ce qui est cousu à l’intérieur, personne ne le sait, sauf ceux qui le font ; ensuite, une fois qu’il est scellé, ils lui donnent conventionnellement le rôle de monnaie, et celui qui en a acquis le plus passe pour avoir acquis le plus de biens et être le plus riche”[1167]. En outre, l'archéologie a montré la réalité de ces échanges étrusco-carthaginois, attestée entre autres par des textes épigraphiques[1168]
De fait, comme le montre le premier traité entre Rome et Carthage, celui de 508/507, l’échange entre les deux partenaires s’était développé en recourant à des procédures qui faisaient appel aux autorités de la cité, hérauts et secrétaires jouant le rôle de greffiers[1169]. Ainsi, les commerçants romains qui se rendaient dans les zones où le commerce leur était autorisé devaient se soumettre à des règles précises de transaction : “Pour ceux qui viendront faire du commerce, que la transaction soit nulle si elle est faite hors la présence d’un héraut ou d’un secrétaire ; pour ce qui a été acheté en leur présence, que le règlement au vendeur bénéficie de la garantie de la cité, pour les ventes effectuées en Libye ou en Afrique”[1170].
Il s’agissait donc d’assurer les commerçants romains de la garantie de la cité carthaginoise sur le paiement des ventes qu’ils pourraient effectuer[1171], cette garantie étant indispensable du fait que le vendeur ne pouvait sans doute recevoir immédiatement la contrepartie physique de ce qu’il avait vendu. Sans monnaie d’argent, il ne pouvait exister d'autre système de garantie de vente, un point qui, sauf erreur de notre part, n’a pas été perçu par la critique moderne. On voit aussi qu’il y avait sans aucun doute possible usage de documents écrits. A travers ses représentants, les hérauts et secrétaires qui jouaient le rôle de témoins et de garants dans les transactions, c’était la cité qui s’engageait à faire respecter la
Dans ces opérations, on ne doit pas douter également qu’on faisait usage d’instruments d’évaluation de valeur, les prix des marchandises vendues et achetées étant très probablement exprimés en poids de bronze ou d’argent. L’échange se ramenait à une sorte de troc, mais un troc qui devait pouvoir être direct ou différé, impliquant deux partenaires seulement mais aussi peut-être plusieurs intermédiaires, rendant nécessaire le rôle de la cité comme garantie de crédit. La monnaie fiduciaire de cuir, dûment scellée, décrite par le Ps-Platon reposait nécessairement sur une garantie qui en dernier recours ne pouvait être offerte que par l’État : sans la contrepartie physique immédiate de l’argent monnayé, le rôle de la cité devenait essentiel pour contraindre les parties prenantes à respecter leurs engagements. Les échanges pouvant s’opérer sans que l’on fasse appel à des espèces monétaires, on comprend comment une grande cité commerçante comme Carthage put si longtemps se passer d’avoir un monnayage d’argent. Le système était loin d’être primitif. Cependant, aux yeux d’Aristote, c’était bien l’argent monnayé qui était cause du développement chrématistique, par la souplesse qu’il avait introduit, puisque, entre autres raisons, il était utilisable partout et par n’importe qui, ce qui induisait un possible échange à partenaires multiples échappant à tout contrôle de la cité. C’est cette différence que relevait le Ps-Platon, lorsqu’il remarquait qu’à Athènes la monnaie carthaginoise n’aurait pas eu plus de valeur que les cailloux de la montagne[1173].
Dans ce type de commerce, bien évidemment, le profit n’était pas exclu et l’on ne sache pas que les Carthaginois, pour ne citer qu’eux, aient pratiqué l’angélisme en matière commerciale. Selon Polybe, chez les Carthaginois tout était bon pour s’enrichir, quand, à Rome, on répugnait aux moyens jugés déshonorants[1174]. Pour Pline, les Carthaginois avaient été les inventeurs de l’activité marchande[1175]. Certes, il faut faire la part du
Ce n’est pas le lieu d’évoquer cette question en détail mais, sans vouloir rouvrir ici le dossier de la question de l’origine du monnayage, il reste pour le moins piquant que ce soit à Égine, cité marchande par excellence, que, dans les années 520 sans doute, soient apparues les premières monnaies d’argent en Grèce d’Europe. La cartographie des cités égéennes ayant émis un monnayage avant 480 montre que, les cités thraco-macédoniennes mises à part (il s’agissait de la principale région productrice de métal), ce furent de manière écrasante les cités maritimes et tournées vers le commerce international qui émirent alors un monnayage d’argent. Certes, il est clair aussi que nombre d’émissions monétaires servirent d’abord à payer les dépenses de l’État, principalement les dépenses de guerre, non à solder les échanges extérieurs[1179]. Mais ce serait un faux dilemme que d’opposer une “théorie marchande” à une “théorie étatique” de l’origine de la monnaie. Car c’est seulement dans les cités “marchandes”, où à la fois le métal argent affluait par le commerce et était reconnu par la société comme équivalent général en raison de rapports sociaux plus ou moins formellement égalitaires, qu'il était possible à la “cité politique” d’avoir un monnayage.
Il fallait en effet que, dès l’émission destinée à solder les dépenses de l’État, l’argent monnayé puisse être immédiatement utilisé dans les transactions marchandes intérieures ou extérieures à la cité. L’argent monnayé procurait la nécessaire articulation du jeu des entrées et sorties (
La monnaie autorisait en effet les jeux entre des partenaires multiples, elle permettait d’échapper au caractère limitatif des échanges bilatéraux qui n’étaient que des processus de troc améliorés, elle constituait la richesse en capital abstrait, insaisissable, grâce auquel on échappait au cadre civique. Aristote redoutait cette abstraction opaque que finissait pas constituer le monde des affaires et des opérations d’échanges multiples, c’est-à-dire en définitive l’univers du marché où c’était le prix qui dictait sa loi, et non pas des relations directes relevant de la solidarité immédiate entre membres d’une communauté civique ou à l’échelle internationale, sur des relations reposant sur un cadre strictement défini avec une cité partenaire. C’est donc le modèle de développement d’Athènes et de son marché où l’on pouvait tout acheter et tout vendre qui se trouvait ipso facto condamné[1181].
La meilleure traduction que l’on pourrait donner de “chrématistique” serait peut-être “accumulation de capital”, pour éviter d’employer le mot inadapté de “capitalisme”, qui suggère que c’est l’ensemble d’une société qui vit au rythme du capital. La différence radicale d’avec le capitalisme contemporain est en effet que dans ce dernier type de rapport social les facteurs de production sont eux mêmes tendanciellement indépendants des conditions naturelles, alors que c’était l’inverse dans le cas de l’économie antique. Le marché réglait la circulation des biens, il influait sur la nature des productions, mais, malgré le savoir technique spécialisé et le travail humain qui pouvait être énorme pour défricher, amender le sol, etc., ce n’était pas en dernier ressort le capital mais bien la terre qui était le principal facteur de production, le principal créateur de valeur. De là découle à la fois le caractère décisif de la guerre comme mode d’appropriation des biens de production et aussi la réification des hommes comme facteur de production, c’est-à-dire l’esclavage. Aussi longtemps qu’il en fut ainsi, on ne peut parler de capitalisme. C'est l’extraordinaire intuition d’Aristote[1182] : si les navettes pouvaient hier toutes seules et agir de manière autonome comme les statues d’Héphaïstos, on n’aurait plus besoin d’esclaves.
On voit ainsi l’intérêt mais aussi les limites de l’analyse aristotélicienne : il s’agit d’un point de vue normatif, tout à fait révélateur de l’idéologie civique et donc des tensions qui existaient entre l’univers de la cité et celui de l’échange, qui permet de comprendre comment pouvaient être conclus des accords commerciaux entre cités, mais qui est loin d’épuiser la réalité d’échanges marchands qui débordaient très largement de ce cadre institutionnalisé. Une cité se réservait certes le droit d’accorder des licences d’exportation ou d’importation (ἐξαγωγή et εἰσαγωγή). Mais le commerce entre cités ne se ramenait pas en totalité à ces échanges définis de manière très officielle entre deux cités ou deux états partenaires. Ce point de vue se trouve exprimé avec vigueur dans le discours
A l’échelle internationale, ce fut dès l’époque archaïque et la haute époque classique que Chios, Thasos, Lesbos, plus tard Cos et Rhodes, se lancèrent dans une viticulture dont les productions étaient destinées au marché extérieur et faisaient la réputation et la fortune de ces îles[1186]. On peut en outre relever que certaines cités allèrent même jusqu’à une spécialisation non dans le domaine agricole, mais dans celui de l’artisanat : ce fut le cas de Mégare pour le textile. d’Athènes (puis de Tarente et sa région à partir du ive s.) pour la céramique décorée[1187]. L’artisanat spécialisé était sans doute d’abord un remède au chômage, mais il était aussi comme tel créateur de biens exportables, bien qu’en valeur ses productions ne puissent même de loin être comparées au produit de l’agriculture[1188]. On ne faisait pas fortune en produisant céramiques ou textiles, mais, à condition de travailler de l’aube à la nuit et de jouer sur la quantité, on pouvait atteindre le minimum vital, parfois aussi une honnête aisance, et c’était déjà quelque chose.
Ainsi, même si partout prévalait l’agriculture produisant pour l’autoconsommation familiale ou pour le marché local, on doit constater qu’il existait aussi des formes de “division du travail” par la spécialisation des centres de production. C’est dire que le “déterminisme” naturel n’était en réalité qu’une détermination, qu’il était loisible ou non d’exploiter, en fonction des réseaux d’affaires dont on pouvait disposer et de la rétribution par le marché que l’on pouvait espérer. Car l’exploitation agricole coûtait cher par le capital qu’il fallait mobiliser pour la constituer (défrichement de terre, accompagné éventuellement de la construction de terrasses ou de travaux d’amendement des sols, construction de bâtiments agricoles, achat d’esclaves comme main d’œuvre, etc.)[1189]. Il s’agissait donc de choix d’investissement qui supposaient une forme de rentabilité et un calcul économique : la chose est évidente lorsqu’il s’agissait d’agriculture spéculative[1190]. Tel est le thème du dialogue entre Ischomaque et Socrate dans l’
Au ive s., Xénophon tenait comme une vérité d’évidence que le niveau des prix avait une incidence directe sur l’activité de production et que c’est en fonction du niveau des prix que l’on se tournait vers une activité artisanale ou vers une autre, ou, si l’on était agriculteur, qu’on décidait de développer telle production ou même de chercher une autre source de revenus en changeant d’activité : “Lorsque les bronziers sont en nombre trop élevé et que le prix de leurs productions est en baisse, ils abandonnent leur métier, et il en va de même pour les forgerons ; et si le grain et le vin sont en abondance et que le prix de ces productions est bas, leur culture ne s’en trouve plus rentable, si bien que nombreux sont ceux qui abandonnent le travail de la terre et se tournent vers le grand commerce, le commerce de détail et le prêt à intérêt”[1192].
Le point qui est précisément le plus remarquable est que Xénophon fixe son attention sur les prix et non pas sur telle ou telle forme de contrainte “extra-économique”. L’analyse de Xénophon a pourtant paru étrange en ce qu’elle paraît ne pas prendre en compte les échanges extérieurs[1193]. Si les prix sont trop bas, pourquoi ne pas exporter ? Si Xénophon n’y songe pas, ne tient-on pas la preuve du primitivisme soit de la pensée économique de l’auteur, soit de l’économie antique, ou plutôt même des deux ? En réalité, Xénophon raisonne déjà en termes abstraits et non pas en termes d’économie concrète ou de débrouillardise que tel ou tel pourra manifester pour faire face aux circonstances qu’il décrit. Le prix est ici conçu comme une résultante, le montant auquel le producteur vendra le fruit de son travail, que l’acheteur soit un grossiste alimentant le marché de la cité ou bien un exportateur : car peu importe au producteur pourvu qu’il puisse vivre de son travail. S’il ne le peut pas, c’est tout simplement que, compte tenu de ses frais, il n’y a pas pour lui un marché qui lui rapporte de manière suffisante.
A l’époque classique ou à l'époque hellénistique, un bronzier d’Athènes ou d’ailleurs, ou un paysan ayant du vin à écouler en quantité savait bien qu’il ne pouvait plus faire comme le paysan hésiodique qui, en cas de famine, pouvait prendre sa barque pour exporter les surplus dont il disposait encore. Les temps étaient changés : au moins dans les grandes cités, on était dans un autre monde, aux structures juridiques et politiques plus évoluées, qui connaissait déjà une grande spécialisation des tâches et était exigeant en capital. On pouvait certes vendre son bien familial pour tenter fortune sur mer, comme l’avait fait le père de Charinos dans la comédie de Plaute
Le concept de sociétés vivant exclusivement en autoconsommation contribue à l’illusion que les productions antiques étaient immuables, en particulier que les campagnes étaient vouées à un parfait immobilisme, puisque les contraintes du marché n’y jouaient aucun rôle. On a vu déjà ce qu’il fallait penser de ces schémas en fonction de ce que l’on sait des spécialisations viticoles de certaines régions, en particulier de certaines îles de l’Égée. Il y a une multitude d’évolutions à plus petite échelle qui nous échappent mais qui faisaient de cet univers certes tendanciellement stable, car soumis à des déterminismes naturels, un monde qui n’en connaissait pas moins à sa manière les contraintes du marché. On s’autorisera ici à recourir brièvement à un rapprochement avec l’économie de l’île de Kythnos telle qu’elle est décrite par A. Vallindas à la fin du xix e s., antérieurement aux grandes transformations sociales et économiques qui ont bouleversé la Grèce au cours du siècle suivant[1195]. Le parallèle avec ce que l'on peut savoir des situations antiques est très instructif.
Kythnos était autosuffisante en orge – un orge de bonne qualité très apprécié pour la panification, selon l’auteur (originaire de l’île...) même meilleur qu’un froment ordinaire – et pouvait ainsi exporter le quart de sa production, ce qui lui rapportait 20 000 drachmes. En revanche, plus qu’aucune de ses voisines, l’île connaissait un déficit en huile d'olive, dont A. Vallindas chercha à rendre raison. Restes de pressoirs, toponymie et vieilles traditions conservées d’âge en âge lui montraient qu’autrefois l’île produisait beaucoup plus. Pour tenter d’expliquer ce déclin, A. Vallindas avançait l’idée que les oliviers avaient dû subir le “châtiment" de la hache après de mauvaises récoltes et être coupés lors d’invasions étrangères (des incursions de pirates sont effectivement attestées à Kythnos jusqu’au début du xixe s.). Il signalait aussi des tentatives d’installations de nouvelles oliveraies, “mais leur revenu n’est pas assez encourageant pour susciter une grande ardeur pour une culture de l'olivier à grande échelle, et à cause de ce déficit les Kythniens exportent chaque année plus de 20 000 drachmes en approvisionnement d’huile et d’olives [i.e. en importent pour 20 000 drachmes]”[1196].
Même si les échanges extérieurs de l’île ne se limitaient pas à l’orge et à l’huile d’olive ou à l’olive, il est saisissant de constater que le volume financier des deux principaux postes à l’importation et à l’exportation était équivalent, l’un étant compensé par l’autre. La loi d’airain était que l’on ne pouvait pas importer plus que ce qu’on importait. Mais pour ce qui est de l’abandon de l’olivier, A. Vallindas donne un indice fort utile : le “châtiment” pour une productivité insuffisante, confirmé par le fait que même ceux qui se lançaient dans l’oléiculture au xixe s. n’atteignaient pas un revenu suffisant,
C’est de manière analogue que l’on doit penser les contraintes du marché dans l'Antiquité. Même pour le tout venant des cités où l’on ne s’était pas tourné vers une agriculture spéculative et où fondamentalement on continuait à pratiquer une agriculture d’autoconsommation, si l’on savait pouvoir compter régulièrement sur les revenus d’exportations négociables sur le marché, il devenait possible de pratiquer une agriculture spéculative “à la marge”. Le parallèle de Kythnos moderne a montré que si l’essentiel de l’orge était évidemment consommé sur place, un quart de la production pouvait être régulièrement exporté. On peut imaginer qu’il pouvait en aller de même dans l’Antiquité. En outre, cette autoconsommation prévalante était parfaitement compatible avec une certaine forme de spécialisation. Ainsi. Kythnos antique était célèbre pour ses fromages, qui avaient une valeur élevée. Cette réputation bien connue par les sources littéraires est corroborée par les sources papyrologiques, qui montrent que ces fromages étaient exportés jusqu’en Égypte[1198]. Ces exportations apportaient les revenus monétaires susceptibles de procurer en retour les importations de produits dont on était déficitaire.
En fait, si l’on se place au niveau d’une cité, ce n’est que si l’on n’avait rien à offrir sur les marchés extérieurs que l’on pratiquait une autoconsommation exclusive. En ce cas, comme le résumait lapidairement Platon, “Et si l’intermédiaire part les mains vides, sans rien apporter de ce dont manquent ces cités où il va chercher ce dont ont besoin ses propres concitoyens, il reviendra les mains vides, n’est-ce pas ? — Il me semble. — Il faut donc non seulement produire des denrées en quantité appropriée au pays, mais encore, en nature et en quantité, celles dont manquent les partenaires ? — Il le faut, en effet”[1199]. L’absence d’importation n’était alors que la traduction de l’incapacité à exporter : c’est faute de pouvoir importer que l’on était contraint de produire, selon le cas et si même les données naturelles le permettaient, céréales, vin ou huile de mauvaise qualité, au prix d’un surtravail considérable. L’établissement des prix à l’agora de la cité se faisait alors en fonction des seules denrées produites localement. On était condamné à la médiocrité et à la pauvreté, on sortait du devant de la scène pour l’abandonner à ces cités ouvertes à l’échange, urbanisées, monétarisées, qui menaient le cours de l’histoire. Ce qui vaut pour le paysan vivant en économie fermée sur une exploitation isolée[1200] vaut tout autant pour les cités.
Ainsi, pour ce qui est de la composition de l’offre, on voit que la notion de flux se combine avec celle de surplus, que l’un ne peut être pensé en dehors de l’autre. Au delà d’une détermination liée pour la production agricole aux conditions naturelles, c’étaient des choix liés au marché qui conditionnaient la constitution du surplus marchand. La règle vaut pour les régions qui avaient fait le choix d’une agriculture spéculative, produisant une denrée bien au delà de toute nécessité locale, comme le grain pour le royaume du Bosphore ou le vin pour Rhodes hellénistique, mais aussi pour les cités ordinaires qui pratiquaient encore une agriculture orientée prioritairement vers l’autoconsommation.
