La cité marchande

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Il existe trop souvent un décalage frappant entre les analyses théoriques touchant à l'économie de la Grèce ancienne et les réalités que l'on peut percevoir à travers une analyse directe des sources. Ces douze essais, dont six inédits, entreprennent de soumettre les concepts à l'épreuve des faits. La méthode est appliquée à la question du statut de l'emporion de Naucratis, à l'organisation spatiale des cités de Lesbos, ou encore à la possibilité qu'avaient ou non des marchands de jouer un ...

Introduction

Ce livre rassemble douze essais sur le commerce et l'échange en Grèce ancienne. Six sont inédits. Six autres ont déjà fait l’objet d'une première publication et dans ce cas la date en est précisée en sous-titre. Les articles que nous avons publiés sur des sujets touchant à l’histoire monétaire ne sont pas repris. Il en va de même de l'essai consacré à la notion d'emporion, qui garde sa place auprès des textes avec lesquels il a été publié[1].

Après l’ouvrage collectif L'emporion publié avec Pierre Rouillard, le présent volume affronte en effet cette fois plus largement la question de l’échange, qui a joué un rôle central dans la réflexion sur les structures économiques de la Grèce ancienne. Ce livre n'aborde donc pas. ou de manière marginale, d’autres problèmes clés comme la terre comme facteur de production, la monnaie, l’importance de la production artisanale ou la ville antique comme “ville de consommation”. Ces questions sont renvoyées à une éventuelle phase ultérieure de notre recherche.

Pour ouvrir de nouvelles voies en histoire économique de l'antiquité, il faut inventer de nouveaux concepts mais aussi revenir aux sources, pour faire sauter les verrous qui bloquent la réflexion. Max Weber avait déjà fortement incité à dégager la spécificité de chaque société avant d’élaborer des modèles généraux : “Ce n’est qu’en soulevant des problèmes concrets que des sciences ont été fondées et que leur méthode continue à être développée. Jamais encore des considérations purement épistémologiques ou méthodologiques n’y ont joué un rôle décisif”[2]. Telle est exactement la démarche suivie ici. Sur des questions centrales comme la structuration des échanges internationaux, la formation des prix ou les structures de marché, on proposera ici des solutions nouvelles à de vieux problèmes ou à de vieilles énigmes, mais toujours en se fondant sur un examen détaillé des sources anciennes.

Les études rassemblées dans ce volume ont donc d’abord pour but d’établir des données factuelles sur des bases renouvelées. Il en est ainsi en particulier pour les deux premiers chapitres de l’ouvrage, qui sont consacrés à l' emporion de Naucratis en Égypte. Le chapitre I analyse en termes juridiques le statut de Naucratis, le chapitre II faisant un bilan de la recherche des deux dernières décennies et offrant de nouvelles réflexions sur l'interaction entre guerre et commerce au ve s. et sur la notion d'emporion. Dans la continuité des rapports entre la Grèce et l’outre-Méditerranée, le chapitre III propose de nouvelles analyses sur la fameuse coupe d'Arcésilas, du vie s. a.C. Le chapitre IV fait faire un grand bond dans le temps pour présenter l’activité de familles de commerçants en grain en mer Égée au iiie s. a.C. Le chapitre V, qui traite de l’évolution des cités de Lesbos, est issu d’un séminaire de réflexion à l’Université Michel-de-Montaigne (Bordeaux III) : nous lui avons volontairement laissé ce caractère généraliste, en adjoignant seulement une bibliographie des principaux travaux récents traitant de l’île de Lesbos. Les chapitres VI et VII traitent sous deux angles différents des formes juridiques du commerce international. Utilisant tous les deux des sources athéniennes, les chapitres VIII et IX abordent la question des prix, prix de détail pour le premier, prix de gros pour le second. Dans ces deux essais écrits en parallèle, la démarche est la même : le point de départ est l'analyse d'un document, l’inscription agoranomique du Pirée du Ier s. a.C. pour le chapitre VIII, la notion de “prix officiel’’(kathestèkuia timè) pour le chapitre IX ; ensuite la réflexion s’élargit sur la portée de ces documents et des documents analogues pour la formation des prix en Grèce ancienne. Le chapitre X traite de ce qui est apparemment un point de détail : utilisait-on ou non des monnaies comme instrument de pesée en Grèce ancienne ? Pour donner une réponse à cette question, on doit auparavant lever un certain nombre d'a priori méthodologiques qu'il faut bien qualifier de “primitivistes”.

La dernière partie de l’ouvrage a en outre pour but d’amorcer une nouvelle réflexion sur l'économie de la Grèce des cités sous l’angle de l’échange. Ce travail de conceptualisation est abordé au chapitre XI et surtout au chapitre XII. Rédigé dans une perspective différente, moins technique, mais utilisant de manière systématique les données élaborées dans les chapitres précédents, ce dernier chapitre se présente comme la conclusion de l’ouvrage et la synthèse des positions défendues dans ce livre. Au reste, on ne prétendra nullement ici atteindre des solutions définitives, mais du moins apporter une contribution à la recherche de voies nouvelles pour l’interprétation de l’économie de la Grèce ancienne. Ce travail devra être développé et poursuivi ultérieurement.

Pour les études déjà publiées, c’est en règle générale le texte original des articles qui a été reproduit ici, mais mis aux normes de la collection. Les additions ou corrections, sauf sur quelques points mineurs, sont explicitement signalées entre crochets droits. Pour le chapitre VII, quelques modifications ont été apportées au texte initial, principalement pour ie calcul du volume des exportations de Cyrène, en fonction des éléments nouveaux apportés par la nouvelle loi attique sur le blé récemment publiée (Stroud 1998).

C’est enfin un agréable devoir de remercier ici tous ceux qui nous ont aidé dans la rédaction de ce livre, qu’il s’agisse des six chapitres déjà publiés ou des chapitres encore inédits. Pour le chapitre I, nous sommes particulièrement redevables aux remarques de Jacques Menaut, ainsi qu’à celles de Christine Giesecke, Pierre Debord, Raymond Descat (Bordeaux), Pierre Rouillard (Paris), Pierre Lévêque (Besançon) et Michael H. Jameson (Stanford), qui nous avait communiqué avant publication le texte et la nouvelle datation de l’inscription de Carpathos IG, I3, 1454 ; pour le chapitre II, à Lidia Domaradzka et au regretté Mieczyslaw Domaradzki, trop tôt disparu, qui nous avaient généreusement accueilli sur le site de l'emporion proche de Vetren (Bulgarie) ; pour le chapitre III à Marie-Christine Villanueva-Puig (Paris) pour plusieurs références, à Dirk van Der Plas (Utrecht) pour ses conseils sur les “choses égyptiennes”, et non moins à Catherine Dobias-Lalou (Dijon) pour de précieux commentaires sur les inscriptions de la coupe d’Arcésilas ; pour le chapitre V à Patrice Brun (Tours), Pierre Debord et Raymond Descat, avec qui les thèses de cette petite étude avaient été largement discutées ; pour le chapitre VII à Christophe Pébarthe (Bordeaux) pour la question du rôle de l’écrit dans le commerce, et Vincent Gabrielsen (Copenhague) pour des compléments sur le rôle de l'écrit dans les comptabilités de la flotte de guerre ; pour le chapitre VIII, à Christophe Pébarthe qui a attiré notre attention sur l'inscription agoranomique du Pirée, à Marie-Claire Ferriès (Grenoble), Alexandre Marcinkowski (Paris), Jocelyne Nelis-Clément (Bordeaux), Damien Nelis (Dublin) pour plusieurs références, à M. l'Éphore Georges Steinhauer (Athènes) pour son accueil cl son aide amicale au Musée du Pirée, et non moins aux précieux conseils de Simone Follet (Paris), qui a accepté d'en relire le manuscrit, d’en compléter la bibliographie et de nous faire profiter de sa connaissance des choses athéniennes ; pour le chapitre X, à Marie-Christine Marcellesi (Paris), qui nous avait fait parvenir son manuscrit sur le même sujet avant publication, à Richard Ashton (Londres) pour la discussion de plusieurs questions de numismatique rhodienne. et à Véronique Chankowski (Athènes) pour ses remarques touchant aux questions déliennes ; enfin pour le chapitre XII à Christophe Pébarthe, pour ses suggestions et ses encouragements à publier une réflexion jusque là menée seulement dans le cercle des oikeioi, et qui sans lui n’aurait peut-être jamais vu le jour. Pour divers autres points, nous sommes particulièrement redevables à Gary Reger (Hartford), et en outre à Joan R. Mertens (New York). Jurgen Deininger (Hambourg), Marie-Thérèse Le Dinahet (Lyon), Christian Settipani (Paris). Laurent Capdetrey et Delphine Roumillac (Bordeaux).