En s’appuyant sur les analyses fournies par les antiquisants, J.-Y. Grenier, historien spécialiste de l’économie de l’époque moderne[1201], a récemment tenté un bilan comparatif entre la formation des prix du grain dans l’Antiquité gréco-romaine et dans la France d’Ancien Régime pour en présenter un tableau fort contrasté. Il considère que le prix du grain à l'époque moderne obéit pour l’essentiel à la loi de l’offre et de la demande et que même les interventions publiques se faisaient étroitement en liaison avec le prix du marché. La “police des grains” ne consistait pas à fixer arbitrairement des prix de manière autoritaire et administrative : “Elle intervient au contraire en amont du marché, de façon plus ou moins contraignante, pour en favoriser l’approvisionnement (contraintes de stockage pour les communautés ou les particuliers), soit directement sur le marché pour assurer la régularité des échanges et permettre la formation d’un prix... Cette réglementation imposait un ensemble de mesures considérables puisqu’il ne s’agissait pas de contrôler le seul marché – ce qu’une simple politique de contrôle et de fixation des prix aurait exigé – mais de suivre et de baliser le parcours du grain de la production jusqu’au stockage et au commerce”[1202].
Au delà de cette réglementation, qui sans doute avait finalement un rôle plus parasitaire que bénéfique[1203], et de manière beaucoup plus essentielle, J.-Y. Grenier considère que la formation du prix des grains dans la France moderne obéissait aux règles d’une économie de circuit. Ce principe veut que. en dehors de l’influence de facteurs exogènes pouvant venir peser sur l'offre, comme la météorologie ou autres, il est possible de déduire le prix courant à l’issue d’une période θ (“durée du circuit, délai nécessaire à la formation du revenu”) si l’on connaît le revenu disponible issu de la période précédente et le prix moyen au cours de cette même période, dans la mesure où pour l’essentiel le niveau de l’offre s’établit en fonction du prix moyen de la période précédente[1204].
La formation du prix du grain dans les cités grecques classiques et hellénistiques aurait obéi à des règles bien différentes. Selon J.-Y. Grenier, on devrait distinguer quatre, voire cinq types de formation ou fixation des prix[1205]. Le premier correspondrait à l’échange intervenant sur l’agora entre les commerçants en grains athéniens, les
J.-Y. Grenier appuie son raisonnement en particulier sur les prix rapportés dans le
Or, cette séparation entre production et consommation trouvait sa solution dans le marché. Comme on l’a vu, le grain se dirigeait vers les places qui offraient le prix le plus intéressant pour les commerçants. C’était “la main invisible du marché” qui assurait les approvisionnements extérieurs et non des transferts autoritaires. La condition de la naissance de l’économie marchande en Grèce ancienne était précisément l’existence d’une multitude d’états formellement indépendants les uns des autres – plus de mille –, beaucoup d’entre eux ayant un débouché direct sur la mer. De la sorte pouvait se constituer un réseau d’échange marchand à la fois dense, multipolaire et extrêmement complexe. A priori, tout le monde pouvait communiquer avec tout le monde, éventuellement d’un bout à l’autre de la Méditerranée. Des marchands massaliotes ou carthaginois fréquentaient les ports du Pirée ou de Rhodes tout aussi bien que des commerçants venus du Pont Euxin ou de Chypre.
On voit la différence avec la situation de la France du xviiie s., où les intendants royaux pouvaient veiller à l’acheminement du grain depuis la production et opérer autoritairement des transferts d’une province à l’autre. On observera que, dans un cadre bien entendu fort différent, les rois, dynastes et satrapes de l’époque hellénistique, pouvaient opérer de manière autoritaire sur les cités sous leur contrôle en leur faisant acheter le grain dont ils disposaient eux-mêmes directement grâce au tribut en nature dont ils disposaient et en contrôlant leur politique d’approvisionnement[1211]. En revanche, les cités grecques les plus importantes, donc les plus dépendantes des échanges extérieurs, n’avaient aucune autorité politique sur la production d’une part essentielle des quantités de grain qui leur étaient nécessaires.
La seule pression qui pouvait s’exercer, raison pour laquelle on la voit jouer un rôle décisif dans les plaidoyers attiques, était celle du capital. Ainsi, à Athènes, pour le grain, on ne pouvait prêter pour une autre destination qu’Athènes elle-même, et réciproquement le preneur s’engageait donc par contrat à ne pas décharger ailleurs qu’au Pirée le grain qu’il achèterait sur une place étrangère[1212]. Enfreindre cette loi, c’était risquer une sévère condamnation. Certes, le marchand pouvait alors ne pas prendre le risque de revenir à Athènes. Mais, ce faisant, il se privait ipso facto non seulement de l’accès au marché consommateur athénien, de très loin le plus important du monde grec, mais aussi des futurs emprunts qu’il aurait pu contracter sur cette place, c’est-à-dire de l’accès au capital. Or, à l’époque classique, Athènes jouait un rôle fondamental comme place financière (ce rôle étant repris par Rhodes à l’époque hellénistique). Ailleurs, on risquait fort de ne trouver que des taux d’emprunt moins avantageux, voire pas de capital à emprunter, ce qui pour le marchand revenait à la paralysie. Manifestement, certains pourtant n’hésitaient pas à courir le risque de la fraude si le profit escompté semblait réellement avantageux.
Il reste que l’approvisionnement des marchés dans la France d’Ancien Régime obéissait à des principes fort différents. Si l’alimentation du marché d’Ancien Régime pouvait en quelque sorte se faire de manière régulière, puisqu’elle relevait du même espace politique, et si, sauf en cas de récolte exécrable, le marché du bourg ou de la ville était assuré de recevoir des quantités plus ou moins suffisantes pour son alimentation, il n’en allait pas de même pour la Grèce ancienne, de sorte que l’organisation du marché ne pouvait pas être la même. Une ville française d’Ancien Régime pouvait se permettre de mettre en prison un fermier spéculateur[1213] : au pire moment d’une crise frumentaire, une cité grecque ne pouvait au contraire que songer à flatter les commerçants importateurs pour les attirer vers son
En analysant l’évolution des prix du blé, G. King, un généalogiste britannique du xviie s., fut le premier à établir ce principe dans un ouvrage paru en 1696. L’effet de King “peut être observé pour les matières premières qui font l’objet d’un marché international, et surtout, et plus généralement, dans le domaine agricole. Le phénomène est lié, en effet, à l’existence concomitante de plusieurs conditions, dont les principales sont l’existence d’un marché fermé, ou isolé (quelle que soit sa dimension, mondiale, nationale ou régionale) : la rigidité à court terme de l’offre (c’est-à-dire du volume de la production, soit que celui-ci dépende des conditions naturelles aléatoires, soit qu’il procède d’une utilisation non modulée de la capacité de production) ; une demande inélastique (produits agricoles) ou dont les fluctuations sont commandées par des motivations étrangères à la considération des prix (matières premières stratégiques).... L’effet King, d’abord relevé à propos du fonctionnement des marchés agricoles, semble bien traduire en fait un phénomène économique caractéristique des économies de marché suivant lequel les effets d’un facteur causal ne lui sont pas directement proportionnels”[1215]. Les fortes variations que l’on rencontre pour le prix des grains dans la Grèce des cités sont donc caractéristiques de structures de marché et ne sont pas des variations erratiques. En Grèce ancienne, le marché intervenait donc déjà en amont de l’approvisionnement des marchés des grandes cités, alors que dans la France d’Ancien Régime le jeu du marché n’intervenait pour l’essentiel que dans la halle aux grains, où se faisait la confrontation de l’offre et de la demande finale.
Il y a aussi à cet égard une autre différence essentielle entre la Grèce des cités et la France d’Ancien Régime. L’analyse du mécanisme des
A l’agora, de façon générale, il est manifeste que le marchandage était possible entre acheteur et vendeur[1216]. Cependant, pour protéger le consommateur, des dispositions réglementaires pouvaient venir empêcher une concurrence incontrôlable entre détaillants, comme, éventuellement, celles qui pour certaines catégories de produits pouvaient interdire aux commerçants de modifier leurs prix dans la même journée[1217] : le but était manifestement d’éviter que les commerçants ne commencent leur journée en fixant des prix trop hauts. En certaines circonstances et pas seulement pendant les fêtes, les cités pouvaient même aller jusqu’à fixer le prix des produits, comme le montre l’inscription agoranomique du Pirée[1218].
Pour les prix de gros, le système était sensiblement différent. A l’
Pour ce qui est des marchés, ils faisaient donc l'objet de contrôles attentifs des autorités civiques. En Grèce ancienne, du moins à partir de la fin de l’archaïsme, il n’y avait pas dichotomie entre commerce international et commerce local, entre deux circuits de circulation distincts qui auraient porté sur des denrées de nature différente et qui auraient été opérés par et pour des personnes de statut radicalement différent, comme on le trouve par exemple dans certaines sociétés africaines[1220]. A l’agora confluaient le grain d’origine locale et le grain importé. C’est là que se faisait physiquement le contact entre les deux sources d’approvisionnement en grain. De manière générale, les cités réglaient approvisionnement du marché et vente au détail par une série de dispositions réglementaires. Ainsi, comme Athènes disposait de deux grosses agglomérations urbaines, elle faisait en sorte qu’un tiers du blé aille au Pirée, les deux tiers à la ville d'Athènes, ceci pour équilibrer l’offre. C’est ainsi également que les cités pouvaient fixer diverses règles pour empêcher ou tenter de limiter la spéculation, comme l’interdiction faite aux vendeurs sur l’agora de modifier leur prix en cours de journée, ou la constitution d’un fonds de réserve de blé qui ne serait pas vendu avant une certaine date, comme le montre pour Athènes la nouvelle loi attique de 374/373[1221]. Tout cela évoque cette fois directement les mesures que pouvait prendre une ville d’Ancien Régime : “Délimitation précise du moment et du lieu du marché afin d'assurer une confrontation physique et visible de l’offre et de la demande, obligation faite aux marchands de laisser pour le marché suivant les grains non vendus le jour même afin de freiner les manœuvres spéculatives et favoriser les mouvements de baisse...”[1222] Selon J.-Y. Grenier, cependant, ces réglementations de l’Ancien Régime avaient en fait sans doute davantage un effet pervers qu’un effet positif : l’effet régulateur ne pouvait intervenir que lorsque les prix étaient dans une zone de stabilité, mais l’inflation se trouvait stimulée “car l’intérêt du marchand est de pouvoir vendre plus cher à terme, et de fixer un prix initial élevé pour ne pas risquer de vendre au-dessous de ce qu’autorise la tension du marché”[1223]. Il est vraisemblable que des mesures du même ordre, même pour certaines totalement identiques, aient eu des conséquences analogues dans l’Antiquité.
En revanche, du moins à l’époque classique et à la haute époque hellénistique, une différence capitale d’avec la ville d’Ancien Régime était l’existence d’une catégorie de privilégiés, celle des citoyens. Cela ne signifie pourtant nullement que les prix du grain des diverses sources d’approvisionnement réservées aux citoyens aient été totalement déconnectés du marché, comme si les prix pratiqués en faveur des citoyens avaient introduit un paramètre chaotique : on a vu par exemple qu’il ne fallait en aucun cas considérer que, par exemple à Athènes en 330/329, on ait vendu du grain aux citoyens à 5 dr. le médimne tandis que “le cours du marché libre” aurait été de 16 dr. Bien au contraire, loin d’être déconnecté du prix du marché, le prix de 5 dr. le médimne n’était autre que le cours officiel à l’importation à Athènes, le privilège des citoyens étant à la fois de pouvoir disposer d’un droit de préemption par les distributions particulières (en l'occurrence en un lieu distinct de l’agora) qui était organisées pour eux et de pouvoir y avoir droit au prix de gros. Quant aux distributions faites par la cité elle-même, avec son propre grain, on voit que la nouvelle loi attique de 374/373 laisse l’assemblée libre de fixer son prix[1224]. Cependant, en 329/328, la cité fixe les prix du froment et de l’orge auxquels les épistates d’Eleusis doivent vendre leurs surplus à respectivement 6 et 3 dr., ce qui
En tout état de cause, il est vrai qu’en cas de grande disette des prix franchement en dessous des cours pouvaient être pratiqués, mais ils ne peuvent guère avoir joué un autre rôle que celui d’aider à apporter une ration de survie. L’évergétisme de la deuxième moitié de l’époque hellénistique ou de l’époque romaine relève déjà d’une autre structuration de la cité, au sein de laquelle les écarts sociaux s’étaient approfondis[1226]. De façon générale, les ventes du grain public (ou les ventes dans les mois difficiles dont témoigne la loi de 374/373) portaient de toute façon sur des quantités limitées, comme l’a montré L. Migeotte[1227]. Ces ventes contribuaient à stabiliser les prix sur l’agora, ou à limiter quelque peu les fluctuations dues aux aleas du marché, mais en aucun cas on ne peut dire qu’elles aient créé des fluctuations chaotiques ou bien des conditions où les prix auraient fluctué séparément, sans rapport les uns avec les autres, sur l’agora ou dans les ventes réservées aux citoyens. On remarquera enfin que l’évolution des prix du grain sur une année à Délos correspond au rythme saisonnier, comme dans les sociétés d’Ancien Régime, ce qui ne saurait être le cas si des interventions de toute nature étaient venues fixer des niveaux de prix totalement arbitraires[1228].
Pour finir, on peut dire que le rôle perturbateur des variables exogènes pesant sur l’offre de grain, et sur l'offre en général, était beaucoup plus important en Grèce ancienne que dans la France d’Ancien Régime. Il est clair aussi que le système du surplus existait. Mais, en tant que telle, la notion de surplus à elle seule est insuffisante pour décrire la constitution de l’offre. D'une part, tant au niveau de la production que de l’échange, le poids des variables exogènes n'empêchait pas le développement tendanciel de conduites d'anticipation ayant pour but le profit et tenant compte de pures variables économiques, comme le montre entre autres le propos de Xénophon, tant dans les
L’économie de la Grèce ancienne n’était donc que partiellement une économie de surplus. Avait-elle donc aussi des traits d’une économie de circuit ? Avant de pouvoir donner une réponse à cette question, c’est une véritable théorie de la formation des prix en Grèce ancienne qu’il faudrait d’abord établir, mais aussi une théorie de la rente, de la valeur et de la monnaie : on voit que la tâche est vaste.
L’économie de la Grèce des cités relève donc pleinement de la catégorie des économies à marché, même s’il s’agissait d’un marché qui fonctionnait différemment du marché contemporain (c’est un truisme que de le dire). Une véritable histoire économique de la Grèce des cités n’est donc pas conceptuellement une chose absurde. La tentative de J.-Y. Grenier de mettre en valeur les structures spécifiques du marché d’Ancien Régime s’inscrit explicitement dans la même perspective de rupture avec les schémas polanyiens[1229]. C’est de même tout l’intérêt des travaux récents de Jack Goody de tenter une réévaluation globale de la place de l’économie dans les sociétés orientales, particulièrement en Inde : circulation marchande et production pour le marché apparaissent sous un jour tout différent de celui qui avait été présenté dans la perspective de Polanyi[1230]. Dès lors qu’on n’étudie plus les sociétés dans une perspective classificatoire, on découvre une complexité que leur prise en compte comme sociétés “précapitalistes” ne laissait pas prévoir, ou plutôt ne laissait pas apparaître. De la sorte également, il n’est pas nécessaire de vouloir opposer deux systèmes d’échange, dont l’un serait traditionnel ou “archaïque” (liens de réciprocité entre partenaires, etc.), l’autre, “moderne”, fondé sur la recherche du profit[1231]. Le point important paraît être en tait de rechercher l’articulation entre deux phases d’un processus unique. Ainsi, des relations traditionnelles étaient susceptibles d’être utilisées pour obtenir la livraison d’une denrée, qu’ensuite on pouvait, ou non, mettre sur le marché[1232]. Il n’y avait donc pas opposition de deux systèmes d’échange mais deux phases spécifiques de circulation des biens, la deuxième consistant éventuellement en la mise sur le marché (pour de faibles quantités, il pouvait y avoir seulement circuit court et autoconsommation dans l’
Pour la Grèce ancienne, à la différence de l’Europe moderne, il est vrai que les sources manquent cruellement pour asseoir les études statistiques qu’il serait souhaitable de pouvoir mener. La disparition de toutes les archives publiques et privées provenant de la Grèce des cités n’est pas un fait négligeable. Les papyrus égyptiens, qui pour la plus grande partie d’entre eux datent de l’époque romaine, font deviner ce “monde que nous avons Perdu”[1233]. L'Égypte, on ne saurait l’oublier, n’était pas un monde de cités, et les documents dont on peut aujourd’hui disposer, si passionnants pour l’histoire économique, renvoient cependant à un univers passablement différent de celui de la Grèce classique et hellénistique. Pourtant, même en Égypte romaine, l’économie monétaire et le marché paraissent là aussi avoir été un facteur déterminant dans la formation des prix[1234].
Pour le reste du monde contrôlé par les Grecs, les inscriptions ne permettent que trop rarement de suppléer a la perte des masses d’archives publiques ou privées qui auraient permis d’écrire une histoire détaillée de l’économie de la Grèce antique (c’est là une raison de plus pour publier et analyser avec un soin particulier ces trop rares documents). Mais en aucun cas, naturellement, on ne doit considérer que le manque d’archives serait au fond imputable a la “nature des cités grecques. Certes, l’absence de “mercuriales” antiques qui auraient été analogues à celles du monde de la France d’Ancien Régime mérite d’être relevée[1235]. Mais, à Athènes, l’existence de registres des sitophylaques est bien attestée et l’on doit donc être très prudent avant de considérer que sitophylaques ou agoranomes ne conservaient aucun document contenant des indications de prix, même s'ils étaient sans doute il est vrai organisés sur une tout autre base que celle des mercuriales[1236]. On insistera en outre sur le rôle de l'écrit dans les comptabilités, dans les procédures de contrats, etc., qui est intervenu plus tôt et de manière différente de ce qu’on a imaginé jusqu’ici : vers 560 a.C., Arcésilas de Cyrène avait sans doute déjà à ses côtés son “comptable”[1237]. A l’époque classique, a fortiori, l'écrit jouait un rôle central dans les procédures commerciales[1238]. Cette piste devra être poursuivie et développée.
Au plan méthodologique, on devrait enfin se débarrasser une fois pour toutes de l’habitude de juger des structures d'une société en termes de “manque” par rapport aux structures d’une société qui lui est postérieure de vingt-cinq siècles[1239]. Pourtant, la question de savoir pourquoi les sociétés antiques n’ont pas connu la Révolution industrielle ou le “passage au capitalisme” hante encore la réflexion historique, comme si le fait que les cités grecques ou Rome “ne soient pas parvenues à ce stade” devait être porté à leur débit. Cette comptabilité négative et cette perspective finaliste ne sauraient être fructueuses. Les structures de marché segmenté de la Grèce des cités peuvent paraître “primitives” par rapport à celles du marché contemporain, mais elles étaient alors absolument révolutionnaires. Ce sont ces structures de marché consubstantiellement liées à la cité et au réseau que l’ensemble des cités formaient entre elles qui furent à la base du “miracle grec”. Ce sont elles encore qui donnèrent à la Grèce sa supériorité temporaire sur les autres sociétés du monde méditerranéen, alors même que, par la faiblesse relative de sa population, la Grèce ne paraissait nullement destinée à jouer ce rôle.
Il faut donc replacer en leur temps les structures de marché de la Grèce des cités. Pour autant, on ne doit pas hésiter à observer les similitudes systémiques que l’on peut relever entre sociétés à marché. Des comparaisons transhistoriques peuvent alors légitimement être effectuées. Au reste, il ne s’agit pas de dresser une liste de curiosités, comme des amateurs peuvent constituer une collection de timbres ou de papillons, mais de permettre de déterminer ce que peuvent être les traits structurels des sociétés fondées sur le marché, par delà des différences qui peuvent être très importantes dans l’organisation de leur système de production et autres paramètres fondamentaux.
On doit donc aujourd’hui dépasser définitivement l’alternative entre un modernisme comme celui d’Eduard Meyer, qui projetait dans l’économie de l’Antiquité des doctrines économiques de circonstance du monde industriel du début du xxe s., et un primitivisme ou un néo-primitivisme qui refusait toute réalité au marché. Johannes Hasebroek et Moses Finley avaient parfaitement raison de contredire Eduard Meyer ou Michael Rostovtzeff et leur modèle “d’industrialisation” du monde hellénistique. Mais ils avaient tort de rejeter le concept même d’économie antique. La théorie des “facteurs extraéconomiques” pesant sur l’économie grecque faisait de l’économie de la Grèce ancienne un non-être. En réalité, la Grèce ancienne a constitué la première économie à marché monétarisé qui ait existé de manière organisée et sur plusieurs siècles. Cela ne signifie nullement que l’on doive réduire l’économie de la Grèce des cités au marché. La question clé est précisément l’articulation du comportement prédateur de la cité grecque antique comme moyen collectif d'acquisition de revenus ou d’appropriation du moyen de production essentiel qu’était la terre, avec le rôle du marché comme instrument de circulation des biens. Si l’on ne retient que l’un ou l’autre des deux termes, on ne peut obtenir qu’un tableau déséquilibré, “moderniste” ou “primitiviste”.
Au reste, les conditions mêmes d’existence du marché n’ont rien de “naturel”. L’existence de réglementations civiques n’est pas la preuve de l’absence de marché : au contraire, c’est la cité qui, par l’ordre qu’elle faisait régner, créait les conditions d’existence du marché. Si l’expérience de la Grèce ancienne est si passionnante, c’est que, après un essor fulgurant, ce qui fut la première économie à marché monétarisé de l’histoire finit aussi par se transformer profondément au sein du nouvel espace romain, puis par s’effondrer lorsqu’eurent disparu les conditions politiques et juridiques qui l’avaient fait naître – égalité formelle dans l’échange à l’intérieur de la cité, multiplicité des cités commerçant entre elles. C’est aussi en ce sens que l’analyse des économies à marché qui ont précédé l’économie de notre temps peut donner à réfléchir.
Principales abréviations
Bernand,
Bogaert,
Dindorf —
Durrbach,
Edmonds — J. M. Edmonds,
J. Coupry,
Meiggs-Lewis — R. Meiggs et D. Lewis,
Oliver,
Peremans & Van't Dack,
Pleket,
Pouilloux,
Sammelbuch —
Segre,
Sokolowski,
Syll.3 — W. Dittenberger,
Tod2 — Μ. N. Tod,
Welles,
Bibliographie
Abbott, F. F. et A. C. Johnson (1926) :
Accame, M. S. (1938) : “Un nuevo decreto di Lindo del V sec. a. C.”,
Acquaro, E. (1988a) : “Le monete”, in : Moscati 1988, 464- 473.
— (1988b) : “Fenici ed Etruschi”, in : Moscati 1988, 532-537.
Adda, J. (1997) :
Aleshire, S. B. (1989):
Alexandrescu, P. (1978) : “La céramique de Grèce de l’Est dans les cités pontiques”, in : Centre Jean Bérard 1978, 52-61.
Ameling, W. (1993):
— (1995): Teil I.
Amouretti, M.-Chr., J.-P. Brun et D. Eitam, éd. (1993) :
Ampolo, C. (1994) : “Tra empὸria ed emporὶa : note sul commercio greco greco in età arcaica e classica”, in : D'Agostino & Ridgway 1994, 29-36.
André, J.-M. et M.-Fr. Baslez (1993) :
Andreades, A. (1929) : “Antimène de Rhodes et Cléomène de Naucratis”,
Andreau, J. (1994) : “La cité romaine dans ses rapports à l’échange et au monde de l’échange”, dans
— (1995) : Présentation du thème “L’économie antique”,
— (1997) : “Deux études sur les prix à Rome : Les ‘mercuriales’ et le taux d’intérêt”, in : Andreau
Andreau, J. et R. Étienne (1984) : “Vingt ans de recherches sur l’archaïsme et la modernité des sociétés antiques”,
Andreau, J., P. Briant et R. Descat, éd. (1994) :
— (1997) :
Apostolou, E. (1995) : “Les drachmes rhodiennes et pseudo-rhodiennes de la fin du iiie et du début du iie siècle av.
Arnold, R. (1975a) : “Ouidah : Port de commerce sur la côte de Guinée”, in : Polanyi
— (1975b) : “Séparation du commerce et du marché : Le grand marché d'Ouidah”, in : Polanyi
Ashton, R. H. J. (1986) : “Rhodian Bronze Coinage and the Earthquake of 229-226 BC”,
— (1988): “Rhodian Coinage and the Colossus”,
— (1989): “A Series of Rhodian Didrachms from the Mid-Third Century BC”,
— (1994a): “The Attalid Poll-Tax”,
— (1994b): “The Attalid Poll-Tax”,
— (2000) : “The Coinage of Rhodes 408-c.190 B.C.”, in : A. Meadows et K. Shipton, éd.,
Austin, Μ. M. (1970):
— (1981):
— (1994): “Society and Economy”,
Austin, M. et P. Vidal-Naquet (1972) :
— (1977) :
Avram, A. (1997/1998) “Notes sur l’inscription de l'emporion de Pistiros en Thrace”,
Ayoub, A. (1996) :
Babelon, E. (1910) :
Bäbler, B. (1998):
Bagnall, R. S. (1995) :
Barker, A. J. (1992):
Barker, Gr., J. Lloyd et J. Reynolds, éd. (1985) :
Barron, J. P. (1966) :
Basch, L. (1977) : “Trières grecques, phéniciennes et égyptiennes”,
Baslez, M.-Fr. (1976) : “Déliens et étrangers domicilés à Délos (166-155)”,
Bean, G. E. (1954): “Notes and Inscriptions from Caunus”,
Beazley, J. D. et H. G. G. Payne (1929) : “Attic Black-Figured Fragments from Naucratis”,
Benton, S. (1959): “Birds on the Cup of Arcesilas”,
Bernand, A. (1970) :
— (1984) :
Bernand, A. et O. Masson (1957) : “Les inscriptions grecques d’Abou Simbel”,
Bernard, Y. et J.-C. Colli (1975) :
Bertrand, J.-M. (1992) :
Bétant, E.-A. (1843) :
Bielman, A. (1994) :
Bingen, J. (1952) :
Bissing, F. W. von (1949) : “Forschungen zur Geschichte und kulturellen Bedeutung der griechischen Kolonie Naukratis in Aegypten”,
— (1951) : “Naukratis”,
Blinkenberg, Chr. (1931) :
Boardman, J. (1964) :
— (1967) :
— (1986): “Archaic Chian Pottery at Naucratis”, in : Boardman & Vaphopoulou-Richardson 1986, 251 - 258.
— (1990) : c.r. de Venit 1988,
Boardman, J. et C. E. Vaphopoulou-Richardson, éd. (1986) :
Böckh, A. (1818):
— (1886) :
Bodei Giglioni, G. (1970) :
Bogaert, R. (1968) :
Bonfante, L., éd. (1986) :
Bothmer, D. von (1962-1963) : “A Gold Libation Bowl”,
Böttger, B. et D. B. Šelov (1998) :
Bousquet, J. et Ph. Gauthier (1994) : “Inscriptions du Létôon de Xanthos”,
Boussac, M.-F. (1992) :
Boussac, M.-F. et A. Invernizzi, éd. (1996) :
Bouzek, I., M. Domaradzki et Z. H. Archibald (1996) :
Bowden, H. (1996) : “The Greek Settlement and Sanctuaries at Naukratis : Herodotus and Archaeology”, in : Hansen & Rauflaub 1996, 17-38.
Braudel, F. (1979) :
Bravo, B. (1980) : “Sulân”,
— (1983) : “Le commerce des céréales chez les Grecs de l'époque archaïque”, in : Garnsey & Whittaker 1983, 17-29.
Breasted, J. H. (1904):
Breccia, E. (1911) :
Bresson, A. (1979) :
— (1997) : “De Marseille à Milet : Lettres lunaires et associations cultuelles”,
— (2000) : “Monnaies et monétaires rhodiens du iie s”, in : Bresson & Descat 2000, à paraître.
Bresson, A. et P. Rouillard, éd. (1993) :
Bresson, A. et R. Descat, éd. (2000) :
Briant, P. (1994) : “Prélèvements tributaires et échanges en Asie Mineure achéménide et hellénistique”, in : Andreau
— (1996) :
Briant, P. et P. Lévêque, éd. (1995) :
Briant, P. et R. Descat (1998) : “Un registre douanier de la satrapie d'Égypte à l'époque achéménide”,
Bringmann, K. et H. von Steuben, éd. (1995) :
British Museum (1976) :
Bruce, I. A. F. (1961): “The Démocratic Revolution at Rhodes”,
Bruhns, H. (1996) : “Max Weber, l'économie et l'histoire”,
— (1998) : “A propos de l'histoire ancienne et de l’économie politique chez Max Weber”, Introduction à la traduction française des
Brulé, P. (1994) :
— (1995) : “Le pays et les hommes”, in : Briant & Lévêque 1995, 1-16.
Brulé, P. et J. Ouhlen, éd. (1999) :
Brun, P. (1993) : “La stèle des céréales de Cyrène et le commerce du grain en Égée au ive s. av. J.-C.”,
— (1996) :
— (1998a) : “Pauvreté et impuissance de Kythnos : Essai pour un jugement équilibré”, in : Mendoni & Mazarakis Ainian 1998, 657-668.
— (1998b) : “Les Ἀστραιούσιοι du décret d'Aristotélès (
Bruneau, Ph. (1970) :
Bruneau, Ph.
Brunet, M. (1999) : “Le paysage agraire de Délos dans l'antiquité”,
Buchholz, H. G. (1975) :
Bürchner (1913) :
Burelli, L. (1978) : “L’accordo monetale tra Focea c Mitilene (
Burke, E. M. (1985) : “Lycurgan Finances”,
— (1992) : “The Economy of Athens in the Classical Era”,
Burkhalter, F. (1990) : “Archives locales et archives centrales en Égypte romaine”,
Burstein, S. (1986) :
Buttrey, T. V. (1981) : “More on the Athenian Law of 375/4”,
— (1982) “Pharaonic Imitations of Athenian Tetradrachms”,
Cadell, H. et G. Le Rider (1997) :
Calder, W. M. (1912) : “Colonia Caesareia Antiocheia”,
Calligas, P. (1971) : “An Inscribed Lead Plaque from Korkyra”,
Carrière, J.-Cl. (1979) :
Cartledge, P., P. Millett et St. Todd, éd. (1990) :
Caspari, Μ. O. B (1915) : “The Ionian Confederacy”,
Casson, L. (1954) : “The Grain Trade in the Hellenistic World”,
— (1971) :
— (1989) :
Cawkwell, G. (1978) :
Centre Jean Bérard (1978) :
Chamoux, Fr. (1953) :
— (1985) : “Du silphion”, in : Barker
Chankowsy, V. et M. Feyel (1997) : “Comptes de la fin de l'indépendance délienne”,
Chantraine, P. (1980) :
Chapman, A. (1975) : “Les enclaves des ports de commerce dans les civilisations aztèque et maya”, in : Polanyi
Charvet, J.-P. (1985) :
— (1988) :
— (1990) :
— (1996) :
Chaviaras, M. et N. (1911) : “Ἐπιγραφαὶ Περαίας τῶν Ῥοδίων”,
Cherry, J. F., J. L. Davis et E. Mantzourani, éd. (1991) :
Christophilopoulos, A. P. (1979) : Νομικὰ ἐπιγραφικά II, Ἡ καταχώρισις δικαιοπρακτικῶν ἐγγράφων εἰς τὰ δημόσια ἀρχεῖα, Athènes.
Clavel-Lévêque, Μ. (1977) :
Clarke, D., éd. (1977) :
York- San Francisco.
Clinton, K. (1971): “Inscriptions from Eleusis”,
Cohen, Ed. (1973):
Cook, R. M. (1937): “Amasis and the Greeks in Egypt”,
Coppola, A. (1993) :
Corbier, M. (1980) : “Salaires et salariat sous le Haut-Empire”, in :
Cordano, F. (1974) :
Couilloud-Le Dinahet, M.-Th. (1988) : “Les magistrats grecs et l'approvisionnement des cités”,
Coulson, W. D. E. (1996) :
Coulson, W. D. E. et A. Leonard, Jr. (1981) :
Coulson, W. D. E., A. Leonard, Jr et N. Wilkie (1982) : “Three Seasons of Excavations and Surveys at Naukratis and Environs”,
Courbin, P. (1973) : “Ras El Bassit. Rapport sur la campagne de 1972”,
— (1974) : “Ras El Bassit, Al Mina et Tell Soukas”,
— (1978) :
Crawford, M. (1985) :
Crosby, M. (1949): “An Athenian Fruit Measure”,
D’Agostino, B. et D. Ridgway, éd. (1994) :
Dakaris, S. G. (1965) : “Ἀρχαιότητες καὶ μνημεῖα Ἠπείρου”,
Daressy, G. (1900) : “Stèle de l'an III d'Amasis”,
Davies, J. K. (1992) : “Society and Economy”,
Day, J. (1942):
De Ligt, L. (1993):
De Ridder, A. (1902) :
De Ste Croix, G. E. M. (1967) : c.r. de
— (1972) :
Debord, P. (1982) :
Delemare, Fr. (1994) :
Delorme, J. (1960) :
Delrieux, F. et Chr. Pébarthe (1999) : “La transaction du plomb de Pech-Maho”,
Deonna, W. (1938) :
Deppert-Lippitz, B. (1984) :
Descat, R. (1993) : “La loi de Solon sur l'interdiction d’exporter les produits attiques”, in : Bresson & Rouillard 1993, 145-161.
— (1994) : “La cité grecque et les échanges : Un retour à Hasebroek”, in : Andreau
— (1995a) : “L’économie antique et la cité grecque. Un modèle en question”,
— (1995b) : “L'économie”, in : Briant & Lévêque 1995, 295-352.
— (1997) : “Les prix dans l'inscription agoranomique du Pirée”, in : Andreau
— (1998) : “Public et privé dans l’économie de la cité grecque”,
Detienne, M. et J.-P. Vernant (1979) :
Detienne, M., éd. (1988),
Dillery, J. (1993) : “Xenophon’s Poroi and Athenian Imperialism”,
Dobias-Lalou, C. (2000) :
Domaradzki, M. (1996) :
Domaradzki, M. et Tačeva (1998) :
Doukellis, P. (1998) : “Versants pierreux et champs de culture à Céos”, in : Mendoni & Mazarakis Ainian 1998, 309-330.
Doukellis, P. et L. Mendoni (1994) :
Dow, St. (1937) :
— (1949) : “Archons of the Period after Sulla”,
Dressel, H. (1900) : “Altgriechischer Münzfund aus Aegypten”,
Dressel, H. et K. Regling (1927) : “Zwei ägyptische Funde altgriechischen Silbermünzen (1, Damanhur ; 2,
Drijvers, J. W. (1999) : “Strabo 17.1.18 (801C) : Inaros, the Milesians and Naucratis”,
Drioton, É. et J. Vandier (1962) :
Dunant, C. et J. Pouilloux (1952) : “Comptes delphiques à ἀπουσίαι (
Dürrbach, F. (1890) :
EFR (1995) :
— (1998) :
Efthymiou-Hadzilacou, M. (1988) :
Ehrenberg, V. (1932) :
Ehrhardt, N. (1985) : “Bemerkungen zu den Weihgraffiti aus Graviscae”,
— (1997) : c.r. de Bresson & Rouillard 1993,
Eiseman, C. J. et B. Sismondo Ridgway (1987) :
Empereur, J.-Y. et Y. Garlan, éd. (1986) :
Erman, A. et H. Grapow (1926-1936) :
Erxleben, E. (1973) : “Die Bevölkerung im Auβenhandel Athens im 4.Jh. v. u. Z.”, in : E.C. Welskopf éd.,
Evans, J. A. S. (1979) : “Herodotus'Publication Date”,
Fantasia, Y. (1986) : “Samo e Anaia”,
— (1998) “Distribuzioni di grano e archivi della polis : il caso di Samo”, in : EFR 1998, 205-228.
Faulkner, R. O. (1962) :
Faure, P. (1978) :
Feugères, M., G. Depeyrot et M. Martin (1996) : “Balances monétaires à tare fixe. Typologie, métrologie, interprétation”,
Feyel, M. (1936) : “Nouvelles inscriptions d’Akraiphia”,
Fick, N. et J.-Cl. Carrière, éd. (1991) :
Figueira, T. J. (1984) : “Karl Polanyi and Ancient Greek Trade : The Port of trade”,
— (1986) :
— (1988) : “Four Notes on the Aeginetan in Exile”,
— (1998) :
Finkielsztejn, G. (1999) : “A Standard of Volumes for Liquids from Hellenistic Marisa”,
Finley, Μ. I. (1973) :
— (1975) :
— (1981) :
— (1984) :
— (1985) :
— (1999) : “La guerre et l’Empire”, in : Brulé & Ouhlen 1999, 85-104 [réédition de l'étude parue en trad. fr. dans Μ. I. Finley,
Flacelière, R. (1937) :
Follet, S. (1998) : “Chronologie attique et chronologie delphique (iie siècle a.C. - ier siècle p.C.)”,
— (2000) : “Les deux archontes Pamménès du ier siècle a.C.”,
Franco, C. (1993)
Francotte, H. (1910a) :
— (1910b) : “Le pain à bon marché et le pain gratuit dans les cités grecques”, in : Francotte 1910a, 291-312.
Fraser, P. M. (1972) :
— (1977) :
Froidefond, Chr. (1971) :
Fumey, G. (1997) :
Furtwängler, A., Fr. Hauser et K. Reichhold, poursuivi par E. Buschor, C. Watzinger et R. Zahn (1932) :
Gabrielsen, V. (1981) :
— (1994) :
Gajdukevitch, V. F. (1971) :
Gamer-Wallert, I. (1978) :
Gardner, E. A. (1888) :
Garelli, P. et V. Nikiprowetzki (1974) :
Gargola, D. J. (1992) : “Grain Distributions and the Revenues of the Temple of Hera on Samos”,
Garlan, Y. (1988) : Avant propos à la traduction française de Marinovic 1988, I-XXII.