Non moins importante fut l’aide apportée par Michèle et François Bresson, qui par leurs conseils et leur relecture attentive ont fortement contribué à l’amélioration du manuscrit. Ajoutons encore qu’Alexandre Marcinkowski a amicalement accepté d'effectuer une relecture minutieuse de l’ensemble du livre. La cartographie est due à la générosité d'Olivier Henry (Bordeaux). Nathalie Tran a mis au service de ce texte sa compétence pour en assurer la mise en page. Nous restons seul responsable des thèses défendues ici et les erreurs qui pourraient subsister nous seraient entièrement imputables.

RÉFÉRENCES DES CHAPITRES DÉJÀ PUBLIÉS

Chapitre I “Rhodes. l'Hellénion et le statut de Naucratis”, Dialogues d’Histoire ancienne, 6, 1980, 291-349.

Chapitre IV “Rhodes : une famille camiréenne de commerçants en blé”, Index, 9, 1980, 144-149.

Chapitre V “La dynamique des cités de Lesbos”, Cahiers Radet (Université de Bordeaux III), 3, 1983, 11 p.

Chapitre VI “Aristote et le commerce extérieur”. Revue des Études anciennes, 89, 1987, 217-238.

Chapitre VII “L'attentat d'Hiéron et le commerce grec”, in : P. Briant, R. Descat et J. Andreau, éd., Les échanges dans l'Antiquité : le rôle de l'État, Entretiens d’archéologie et d’histoire 1, Saint-Bertrand-de-Comminges, 1994, 47-68.

Chapitre XI “Prosodoi publics, prosodoi privés : le paradoxe de l’économie civique”, Ktema, 23, 1998, 243-262.

Chapitre I. Rhodes, l’Hellénion et le statut de Naucratis (vie-ive siècle a.C.)

A Naucratis, les fouilles britanniques de la fin du siècle dernier ont permis de mettre au jour plusieurs sanctuaires et des quantités importantes de céramique grecque de fabrications très diverses[3]. Mais, au vu des controverses à ce sujet, il ne semble pas que l’étude du matériel archéologique et des sources écrites ail permis jusqu'à présent de déterminer nettement le statut de cet établissement grec en pays égyptien. Or. il nous a paru qu'il était possible de présenter une nouvelle vision des choses, en procédant à une étude plus précise des sources littéraires elles-mêmes, et à un rapprochement, jusqu'ici jamais effectué dans cette perspective, entre, d'une part, les sources littéraires et archéologiques et, d'autre part, un certain nombre de documents épigraphiques – nous entendons par là non seulement les inscriptions provenant du site de Naucratis, mais aussi, voire surtout, les inscriptions de diverses régions du monde grec où il est question de cette ville. Parmi ces dernières, deux décrets de proxénie rhodiens sont plus particulièrement importants pour notre recherche. Ils font donc l’objet d'une étude spéciale. Comme l’analyse de la place de Rhodes au sein de l’Hellénion conduit aussi à donner une nouvelle présentation du fonctionnement et du rôle de ce sanctuaire, il se trouve donc que, globalement, l’étude des rapports entre Rhodes et Naucratis retient particulièrement l'attention. Enfin, à la lumière des résultats acquis, il est possible de proposer une réflexion plus générale sur le statut et le rôle de Naucratis, par comparaison avec les établissements de ce type.

1.1 Si l’on veut bien, pour le moment, faire abstraction des sources tardives, le texte fondamental pour la connaissance du statut de Naucratis reste Hérodote 2.178–179. On sait que l’historien s’était lui-même rendu en Égypte, et qu’il y avait recueilli des informations de première main[4]. Sur Naucratis, il donne le commentaire suivant :

[178] Φιλέλλην δὲ γενόμενος ὁ Ἄμασις ἄλλα τε ἐς Ἑλλήνων μετεξετέρους ἀπεδέξατο καὶ δὴ καὶ τοῖσι ἀπικνεομένοισι ἐς Αἴγυπτον ἔδωκε Ναύκρατιν πόλιν ἐνοικῆσαι· τοῖσι δὲ μὴ βoυλομένοισι αὐτῶν ἐνοικέειν, αὐτόσε δὲ ναυτιλλομένοισι ἔδωκε χώρους ἐνιδρύσασθαι βωμοὺς καὶ τεμένεα θεοῖσι. Τὸ μέν νυν μέγιστον αὐτῶν τέμενος καὶ ὀνομαστότατον ἐὸν καὶ χρησιμώτατον, καλεόμενον δὲ Ἑλλήνιον, αἵδε πόλιές εἰσι αἱ ἱδρυμένοι κοινῇ· Ἰώνων μὲν Χίος καὶ Τέως καὶ Φώκαια καὶ Κλαζομεναί, Δωριέων δὲ Ῥόδος καὶ Κνίδος καὶ Ἁλικαρνησσὸς καὶ Φάσηλις, Αἰολέων δὲ ἡ Μυτιληναίων μούνη. Τουτέων μέν ἐστι τοῦτο τὸ τέμενος, καὶ προστάτας τοῦ ἐμπορίου αὗται αἱ πόλιές εἰσι αἱ παρέχουσαι· ὅσαι δὲ ἄλλαι πόλιες μεταποιεῦνται, οὐδέν σφι μετεὸν μεταποιεῦνται. Χωρὶς δὲ Αἰγινῆται ἐπί ἑωυτῶν ἱδρύσαντο τέμενος Διός, καὶ ἄλλο Σάμιυι Ἥρης, καὶ Μιλήσιοι Ἀπόλλωνος. 179 Ἦν δὲ τὸ παλαιόν μούνη Ναύκρατις ἐμπόριον καὶ ἄλλο οὐδὲν Αἰγύπτου· εἰ δέ τις ἐς τῶν τι ἄλλο στομάτων τοῦ Νείλου ἀπίκοιτο. χρῆν ὀμόσαι μὴ μὲν ἑκόντα έλθεῖν, ἀπομόσαντα δὲ τῇ νηὶ αὐτῇ πλέειν ἐς τὸ Κανωβικόν · ἢ εἰ μή γε οἷά τε εἴη πρὸς ἀνέμους ἀντίους πλέειν, τὰ φορτία ἔδεε περιάγειν ἐν βάρισι περὶ τὸ Δέλτα, μέχρις οὗ ἀπίκοιτο ἐς Ναύκρατιν. Οὕτω μὲν δὴ Ναύκρατις ἐτετίμητο.

“[178] Devenu ami des Grecs, Amasis le montra entre autres en faisant bon accueil à certains d’entre eux ; notamment, à ceux qui venaient en Égypte, il concéda (à ceux d'entre eux qui voulaient résider) la ville de Naucratis pour y résider ; à ceux d’entre eux qui ne voulaient pas résider, mais qui venaient là en navigateurs, il concéda des terrains pour y fonder des autels et des sanctuaires à leurs dieux. Le plus grand de ces sanctuaires, le plus célèbre et le plus fréquenté, appelé Hellénion, a été fondé en commun par les cités suivantes : pour les Ioniens, Chios, Téos, Phocée et Clazomènes ; pour les Doriens, Rhodes, Cnide, Halicarnasse et Phasélis ; pour les Éoliens, la seule Mylilène. C'est à elles qu’appartient le sanctuaire, et ce sont ces cités qui fournissent les présidents du port. Toutes les cités qui prétendent y avoir part le font sans y avoir aucun droit. Séparément les Éginètes ont fondé pour leur propre compte un sanctuaire de Zeus, les Samiens un autre d’Héra, et les Milésiens un pour Apollon. 179 Autrefois, seule Naucratis était un port de commerce, et l’Égypte n’en avait point d’autre. Si quelqu’un arrivait à une autre bouche du Nil, il devait jurer qu'il n'y était pas venu volontairement, et, après avoir prêté serment, il devait faire voile avec son navire vers la branche canopique ; ou bien, si toutefois il n'était pas possible de faire voile du fait de vents contraires, il devait faire faire à sa cargaison le tour du Delta dans des barges, jusqu’à ce qu'il arrivât à Naucratis. Telles étaient les prérogatives dont jouissait Naucratis.”