— (1989) :
— (1999) : “Les causes de la guerre chez Platon et Aristote”, in Brulé & Ouhlen 1999, 69-83 [réédition de l’étude parue dans Y. Garlan,
Garnsey, P. (1988) :
Garnsey. P. et C. R. Whittaker (1983) :
Garnsey, P. et O. van Nijf (1998) : “Contrôle des prix du grain à Rome et dans les cités de l’Empire”, in : EFR 1998, 303-315.
Garnsey, P., K. Hopkins et C. R. Whittaker, éd. (1983) :
Gauthier, Ph. (1972) :
— (1975) : “Les ports de l'empire et l'agora athénienne : A propos du ‘décret mégarien’”,
— (1976) :
— (1977) : “Les ventes publiques de bois et de charbon : A propos d'une inscription de Délos”,
— (1979) : “Ἐξαγωγὴ σίτου : Samothrace, Hippomédon et les Lagides”,
— (1981a) : “De Lysias à Aristote (Ath. pol. 51, 4) : Le commerce du grain à Athènes et les fonctions des sitophylaques”,
— (1981b) : “La citoyenneté en Grèce et à Rome : Participation et intégration”,
— (1982a) : “Les saisies licites aux dépens des étrangers dans les cités grecques”,
— (1982b) : “Les villes athéniennes et un décret pour un commerçant (
— (1984) : “Le programme de Xénophon dans les ‘Poroi’”,
— (1985) :
— (1987) : “Nouvelles récoltes et grain nouveau : A propos d’une inscription de Gazoros”,
— (1987-1989) : “Grandes et petites cités : Hégémonie et autarcie”,
— (1990) : “L’inscription d'Iasos relative à
Gauthier, R.A. et J. Y. Jolif (1970) :
Geagan, D. J. (1983) : “Greek inscriptions from the Athenian Agora”,
— (1992) : “A Family of Marathon and Social Mobility in Athens of the First Century B.C.”,
Gernet, I.. (1909) : “L’approvisionnement d’Athènes en blé au ve et ive siècle”.
— (1955) :
Gill, D. W. J. (1986) : “Two Herodotean Dedications from
— (1991) : “Pots and Trade : Spacefillers or Objets d’art ?”
Gillis, C., Chr. Risberg et B. Sjôberg (1995) :
Giovannini, A. (1978) :
Gjerstad, E. (1934) : “Studies in Archaic Greek Chronology”,
— (1948) :
— (1959) : “Naukratis again”,
Glanville, St. R. K. (1935-1936) : “Weights and Balances in Ancient Egypt”,
— (1936) : “Weights and Balances in Ancient Egypt”,
Glotz, G. (1913) : “Le prix des denrées à Délos”,
— (1925) :
— (1936) :
Goldhill, S. (1996) : c.r. de Hansen & Raaflaub 1995,
Goody, J. (1996) :
Gottlieb, G. (1967) :
Goukowsky, P. (1978) :
Goutletquer, P. L. (1978) : “Géographie humaine et archéologie en Basse-Bretagne”.
Graeve. V. von. und Mitarb. (1997) : “Milct 1994-1995”.
Graham. A. J. (1964) :
— (1983) :
Graindor, P. (1904) : “houilles d'Ios”,
Grayson, C. H. (1974) :
Greco, E. (1979) : “Poseidonia entre le vie et le ive siècle av. J.-C.”,
Grelot. P. (1972) :
Grenfell, B. P. (1896)
Grenier, J.-Y. (1996) :
— (1997) : “Économie du surplus, économie du circuit. Les prix et les échanges dans l'Antiquité gréco-romaine et dans l'Ancien régime”, in : Andreau
Guarducci. Μ. (1967-1978) :
Gunn. B. (1943) : “Notes on the Naucratis Stela”,
Günther, W. (1971) :
— (1977-1978) : “Textkritische Nachträge zur Seleukos-Stiftung in Didyma”,
— (1988) : “ʽVieux et inutilisableʼ dans un inventaire inédit de Milet”. in : Knoepfler 1988, 215-237.
Gutschmid, A. von (1855) : “De rerum Aegyptiacarum scriptoribus Graecis ante Alexandrum Magnum, IV, De Aristagora Milesio”,
Gwinn, A. (1918) : “The Character of Greek Colonization”,
Habicht, Chr. (1995) :
Hagget, P. H. (1965) :
— (1973) :
Hammond, N. G. et G. T. Griffith (1979) :
Hannig, R. (1995) :
Hansen, Μ. H. (1979) : “Misthos for magistrates in Classical Athens”,
— (1993a) :
—, éd. (1993b) :
— (1995a) : “Boiotian Poleis – a Test Case”, in : Hansen 1995b. 13-63.
—, éd. (1995b) :
—, éd. (1996a) :
— (1996b) : “Πολλαχῶς πόλις λέγεται (Arist.
— (1997a) : “Hekataios Use of the Word Polis in his
— (1997b) : “A Typology of Dépendent Poleis”. in : Nielsen 1997. 29-37.
— (1997c) : “Emporion. A Study of the Use and Meaning of the Term in the Archaic and Classical Periods”, in : Nielsen 1997, 83-105.
— (1997d) : “The Copenhagen Inventory of
— (1998) :
Hansen, Μ. H. et K. Raaflaub. éd. (1995) :
—, éd. (1996) :
Harrauer, H. et P. Sijpestein (1985) : “Ein neues Dokument zu Roms-lndienhandel. P. Vindob. G 40822”,
Harris, E. M. (1999) : “Notes on the New Grain-Tax Law”,
Hasebroek, J. (1928) :
Haussoullier, B. (1902) :
Head. B. V. (1886) : “Coins discovered on the site of Naucratis”,
— (1911) :
Heipp-Tamer, Chr. (1993) :
Herman, G. (1987) :
Hcrrmann, P. (1965) : “Neue Urkunden zur Geschichte von Milet im 2. Jahrhundert v. Chr.”,
Hill. G. (1940) :
Hiller von Gaertringen, F. (1931) :
Hind, J. G. F. (1972) : “Pyrene and the Date of the Massaliote Sailing Manual”,
Hitzl, K. (1996) :
— (1997) : “Gewichte in Eretria”,
Hochuli-Gysel, A. (1997) : “Une balance monétaire a tare fixe”,
Hodder, I. (1977) in : D. Clarke ed. (1977) :
Hoepfner, W. (1976) :
Hoff. M. C. (1989) : “Civil Disobedience and Unrest in Augustan Athens”,
— (1997) : “Laceratae Athenae”, in : Hoff & Rotroff 1997,33-51.
Hoff, M. C. et S. I., Rotroff, éd. (1997) :
Hogarth. D. G., C. C. Edgar et C. Gutch (1898-1899) : “Excavations at Naukratis”,
Hogarth, D. G., H. L. Lorimer et C. C. Edgar (1905) : “Naukratis 1903”,
Homolle, Th. (1882) : “Comptes des hiéropes du temple d'Apollon délien“,
Hopkins, K. (1983) : “Introduction”, in : Garnsey
Horn, S. H. (1969) : “Foreign Gods in Ancient Egypt”,
How, W. W. et J. Wells (1912) :
Hunt, A. S. et C. C. Edgar (1934) :
Hurler, S. et E. Pásztory (1984) : “Archaischer Silberfund aus dem Antilibanon”, in :
Huss, W. (1985) :
Huxley, G. L. (1966) :
Isager, S. et M. H. Hansen (1975) :
Jacquet, P. et F. Nicolas (1991) :
Jardé, A. (1925) :
Jeffery, L. H. (1961) :
— (1976) :
Jelinkova-Reymond, E. (1957) : “Quelques recherches sur les réformes d'Amasis”,
Joannès, F. (1994) : “Métaux précieux et moyens de paiement en Babylonie achéménide et hellénistique”,
Johnston, A. (1978) :
Karayotov, I. (1994) :
Kienitz, K. F. (1953) :
Kinch, K. F. (1905) : “Exploration archéologique de Rhodes. iiie Rapport”,
— (1914) :
Kingsley, B. M. (1986) : “Harpalos in the Megarid (333-331 B.C.) and the Grain Shipments from Cyrene. (S.E.G. IX 2 + = Tod, Greek Hist. Inscr. II no. 196)”,
Kinns, Ph. (1986) : “The Coinage of Miletus”,
Kirchner, J. (1948) :
Kleiner, G., P. Hommel et W. Mueller-Wiener (1967) :
Knoepfler, D., éd. (1988) :
Knorringa, H. (1926) :
Koldewey, R. (1890) :
Kraay, C. M. et G. K. Jenkins (1968) :
Kraay, C. M. et P. R. S. Moorey (1981) : “A Black Sea Hoard of the Late Fifth Century B.C.”,
Kretschmer, P. et E. Locker (1944) :
Kroll, J. H. (1971) : “Three Inscribed Greek Bronze Weights”, in : Mitten
— (1972) : “Two Hoards of Athenian Bronze Coins”,
— (1973) : “The Eleusis Hoard of Athenian Impérial
Coins”.
— (1997a) : “Coinage as an Index of Romanization”, in : Hoff & Rotroff 1997, 135-150.
—(1997b) : “Traditionalism vs Romanization in Bronze Coinages of Greece, 42-31 B.C.”,
Kuhrt, A. (1995) :
Labarre, G. (1996) :
Lambert, S. D. (1993) :
Lambrino, M. (1928) :
Lambrinoudakis, W. et M. Wörrle (1983) : “Ein hellenistisches Reformgesetz über das ôffentliche Urkundenwesen von Paros”.
Lane, E. A. (1933-1934) : “Lakonian Vase Painting”,
Lang, M. et M. Crosby (1964) :
Laronde, A. (1987) :
— (1991-1992) : “Le silphium sur les monnaies de Cyrène”, in :
— (1996) : “L’exploitation de la
Lawall, M. (1995) : “Premonetary and Monetary ? A Note on Trade in the Fifth Century”, in : Gillis
— (1998) : “Ceramics and Positivism Revisited : Greek Transport Amphoras and History”, in : Parkins & Smith 1998, 75-101.
Le Rider, G. (1989) : “A propos d'un passage des
— (1992) : “Les tétradrachmes attalides au portrait de Philétaire”, in :
— (1997) : “Cléomène de Naucratis”,
Le Rider, G., G. K. Jenkins, N. Waggoner et U. Westermark, éd. (1989) :
Leduc. Cl. (1976) :
Lefebvre, G. (1949) :
Legon, R. P. (1981) :
Lehmann-Hartleben, K. (1923) :
Lejeune. M. (1991) : “Ambiguïtés du texte de Pech-Maho”,
Lejeune. M. et J. Pouilloux (1988) : “Une transaction commerciale ionienne au ve s. à Pech-Maho”,
Lejeune, M., J. Pouilloux et Y. Solier (1988) : “Étrusque et ionien archaïques sur un plomb de Pech Maho Aude”,
Lenormant, Fr. (1867) “Inscriptionum Graccarum ineditarum”,
Lepore, E. (1970) : “Strutture della colonizzazione focea in Occidente”,
Levang, R. K. (1972) :
Levick, B. (1967) :
Lewis, D. M. (1968) : “New Evidence for the Gold-Silver Ratio", in : Kraay & Jenkins 1968, 105-110.
— (1986) : “Temple Inventories in Ancient Greece”, in : Vickers 1986, 71-81 (= Lewis 1997, 40-50).
— (1990) : “Public Property in the City”, in : Murray & Price 1990, 245-263 (= Lewis 1997, 60-76)
— (1997) :
Lewis, S. (1996) :
Linders, T. (1972) :
— (1988) : “The Purpose of Inventories : A Close Reading of the Delian Inventories of the Independence”. in : Knoepfler 1988, 37-47.
— (1992) : “The Delian temple Accounts : Some Observations”,
Linders, T. et B. Alroth (1992) :
Lloyd, A. B. (1975) :
— (1976) :
— (1988) :
— (1990) : “Herodotus on Egyptians and Libyans”, in :
Lurker, M. (1980) :
Maffi, A. (1988) : “Écriture et pratique juridique dans la Grèce classique”, in : Detienne 1988, 188-210.
Mahaffy, J. P. et B. P. Grenfell (1896) :
Maiuri, A. (1921-1922) : “Viaggio di esplorazione in Caria”,
Malay, H., éd. (1991) :
Malkin. I. (1994) :
Mallet, D. (1893) :
— (1922) :
Marasco, G. (1984) : “Sui problemi dell'approwigionamento di cereali in Atene nell’età dei Diadochi”,
— (1992) :
Marcellesi, M.-Chr. (1998) : “Sur l'inventaire d'Amos en Carie : Le poids des offrandes en métal dans les inventaires des sanctuaires grecs”,
Marchetti, P. (1975) : “Paie des troupes et dévaluations monétaires au cours la deuxième guerre punique”,
— (1978) :
Maresch, Kl. (1996) :
Marinovič, L. P. (1988) :
Masson, O. (1971) : “Les Chypriotes en Égypte”,
— (1976) : “Grecs et Libyens en Cyrénaïque, d'après les témoignages de l'épigraphie”,
—(1990) :
Masson, O. et J. Yoyotte (1988) : “Une inscription ionienne mentionnant Psammétique Ier”,
Mallingly, H. (1971) : “Some Third Magistrales in the Athenian New Style Silver Coinage”,
Mavrojannis, Th. (1995) : “Apollo Delio, Atene e Augusto”,
Meadows, A. (1996) : “Four Rhodian Decrees, Rhodes, Iasos and Philip V”,
Meier, Chr. (1984) :
Meiggs, R. (1982) :
Mele. A. (1979) :
Mello, M. (1967) : “Strabone V 4, 13 e le origini di Poseidonia”,
Mendoni, L. (1994) : “The Organisation of the Countryside in Kea”, in : Doukellis & Mendoni 1994, 147-161.
Mendoni, L. G. et A. Mazarakis Ainian, éd. (1998) :
Meritt, B. D. (1934) : “Excavations in the Athenian Agora”,
— (1938) : “Greek Inscriptions”,
— (1940) : “Greek Inscriptions”,
Migeotte, L. (1977) : “Sur une clause des contrats d’emprunt d’Amorgos”,
— (1984) :
— (1989-1990) : “Distributions de grain à Samos à la période hellénistique : Le ‘pain gratuit'pour tous ?”,
— (1990) : “Le pain quotidien dans les cités hellénistiques : Une ‘affaire d'Étatʼ ?”,
— (1991) : “Le pain quotidien dans les cités hellénistiques. A propos des fonds permanents pour l’approvisionnement en grain”,
— (1992) :
— (1993) :“Un fonds d’achat de grain à Coronée”, in :
— (1997) : “Le contrôle des prix dans les cité grecques”, in : Andreau
— (1998) : “Les ventes de grain public dans les cités grecques aux périodes classique et hellénistique”, in : EFR 1998,229-246.
Miller, S. G. (1974) : “A Family of Halikarnassians in North Central Greece”,
Millett, P. (1990) : “Sale, Crédit and Exchange in Athenian Law and Society”, in : Cartledge
— (1991) :
Milne, J. G. (1901) : “Greek Inscriptions from Egypt”,
Mitchell, L. G. et P. J. Rhodes, éd. (1997) :
Mitchell, St. et M. Waelkens (1998) :
Mitteis, L. et U. Wilckcn (1912) :
Morel, P. (1975) : “L'expansion phocéenne en Occident : Dix années de recherche (1966-1975)”,
Morelli, D. (1959) : “I culti in Rodi”,
Mprkholm, O. (1974) : “A Coin of Artaxerxes III”,
— (1991) :
Mørkholm, O. et N. Waggoner, éd. (1979)
Morricone, L. (1949-1951) : “I sacerdoti di Halios”,
Morris, I. (1993) :
Moscati, S., éd. (1988a) :
Moscati, S. (1988b) : “L’impero di Cartagine”, in : Moscati 1988a, 54-61.
Mossé, Cl. (1975) :
— (1984) :
— (1989) : “Lycurgue l'Athénien : Homme du passé ou précurseur de l'avenir”.
Mostra Urbino (1987) :
Mulliez, D. (1997) : “Le denier dans les actes d'affranchissement delphiques”,
Murray, Ed. et S. Price, éd. (1990) :
Nenci, G. (1979) : “La Formula epigrafica
Neumann, G. (1979) : “Die Beischriften der Arkesilas-Schale”,
Newell, E. T. (1938) : “Misccllanea Numismatica. Cyrene to India”,
Nicolet, Cl. (1987) :
Nicolet-Pierre, H. (1979) : “Les monnaies des deux derniers satrapes d'Égypte avant la conquête d'Alexandre”, in : Mørkholm & Waggoner 1979, 221-230.
Nielsen, Th. H., éd. (1997) :
Noonan, Th. S. (1973) : “The Grain Trade of the Northern Black Sea in Antiquity”,
Oliverio, G. (1935) :
Oppenheim, A. L. (1967) : “Essay on Overland Trade in the First Millenium B.C.”,
Orrieux, Cl. (1985) :
Osborne, R. (1987) :
— (1988) : “Social and Economie Implications of the Leasing of Land and Property in Classical and Hellenistic Greece”,
— (1996) :
Osborne, M. J. et S. G. Byrne (1996) :
Palmer, R. E. A. (1997) :
Pantos, P. A. (1985) :
Paoli, U. E. (1930) :
Papageorgiadou-Banis, Ch. (1997) :
Paraskevaidis, M. (1963) :
Parke, H. W. (1985) :
Parkins, H. et C. Smith, éd. (1998) :
Paterson, J. (1998) : “Trade and Traders in the Roman World : Scale, Structure and Organisation”, in : Parkins & Smith 1998, 149-167.
Payton, R. (1991) : “The Ulu Burun Writing-Board Set”,
Pébarthe, Chr. (2000) : “Fiscalité, empire athénien et écriture : Retour sur les causes de la Guerre du Péloponnèse”,
Pébarthe, Chr. et F. Delrieux (1999) : “La transaction du plomb de Pech Maho”,
Pečirka. J. (1966) :
Perdrizet, P. et G. Lefebvre (1919) :
Peremans, W. (1961) : “Égyptiens et étrangers dans l'Égypte ptolémaïque”, in :
Pernice, E. (1894) :
Perreault. J.-Y. (1986) : “Céramiques et échanges : Les importations attiques au Proche-Orient du vie s. au milieu du ive siècle avant J.-C. Les données archéologiques”,
Perrin, É. (1996) : “Notes d'épigraphie et de prosopographie attiques d'époque hellénistique”,
Pestman, P. W. (1980) :
Pétracos, V. (1997) : “La forteresse de Rhamnonte”,
Petrie, W. M. F. (1886) :
Petzl, G. (1991) : “Zum Brief Seleukos’I., C.B. Welles, Royal Correspondence Nr. 5”, in : Malay 1991, 145-152.