Il paraît tout à fait clair, malgré C. Roebuck, qu'il faut distinguer à Naucratis deux catégories de gens : les résidents, et les passagers. Cette différence essentielle a été de nouveau soulignée par M. Austin[5]. Précisons seulement que les deux propositions construites avec ἔδωκε établissent un parallèle entre ceux des Grecs venant en Égypte qui veulent y résider (il faut suppléer cette précision d’après lu phrase suivante : “à ceux qui ne voulaient pas résider”, ce qui suppose que l’autre catégorie était formée de gens qui avait une intention inverse), et qui, précisément, reçoivent la ville de Naucratis “pour y résider”, et ceux qui ne font que passer, les navigateurs, qui sont manifestement des commerçants, et qui, eux reçoivent des terrains “pour y élever des autels et des sanctuaires”[6]. Un des problèmes essentiels est évidemment de savoir si les résidents constituaient une véritable cité, et cette fois le problème est beaucoup plus discuté.

1.2. Pour A. Gwynn, J. Boardman, A. J. Graham et G. E. M. De Ste Croix, il ne saurait en être question[7], tandis que pour K. Lehmann-Hartleben, C. Roebuck (avec la réserve que ce dernier tend à confondre résidents et passagers), A. Bernand, M. Austin et P. Vidal-Naquet (avec plus d’hésitation dans l'ouvrage commun à ces deux derniers auteurs), et en dernier lieu P. Faure, Naucratis avait effectivement le caractère d’une cité grecque plus ou moins normale[8]. On doit remarquer que les tenants du premier point de vue n’ont jamais vraiment développé leurs arguments, ce qui n’a pas été le cas pour les seconds, dont il semble que les thèses se soient imposées dans la littérature la plus récente. Pourtant, à elle seule, l’analyse de la séparation entre résidents et passagers, telle qu'elle est exposée chez Hérodote, aurait dû conduire à la bonne solution : elle n’autorise pas à conclure que Naucratis ait pu constituer une cité au vie ou au ve s., bien au contraire.

On doit d'abord éviter de considérer que polis désigne obligatoirement une cité[9]. Dans les inscriptions, chez les auteurs anciens, et chez Hérodote en particulier, le sens de ville est parfaitement attesté : ainsi, tout au long du livre II, polis désigne des villes égyptiennes[10]. Toutefois, dans un contexte où il s’agit de Grecs, ne s’agit-il pas là de “la cité”, au sens hellénique du terme, comme le pense M. Austin[11] ? En fait, δίδοναι πόλιν ne peut avoir le sens de “donner une cité”. Supposer l’existence d'un “donateur”, c’est supposer que la cité est une réalité en soi, existant en dehors de ceux qui en sont les membres, de ses citoyens. Une cité ne se “donne” pas. Elle se constitue sur la hase d'un contrat, d'un acte volontaire qui engage ceux qui en deviennent les citoyens, même si un souverain peut en être le fondateur (et non le “donateur”), comme c'est le cas fréquemment à l’époque hellénistique, mais dans un contexte très différent. Au reste, Hérodote précise ἔδωκε πόλιν ἐνοικῆσαι “pour y résider”, ce qui montre que polis a bien un sens local, celui de “ville”. Tous les parallèles qu'on peut invoquer montrent un sens local analogue. Ce sont tout d’abord les terrains (χώρους) qui sont donnés, à Naucratis même, par Amasis aux navigateurs “pour y fonder des autels et des sanctuaires”. Chez Hérodote encore (2.154), aux Ioniens et aux Cariens qui l'ont aidé, Psammétique donne des terrains pour y résider (ὁ Ψαμμήτιχoς διδoῖ χώρους ἐνοικῆσαι, et, de même (9.106), les Péloponnésiens proposent qu'on attribue aux Ioniens d'Asie Mineure, pour y résider, le territoire des peuples médisants (δοῦναι την χώρην Ἴωσι ὲνοικῆσαι). Chez Thucydide (4.56), les Lacédémoniens donnent Thyréa aux Éginètes expulsés par les Athéniens pour qu'ils y résident (αὐτὴν ἔδοσαν... Αἰγινήταις... ἐνοικεῖν)[12]. On retrouve donc un sens local[13].

Les Grecs qui résident dans cette ville de Naucratis qui leur est officiellement attribuée[14] y forment-ils une cité, c’est-à-dire, sous une forme ou sous une autre, un État, même vassal du royaume égyptien ? Pour répondre à cette question, il faut d'abord revenir sur les parallèles évoqués plus haut. Les Ioniens d'Asie, dans l'esprit des Péloponnésiens, vont pouvoir reconstituer leurs cités sur les territoires qui leur seront attribués. De même, les Éginètes vont pouvoir, provisoirement et tant bien que mal, faire revivre la leur sur le territoire de Thyréa. Dans les deux cas, Ioniens d’Asie et Éginètes, il y a donc une organisation civique préexistante, qui va seulement trouver un nouveau cadre territorial. Rien de tel évidemment pour les mercenaires de Stratopéda (cf. supra. Hdt. 2.154) : pour eux, la concession de territoire ne signifie nullement se constituer en cité. S'agissant de Naucratis cette fois, rien ne permet donc a priori de conclure à l'existence d'une cité, qui n'est pas en soi liée à la concession d'un territoire. Tout indique, au contraire, que le souverain n’avait pas abandonné ses droits sur la ville, ou plutôt, sur le quartier de la ville réservé aux Grecs[15]. Le parallèle avec les terrains concédés aux Grecs de Stratopéda, pour lesquels on a relevé chez Hérodote une formule analogue à celle de la concession de Naucratis est à cet égard tout à fait instructif : Hérodote signale (ibid.) que plus tard Amasis “leur fit quitter ce lieu pour les établir à Memphis”[16]. Ce roi montrait ainsi le grand cas qu’il faisait des mercenaires grecs, puisque c'était pour en faire ses gardes du corps qu'il les amenait dans cette ville, mais on doit retenir, et c’est là l’essentiel, que de toute façon la concession de terrains et l’octroi d’un statut particulier étaient essentiellement précaires et dépendaient de la volonté du souverain. Au ive s. encore, la stèle de Nectanébo Ier (qui règne de 380 à 362)[17] montre que les productions de Naucratis étaient rattachées au domaine royal et que le pharaon pouvait à sa guise faire ériger dans la ville une stèle édictant un règlement fiscal. L'édit attribuait également le produit des douanes (taxe ad valorem de 10 %) de la branche canopique, celle par laquelle les Grecs devaient passer, à la déesse Neith de Sais. Or, il est certain qu’une législation semblable existait déjà sous la 26e dynastie, et avant même le règne d'Amasis. puisque, au début du règne de ce dernier. Nekhthoreb, le haut fonctionnaire chargé de percevoir ces droits, se flatte d’avoir rétabli les offrandes aux dieux, et à la déesse Neith en particulier[18]. Le fait que le règne de Nectanébo Ier, tout comme celui d’Amasis, est une période de remise en ordre n’est probablement pas étranger au fait que les documents ayant trait aux droits de douane que nous possédons émanent de ces pharaons[19]. En tout cas, sans qu'il soit possible d’apporter pour le moment une solution définitive sur ce point, les documents égyptiens et le τὸ παλαιόν d’Hérodote, “autrefois” (formule très générale donc, qui n'implique pas nécessairement que le système ait été introduit par Amasis), s’agissant de la concentration du commerce grec vers la branche canopique, réservent au moins la possibilité que ce système soit antérieur à Amasis[20]. S'il en était ainsi, on voit mal comment on pourrait envisager l'existence d'une quelconque souveraineté des Grecs de Naucratis dans leur ville.