Pezzano, R. (1985) : “Atene, il grano e la stele cirenaica”,
Pfuhl, E. (1923) :
Picard, O. (1980) : “Aristote et la monnaie”,
— (1984) : “Sur deux termes de la chancellerie d'Aï-Khanoum”, in :
— (1988) : “Les monnaies des comptes à
— (1996) : “Monnaie ὁλοσχερές, monnaie de poids réduit,
Pimouguet, I. (1994) : "Les fortifications de la Perce rhodienne”,
Pipili, Μ. (1987) :
Plommer, H. H. (1981) : “The Temple of Messa on Leshos”, in : L. Casson et M. Price,
Polanyi, K. (1944) :
— (1983) :
Polanyi. K., C. M. Arensberg et H. W. Pearson, éd. (1957) :
Polanyi, K., C. M. Arensberg [et H. W. Pearson], éd. (1975) :
Poma, G. (1972) : “Ricerche sull'adozione nel mondo rodio (III sec. a.C./III sec. d.C.)”,
Porten, B. (1968) :
Porten, B. et A. Yardeni (1993) :
Posener. G. (1947) : “Les douanes de la Méditerranée dans l'Égypte saïte”,
Posener, G. en collab. avec S. Sauneron et J. Yoyotte (1959) :
Pouilloux, J. (1954a) :
— (1954b) :
— (1955) : “Chronique des fouilles 1954”,
Powell. J. E. (1938) :
Préaux, Cl. (1939) :
— (1947) :
Price, M. (1971) : c.r. de Austin 1970,
— (1991) :
Price, M. et N. Waggoner (1975) :
Prinz, H. (1908) : “Funde aus Naukratis”, Klio Beiheft 7, Leipzig.
Pritchett, W. K. (1953) : “The Attic Stelai, Part I”,
Puchstein, O. (1880) : “Zur Arkesilas Schale”,
Radet, G. (1893) :
Ragone, G. (1990) : “Il tempio di Apollon Gryneios in Eolide”, in : Virgilio 1990, 9-112.
Ramsay, W. M. (1924) : “Studies in the Roman Province Galatia. VI. - Some Inscriptions of Colonia Caesarea Antiochea”,
Rathbone, D. (1997) : “Prices and Price Formation in Roman Egypt”, in : Andreau
Rebuffat, Fr. (1996) :
Reden. S. von (1995) :
Reger, G. (1993) : “The Purchase of Grain on Independent Delos”,
— (1994) :
Rehm, A. (1958) :
Revere, R. B. (1975) : “Les ports de commerce de la Méditerranée orientale et la neutralité des côtes”, in : Polanyi
Rhodes, P. J. (1981) :
Ricl, M. et L. Jonnes (1997) : “A New Royal Inscription from Phrygia Paroreios : Eumenes II Grants Tyraion the Status of a
Riis, P. J. (1970) :
— (1979) :
Robert. J. et L. Robert (1983) :
Robert, L. (1925) : “Lesbiaca, 1 : Décrets de Méthymna et d’Érésos en l'honneur de jugés milésiens”,
— (1934) : “Sur un passage d’Herméias Περί του Γρυνείου Απόλλωνος (Athénée, 149 D)”,
— (1966) :
— (1971) :
Robert, L. et J. Robert (1954) :
Robinson, E. W. (1999): “Thucydidcan Sieges, Prosopitis, and the Hellenic Disaster in Egypt”,
Roebuck, C. (1951): “The Organization of Naucratis”,
— (1955): “The Early Ionian Lcague”,
— (1959):
Roesch, P. (1965) :
Rougé, J. (1963) : “Le Navire de Carpathos”,
Rouillard, P. (1991) :
— (1995) : “Les emporia dans la Méditerranée occidentale aux époques archaïque et classique”, in : EFR 1995,95-108.
Roussel, D. (1976) :
Roussel, P. (1930) : “Un sanctuaire d'Agdistis à Rhamnonte”,
Roux, G. (1979) :
Ruge, W. (1938) :
Ruzé, Fr. (1974) : “La fonction des
Şahin, M. Ç. (1987) : “Zwei Inschriften aus südwestlichen Kleinasien”,
Salles, J.-Fr. (1994) : c.r. de Bresson & Rouillard 1993, 289-296.
Salmon, P. (1965) :
Salmon, J. (1999) : “The Economic Role of the Greek City”,
Salviat, Fr. (1986) : “Le vin de Thasos. amphores, vin et sources écrites”, in : Empereur & Garlan 1986, 145- 196.
— (1988) : “Tablettes de plomb inscrites à Emporion et à Sigean”,
— (1993) : “Le vin de Rhodes et les plantations du dème d’Amos”, in : Amouretti
Salviat, Fr. et Cl. Vatin (1971) :
Salzmann, A. (1875) :
Saner, T. (1994) : “Observations on the Different Types of Masonry Used in the City Walls of Amos”,
Sanmarti, E. et R. A. Santiago (1987) : “Une lettre grecque sur plomb trouvée à Emporion”,
— (1988a) : “La lettre grecque d'Emporion et son contexte archéologique”,
— (1988b) : “Notes additionnelles sur la lettre sur plomb d'Emporion”,
Santiago, R. A. (1990) : “Encore une fois sur la lettre sur plomb d’Emporion 1985”,
Savalli-Lestrade, I. (1998) :
Scardigli, B. (1991) :
Schäler, J., éd. (1981) :
Schaps, D. M. (1987) : “Small Change in Boeotia”,
— (1997) : “The Monetization of the Marketplace in Athens”, in : Andreau
Schaus, G. P. (1979) : “A Foreign Vase Painter in Sparla”,
— (1983) : “Two Notes on Lakonian Vases”,
— (1985) : “The Evidence for Laconians in Cyrenaica in the Archaic Period”, in :
— (1996) : “An Archaeological Field Survey at Eresos, Lesbos”,
Schaus, G. P. et N. Spencer (1994) : “Notes on the Topography of Eresos”,
Schede, M. (1964) :
Schelp, J. (1975) :
Schmalz (1996): “Athens, Augustus, and the Seulement of 21 B.C.”,
Schmitt-Pantel, P. (1990): “Collective Activities and the Political”, in: Murray & Price 1990, 199-213.
Schofield, M. (1993) : “Plato and the Economy”, in : Hansen 1993b, 183-196.
Schönert-Geiss, E. (1971) : “Die Wirtschafts-u. Handelsbeziehungen zwischen Griechenland und den nördlichen Schwarzmeerküsten im Spiegel der Münzfundcn (6.-1. Jh. v. u. Z.)”,
Schütrumpf, E. (1982) :
Schwabl, S. (1978):
Schwenk, C. J. (1985):
Sealey, R. (1975): “The Causes of the Peloponnesian War”,
Séchan, L. et P. Lévêque (1966) :
Segre, M. (1993) :
Servet, J.-M., J. Maucourant, A. Tiran, éd. (1998) :
Shear, T. L. (1978):
— (1981): “Athens: From City-State to Provincial Town”,
Sheets, G. A. (1994) : “Conceptualizing International Law in Thucydides”,
Shefton, B. B. (1954): “Three Laconian Vase Paintings”,
Sherwin-White, S. (1978):
Shore, A. F. (1974): “The Demotic Inscription on a Coin of Artaxerxes”,
Simon, E. (1976):
Slings, S. R. (1994): “Notes on the Lead Letters from Emporion”,
Smither, P. et B. Gunn (1945) : “The Semnah Despatches”,
Sokolowski, Fr. (1970) : “Règlement relatif à la célébration des Panionia”,
Sourdille, C. (1910) :
Spawforth, A. J. S. (1997) : “The Early Réception of Impérial Cult in Athens : Problems and Ambiguities”, in : Hoff & Rotroff 1997, 183-201.
Speidel, M. A. (1992) : “Roman Army Pay Scales”,
Spencer, N. (1995) :
— (1996) : “Τò Πυρραίων ὂρος τò πιτυῷδες’ : An Archaeological and Epigraphical Approach to a Topographical Problem”,
Slanfield, J. R. (1999) :
Stanley, P. V. (1976) :
Steinhauer, G. (1992) : “Δύο δημοτικὰ ψηφίσματα τῶν Ἀχαρνέων”,
— (1994) : “Inscription agoranomique du Pirée”,
Steinhower, G. (1997) : “Appendice d’informations sur la topographie et la vie économique de l’ancien Pirée”, in : Chr. Panagos,
Stibbe, C. M. (1972) :
Stroud, R. S. (1974) : “An Athenian Law on Silver Coinage”,
— (1998) :
Stucchi, S. (1987) : “La ceramica Iaconica e la coppa di Arkesilas”, in : Mostra Urbino 1987, 29-34.
Studniczka, Fr. (1890) :
Susini, G. (1963-1964) : “Supplemento epigrafico di Caso, Scarpanto, Saro, Calchi, Alinnia e Tilo”,
Swiderek, A. (1961) : “Hellénion de Memphis : La rencontre de deux mondes”,
Symington, D. (1991) : “Late Bronze Age Writing-Boards and their Uses : Textual Evidence from Anatolia and Syria”, AS, 41, 111-124.
Tandy, D. W. (1997) :
Theodoridès, A. (1975) : “Les relations de l’Égypte pharaonique avec ses voisins”,
Thomas, R. (1992) :
Thompson, W. E. (1982) : “The Athenian Entrepreneur”,
Thür, G. (1987) : “Hypotheken-Urkunde eines Seedarlchens für eine Reise nach Muziris für die Tetarte in Alexandreia”,
Thür, G. et C. Koch (1981) : “Prozessrechtlicher Kommentar zum ‘Getreidegesetz’aus Samos”,
Tod, Μ. N. (1960) : “Epigraphical Notes on Greek Coinage. IV. Δραχμή”,
Torelli, M. (1971) : “Il santuario di Hera a Gravisca”,
— (1977) : “Il santuario greco di Gravisca”,
— (1978a) : “Il santuario greco di Gravisca”,
— (1978b) : “La ceramica ionica in Etruria : il caso di Gravisca”, in : Centre Jean Bérard 1978, 213-215.
Tracy, S. V. (1990a) : “The Date of the Grain Decree from Samos”,
— (1990b) :
Berkeley- Los Angeles.
Traill, J. S. (1975) :
Tréheux, J. (1965) : “Études sur les inventaires attiques”,
— (1986) : “Le règlement de Samothrace sur le fonds d'achat du blé”,
— (1992) : “L’unité de pesée et l’unité de compte des hiéropes à Délos”, in : Linders & Alroth 1992, 21-23.
Tripp, D. E. (1986) : “Coinage”. in : Bonfante 1986, 202-214.
Trolle, S. (1978) : “An Egyptian Head from Camiros, Rhodes”,
Tsetskhladze, G. R. (1998): “Trade on the Black Sea in the Archaic and Classical Periods : Some Observations”, in : Parkins & Smith 1998, 52-74.
—, éd. (1998) :
Vallindas, A. (1882) :
Van Berchem, D. (1960) : “Trois cas d’asylie archaïque”,
— (1991) : “Commerce et écriture. L’exemple de Délos à l’époque hellénistique”,
Van Groningen, B. A. (1933) :
van Gelder, H. (1900) :
Vanderpool, E. (1968) : “Metronomoi”,
Vannier, Fr. (1988) :
Vatin, Cl. (1966) : “Un tarif des poissons à Delphes”,
— (1970) :
Veligianni, Chr. (1983) : “Ein hellenistisches Ehrendekret aus Gazoros (Ostmakedonien)”,
Vélissaropoulos, J. (1977) : “Le monde de l’emporion”,
— (1980) :
Velkov, V. et L. Domaradzka (1994) : “Kotys I (383/2-359) et
Venit, M. J. (1988) :
Veyne, P. (1982) : “Critique d’une systématisation : Les
Vial, Cl. (1984) :
— (1988) : “La conservation des contrats à Délos pendant l’Indépendance”, in : Knoepfler 1988, 49-60.
Vickers, M. (1990): “Golden Greece : Relative Values, Minae and Temple Inventories”,
— (1992): “The Metrology of Gold and Silver Plate in Classical Greece”, in: Linders & Alroth 1992, 53- 72.
—, éd. (1986) :
Viedebantt, O. (1916): “Der athenische Volksbeschluss über Mass und Gewicht”,
Villanueva-Puig, M.-Chr. (1992) :
Vinogradov, Y. (1971) : “Une lettre grecque de Bérézan” (en russe),
— (1998) : “The Greek Colonisation of the Black Sea Region in the Light of Private Lead Letters”, in : Tsetskhladze 1998, 153-178.
Virgilio, B., éd. (1990) :
Virlouvet, C. (1995) :
Visonà, P. (1998) : “Carthaginian Coinage in Pespective”,
Viviers, D. (1994) : “La cité de Dattalla et l’expansion territoriale de Lyktos en Crète centrale”,
Walbank, M. (1957) :
Wallinga, H. T. (1993) : “Hesiod’s Farmer as a Sailor”, in : H. Sancisi-Weerdenburg, R. J. van der Spek, H. C. Teilier, H. T. Wallinga éd.,
Walter, H. et K. Vierneisel (1959) : “Heraion von Samos. Die Funde der Kampagnen 1958 und 1959”,
Warnock, P. et M. Pendleton (1991) : “The Wood of the Ulu Burun Diptych”,
Webb, V. (1978) :
Weber, M. (1906): “Kritische Studien auf dem Gebiet der Kulturwissenschaften Logik. I Zur Auseinandersetzung mit Eduard Meyer”, in : Weber [1965], 215- 265.
— (1909) :
— (1965) :
— (1998) :
Weiss, P. (1994) : “Kaiser und Statthalter auf griechischen Marktgewichten”, in : R. Günther et S. Rebenich, éd.,
— (1997) : “Schleuderbleie und Marktgewichte”, in : V. von Graeve
Whitby, M. (1998) : “The Grain Trade of Athens in the Fourth Century B.C.”, in : Parkins & Smith 1998, 102-128.
Whitehead, D. (1977) :
— (1986):
Wick, T. E. (1977): “Thucydides and the Megarian Decree”,
Wiegand, Th. et U. von Wilamowitz (1904) : “Ein Gesctz von Samos über die Beschaffung von Brotkorn aus öffentlichen Mitteln”,
Wilamowitz, U. von (1893) :
Wilcken, U. (1912) :
— (1923) :
Wilhelm, Ad. (1889): “Attische Psephismen”,
— (1909): “Inschriften aus Erythrai und Chios”,
Will, Éd. (1980) :
— (1982) :
— (1993) : c.r. de Bresson & Rouillard 1993,
Wilson, J.-P. (1997) : “The Nature of Greek Overseas Settlements in the Archaic Period :
— (1997-1998) : “The ‘Illiterate Trader’”,
Woodward, A. M. (1940) : “Two Attic Treasure-Records”,
Wörrle, M. (1975) : “Massnahmen des Quintus Veranius zur Reform des Urkundenwesens”, in : J. Borchhardt,
— (1988a): “Inschriften von Herakleia am Latmos I : Antiochos III., Zeuxis und Herakleia”,
— (1988b) :
Wuilleumier, P. (1939) :
Yardeni, A. (1994): “Maritime Trade and Royal Accountancy in an Erased Customs Account from 475 B.C. on the Ahiqar Scroll from Elephantine”,
Yoyotte, J. (1991-1992) : “Naucratis, ville égyptienne”,
— (1993-1994) : “Les contacts entre Égyptiens et Grecs (viie-iie siècles av. J.-C.) : Naucratis, ville égyptienne (1992-1993, 1993-1994)”,
Ziebarth, E. (1929) :
— (1932) : “Zur Handelsgeschichte der Insel Rhodos”,
Zimmermann, Kl. (1996) : “Zum Personnennamen Λίβυς/Λίβυσσα”,
Zontschew, D. (1959) :
Index des sources
Aelius Aristide
(47)
147 Dindorf 222 n. 62
Alciphron
1.9 177 n. 118
Alexis
125-126 Edmonds 177 n. 120
276 Edmonds 129
Anaxandride
39 Edmonds 23
Andocide
11 193-194
Androsthenes
Appien
2.89 44 n. 122
Apulée
1.24-25 174
Aristagoras de Milet
Aristophane
500 sq. 127
758-759 277
18-24 144
1040-1041 229 n. 95
1212-1215 146
347-350 237
925 26n. 9
Scholies Aristophane
137 168
718 =
145 =
925 86 n. 9
Aristote
7,1 164 n. 44
10,2 225
22,7 251 n. 40
51,1 173
51,3 134 n. 9,204.213
51.3-4 189-190. 204
51,4 203-204
55,5 164 n. 44
1.7.6 1097b 111 n. 10
3.9.3 1117b 2 170
5.5.13 1133b 114
5.5.14 1133b 115 n. 28
8.12 597b 89 n. 32
1.1-2 1252a-1253a 111
1.4.3 1253b 292
1.8.4-8 1256a 112 n. 14
1.9.1 1256;» 112 n. 16
1.9.1-13 1256b-1257b 291
1.9.5 1257a 114
1.9.6-7 1257a 112 n. 15
l.11.1-4 1258b 114 n. 21
3.9.6 1280a 121 n. 47
3.9.7 1280a 114 n. 23
3.9.12-14 1280b-1281a 111 n. 10
6.5.8 1320a 253
6.5.9 1320b 257
6.8.3 1320b 113 n. 18
6.8.7 1321b 145
6.8.21 1322b 145
7.5.1 1326b 112 n 12
7.5.2 1326b 112 n 13
7.5.4 1327a 113 n 19
7.6.1 1327a 113 n. 20
7.6.4 1327a 114,117
7.12.3-7 133 la- 1331b 272
1.4 1359b- 1360a 134
1.4 1360a 1 10. 114. 119 sq.
1.9 1367b 29 170
2.7 1385a 115 n. 27
Ps-Aristote
1.6.2 et 6 1344b-1345a 247
2.1.1 1345b 247
2.1.2-6 1345b-1346a 247
2.2.3c 1346b 203
2.2.7 1347ab 203
2.2.8 1347b 197
2.2.10 1347b 203
2.2.13a 1348a 191
2.2.16a 1348b 115 n 28, 202 n 81
2.2.17 1348b- 1349a 202
2.2.18 1349a 208,253
2.2.23c 1350b 249
2.2.33c 1352b 196
Arrien
3.5.4 35
Athénée
3 39b 223 n. 65
3 74f-75a 208
4 149d 78
4 149d-f 54 n. 161
6 224c-228d 177 n. 119
6 226ab 177 n. 120
7 299f-300a 23 n. 43
13 596b-d 21 n. 36
15 675f sq. 61 n. 182, 25 n. 52
15 675f-676a 18 n. 19
Callicratès-ménéclès
Cicéron
2.16 40 102
3.1250 287
6.2.3 117 n. 35
28 180
2.49 117 n. 35
14.26.1 166 n. 54
Cornelius Nepos
2.2 251
Démosthène et Ps-démosthène
(7)
11-13 292-293
(8)
24-25 140 n. 51
(18)
72 131
(20)
13 222 n. 62
31 137
31-33 209-210
31-33 276, 278 n. 66
33 133
36 137
37 122
passim 137
(24)
11 58 n. 171
11-12 29 n. 66
(32)
1 139
9-14 139-140
16 145
passim 139-140
([34])
5
147 n. 86 6
139 8
144 n. 70 10
147 n. 86 29
144 n. 70 36-37
147 36
278 37
195, 300 n. 167 38-39
184 39
183, 191-192 42
139 50-52
184
passim 298
([35])
3 139
6 139
10 131
13 139
18-19 189 n. 27
50-51 300
passim 138-139
([42])
20 195
([50])
17 131
20-21 278
30 144
(54)
26 164 n. 44
([56])
6 139
7 187
8 183,187
9 188
10 183, 188
30 44
47 140 n. 48
passim 287
([58])
8-9 et 12 300 n. 167
([59])
27 207 n. 97
Denys D'halicarnasse
4.15.6 222
Didymos
11.1 col. 10-11 132, 277
Diodore
1.68 42 n. 114
1.70.1 170-171
1.83.2 223
3.34.7 44 n. 122
13.81.4-5 291
16.42-45 27 n. 65
20.84.6 249
Dion Cassius
54.7.2-3 172 n. 90
57.4.3 180 n. 132
67.3.5 180 n. 134
Dion Chrysostome
13.110 222 n. 62
35.15-16 176 n. 112
31.51 145
Dioscorides Pedanios
1.19.1-2 223 n. 65
éCritures
56 n. 166
223 n. 67
223 n. 67
181
Enée le Tacticien
10.8 146
Etienne de Byzance
Flavius Josèphe
14.418 171 n. 87
Ps-galien
60.1-4 216 n. 33
Harpocration
Hérodote
1.141 45 n. 125-126
1.142 41 n. 111
1.143 43 n. 119
1.144 41-42
1.145 41 n. 110
1.149-150 43 n. 119
1.151 105-106
1.152-153 45 n. 125
1.153 272
1.167 57 n. 168
2.30 17
2.39 30 n. 74. 56 n. 166
2.41 56 n 166
2.47 38 n. 102
2.65 223
2.91 56 n. 166
2.107 17
2.112 22. 56 n. 165
2.125 36
2.134-135 21 n. 36
2.154 16. 34 n. 87.36. 67 n. 16
2.159 48
2.161 89 n. 28
2.163 57 n. 167
2.164 36
2.169 18.57n. 167
2.178 41. 106.270
2.178-179 1384,7475
2.180 31 n. 75. 54 n 161. 58 n. 173
2. 182-182 48
2.182 38 n. 102. 42 n. 114
3.4 42 n 114
3.39 41 n. 112
3.47 38n. 102.49
3.57 251
3.157 120 n. 44
4.151 280
4.159 89 n. 28
4.160 88 n. 24
4.196 88
5.35-38 45 n. 125
5.49-50 249
5.99 41 n 112
5.99-103 45 n. 125
5.108-109 45 il 126
6.5 278 n. 60
6.7 45 n. 126
6 11-14 45 n. 125
6,26 278 n. 60
6.46 251
6.86 145 n. 77
7.49-50 71
7.56-57 71
7 93-94 40 n. 107
7.113 81
7.136 71
7.144 251
7.146-147 70-71
7.147 278
7.153 38
9.106 16
Hérondas
2.55-59 148
Hésiode
618-694 274
Hesychius
Homère
1.106-187 248
11.668-707 248
6.163 88, 142
14.257 44 n. 121
14.265 15 n. 8
14.287-298 62
Hypéride
3 60 n. 181
Isocrate
(4)
4.42 116
76 222
(7)
24-25 251-252
32-35 256
(8)
117 126
(9)
47 25 n. 52
(17)
20 142
(18)
58-59 271
59-61 277
Justin
9.1.1-6 132 n. 4
Lactance
7.6-7 178
Lycurgue
18 138
27 300 n. 167
Lysias
(22)
5-6 190
8 197
11 197
12 199
17 203
21 203
20 CUF 201
Memnon D’héraclée
Nicolas de Damas
passim 148 n. 89
Philochore
Philomnestos
208
Philostrate
4.32 142 n. 57
p. 24 (Jüthner) 19 n. 28
Pindare
7.94 40 n. 106
8.98-100 48 n. 138
8.16-18 48 n. 138
8.6-7 48 n. 138
6.123-126 48 n. 138
Platon
274c 53
2.11 369b-371a 118
2.11 370d-371a 296-297
8 847b-d 116
8 847d 129
12 949e-953e 111 n. 11
11 917b 301
11 917e 166
Ps-platon
399c-400a 289-290
400d 164 n. 44
Plaute
64-79 295
727-729 173
770-819 142
passim 148
Pline
5.39 139 102, 105
7.56 199 290
19.3 38-45 86 n. 5
19.15 44 86 n. 6
33.13 45 180 n. 130
Plutarque et Ps-plutarque
—
8 164
22.1 297 n. 154
25.8 164
4.1 251
16 247
16.4 274
37.4 210
12.5-6 252
10.8 252
12.3-4 42 n. 114, 68
45.8 223
—
297f 290 n. 127
470 f 180
([121])
Pollux
3.78 164
3.126 164 n. 43
4.171-172 226 n. 79
7.14 201
Polybe
1.83 137
3.22.8-9 289
4.38.8-9 117, 123 n. 58
4.39.6 131
4.43.1 131
4.50.2-4 131
5.90.3. 257
6.39.12-14 180
6.43.1 288
6.51.1 288
6.56.2 290
9.27 38
11.4.5-7 250
12.25d 6 141, 148 n. 89
28.2.1-2 137, 269
30.31.4 250
30.31.6-8 250
33.6 256
Polycharme de Naucratis
Polyen
7.23.1 191 n. 40
Ptolémée
5.2.19 105
Sophocle
1170 120 n. 44
Souda
Stobée
4.2.20 290 n. 127
Strabon
3.4.8-9 82 n. 97
9.4.5 106
10.4.5 44 n. 121
13.2.4 105
14.2.23 171 n. 87
14.3.9 68 n. 25
17.1.18 51 n. 146
Suétone
26.5 180
Synèsios
52.1 277
Tacite
1.17.4-6 180
Térence
149-150 142 n. 61
Théophraste
6.3.1-7 86 n. 5
6.3.2 86 n. 6
9.6.4 222-223
4.13 214 n. 17
23.4-5 137
30.15 181
650 Fortenbaugh 290 n. 127
Théopompe
Thucydide
1.37-3-4 123, 29 n. 66
1.42 126 n. 67
1.67 126 n. 67
1.98 81 n. 86
1.115 41
1.120.2 116
1.139-140 126 n. 67
1.144 126 n. 67
2.27 16 n. 10
3.2 278
3.70 123 n. 57
3.73-74 123 n. 57
3.86.4 279
4.50.1 81 n. 86
4.56 16
4.102.3 81
4.104.5 81 n. 86
4.106.3-4 81 n. 86
4.107.1-2 81 n. 86
4.108.1 81 n. 86
5.6.1-2 81 n. 86
5.103.8 et 10 81 n. 86
6.5 49 n. 141
7.35 41
7.113.1 81
8.6 et 8 49 n. 141
8.14-16 41
8.31.3 41 n. 112
8.44 29
Tite Live
23.33.4-12 147
23.34.1-7 147
23.39.1-2 147
34.9 82
37.23.1 68 n. 25
45.31.13 106
Vitruve
4.1.4-5 45 n. 126
Xénophon
3.3.5 272 n. 36
3.4.1 70
6.1.11 116
3.6.3-12 251-252
8.19 248
20.22 294
20.27-28 302
20.28 188
20.29 294
passim 304
7.5.14 143
7.4.2 42 n. 114
8.6.8 42 n. 114
1.4 116 n. 30
2.1-7 61 n. 186
3.2 194 n. 46, 203
3.3-4 61 n. 186
3.6 253
3.8 249
4.6 294
4.30 257
5.1-13 250
passim 304
Ps-xénophon
2.11-13 117 n. 37
Accame,
p. 219 sq. 28
p. 221 27-28
1925, 126 202 n. 83
1994, 15 165 n. 47
1994, 1706a 222
1995, 1594 213
Alcshirc 1989
III 227
IV 226-227
V 227 n. 86
Bernand & Masson 1957
1 34
2 et 4 27 n. 64. 34 n. 87
3 34 n. 87
6bis 34 n. 87
Bernand 1970
707. n. 659 26
753, 18 54 n. 161
755-756, 20 54 n 161
Bernand 1984
67 169
Bielman 1994
24 185, 201
Bogacrt.
22 181 n. 139
28 175, 181 n. 139
4 52 n. 153. 77. 79
75 231 n. 104. 235 n. 125
77-78 231 n. 104. 235 n. 125
3705 165 n. 49. 167 n 60
Dow 1937
162-165, nº 96 162 n. 23
Durrbach.
46 282 n. 89
48 282 n. 90
50 282 n. 90
114 52 n.154
419 52 n. 153
26 162
57 161 n. 13
2-3 52 n. 153
3 52-53
49 231 n. 104
67-68 231 n. 104
Herrmann 1965
p. 91 222
IV. 162 181 n. 139
101 228 n. 91
104 213. 228 n.92. 232
298 228
313 228 n. 94
3I4B 228
421 231 n. 103
427 228 n. 93
428 228 n. 93
439a 228 n. 93
442B 217 n. 36, 228.231 n. 103. 233 n. 113
455Ba 217 n. 36
509 145. 167. 174 n. 101. 214-215, 229 n. 97
1432 Ah 226 n. 79
1441A 226 n. 79
1442B 226 n. 79. 227 n. 87
2632 154
4 163
10 42 n. 114. 69 n. 30
61 278 n. 62
62 201 n. 80, 278 n. 62
63 278 n. 62
110 15 n. 8
117 125
248 256 n. 65
1032 283 n. 94
134 Ibis 34. 67 n. 16
1453 229 n. 95
1454 37 n. 99
43 108
206 59.61 n. 186
206 61 n. 186, 77
313 166 n. 56
360 + Add. p. 660 190
400 185 201
499 185 n. 12. 201
657 210
839 220-221
903 184n. 10. 189 n. 27, 197. 201
1012 225 n. 74
1013 164. 215-216, 225-226.230
1025 154 n. 4
1040 154 n. 4
1043 154 n. 4
1407+1414 226-227
1495 221
1533 227
1534A 226
1534B+1535 227 n. 86
1629 140
1672 196, 303
2338 161 n. 13
2886 165 n. 48
2983 162
3173 154 n. 7. 162 n. 26
3493 154 n. 7. 163 n. 29
4038 169 n. 71
4497 169 n. 71
4519 169 n. 71
4741 169 n. 71
4773 169 n. 71
5172 169 n. 71
7967 34
9034 67
9035 67
9984 52 n. 153
9985 52 n. 153
9986 52 n. 153
9987 52 n. 153
245 169 n. 71
1390 174 n. 104
3376 169
4262 185 n. 12
103 233 n. 113
158 196
159 196
161A 220
161B 227 il. 89. 232
164 233 n. 113
208 233 n. 114
287B 217 n. 36. 229-231. 234
561 52 n. 154
5X8 31-32
627 282 n. 89
666 282 n. 90
1055 282 n.90
3 166 n. 55
66 50 n 14 3
104c 50 n. 143
222a 99
367 99 n. 15
760 28
784 50 n 14 3
977 37 n. 99
3 125 n. 65
526 106
170 166 n, 55
19 53,78
8+1009 98 n. 13
817 282 n. 90
1010 61 n. 187. 98
8 95,281
9 95
10 95
11 95,281
221 99
139 104
M7 143
348 95 n. 1
146 174n. 101. 176 n. 111
657 165 n. 49
111 169 n. 76
27 218 n. 40. 222 n. 61
1455 95, 196
1656 166 n. 55
301 222
77 164
146 166 n. 55
13 52 n. 153
21 52 n. 153
352-354 294
355 211-212
5586 164
Inscriptions de la coupe d'Arcésilas 87-89
130 97 n. 6
37 45 n. 126
55 45 n. 126
139 45 n. 126
III.2, 42 146 n 78
16 26. 28.61.74
app au nº 16 27, 46. 61. 74. 77
97 97 n. 6
103 97 n. 6
190 97 n. 8
252 97 n. 8
384c 50 n. 143
470 97 n. 6
582 47 n. 132
Muiuri. ASAA. 2. 1916, p. 137. nº 4 50 n. 143
Meiggs-Lewis
5 280 n. 77
31 42 n 1 14 69 n. 30
34 72 n. 145
65 278 n. 62
90 15
91 125
Meritt 1934
87. nº 105 34
Migeotte 19X4
271 272, nº 82 202 n. 81
304-311. nº 97 257
Migeotte 1992
20-21. nº 8 190 n. 34
185-191. nº 62 254 n. 60
124 257
147 128
147 257
7 127128,258
10 35 n. 92
4 183
120 75
484. et II. p. 552 175, 181 n. 139
674 169
724 52 n 154
Oliver,
11 177 n. 115
84 175, 181 n. 139
11a 211-212
Perdrizet & Lcfcbvrc 1919
536 53 n. 156
614 53 n.156
48 211-212
49-51 294
174 52 n. 153
175 52 n. 153
Pleket,
9 95 n. 1
10 214-215, 229-230,
167 n. 63
14 225
Pouilloux 1954
147-150, nº 35 256 n. 65
Pouilloux,
27 108
34 254
Rehm,
(étalons monétaires) 236-237
(poids des offrandes) 236-237
(offrandes avec ou sans inscription) 239
424 238-239
452 52 n. 154
J. Robert
192. nº 16 257
210. nº 25 257
L. Robert & J. Robert 1954
303-312. nº 167 257 n. 72
Schwenk 1985
334-344.68 190 n. 34
9. 1938.2 280
14. 1956.687a 211-212
26. 1976-1977. 72 218 n. 40
26. 1976-1977. 845 88 n. 20
28. 1978.60 210
32. 1982. 1586 27
37. 1987. 634 88 n. 20
37. 1987. 994 76
44. 1994.810 165 n. 47
44. 1994. 867A 222
44.1994. 1008 165 n. 47
44.1994. 1011 165 n. 47
Segre.
ED 178 140-141
Shear 1978 210
Sokolowski.
65 174
Steinhauer 1992 (inscription d'Acharnes) 221
Steinhauer 1994 (inscription agoranomique du Pirée) 151-181
Stroud 1974 (loi sur la monnaie) 218 n. 40
Stroud 1998 (loi sur le blé) 190, 199, 201-202, 207-208, 277, 302-303
110 28 sq.
110 n. 4 27-28 sq.