Quelle fut donc la signification des mesures d’Amasis ? Les témoignages archéologiques montrent que l'établissement grec existait en tant que place commerciale avant ce pharaon. Il est établi que, dans la moitié nord de la ville, le quartier grec, la partie sud fut la première zone d’établissement, cela à la fin du viie s. selon toute vraisemblance. Là, Grecs et Égyptiens vivaient côte à côte. Les Hellènes reçurent même le droit d’élever un sanctuaire à Aphrodite, qui semble bien avoir été le premier des sanctuaires grecs de Naucratis[21]. Du reste, une allusion de la grande stèle historique d'Amasis semble faire référence à cet établissement[22]. Les événements rapportés par le texte se situent d’abord en l'an I du règne d’Amasis[23]. Apriès s’emploie à susciter des troubles pour reprendre le pouvoir : “(1. 2)... Sa majesté (=Amasis) était au conseil, à s'occuper des destinées de la terre entière ; on vint dire à sa majesté : “Apriès (1. 3) est (parti), il (guide) les vaisseaux qui (ont passé). Des Grecs dont on ne sait le nombre parcourent le Nord, c’est comme s’il n’y avait pas de maître pour gouverner ; il les a appelés, eux l’ont (accueilli). Le roi leur avait assigné une résidence (1. 4) dans le Pehu An : ils infestent l’Égypte en son étendue, ils atteignent Sekhet Mafek, tout ce qui est en ton eau s’enfuit d’eux.” Ce texte comporte cependant un certain nombre de difficultés d’établissement qui ne relèvent pas de notre compétence[24]. Néanmoins, on peut signaler que, pour le premier éditeur G. Daressy, qui soulignait déjà les difficultés de lecture de l’inscription, la résidence des Grecs devait être dans le Pehu An, “c’est-à-dire le bas pays du troisième nome de la Basse Égypte, celui de l’Occident, dont la capitale était Andropolis ; il est, dès lors, fort probable qu’on veut parler de Naucratis, qui est à vingt kilomètres de Kherbeta (Andropolis)”[25]. Si cela est exact, le roi qui a assigné aux Grecs cette résidence dans le Pehu An a fort peu de chance d’être Antasis : on est dans la première année de son règne. Il s'agit vraisemblablement d’une allusion à l’un de ses prédécesseurs. La concentration des Grecs signalée par la stèle dans ce qui était donc probablement la ville de Naucratis tend également à confirmer que la concentration du commerce grec y était antérieure à Amasis (cf. supra et n. 18). Ce texte est évidemment très utile en ce qu’il montre qu'Apriès trouva appui auprès des Grecs même après la bataille de Momemphis, ce qui éclaire bien le texte d’Hérodote 2.169. Les Hellènes, les commerçants du moins, étaient, en période normale, concentrés à Naucratis : à la faveur des circonstances, aventuriers et mercenaires grecs parcouraient tout le Delta. Dans ce contexte, la participation aux troubles des Grecs installés à Naucratis paraît assez probable.

Elle semble confirmée par un fragment d'Aristagoras de Milet, auteur du ive s. a.C., un peu plus jeune que Platon[26]. Pour justifier l'origine du nom de la ville égyptienne de Gynaicopolis, ville du Delta proche de Naucratis, et qui n'est pas loin d’Andropolis, si elle ne lui est pas identique[27], Aristagoras avance trois explications. Les deux premières ne nous intéressent pas ici, mais la troisième fait intervenir Naucratis : τῶν Ναυκρατιτῶν ἀναπλεόντων κατὰ τὸν ποταμὸν καὶ κωλυoμένων ὑπὸ τῶν λοιπών Αιγυπτίων ἀποβαίνειν, οὗτοι καταπλαγέντες ὑπὸ ἀνανδρίας οὐ διεκώλυσαν “Alors que les Naucratites remontaient le fleuve en bateau et que les autres Égyptiens les empêchaient de débarquer, ils [les Gynaicopolites] furent frappés de crainte en raison de leur lâcheté et ne purent les en empêcher.” Cet épisode pourrait bien se rapporter à la période de trouble rapportée par la stèle d’Amasis, avec ses différentes allusions aux combats contre les Grecs (cf. également 1. 11-17), et en particulier à l'ordre d’Amasis, 1. 15-16 : “qu’on ne fasse pas un jour que soit opposition à leurs barques”. L'hypothèse que le texte d'Aristagoras devait être rapproché de ces événements avait déjà été émise en 1855, avant la publication de la stèle d’Amasis, par A. von Gutschmid[28]. Elle a ensuite été repoussée par D. Mallet en 1922, qui considérait qu'aucune source n’était susceptible d'étayer ce point de vue (mais il ignorait apparemment la stèle d'Amasis), et qui trouvait invraisemblable que les Naucratites, supposés occupés exclusivement de leur commerce, aient pu jouer un rôle quelconque dans cette période[29]. Dans ce contexte si particulier des troubles suscités par l’ancien souverain, il ne nous paraît au contraire nullement impossible que les Grecs établis à Naucratis aient pu se joindre aux bandes d'aventuriers grecs qui soutenaient Apriès, alors que la région, sinon la ville de Naucratis elle-même, semble avoir été le foyer initial du soulèvement. Certes, commerce et activités guerrières devaient bien être distincts en temps ordinaires. Mais on aurait probablement tort de penser que des gens dont l'activité essentielle était le commerce ne pouvaient à l'occasion se comporter en aventuriers (que l'on songe seulement à l'esprit d’aventure nécessaire pour faire la traversée de Grèce en Égypte et pour s’y installer[30]).

Après la période de trouble qui précède et qui suit l’avènement d’Amasis, une fois l'ordre établi, il fallut donc veiller à percevoir de nouveau les droits de douane sur la branche canopique : ce lut la tâche de Nekhthoreb, comme on l'a vu précédemment. Quelques années plus tard encore, après qu'Amasis fut devenu philhellène[31], il prit les mesures dont nous parle Hérodote. L'historien indique d'abord quels étaient ces Grecs auxquels le pharaon accordait des avantages particuliers : c’étaient “ceux qui venaient en Égypte”. Cette formule implique donc que, pour Hérodote, les échanges entre la Grèce et l'Égypte ne dataient pas d'Amasis et que les Grecs étaient déjà bien connus dans le pays, ce qui est parfaitement confirmé par toutes les sources. Cependant, l’historien ne donne pas davantage de précisions sur les Grecs qui “venaient en Égypte”. En fait, dans sa formulation, cette phrase a une double fonction. D'une part, comme on vient de le voir, elle indique que les Grecs avaient déjà l’habitude de fréquenter l'Égypte. D'autre part, elle vaut pour le futur : tous les Grecs qui le désireraient pourraient venir habiter Naucratis. Pour ce qui est du premier aspect, la traduction qu'on a souvent donné de la formule ἔδωκε πόλιν ἐνοικῆσαι “il donna comme résidence la ville de Naucratis”, avait paru exclure l'idée que des Grecs aient pu habiter la ville avant Amasis. Il fallait, semblait-il, comprendre qu'Hérodote faisait d'Amasis le fondateur de l’établissement, le premier pharaon ayant autorisé des Grecs à s’y installer, ce qui est en contradiction avec les sources archéologiques. D'où l'idée qu’Hérodote avait par erreur attribué à Amasis l’œuvre de l'un de ses prédécesseurs[32]. Au reste, il est vrai, on s'était interrogé sur le sens de la formule ἔδωκε πόλιν, qui suppose en elle-même que Naucratis existait déjà comme ville au moment du don d'Amasis, mais on avait alors envisagé l'existence d'une ville égyptienne antérieure à l'arrivée des Grecs – existence tout à fait possible au reste[33] –, qui ne paraissait pas poser de question sur le bien-fondé de cette correction.