185 145 n. 77
212 278 n. 61
218 163
281 194 n. 46
304 138 n. 40, 184 n. 7, 190-191, 194-195, 201
354 95,196
368 45 n. 126
374 210
424 52 n. 154
736 174
799 174 n. 101, 176 n. 1 11
821 168 n. 67
952 134
975 134 n. 10, 145 n. 76, 167 n. 63, 174 n. 101.214-215, 229 n. 97
976 254
4 a-b, c, d 160 n. 12
5 160 n. 12
18 96
30 96
33 96
41 96
105 146 n. 78
Tod2
108 35 n.91
111 124
113 45 n. 126
117 35 n.9l
133 35 n. 91
139 35 n. 89
163 137 n. 35. 278 n. 61
168 125 n. 65
196 280
200 140
Vatin 1966 174
Welles,
5 238
7 45 n. 126
Wiegand & Wilamowitz 1904 254
Papyrus d'Anhaï 91-93
Papyrus d'Hunefer 91-93
Grelot 1972
89 et 97-100 22 n. 39
Porten & Yardeni 1993 67-73, 134
6,1311 224 n. 72
Edgar & Hunt,
204 186 n. 14
31 224 n. 72
59012 134
59090 224 n. 70
1.7 224 n. 72
1.11 III et IV 224 n. 72
51 224 n. 70
109 224
5.220 224 n. 72
722 180 n. 134
703 186
Sammelbuch
4481 167
Index des noms
Abdére 148
Abou Simbel 27, 34
Absalom 223 n. 67
Abydos (Égypte, Memnonion) 53
Abydos (Hellespont) 70, 208, 253
Acanthos 278
Achaïe (province d') 168
Acharnes 221
Achille 248
Adriatique 140
Afrique — v. Libye
Agamemnon 248
Agathoclès 289
Agdistis 154 n. 4, 161
Agonippos (tyran d'Érésos) 106
Agricente 38, 122, 291
Agylléens 57
Aigai 104
Aigos Potamoi 277
Aischylos (agoranome d’Athènes) 161-162, 168-169, 171-172, 178-179
Akmonia (Phrygie) 165 n. 49
Akraiphia (Béotie) 174-177, 179
Al Mina 18 n. 19, 55 n. 163
Alalia (bataille d’) 57
Alexandre le Grand 5, 136, 184, 209
Alexandre le Molosse 135
Alexandrie 32, 55 n. 161, 134, 148 n. 90, 186-187, 204
Alphabet Laconien 94
Amasis 14-26, 30-31, 34 n. 87, 38, 40-42, 48-49, 53-54, 57-59, 66, 80, 94, (stèle d'A.) 18, (nom porté par des Grecs) 52 n. 153
Ambracie 50 n. 143
Amon-Rê-Baded 66-67
Amorgos 281, (Arkésiniens d'A. à Rhodes) 95, 97, 281-282 (Minoa d'A.) 99
Amos (Pérée rhodienne) 211-212, 217-218, 221-222, 240-242, 294
Amphictionie pyléo-delphique 45-49, 74
Amyntas III de Macédoine 124, 292
Anaia, Anaïtide 254-256
Andania (Messénie) 174-178
Andropolis 18
Antinooupolis 21
Antioche de Pisidie 166-167, 202 n. 83
Antiochos ier (prince héritier) 238
Antiochos III 250
Antiochos IV 128, 137, 269
Antipater 137
Antissa 95-108
Antistius (L. Antistius Rusticus) 202 n. 83
Antoine 171, 223
Apamée de Phrygie 176
Apatouries (Athènes) 223 n. 67
Aphrodite 18, 40 n. 106, (sanctuaire à Naucratis) 2, 18 n. 19, 23, 26, 48, (à Gravisca 24 n. 47), (A. Pandamos, Cos) 140, (A. Pontia, Cos) 140-141 — v. Astarté
Aphytis 201, 278
Apollon (A. de Milet et de Didymes) 48-49, (sanctuaire à Naucratis) 14, 24-25, 48, (A. Gryneios) 78, (A. Kômaios à Naucratis) 78, 54 n. 161, (A. Pythien) 54 n. 161
Apollonia (Thrace) 82, 260
Apollonia de la Salbakè 257
Apollonia du Rhyndakos 165 n. 49, 167
Apriès 18, 42, 57-58, 60 n. 180, 65-66
Arcésilas ier 85 n. 3
Arcésilas II 85-94, 305
Archélaos de Macédoine 125
Archidamos (guerre d') 276
Arisbè 101-107
Aristagoras 249
Aristonikos (Athènes, loi d') 177
Artabane 70
Artaxerxès ier 68
Artaxerxès II 67
Artaxerxès III 75
Artémis de Pergé 50 n. 143, 52 n. 153
Artémis Kithônè (Milet) 237 n. 134
Asclépiéion d'Athènes 226-227, 240
Aspendos 52 n. 153
Assyrie 142, 273
Astarté 23, 67, 289 n. 123, (Aphrodite Étrangère) 56 n. 163
Astymédès de rhodes 250
Astypalée 166 n. 55, 280
Athéna (A. de Cyrène) 48, (A. de Lindos) 37-38, 48-49, (sanctuaire à Athènes) 222, (statue chryséléphantine à Athènes) 226, (trésor à Athènes) 232
Athènes (approvisionnement en grain) 207-210
Athènes (“prix officiels”) 183-206
Athènes, Athéniens passim et 42, 50-52, 59-60, 65 n. 2, 67, 69, 106-107, 116, 122, 125, 130, 131-149, 213, 215-223, 225-227, 229, 232, 234, 240, 245-254, 268, 272, 275, 277, 282-283, 286-287, 292-293, 298-299, 301-303, (sac de Sylla) 161-162, 172 n. 91, 179 —v. Le Pirée
Auguste 171-172
Aventicum (Avenches) 217 n. 36
Babouin 89-94
Babylone, Babylonie 58 n. 173, 120 n. 44, 142, 273
Bargylia 222
Battiades — v. Arcésilas 1er - II
Bérézan 55 n. 163, 124 n. 59, 142
Borysthène 138
Bosphore 125, 297
Bosphore Cimmérien 106, 125, 133, 137, 142, 144 n. 70, 147, 195, 197, 208-210, 278, 286 — v. Pairisadès
Bosporos (Panticapée) 209
Bostra 213
Bouches du Nil (Canopique) 14, 17, 19, 56, (Pélusiaque) 17 n. 16, 134, 148 n. 90, (Bolbitine) 51
Brikindara (Ialysos de Rhodes) 148
Briséis 248
Brutus et Cassius 171
Byblos 58, 62
Byzance 117, 121, 131, 203
Caeré 289 n. 123
Calabre 147
Callipolis d'Épire 146 n. 80
Calynda 32
Cambyse 72-73
Camiros 37-38, 96-99, 146
Camp des Tyriens (à Memphis) 22, 56 n. 165
Campanie 288
Cappadoce-Galatie (province de) 202
Caramanie 280-282
Carie, Cariens 250
Carpathos 99, 280
Carthage 121-122, 137, 146, 288-291
Carystos d'Eubée 138
Caunos, Cauniens 32, 250
Céphallénie 139
César 180
Césariens (parti césarien) 171
Chalcédoine 203
Chalcidique 124, 138
Chalcis 54 n. 161
Chalkè 280
Charès 131
Chéronée 169
Chersonnèse de Thrace 129, 277
Chersonnèse rhodienne 211
Chios 14, 40-42, 49-51, 65 n. 2, 68-69, 134, 140, 268, 293, 299
Chrysippos (bailleur de fonds à Athènes) 183-185, 190-200
Chypre 25 n. 52, 42 n. 114, 48, 50, 60, 72, 136 n. 25, 299 — v. Salamine
Cimon 68
Clazomènes 14, 37, 40-41, 49, 202 n. 81
Cléomène Ierde Sparte 249
Cléomène de Naucatis 35, 59-60, 75, 187, 196, 200, 286-287
Cléopâtre (sœur d'Alexandre) 135
Cnide 14, 37 n. 99, 49, 67 n. 16
Colophon 34, 41
Conon 37 n. 37
Convention judiciaire 42 n. 114
Coptos 169, 171
Corcyre 29 n. 66, 121, 123, 142, 290 n. 127
Corinthe 29 n. 66, 65 n. 2, 116, 122, 126 n. 67
Cos 37 n. 99, 41, 140-141, 146 n. 78, 280, 293
Crésus 59 n. 175
Crète, Crétois 37-38
Crocodilopolis 55 n. 161
Cyclades 135 n. 19, 279-285, 295-297
Cyclopes 119
Cyrène, Cyrénaïque, Cyrénéens 48, 50-51, 85-94, 135-137, 144, 146-147, 196, 277-278, 280, 286
Cyrus le Jeune 76
Cyzique 175-176
Daphné (Égypte) 17 n. 14, 22, 53, 77
Délos, Déliens 31-32, 52 n. 153-154, 104, 134, 136, 142, 145, 154, 196, 213-214, 217, 220, 222, 226-235, 279-285, 301
Delphes 31 n. 75, 45-46, 48-49, 52, 54 n. 161, 58 n. 173, 79, 168 n. 67, 174-177, 179, 208, 221 n. 58, 231, 235
Démétrios II de Macédoine 282 n. 90
Démétrios Poliorcète 249
Denys d’Héraclée 194
Denys l’Ancien de Syracuse 35, 288
Détroits 106, 126 n. 67, 131-133
Dicéarque (géographe) 117 n. 35
Didymes 52 n. 154, 217, 222, 224 n. 73, 236-240
Dikéopolis 188
Dionysios d'héraclée 138, 140
Dionysodoros (commerçant) 188
Dionysos 54 n. 161
Dionysios de Byzance 282 n. 89
Dioscures (sanctuaire à Naucratis) 25 n. 52, 48 n. 136
Diphilos 251
Dodécapole ionienne 41, 43 n. 119, 45 n. 126
Domitien 168-169, 202 n. 83
Dor 63 n. 190
Doriens 14, 40-43, 54 n. 161
Égine, Éginètes 16, 29-30, 32-33, 48-51, 67, 70, 172, 277-278, 291, (Sôstratos d’É.) 44 n. 124
Égypte 13-84, 133-134, 137, 145 n. 74, 148 n. 90, 167, 169, 182 n. 145, 186-187, 196, 203-205, 223-224, 269-270, 273, 275, 286, 293 n. 142, 305, (Égypte au ive s.) 55 n. 162, (objets égyptiens à Rhodes) 26, (Basse Égypte) 18, 37 n. 95 —v. Piankhi, Psammétique I-III, Néchao, Apriès, Amasis, Nectanébo I-II
Égyptiens (contingent égyptien) 34 n. 87, (marine de guerre), 60, (É. de Naucratis) 28, 32-35, 67, (É. de Thèbes à Athènes) 34, 60 n. 181
Eirénias (Milésien) 127, 258
Éléphantine 15 n. 8, 17 n. 16, 21, 56-57, 76
Éleusis 177, 230, (
Emporion d’Ibérie 81-83
Emporion de Thrace intérieure 82-83, 270
Emporion-Tanaïs 82
Éoliens 40
Épéens 248
Éphèse 41, 95-98, 166 n. 55, 175-176, 222 n. 61, 268, 286, 299
Épianaktidès de Théra 281
Épicharès (stratège à Rhamnonte) 185, 192-193
Épidamne 290 n. 127
Épire 135 — v. Callipolis
Érésos 95-107
Érétrie 172, 214 n. 21
Érythrées 41, 140
Étolie, Étoliens 250
Étrurie, Étrusques 24, 50 n. 144, 56-57, 121, 288-289
Eubée 138, 282
Eubule 251, 258
Eumène II 76
Eurymédon (bataille de l') 42 n. 114, 69
Fayoum 55 n. 161
Flamininus (T. Quinctius Flamininus) 228-229
Gazôros (Macédoine) 196
Géla 38 n. 100
Glaukos de Sparte 145 n. 77
Gorgôn de Rhodes 40 n. 106
Gortyne, 88 n. 20, 181
Grande Grèce 288
Gravisca 24, 55-57
Grèce d'occident 50
Grèce de L’est 26, 55, 58, 72
Guerre de Chrémonidès 185
Guerre du Péloponnèse 287
Guerre Punique (2e) 180
Guerres Médiques 72
Gygès 59 n. 175
Gynaikospolis 66 n. 5
Hadrien 175
Halicarnasse, Halicarnassiens 14, 42-43, 49, 98, 138
Hébryzelmis 35
Hécatée de Milet 80-81
Hègestratos (capitaine de navire) 145
Hélios 38,40 n. 106, 47
Hellénion de Naucratis 14, 25-30, 36, 38-51,73, 106, 270
Hellespont 70-71
Henwe 17 n 15
Héra (sanctuaire à Naucratis) 14, 24, 48, (de Samos) 48-49, 254
Héraclée du Pont 138, 194, 197, 253
Hérakleidès de Salamine 138, 185 n. 12, 190-191, 193-195, 198-200
Hérihor 62
Hermeias (de Méthymna) 78, (de Kourion) 78, (de Samos) 78
Hérodas de Syracuse 70
Hérodote (publication des
Héron d'héliopolis 92
Hérostratos de Naucratis 25 n. 52
Hestia Prytanitis (à Naucratis) 78, 54 n. 161
Hexapole dorienne 41-43
Hiéron (place à l’entrée du Bosphore) 131-133, 148-149, 278-279
Himère 54 n. 161
Histria 55 n. 163
Homère 248
Horus 66, 89-93
Hypata (Thessalie) 173
Ialysos, Ialysiens 26-27, 34 n. 87, 37-38, 40 n. 106 — v. Brikindara
Iasos 237 n. 135
Imbros 199-200, 207-208, 277
Inde 143 n. 67, 304 — v. Mouziris
Ioniens, Yawan 14, 16,40-41, 45, 54 n. 161, 68
Ios, Iètains 52-53, 61, 78, 98, 281
Ischomaque 248
Isis 60, 66
Israël 223 n. 67
Jason de Phères 116
Judée 171 n. 87
Juifs (communauté d’Éléphantine) 21-22, 56-57
Kallias de Sphettos 136 n. 25
Kéos 283, 297
Khépri 92
Kios 237 n. 135
Kition 60, 67
Kyparissisa 134-135
Kythnos 281, 283, 295-297
Ladispoli, Toscane (épave de) 143 n. 67
Lagides 129
Lampsaque 203
Laurion 251
Lazbaz (Lesbos ?) 104
Le Pirée 67, 80, 151-181, 230, 298-302
Lébadée 175 n. 110
Lébédos 41
Lemnos 199-200, 207-208, 277
Leontinoi 279
Lesbos 95-108, 129, 283, 293 — v. Antissa, Astraiousioi, Érésos, Lazbaz (?), Méthymna, Mytilène, Messon, Napè, Plômarion, Pyrrha, Thermi
Leukôn 208-210, 278 n. 61
Libye 122, 186, 204, 289
Lindos, Lindiens 27-30, 37-38, 46-47, 74, 217 — v. Vroulia
Livius (G. Livius) 228
Lycie 50-51, 134, 250
Lycurgue (d’Athènes) 251
Lydie 59 — v. Sardes
Lysimaque 210
Macédoine 116, 130, 141, 147, 196, 282 n. 90, 291-293 — v. Archélaos, Amyntas III, Philippe II, Alexandre le Grand, Démétrios II, Philippe V, Persée
Madrague de Giens (épave de La) 143 n. 67
Mallos 50-51
Mantinée 288
Maronée 82, 260, 278
Marseille 49,129
Mausole 191
Mégare, Mégariens 70, 126-127, 188, 277, 293
Méliè 45n. 126
Memphis 17, 21-22, 53-56, 76-77
Mendè 65 n. 2, 138
Ménélas 248
Mesembria 234
Mésopotamie 273 — v. Babylone
Messon 104-105
Méthônè de Macedoine 278
Méthymna 95-107
Milet 14, 40-41, 45 n. 126, 48-51, 104, 128-130, 236-240, 257-258 — v. Didymes
Momemphis (bataille de) 18
Mout 66
Mouziris 134
Mykonos 279
Mylasa 171, 222
Myonte 41,45 n. 126, 222
Myra 146
Mytilène 40, 49-50, 95-107, 125, 137 n. 35, 268, 278, 299
Nabuchodonosor II 58
Napè 107
Naucratis 13-84, (plan de la vile) 18-19, 65, (fondation militaire) 35-36, 65-66, (nom égyptien de N.) 66, (ville ou cité) 15-25, 51-55, 74-79, (monnaies) 75, 79, (prytanée) 54, 78-79, (artisanat) 60, 62, (endogamie) 21 n. 36, (prostitution) 21 n. 36, (autels et sanctuaires) 23, 48-49, (palestre) 54, (
Naxos, Naxiens 31-33
Néchao 48, 60 n. 180
Nectanébo Ier (stèle de) 17, 24, 58-59
Nectanébo II 27
Neith 17, 67 n. 15
Nekhthoreb 17, 19-20
Némésis 256
Nestor 248
Nil, — v. Bouches du Nil
Nisyros 280
Nokradj 66
Noumènios-Benhodes 67
Noumènios-Mahdas 67
Odéon 192 n. 41, 195
Oinoanda 174-176
Oiseau Bennu 92
Olbia 97 n. 6
Olympias (mère d’Alexandre) 135
Olympie 213, 215, 230-231
Oropos 185 n. 12
Osiris 89-92
Ouerkatel 63
Ounamon 58-59, 62-63
Pairisadès Ier 147
Paix de Callias 70, 72
Palestine 68
Pamménès I-II d’Athènes (famille de) 153-154, 161-163
Pamphylie 50 n. 143
Panagjusriste 240 n. 144
Panaitios 287
Panionion 41
Parmeniskos (commerçant) 188
Paros 95, 145 n. 74
Parthes 223
Pech Maho 81
Pehu An 18
Peintre d'Arcésilas 86
Péloponnèse 70, 278
Pentapole dorienne — v. Hexapole
Penthilos, Penthilides 104
Pergame 175, 177, 181 n. 139
Pergè 50 n. 143 — v. Artémis de P.
Périclès 126, 247, 276
Périnthe 131
Perse 22-23, 30, 33-34, 37 n. 95, 42-43, 45, 56-57, 60 n. 180, 67-73, 120 n. 44, 275 — v. Xerxès Ier, Artaxerxès I-III
Persée (roi de Macédoine) 105
Phasélis 14, 41-42, 49-50, 68-73, 138, 141, 272
Phénicie, Phéniciens 17 n. 16, 21-22, 24 n. 47, 27, 56 n. 165, 58, 60-63, 67-68, 72, 248 n. 21 — v. Byblos, Kition, Sidon, Tyr,
Philippe II de Macédoine 131-133, 141, 148, 277, 292-293
Philippe V 147, 250
Phocée 14, 41, 49
Phocidiens 208
Phormion (commerçant) 144 n. 70, 183-184
Physkos (Pérée rhodienne) 241
Pi-emroye 17 n 15
Ρiankhi (stèles de) 56 n. 166
Pisistrate 229
Pladasa 146 n. 78
Plômarion 102-103
Polianthès (envoyé de Seleucos Ier) 238
Polycrate de Samos 49
Pompéi 166-167
Pompéion (Athènes) 184, 192 n. 41, 198
Pont Euxin 132-133, 143, 196, 277, 286, 299
Populonia 288
Poseidonia 51
Pozzino (Toscane, épave de) 143 n. 67
Priène 41, 164
Prusias Ier de Bithynie 131 n. 2
Ps-Skylax 81
Psammétique (dynaste égyptien) 192 n. 43, 210
Psammétique Ier 16, 18 n 19, 59, 66-67, 76
Psammétique III 27 n. 64
Psychostasie 89-94
PtoléméeIer 182 n. 145
Ptolémée II 50 n. 143, 66 n. 12, 136 n. 25, 210
Ptolémée XII 54 n. 161
Pyrènè 81
Pyrrha 95-107
Pyrrhus 288
Ras El Bassit 50 n. 144, 55 n. 163
Résidents (à Naucratis) 14-20
Résidents grecs en Égypte 30, 31 n. 75, 34, 34 n. 87
Révolte de L’ionie 45 n. 125, 69
Rhamnonte 185, 192-193, 200, 256
Rhénée 279
Rhodes 14, 26, 40 n. 106, 49-52, 134-138, 166 n. 55, 188, 216, 221, 249-250, 257, 268-269, 280-282, 293, 295, 297, 299, (formes d’unité avant le synœcisme) 36-40, (synœcisme) 29, (anciennes cités) 96, (place de commerce) 97 — v. Camiros, Ialysos, Lindos, Amos, Physkos
Rhodiens 26-28,95-99, 196
Rome 105-106, 121, 136-138, 141, 146, 180, 222, 225 n. 74, 228, 245, 250, 269, 288-289
Saïs 17 n. 14, 56, 67
Salamine de Chypre 52 n. 153
Salmydessos 143
Samos 14, 40-41, 48-51, 59, 65 n. 2, 104, 193, 249, 253-257 — v. Anaia
Samothrace 279
Sardes 45 n. 125
Satyros du Bosphore 142
Scarabée 89-92
Scipion (L. Cornelius Scipion) 228
Sekhet Mafek 18
Séleucides 128-130
Séleucos Ier 238
Sélymbria 202
Servius Tullius, 222, 288
Seuthès de Thrace 143
Sicile 35, 133, 137, 185 n. 12, 188, 196, 269, 279, 286
Sidè 50
Sidon, Sidoniens 35 n. 89, 67, 145
Siphnos 251
Skias (tholos des prytanes d'Athènes) 230
Skionè 138
Skyros 199-200, 207-208, 277
Smendès 59 n. 177, 62-63
Smyrne 43 n. 119
Socrate 118,180
Solon 225, 246
Sparte 37 n. 95, 45 n. 125, 70, 116, 136, 145 n. 77, 169 n. 7, 172 n. 90, 249, 272, 275, 288, (peinture laconienne) 86 n. 10 — v. Cléomène 1
Spartokides 125
Stratôn-Abd Astart 67
Stratonicée 250
Stratonikè 231
Stratopéda 16, 22, 60 n. 180
Strepsiade 144
Syène 56 n. 165
Syracuse 35,49-51, 54 n. 161, 70, 279, 282, 288 — v. Denys, Agathoclès, Timoléon
Syrie, Syriens 17 n. 16, 134
Tanaïs — v. Emporion
Tanis 62
Tarente 240 n, 144, 293
Tarquinia 24, 57
Tell Soukas 2l, 55n. 163, 57
Ténos 281
Τentamon 59 n. 177, 62
Téos, Téiens 3, 14, 34 n. 87, 41, 49
Thasos 82, 95, 128, 134, 143, 260, 270, 293
Théangéla 134
Thèbes d’Égypte 62
Thèbes de Béotie, Thébains 35, 175 n. 110, 184
Thefarie-Velianas 289 n. 123
Thémistocle 251
Théodosia 209
Théra, Théréens 95, 280-281
Thermi 104
Thesmophorion de Délos 227 n. 87
Thespies 175 n. 110
Thessalie, Thessaliens 116, 135, 142, 272 n. 37
Thot 92
Thrace 35, 51 n. 145, 260, 270, 291
Thrasycratès 250
Thyréa 16
Tibère 180
Timée 122
Timoléon 289
Timon de Syracuse 282 n. 92
Timothée 249, 253
Timouques 54 n. 161
Tissapherne 70
Tralles 164, 166 n. 55
Triopion 42
Tyr, Tyriens 22, 58, 60 n. 180
Tyriaion 76
Tyrrhéniens — v. Étrusques
Udjat Ailé 92
Ulu Burun 142
Uruk 58 n. 173
Vibius (C. Vibius Salutaris) 222 n. 61
Vroulia 66
Vulci 288
Xanthos 146
Xerxès Ier 40 n. 107, 60 n. 180, 67, 70-72
Zénon (archives de) 144
Zénothémis (commerçant) 145
Zeus (Z. Atabyrios) 37-38, (d’Égine) 48 n. 138), (Z. Labraundeus) 171, (Z. Thébain à Naucratis) 50 n. 143, (sanctuaire à Naucratis) 14, 25 n. 52, 48
Index thématique commerce et société
Accords commerciaux 110-130, 287, 292-293
Achat en gros 125, 197
Agora 272, 301-303 (Athènes et Le Pirée) 183-206, (a. comme “marché”) 126
Agoranome 95, 98, 162, 173-178, 189 n. 27, 196, 204, 213-214, 298, 301, (agoranome de nome) 204
Agriculture 101-108, 109, 293-294
Alimentation d'Athènes 135 n. 21-22, 276-279
Alun 58 n. 173
Ambassadeurs 146-147
Appropriation collective de terres 248
Approvisionnement de proximité 279-281
Archives 136-137, 143-146
Aristote et les échanges 109-130, 269
Armes 59, 129
Art d’acquisition 112 — v. κτητική
Artisanat 84, 126, 212, 220-221, 241, 293-294 — v. Métiers, Textiles
Autarcie 112-113, 123, 269
Autoconsommation 274, 295-296, 305
Autosuffisance 279, 295-297
Balances 85-94, 166-167, 217-218, 225
Balances à tare fixe (pour peser les monnaies) 217 n. 39
Banque et sanctuaire 256
Banquiers publics (à Pergame) 175
Bâtards (
Baume de la Mecque 222-223
Baux de terre 294 n. 145
Besoin 115, 118 — v. χρεία
Blé v. Grain
Bois 17 n. 15, 42 n. 1 14, 58-60, 62, 73, 113-114, 116-117, 120, 124-126, 128-130, 132, 229, 287, (charbon de bois) 220, 229 (bois et charbons, loi délienne) 214-215, 301 n. 172, (bois et rames) 193-194
Bourgeoisies marchandes 264-265
Bronze et argent 181
Calcul économique 294-297
Capitalisme 263-266
Céramiques 13, 17-18, 25-26, 41, 44 n. 124, 49-51, 65-66, 71-73, 293, (prix) 293
Chrématistique 112-113, 290-292
Cigogne 89
Cité — v.