Mais cette traduction et cette “correction” d’Hérodote ne sont pas acceptables. Remarquons tout d'abord que, si le fait que l’établissement apparaisse d'emblée chez Hérodote sous le nom de Naucratis n’implique pas nécessairement qu'il y avait là une ville grecque qui portait déjà ce nom (on pourrait penser qu’il s'agit là d'un raccourci de langage), du moins la formule autorise cette hypothèse. Or, à l’inverse de ce qu’écrit R. M. Cook, c’est en traduisant ἔδωκε πόλιν ἐνοικῆσαι de la manière indiquée ci-dessus qu’on rompt le parallèle clairement indiqué par Hérodote entre les passagers, qui reçoivent des terrains (ἔδωκε χώρους) pour y élever autels et sanctuaires, et les résidents, qui reçoivent une ville (ἔδωκε πόλιν) pour y résider[34]. C’est un prédécesseur d'Amasis qui avait fixé les Grecs à Naucratis, comme l’indiquent les découvertes archéologiques et, avec les réserves signalées plus haut du fait des difficultés de lecture du document, la stèle d’Amasis. Parmi les Grecs qui “venaient en Égypte” avant Amasis signalés par Hérodote, ceux qui voulaient résider dans le pays s’étaient vu assigner Naucratis comme résidence. Mais, quant à Amasis, son philhellénisme se manifeste à l’égard des résidents en ce qu'ils reçoivent la concession de la ville de Naucratis : tel est bien le sens de la formule d’Hérodote. La contradiction entre le texte d’Hérodote et les sources archéologiques, qui attestent la présence des Grecs dès la fin du viie s., n’était donc qu’apparente. La chronologie des sanctuaires mentionnés par Hérodote semble également confirmer la véracité de son témoignage[35]. On peut maintenant rendre compte avec précision du sens des mesures d’Amasis à l’égard des résidents.

Auparavant, certes, les Grecs étaient acceptés, et le sanctuaire d’Aphrodite montre qu'ils avaient obtenu cette forme essentielle de reconnaissance qu'était la possession d'un sanctuaire, mais ils devaient vivre aux côtés des Égyptiens, sans privilège particulier, tout comme par exemple à Tell Soukas, sur la côte phénicienne, d'autres de leurs compatriotes vivaient aux côtés des Phéniciens[36]. Grâce aux mesures d’Amasis, dans cette ville qui leur était maintenant réservée (ou plus exactement une partie de la ville, toute la zone nord, comme le montre la large prédominance des tessons grecs dans ce secteur), les résidents grecs pouvaient vivre en communauté séparée, à l’exclusion des indigènes sans doute. Ils devaient ainsi pouvoir disposer librement des terrains, sans que les Égyptiens de souche puissent y faire valoir leurs droits. Vraisemblablement le droit d'avoir des formes d’organisation interne à la communauté leur fut-il reconnu. De fait, les Grecs pouvaient ainsi préserver leur langue et leurs coutumes. Manifestement, la population grecque de Naucratis ne s’égyptianise pas[37]. Ce trait doit-il être mis en relation avec la loi de la cité des époques ultérieures, telle qu'elle nous est connue par un papyrus traitant des institutions d’Antinooupolis, et qui proscrit l'epigamia, l’intermariage avec la population égyptienne[38] ? Il n'est sans doute pas nécessaire d'imaginer l'interdiction légale de l'intermariage (et de quelle autorité aurait-elle émané ?). La comparaison avec les Juifs d'Éléphantine, qui eux aussi préservent rigoureusement leur identité culturelle, montre que ces derniers pratiquaient l’endogamie, sans que l'intermariage soit proscrit – mais les enfants des couples mixtes prenaient des noms juifs, et, donc, une identité culturelle juive[39]. A Naucratis, l’hypothèse la plus vraisemblable est que la loi proscrivant l'epigamia apparaît en même temps que se met en place un système civique, c'est-à-dire, semble-t-il, au moment de l’arrivée d’Alexandre en Égypte (sur ce point, cf. infra § 3.1), dans le nouveau contexte de la domination des Gréco-macédoniens sur l’Égypte conquise.

Pour autant, en effet, rien n’autorise à affirmer que les Grecs aient pu former une cité, un État, même vassal, disposant par exemple de forces armées et de finances propres[40]. Étrange État qui n’aurait même pas les moyens de décider de ceux qui relèveraient de sa souveraineté, puisque la législation d’Amasis autorisait tous les Grecs qui le voulaient à venir s’installer à Naucratis, sans restriction d’aucune sorte. Pas plus que les Grecs de Daphné ou de Stratopéda, les Phéniciens de Memphis ou les Juifs d’Éléphantine, les Grecs résidents de Naucratis n'étaient indépendants de l’autorité royale. A Memphis, les Phéniciens occupaient le quartier dit du “Camp des Tyriens”, et ils y avaient leurs sanctuaires. Quant aux Juifs d’Éléphantine, sur lesquels nous sommes renseignés de manière très vivante grâce aux “archives d’Éléphantine”, ils connaissaient eux aussi des formes d’organisation interne à leur communauté, comme le montrent en particulier les lettres adressées aux chefs de la communauté par des soldats juifs[41]. Faut-il pour autant parler d'un État des Phéniciens de Memphis ou des Juifs d’Éléphantine (pour ne parler que de ces deux communautés : il y en avait d’autres appartenant à ces deux peuples ailleurs en Égypte, et il y avait d’autres communautés étrangères que celle des Juifs, des Phéniciens ou des Grecs) ? Évidemment non, comme on peut s’en convaincre à la lecture des “archives d’Éléphantine”, qui montrent une totale soumission au pouvoir exerçant la souveraineté sur l'Égypte, les Perses pour la plus grande partie de ces textes. C'est l’illusion d’une perspective hellénocentrique qui a amené à considérer que les Grecs de Naucratis formaient nécessairement une cité, un État. Toutes ces communautés étrangères doivent être restituées dans leur cadre égyptien (sur leur fonction, cf. infra, § 3.3).

Deux conclusions se dégagent donc : la première, essentielle pour notre propos, est que tout indique que les Grecs de Naucratis ne formaient pas une cité ; la seconde que, contrairement à ce qu'on pense généralement, Hérodote ne présente pas Amasis comme le fondateur de l'établissement grec de Naucratis : ce pharaon a seulement réorganisé cette place de commerce, fixant le statut des résidents et des passagers. Aucune correction n’est à apporter au texte d’Hérodote, même dans le détail. Ainsi, si, dans la liste des sanctuaires élevés sur les terrains concédés aux Grecs de passage, l'Historien ne fait pas mention du sanctuaire d'Aphrodite, c'est qu'il existait déjà avant Amasis, et que ce n’est pas ce pharaon qui avait autorisé son érection. Certes, l'omission de tel ou tel sanctuaire pourrait s’expliquer d’abord par le fait qu’Hérodote n'en donne pas une liste exhaustive, mais se contente probablement d'indiquer les plus importants dans la catégorie qu’il a définie (sanctuaires des navigateurs)[42]. Mais, s’agissant du sanctuaire d'Aphrodite tout particulièrement, création antérieure à Amasis et ayant sans doute un statut différent de celui des sanctuaires mentionnés par l’historien (voir infra, § 2.4), il n’avait pas à le nommer de toute façon. Cela nous amène directement au problème des passagers.

1.3. Parlant des Grecs qui n’étaient que de passage à Naucratis et qui y venaient pour commercer, Hérodote mentionne quatre sanctuaires, élevés sur des terrains spécialement concédés à cet effet par Amasis. Or, la présence de tels sanctuaires ne va pas de soi. Certes, il existait déjà sans aucun doute un sanctuaire voué au culte d’Aphrodite[43]. Mais il n’en demeure pas moins fort instructif de voir Amasis autoriser des Grecs à élever autels et sanctuaires[44]. En effet, d’ordinaire, lorsque des Grecs se rendent dans une autre cité du monde hellénistique, ils n’ont nul besoin d’y élever des sanctuaires à leurs dieux : ces divinités sont communes aux Hellènes, à quelque cité qu'ils appartiennent, même si elles prennent localement un investissement particulier ; sont communes aussi, fondamentalement, les pratiques cultuelles, dont l’acte essentiel est le sacrifice[45]. L’accès aux sanctuaires n’était pas réservé aux seuls nationaux. Les étrangers, grecs ou non, pouvaient y faire des dédicaces[46], et, s’agissant de Grecs cette fois, ils pouvaient, s’ils le désiraient, accomplir des sacrifices, sous réserve de passer par la médiation d’un citoyen, responsable devant les dieux et la communauté locale[47]. En revanche, le problème du sanctuaire se pose, dans le monde hellénique, pour les étrangers non grecs, qui peuvent, certes, faire la dédicace de quelque ex-voto à telle divinité locale, mais qui ne peuvent retrouver leurs dieux dans les divinités du panthéon hellénique. On sait par un décret athénien du ive s. que des non Grecs pouvaient alors recevoir de la cité l’autorisation d’acheter un terrain pour y bâtir un sanctuaire. C’est le cas pour les marchands de la phénicienne Kition, cité chypriote, qui obtiennent ce privilège pour bâtir un sanctuaire d'Aphrodite, une Astarté phénicienne sans aucun doute, de même que les Égyptiens ont obtenu ce droit pour un sanctuaire d’Isis[48]. Réciproquement, à Tell Soukas, sur la côte syrienne, ou à Gravisca, près de la cité étrusque de Tarquinia, des Grecs ont pu recevoir, à l’époque archaïque, l'autorisation d’élever des sanctuaires à leurs divinités[49]. A ce sujet, à la suite de K. Lehmann-Hartleben, M. Torelli insiste sur le fait que, dans un monde où en règle générale l'étranger est celui qui n'a aucun droit, l’autorisation d’élever un sanctuaire aux divinités de son pays d'origine constitue pour ce dernier une véritable garantie juridique, un élément de sûreté personnelle[50]. En effet, pour l'hôte, cela signifie prendre un engagement envers une puissance qui, même étrangère, transcende les pouvoirs de l’homme. Rompre ce contrat était donc gros de risques. Concrètement, le sanctuaire pouvait sans doute servir également de lieu de réunion, de dépôt d'archives, bref être un lieu de retrouvailles pour les commerçants étrangers.

Une conclusion s’impose : si, à Naucratis, le souverain égyptien avait autorisé la construction de sanctuaires pour les navigateurs grecs de passage, c’est d'abord, tout simplement, parce qu'il n'y avait pas là de cité grecque. En outre, si Naucratis avait été une cité, ce n’est pas évidemment Amasis, mais la cité elle-même qui aurait fait le don du terrain aux étrangers pour y bâtir leurs sanctuaires – il est vrai que, s’agissant de Grecs, elle n'aurait même pas eu à le faire. En revanche, dans la mesure où le pharaon n'avait nullement abandonné sa souveraineté sur la ville de Naucratis, comme le montre, au ive s. encore, la stèle de Nectanébo, on comprend que ce soit lui qui fasse la concession des terrains aux étrangers de passage. Pour ce qui est des résidents, on peut se poser la question de savoir s’ils disposaient de sanctuaires propres. La chose n’est nullement invraisemblable. Certes, Hérodote ne mentionne pas de sanctuaires particuliers à leur usage, mais, de fait, celui d'Aphrodite n’avait probablement pas le même statut que les autres[51]. Quant aux sanctuaires destinés aux étrangers de passage et ayant telle ou telle origine précise (sanctuaire d'Apollon fondé par les Milésiens, d’Héra par les Samiens...), ils étaient fréquentés par des gens originaires d'autres cités que celle qui en était la fondatrice, comme le montre la diversité des dédicaces trouvées dans ces sanctuaires[52] : cela n’a rien de surprenant, comme on l’a vu précédemment, et cela n'implique absolument pas que la propriété des sanctuaires ait échappé à leurs fondateurs, mais ils l'étaient aussi probablement par les résidents[53]. On peut remarquer aussi que la chronologie du sanctuaire d'Apollon établie par E. Gjerstad, avec un premier temple remontant aux années 570-565 (on retiendra la décennie 570-560 pour fixer les idées), et celle de l'Hellénion s’accordent bien également avec l'exposé d’Hérodote, et n’obligent nullement à refuser à Amasis la paternité du système de séparation entre résidents et passagers qu’il nous décrit[54].

Enfin, si, à la suite d’Isocrate, on admet avec K. Lehmann-Hartleben que l'emporion était un élément constitutif de la cité, il serait étonnant de le voir ici fonctionner sous juridiction étrangère[55]. Ce que nous savons de la législation sur l'emporion à des époques ultérieures (à partir du ive s. en fait) montre que, comme on pouvait s'y attendre, il est sous la juridiction des magistrats de la cité[56]. K. Lehmann-Hartleben, qui, rappelons-le, croit à l'existence d'une véritable cité à Naucratis, conclut qu'il y a eu affaiblissement de l'idée d’exterritorialité de l'emporion par rapport à la cité à l’époque classique et hellénistique[57]. Encore faudrait-il que Naucratis ait elle-même été une cité, ce qui n’est pas le cas. On trouve une erreur analogue chez J. Hasebroek, qui met en rapport la distinction faite par Hérodote dans sa description de Naucratis avec son schéma de la séparation entre la vie civique et les activités marchandes, nécessairement aux mains des étrangers[58]. Quoi qu'il en soit de la valeur de ce schéma, il est évident que, s’agissant de Naucratis, il est parfaitement inadéquat de toute façon : tant avec K. Lehmann-Hartleben qu'avec J. Hasebroek, on a affaire à de faux problèmes[59].

On voit donc que, globalement, l’analyse du statut fait aux étrangers de passage oblige à conclure que l’établissement de Naucratis n'avait aucun caractère civique, pas plus au moment de sa fondation qu’après la réorganisation opérée par Amasis. L’étude des décrets rhodiens et celle de la place de Rhodes au sein de l’Hellénion vont permettre de confirmer et de préciser cette analyse.

2.1. Les fouilles de Naucratis ont livré des quantités importantes de céramique rhodienne, du vie s. surtout. Certes, l’attribution des céramiques de Grèce de l’Est à telle ou telle cité n’est pas chose aisée, c’est le moins qu’on puisse dire. Du moins certaines séries particulières, comme les vases de type vroulien, peuvent sans contexte être attribuées à Rhodes[60]. Réciproquement, dans l’île, on a découvert un grand nombre d’objets égyptiens[61], ou de type égyptien, dont un certain nombre sont d’ailleurs antérieurs à l’installation des Grecs à Naucratis. En outre, on a trouvé dans les trésors égyptiens des pièces provenant de chacune des trois cités que compte l’île avant le synœcisme, et, à Naucratis, deux pièces rhodiennes du ive s.[62] Il est vrai que, s’agissant de céramiques ou de monnaies, on ne peut jamais affirmer qu’il y a eu transport par des marchands de la cité d’origine. Il reste que ces découvertes fournissent tout de même en l’occurrence un contrepoint utile aux sources écrites. On ne connaît guère, à Naucratis, qu’une seule dédicace sur céramique d’un Rhodien, celle de Telesôn, Rhodios à Aphrodite (cf. Bernaud 1970, 707, nº 659 et photo pl. 27). L’ethnique Rhodios nous oriente a priori plutôt vers une date postérieure au synœcisme de l’île, réalisé en 407[63]. Nous n’hésiterons pas à dire que la forme des lettres est identique à celle qu’on trouve dans l’inscription étudiée infra, Lindos, 16. Ainsi, les epsilon ont la barre centrale légèrement plus courte ; le sigma, assez ouvert, a les deux barres centrales plus courtes ; le nu a la haste droite plus courte et ne touchant pas la ligne ; l'omega, plus petit que les autres lettres, a une forme resserrée et monte dans la ligne. Cette dédicace remonte donc à la dernière décennie du Ve s. ou au début du vie s.[64]. Inscriptions et timbres amphoriques (prêtre éponyme d’Halios) de Rhodes montrent que le nom Télésôn était assez fréquent dans l'île[65]. On ne pourra donc probablement jamais savoir si Télésôn était un simple marchand ou bien un magistrat de l'Hellénion. Antérieurs de près de deux siècles, les graffites d'Abou Simbel des deux mercenaires ialysiens Anaxanôr et Tèléphos[66] témoignent également de la diversité des relations entre Rhodes et l'Égypte. En se mettant au service de Nectanébo II (pour finalement le trahir, il est vrai), le mercenaire rhodien Mentor, chargé en 346 du commandement de l’armée envoyée en Phénicie par le pharaon, ne faisait sans doute que suivre l’exemple de ce qu’avaient dû faire nombre de ses compatriotes depuis le viie s.[67]

2.2. Les décrets rhodiens concernant Naucratis sont au nombre de deux. Nous les reproduisons ici en suivant, sauf indication du contraire, l’édition de Chr. Blinkenberg, en ajoutant accentuation et ponctuation.