Commerce à l'aventure 65
Commerce local vs international 264, 302
Communautés de commerçants étrangers 59-63, (colonies marchandes assyriennes) 273
Comptabilité 88, 94, (comptabilité de bord) 88, 141-144 — v. Écriture et commerce
Concurrence 301-302
Conditionnement des marchandises 143
Contrats maritimes 138-141, 145, 189 n. 27
Contrôle des navires 70-71
Convention judiciaire 69
Convois de navires marchands 131-133
Coupe d'Arcésilas 85-94
Couronnes d’or 194, 227-235, 232-234
Décret de Mégare 70, 126-127
Demande 177, 300-301, 304, (demande du marché égéen) 278 — v. Offre
Dépendance extérieure 268, (dépendance cités égéennes) 195 n. 56
Destination et identité des navires 131-141, 147-148
Disette 190-191, 193, 195, 208-210
Division du travail 293-297
Douanes 148 n. 90 — v. Taxes douanières
Droit international 139-140, 145
Échange marchand 57, 267
Échanges réciproques 114-122
École de Chicago 258
École de Copenhague 74-84
Économes de nomes (Égypte) 186, 204
Économie tributaire 57
Écritures et commerce 141, 148, 290, 305 —v. Comptabilité
Édit du Maximum 178
Effet de King 300-301
Empire athénien 117, (poids et mesures) 229
Émulation 194
Enregistrement des contrats 145
Épaves 142-143
Épices 143 n. 67
Épimélètes du port (Athènes) 190, 204, 225 n. 74
Espionnage 70
Étalon attique 234, 282 n. 92, 285, (étalon attique plein) 228-230, 235
Étalon rhodien 216, 219, 221 n. 58, 239
État bureaucratique 264, 272
État et économie 109-130, 243-261,268-273
Étrangers et commerce 126
Europe du xviiie s. 275
Évergètes, Évergétisme 190-191, 193-194, 196
Exemption fiscale 137-138, 145, 147, 176, 125-130, 278 n. 61
Exportations 112-130, 275 (égyptiennes) 59 n. 177, (comptabilité) 135-137 — v. Importations, Interdiction, Licences
Finley, Μ. I. 109-110, 243-244, 261,266, 268, 277, 306
Flux 287-297
Foires 175-178
Fouilles des navires 146-148
Frai des monnaies 221
Goody, J. 304
Grain (commerce) 60, 71-71, 116, 125, 129, 132, 135-138, 141, 183-210 253-257, 278-279, (blé public) 98, (fonds d’achat de grain) 200, 255, (formation des prix) 284-287, 297-304 — v. Prix, Rente en grain
Grue 89
Guerre et commerce 26 n. 60, 68-73, 126
Guerre et économie 248-250
Hasebroek, J. 43, 243-244, 266, 268, 306
Hérauts 290, (pierre des hérauts, Athènes) 164
Hiéropes (Camiros) 96
Huile 73, 84, 116, 134, 148, 185-186, 213, 274, 276, 295-296 — v. Monopole de l'huile
Hydries d'argent 222, 232
Identité des commerçants 131-134, 137
Importations 112-130, (en Égypte) 42 n. 114, 58, (en Babylonie) 58 n. 173, (grain à Athènes) 205 n. 89, 208-210, (vin) 270 — v. Bois, Grain, Vin, Exportations, Interdiction, Licences
Inscription et offrande 239-240
Interdiction d’exporter ou importer 111-130, 284
Intérieur des terres 116
Interprète 28, 33, 35-36, 61, 67
Inventaires DES SANCTUAIRES 211-242
Inviolabilité (privilège d’) 29, 70
Juste prix 205
Lettre sur plomb 124 n. 59
Lettres- passeports 146
Lettres d'affaires 144, 187-188
Licences d’exportation et importation 120, 128, 136-137, 202, 269, 292-293
Livres romaines 225 n. 74
Loi de l'offre et de la demande 183, 190-192, 202-203, 273
Loyers de la terre 274
Macro- vs microéconomie 260
Maîtrise de la mer 116-117
Manques — v. Surplus
Marchands de grain 95-99, 190, 298
Marché aux poissons 164, 174-179
Marché égéen 279-285
Marché en France médiéviale et moderne 287, 297-304
Marché et cité 272-307
Marché international 198
Marché libre 188, 197-198
Marine de guerre 144
Médimnes (éginétiques) 135-136, (laconiens) 135-136
Mercenaires 59-60
Mesures (légales) 164, (mesures étalons) 213, 229, (mesures des liquides) 237 — v. Métronomes
Métaux 58, 73, 113, 287
Métèques 77, 83, 140 n. 48
Métiers 34-35, 67 — v. Artisanat
Métronomes 213
Mine monétaire vs pondérale 215 n. 28, 225-226, 229
Monnaie (d’argent) 288-292, (fiduciaire) 289-290. (origines de la monnaie) 112, 291, (commerce et monnaie) 112-113, 115, 284, 288-292 (change des monnaies) 144, 180, (poids théorique et poids effectif des monnaies) 221 — v. Frai, “Pesée par les monnaies”. Trésors monétaires
Monnaie a Carthage 288-291
Monnaie en Étrurie 288
Monnaies a Naucratis 26, 50, 65
Monnaies amphictioniques 235
Monnaies attalides 234
Monnaies attiques (dans le Pont Euxin) 125 n. 66, (Nouveau Style ou stéphanéphores) 22, 162, 182 n. 144, (monnayage athénien au ie r s. a.C.) 172 n. 90, — v. Étalon attique
Monnaies d’Alexandre 215 n. 29, 221 n. 57, 234, 236-237
Monnaies d’Emporion 81
Monnaies de Kéos 283-284
Monnaies de lesbos 104, 106
Monnaies de Milet 236-237
Monnaies de Naucratis 53-54, 75
Monnaies de Phasélis 68
Monnaies de Rhodes 26, 38, 212-213, 216-217, 219, 221, 236-237, 240-241, 282 n. 92, 285, (en Égypte) 26 — v. Étalon rhodien
Monnaies de Syracuse 50
Monnaies des Cyclades 284
Monnaies ptolémaïques 221 n. 57
Monnaies séleucides 234
Monnaies symmachiques du ive s. 236
Monopole de l'huile (Égypte) 186-187
Moyen Age 264-265
Navigateurs grecs en Égypte 15, 43-44
Nationalité d’un navire 62-63
Navigation en mer Égée 107
Neutralité 29 n. 66, 70
Nomophylaques 129
Nouvelle Orthodoxie 109-110, 120, 244-245, 268, 270, 272
Objets de commerce 117, 127-128, 132
Offrandes dans les sanctuaires 211-242
Offre 177, 293-297, 300-301, 304
Onomastique (double nom grec-indigène) 36, 67 (juive) 22, (égyptienne portée par des Grecs) 34 n. 87, 52 n. 153, (anthroponyme et ethnique) 49
OPEP (OPEC) 206
Οr 17 n. 15, 58, 93, 218, 220, 223, 228, 231-232, 249, 289, 291,
Orge — v. Grain
Panégyries — v. Foires
Papyrus 141, 143-144
Parenté 264
Pentécostologues 134
Pesée des cheveux 223-224
“Pesée par les monnaies” 211-242
Pesées de contrôle 232-233
Pétrole 206
Phiales (poids et fabrication) 211-213, 219-222, 240
Pierres précieuses 223 n. 65
Piraterie 65
Places centrales (théorie des) 105-107
Platon et les échanges 112, 118
Plomb (documents sur) 141-142
Poids et poids-étalons 213-219, 225-226, 230-231, (poids en argent) 230
Poissons — v. Marché aux poissons
Polanyi, K. 57, 243-244, 263-266, 304, 306
Politique d’importation 269
Population d'athènes classique 276
Port of trade 57
Précision des pesées 213-219
Prêt maritime 183
Priorité à l’embarquement 125
Privilèges aux commerçants 61
Privilèges d’exportation 137-137, 147-148
Prix (prix au détail) 197, 200, 203, 301, (prix de gros) 197-200, 203, 301-302. (prix à l'importation) 200, (prix de référence) 189, 202-203, (fixation et contrôle des prix) 173-179, 301-303, (prix officiels) 183-206, 273 n. 42, 301, 303, (prix officiel vs “prix conventionnel”) 273, (prix coûtant) 193-194, 197, (prix du marché) 183, 189, 191, (prix des grains) 95, 195-196, 199, 204, 223, 273, 277, 282-283, (prix du pain) 175, (prix du vin) 180, 195, 201-202, (prix de l'huile) 186-187, 189 n. 27, 197, 201-202, (à Rhodes) 216, (évolution des prix à Athènes) 180-182 — v. Spéculations
Production en vue de l’échange 1 1 8, 293-297
Production mise sur le marché international 275
Proxène 28-29, 34, 46-47, 59, 95-96, 99
Public et privé 271
Quantités de grain importé à Athènes 276, 278 n. 66
Rations de grain 192
Registre douanier 67-73, 133-134, 136
Règles de nomination 163 n. 27
Rente en grain (loi d’Athènes de 374/373) 207-210, (loi de Samos) 253-257
Représailles 139
Réseau commercial méditerranéen 299
Rostovtzeff, M. 306
Saisie sur mer 29 n. 66
Salaire des artisans 212, 220
Salaire des esclaves (Rome) 180
Sceaux 142, 146
Sanctuaires (place des étrangers) 23-24
Sécurité sur mer 140
Sémantique et typologie 79-80
Silphion 85-94
Sitophylaques 133, 185, 191, 204, 298, 305
Smith, A. 258, 264
Sociétés précapitalistes 265, 304-306
Solde des légionnaires romains 180
Spéculation sur les prix 187-188, 283-284, 286
Statut social des commerçants 95-99
Structures de marché 275-276
Surplus 115, 287-297 — v. Manques
Tables de pierre de l'agora 163-164
Tablettes de bois 141-142 — v. λεύκωμα
Taxe portuaire 110
Taxes douanières 17, 59, 72-73, 169, 268 — v. Douane, Exemption fiscale
Territoire (
Textiles 34, 60, 73, 293 — v. Vêtements
Théorique (Athènes) 251-252
Tolérance religieuse 56-57
Tonnage des navires 95,
Traités entre Rome et Carthage 121, 288-290
Trésor dans un sanctuaire 49
Trésors monétaires (Égypte) 26 n. 60, 50, 68, 73, (Levant) 68 n. 28, 73
Triérarques 144
Triperie 151-158, 163, 172, 177
Ventes et distributions publiques de grain 183-185, 189, 192-193, 199-200, 256-257
Vêtements (prix à Athènes) 180
Ville — v.
Vin 58-59, 73, 106-107, 112, 115, 122, 128-129, 189 n. 27, 197, 208, 269-270, 274, 276, 283, 287, 293-295, 297 — v. Prix
Voyages en mer 143
Weber, M. 244, 266, 268
Xénophobie 56-57, 60 n. 181
Index des mots grecs
ἀγωνάρχης (agoranome en Béotie) 175
ἀδικία (préjudice) 124 n. 59
ἁθρόα πώλειν (vendre en gros) 197
Αἰγύπτιος ἐγ Ναυκράτιος (Égyptien de Naucratis) 28, 32-35, 67
αἴτησις (demande) 171
ἀνθίστημι (opérer une pesée de contrôle) 226-227
ἀπισόω (équilibrer) 87
ἀπουσία (“déficit”) 221, 231, 235
ἀργύριον Ἀττικὸν ὁλοσχερές — v. Étalon attique plein
ἀσυλεὶ καὶ ἀσπονδεί (avec privilège d’inviolabilité et neutralité) 29, 70
ἀτέλεια — v. Exemption fiscale
ἀφορμή (capital de départ) 253
βίβλοι γεγραμμέναι (papiers de bord) 143
βουστάσιον, βουστασία, βούστασις (étable) 165
γνώμων (tarif fiscal) 169
διαγεγραμμμέναι τίμαι (prix fixés par l’autorité dans l’Égypte lagide) 186
διαγραφαί (ordonnances dans l’Égypte lagide) 186
διαμετρέω (distribuer par rations) 192 — v. Rations
ἐμπόριον — v.
ἐμπορῖται (“emporites”, habitants d'un
έπιγράφειν τὰς τιμάς (afficher, fixer les prix) 175
ἐπίσταθμος? (surveillant des pesées ?) 88
ἐπιταγή (κατ’ ἐπιταγήν : sur injonction de) 167-173
ἐπώνιον (taxe sur les ventes) 173, 179
ἐξετασμός (contrôle de poids des offrandes) 226
ἑστηκυῖα τιμή (prix fixé dans l’Égypte lagide) 186
ζυγόν (balance) — v. Balance
ζυγοστάσιον, ζυγοστασία, ζυγόστασις (support de balance) 164-167
ζυγοστάτης (préposé aux pesées) 213, 218
θέρμος (2/3 d’obole) 216 n. 33
ἱπποστάσιον, ἱπποστάσια, ἱππόστασις (écurie) 165
ἰσόφορτος (équilibre, charge égale) 87-88
καθεστηκυῖα τιμή — v. Prix officiels
καθιστάναι (déterminer un prix) 185, 189 n. 27
κεράτιον (1/3 d’obole) 216 n. 33
κανοῦν (corbeille sacrificielle) 226-227
κιβώτια (coffres sur les navires) 143
κίστης (caisse embarquée sur un navire) 143 n. 67
κλῖναι (couchettes de navires) 143
κοτυλίζειν (vendre au détail) 197
κτητική (art d’acquisition) 112
κύκλος (“marché aux produits alimentaires”) 168, 170
κύκλῳ (οἱ/τὰ) 168-172
κωδωνοστάσιον (gr. mod. : “campanile”) 167
λεπτοῦ δρ(αχμαί) (drachmes légères) 182 n. 144
λεύκωμα (tablette blanchie) 178-179
λευκòν χρυσίον (or blanc) 228 n. 91
λίθοι (“pierres” de l’agora) 163-164
λόγοι οἰκονομικοί (traités de gestion) 247-248
μέτρα (instruments de mesure) 165
μέτρα ἀνθρακηρά (mesures pour le charbon de bois) 229
μηχανοστάσιον (support d’une machine d’irrigation en Égypte) 167
μνήμων (φόρτου μ. : comptable de bord) 88, 142
Ναυκρατίτης ἐξ Αἰγύπτου (Naucratite d’Égypte) 53, 78-79
νόμισμα (numéraire) 224 — v. ὁλκῆς καὶ νομίσματος
οἰκονομία βασιλική (économie royale) 247
οἰκονομία ἰδιωτική (économie privée) 247
οἰκονομία πολιτική (économie civique) 247, 251
οἰκονομία σατραπική (économie satrapique) 247
οἰκῶν ἐν Αἰγύπτῳ (résident en Égypte) 27-34, 74, 77, 82
οἰκῶν ἐν Δήλωι / Δελφοῖς (résident à Délos, à Delphes) 77
ὁλκῆς καὶ νομίσματος (“selon le poids et l’unité de référence”) 236-240
ὀρυξός (déterreur ?) 88
περίστασις (circonstances) 170
πλεονάζω (jouir de surplus) 117
πλουτέω (être riche) 117
πόλις — v.
προστάται (à Naucratis, “présidents du port”) — v.
πρὸς ἀργύριον (“au poids de l’argent”) 181 n. 139, 222-235
πρὸς χρυσίον (“au poids de l’or”) 223 n. 65
σηκώματα (mesures légales) 164
σιτοδεία (disette) 137
σιτοπομπία (transport de blé) 140
σιτωνία (commissariat au grain) 195
σλιφομαχος (balance à silphion ?) 88-89
σπανοσιτία (disette) — v. Disette
σταθμὰ ξυληρά (poids pour peser le bois) 229
σταθμός (balance) 88
σταθμίον (poids de balance) 226
συγγραφή (contrat écrit) 145, 273
συγγραφοφύλαξ (notaire) 75
σύμβολα (signes de reconnaissance) 145-146
σύμβολα (conventions réciproques) 114 n. 23, 124
σύμβολα (mesures étalons) 230
σύμβολα (reçus, quittances) 148 n. 90
συμβολαί (conventions) 120-124
συμβολαῖον (contrat) 273
συνάλλαγμα (contrat) 273
συνθήκη (convention, contrat) 273
συνθῆκαι (conventions, accords) 120-124
συνθῆκαι περὶ τῶν εἰσαγωγίμων (conventions d'importation) 114 n. 23, 121-122, 125
σφραγίς (sceau) 146
τάττειν (fixer un prix) 185, 189 n. 27, 198
τεῖχος (fortin) 51
τεταγμένη τιμή (prix fixé) 202
τροφή (alimentation, “subsistances”) — v.
ὑπόχαλκος (doré) 227
φόρμοι (charges de grain à Athènes) 190
φόρτος (cargaison) 88, 142
φυλακός (garde) 87
φορμοφόρος (portefaix) 88
χαλκός (1/8 d'obole) 216 n, 33
χρεία (besoin) 115, 118
χρυσοῖ (unité et monnaies d’or) 231