A. Stèle de basalte, achetée au Caire, provenant sans doute de Naucratis. Dimensions (en cm) : (pierre) h = 50 ; (inscription) h = 32,5 ; l = 23,6.Stoichedon 15 carrés, 1, 6 x 1,6 deux lettres dans un même carré, 1. 4 et 9.

Éd. Μ. E. Pridik, “Inscriptions grecques de la Collection de V. S. Golenistchev”, Journal du Ministère de l'Instruction Publique (en russe), n. s. 13, 1908, p. 19, nº 12, avec phot. (Syll3, 110, n. 4) ; S. Accame, ClRh, 9, 1938, p. 221, avec phot. ; Chr. Blinkenberg, Lindos, app. au nº 16, avec phot. d’estampage (SEG, 32, 1982, 1586, sans changement).

ἔδοξε τᾶι βωλᾶι κα-

ὶ τῶι δάμωι · Δέσπων

ἐγραμμάτευε, Ἀρχε-

[4] άναξς εἶπε · Δαμόξεν-

ον Ἕρμωνος ἐν Αἰγύ-

πτωι οἰκέοντα ἀγγ-

ράψαι πρόξενον Λι-

[8] νδίων καὶ εὐεργέτ-

αν Ἐν τΩι ἸαρΩι τΑς Ἀ-

θαναίας καὶ ἀτέλε-

ιαν ἤμεν καὶ αὐτῶι

[12] καὶ ἐκγόνοις καὶ ἐ-

σαγωγὰν καὶ ἐξαγω-

γὰν καὶ ἐμ πολέμωι

καὶ ἐν ἰρήναι· ἀγγρ-

[16] άψαι δὲ καὶ ἐν Αἰγύ-

πτωι ἐν τῶ[ι] Ἑλλανί-

ωι Π[ο]λυ[κλ]έα Ἁλιπό-

λιọς· τὸ [δ]ὲ ψάφισμα

[20] ἀγγρά[ψ]αι ἐστάλαι

λιθίναν. vac.

L. 20-21, ἐστάλαι λιθίναν. confusion entre ἐστάλαι λιθίναι et ἐστάλαν λιθίναν.

Traduction : “Il a plu au conseil et au peuple ; Despôn était secrétaire, Archéanax a fait la proposition : qu'on inscrive Damoxénos, fils d'Hermôn, résident en Égypte, comme proxène et bienfaiteur des Lindiens dans le sanctuaire d’Athanaia et qu’il soit exempt de taxe, lui et ses descendants, à l’importation et à l’exportation, en temps de guerre et en temps de paix ; que Polyklès, fils d'Halipolis, le fasse inscrire aussi en Égypte, dans l’Hellénion ; qu'on inscrive ce décret sur une stèle de pierre.”

B, Lindos, fouilles de l’acropole. Stèle de marbre blanc, en deux fragments, brisée en haut et en bas à gauche. Dimensions : 33,5 x 30 x 8,5 ; h. lettres. 0,6 à 1,2. Stoichedon 18 carrés.

Éd. IG, XII.l, 760 (petit fragment de gauche) et K. F. Kinch, Exploration archéologique de Rhodes, IIIe Rapport, p. 34-48, avec phot., les deux fragments réunis (Nachmanson, Hist. griech. Inschr., 1913, I, 25 ; Syll.3, 110) ; S. Accame, CIRh, 9, 1938, p. 219 sq., phot. ; Chr. Blinkenberg, Lindos, 16, avec phot. Cf. C. Roebuck, CPh, 46, 1951, p. 216 et n. 26 et M. Austin (1970), p. 26, 29, 31 et n. 3.

[ἔδοξε τᾶι β]ολᾶι· ἐπὶ π[ρ]-

[υτανίων τ]ῶν ἀμφί Δει[ν]-

[ίαν]αν Πυθέω Αἰγ-

[4] [ύπτιον τ]ὸν ἐγ Ναυκράτ-

[ιος], ἑρμ[α]νέα, πρόξενον

[ἤμ]εν Ῥο[δ]ίων πάντων κα-

ὶ αὐτὸν καὶ ἐκγόνους, κ-

[8] αὶ ἤμεν αὐτῶι καὶ ἔσπλ-

[ο]ṿ καὶ ἔκπλον καὶ αὐτῶ-

[ι κα]ὶ ἐκγόνοις ἀσυλὶ κ-

[αὶ ἀσ]πονδὶ καὶ πολέμο

[12] [καὶ εἰρ]ήνης. vac.

L. 3-4, Αἰγǀ[ινάταν], Kinch, Syll3, 110 (texte), Blinkenberg, Austin ; Αἰγǀ[ύπτιον] Syll.3, 110 (index s.v., avec ?), Roebuck, Bresson.

Traduction : “Il a plu au conseil ; était en fonction le collège des prytanes de Deinias : que (—)as, fils de Pythéas, Égyptien de Naucratis, interprète, soit proxène de tous les Rhodiens, lui et ses descendants, et qu'il ait le droit d'entrée et de sortie du port, lui et ses descendants, avec privilège d'inviolabilité et de neutralité, en temps de guerre et en temps de paix”[68].

Le premier de ces décrets émane de la cité de Lindos. Il est donc nécessairement antérieur au synœcisme. De plus, à l’époque du décret, comme suffit à le montrer le formulaire du décret, Lindos avait un régime démocratique. Il est donc antérieur à 411, date de l'intervention lacédémonienne dans l''île et du changement de régime[69]. D'après l'écriture, il semblerait que ce décret date des années 440-420[70]. Le second, selon K. F. Kinch et Chr. Blinkenberg, serait à situer dans la période de transition 411-407, pendant laquelle l’État rhodien unifié serait en voie de formation[71]. Quoi qu’il en soit de cette datation et de cette analyse, sur laquelle nous nous réservons de revenir ailleurs, ce décret est révélateur des rapports entre Rhodes et Naucratis à la fin du ve s. ou au début du ive s. En tout cas, ces deux textes n’ont guère retenu l’attention des auteurs qui ont traité des problèmes relatifs à Naucratis. Ce n'est que chez C. Roebuck et M. Austin qu'on trouve un effort d’analyse à ce sujet, mais là encore de manière très succincte[72]. L’interprétation de M. Austin est la suivante : s’agissant du proxène des Lindiens, on a affaire à un résident non citoyen ; dans le second décret, le proxène est un Éginète (la restitution Αἰγ[ινάταν τ]ὸν..., 1. 3-4, est effectivement possible, cf. supra), non citoyen, mais résident lui aussi à Naucratis et y exerçant un métier. Comme la proxénie s’entend comme aide aux étrangers de passage, M. Austin admet implicitement l’existence de trois catégories juridiques à Naucratis : les citoyens, les étrangers résidents et les étrangers de passage, schéma conforme à celui d’une cité grecque ordinaire. Il reconnaît cependant qu’il s'agit là d’un “cas difficile”[73] et critique C. Roebuck lorsque ce dernier considère que ces textes prouvent l’existence d’une catégorie de citoyens à Naucratis[74] : on a le sentiment que M. Austin a lui-même bien senti la difficulté de son interprétation.

En effet, cette analyse est intenable. On doit remarquer dès l’abord qu’elle suppose l'existence de trois catégories juridiques, là où Hérodote affirme explicitement qu’il n’y en avait que deux, et alors qu’il laisse entendre que le système d’Amasis est toujours en vigueur lorsqu'il fait allusion à des cités qui, de son temps, prétendent avoir part à l'Hellénion. Ce faisant, en effet, l'historien admet implicitement que ce droit était toujours réservé aux neuf cités qui avait obtenu d’Amasis ce privilège. Par conséquent, le système mis en place par Amasis avait encore force de loi. qu’il s’agisse du droit à la gestion de l’Hellénion, ou de la séparation entre résidents et passagers, qui en est le présupposé[75]. Une étude précise montre justement que les décrets rhodiens s’accordent parfaitement avec Hérodote. Dans le premier décret. Damoxénos, fils d’Hermôn – un nom et un patronyme qui conviennent parfaitement à un proxène ! – est dit. 1. 4-5, ἐν Αἰγύπτωι οἰκέοντα. En fait, ce “résident en Égypte” habitait très probablement Naucratis. C'est ce qu’on peut supposer d’après l’allusion à l’Égypte des 1. 16-18 : le double de la stèle doit être placé ἐν Αἰγύπτωι ἐν τῶ[ι] Ἑλλανίωι “en Égypte, dans l'Hellénion”, l'Hellénion de Naucratis bien sûr. Certes, depuis la conquête perse, comme les limitations apportées par les pharaons à leur commerce avaient été levées, les Grecs pouvaient s’établir comme marchands partout en Égypte, et Hérodote précise qu’ils usaient effectivement de ce droit[76]. La formule “résident en Égypte” pourrait donc s’appliquer à un personnage habitant ailleurs qu'à Naucratis. Mais le fait que le double de la stèle portant le décret lindien doive être placé dans l'Hellénion confirme bien l’hypothèse fondée sur la similitude du formulaire (“résident en Égypte”, “en Égypte dans l'Hellénion”. i.e. à Naucratis) qu’il s'agit bien ici d'un résident à Naucratis. Il est en effet fréquent de voir le double d’un décret gravé sur pierre être érigé dans la cité ou la ville du bénéficiaire, pour porter à la connaissance de ses concitoyens la marque d’honneur qui lui était accordée. Ici, pour que la double inscription ait un sens, il faut probablement que Damoxénos habite Naucratis, et non quelque ville ou bourgade de l’Est du Delta ou du Sud du pays. Ce point réglé, on doit remarquer la grande similitude existant entre la formulation d’Hérodote pour désigner, parmi les Grecs qui venaient en Égypte (ἐς Αἴγυπτον), ceux qui avaient vocation à y résider (ἐνοικῆσαι), et celle du décret lindien pour décrire le statut du proxène (ἐν Αἰγύπτωι οἰκέοντα). La formule “résident en Égypte” correspondait donc manifestement à un statut juridique précis, qui avait été mis en place par Amasis et qui n’avait pas été modifié jusqu’au temps où Hérodote rédigeait ses Histoires et où les Lindiens prenaient ce décret de proxénie (on ne doit pas oublier que les deux textes sont contemporains)[77]. On doit remarquer aussi, ce qui nous paraît une conclusion inévitable, que la formulation d’Hérodote est un simple démarquage de l’exact formulaire juridique qui sert à désigner le statut des résidents grecs de Naucratis. A l’évidence, Damoxénos entre donc parfaitement dans la première des deux catégories décrites par Hérodote, celle des résidents.

Cependant, le décret des Rhodiens peut paraître aller contre cette vision des choses. En effet, si l’on restitue Αἰγ[ινάταν] on est ramené à l’hypothèse de M. Austin[78]. Mais cette restitution est impossible. En effet, si on l'admet, il faut se demander comment il se fait que l’ethnique soit absent du décret des Lindiens : en fait, c'est la périphrase “résident en Égypte” qui en tient lieu, comme on vient de le voir. Mais peut-être après tout pourrait-on imaginer que Damoxénos soit un Lindien : la forme dorienne du nom (encore qu’évidemment il ait pu y avoir dorisation d’un nom ionien, la transformation d'un nom pour le mettre en conformité avec son propre dialecte étant un phénomène tout à fait fréquent) et sa présence dans l’onomastique de la cité ne contredirait pas une telle hypothèse. L’absence d’ethnique serait alors toute naturelle. Mais, contre cette hypothèse, on doit dire tout de suite que la nomination comme proxène de Lindos d'un Lindien serait un fait unique, à vrai dire impensable, surtout dans les termes de ce décret, où on précise que tous ces privilèges seront valables pour lui et ses descendants (s’il s’agissait d’un Lindien faisant retour à Lindos, ce serait évidemment absurde), ainsi qu’en temps de paix et en temps de guerre (formule tout aussi absurde si le proxène était lindien : pourquoi les Lindiens se seraient-ils saisis d’un de leurs compatriotes rentrant dans sa cité ?). De plus, dans la quasitotalité des occurrences (et l’on possède sans doute plusieurs milliers de décrets de proxénie), le proxène est choisi parmi les citoyens ou les nationaux de l’endroit où il est appelé à exercer sa mission. Ph. Gauthier a paru fondé à écrire qu’“il est légitime de parler d’“hôtes publics” à propos des proxènes : ils reçoivent chez eux les étrangers de passage, ils les secourent matériellement (selon leurs possibilités), ils les protègent en fait et en droit grâce à leur position dans la cité, et tout d'abord grâce à leur qualité de citoyen : mais, fautil ajouter, seulement grâce à cela”[79]. Ainsi, autant la solution de C. Roebuck consistant à faire des proxènes des Lindiens et Rhodiens des membres d’une communauté civique qu’il suppose exister à Naucratis pouvait paraître a priori logique (mais, comme on l’a vu, le texte des décrets ne saurait autoriser cette interprétation), autant celle de M. Austin paraît difficile : il est beaucoup plus simple d’admettre que c’est en tant que relevant de la souveraineté égyptienne, et non en tant qu’étrangers dans une hypothétique cité de Naucratis, que ces proxènes pouvaient exercer leurs activités.

Cependant, si dans le très grand nombre de décrets de proxénie que nous possédons le bénéficiaire est bien toujours un citoyen du pays concerné, il y a, à notre connaissance au moins une exception, dont il faut tout de même rendre compte. Il s'agit du décret de proxénie délien IG, XI.4, 588, en faveur de Φίλιππος Θεοπόμπου Νάξιος κατοικῶ[ν] ǀ ἐν Ἀλεξάνδρείαι τῆς Αἰγύπτου (1. 3-4), qui date du début du iiie s. a.C. Comme il a rendu des services à des Déliens, la cité le nomme proxène et évergète du sanctuaire, et lui attribue une série d’autres honneurs. En ce cas au moins, on a affaire à un proxène non citoyen dans la cité où il réside. Dans la définition même de Ph. Gauthier, cette situation n’était pas impensable, puisque cet auteur a bien souligné que le proxène n’était en aucune façon un personnage officiel dans la cité où il exerçait sa fonction[80]. Peut-on donc trouver, dans ce décret délien du iiie s. un parallèle avec l’inscription des Rhodiens restituée Αἰγ[ινάταν] ? Ce n’est pas le cas. On doit en premier lieu se demander comment il se fait que les Déliens aient eu recours à un Naxien, et non à un Alexandrin, pour jouer le rôle de proxène. On vient de voir que rien ne s'opposait juridiquement à ce qu'il en soit ainsi, même s’il s'agissait manifestement d’une situation tout à fait exceptionnelle. Délos était une petite cité. Il n’y avait sans doute pas à Alexandrie de Délien résident susceptible d’aider spontanément ses compatriotes. Quand à Naxos, île voisine de Délos, elle était depuis des siècles très liée à la vie de l’île d’Apollon et de son sanctuaire. Des liens d’amitié avaient donc pu se nouer entre ce Naxien et les Déliens, peut-être bien avant même qu’il parte résider à Alexandrie, et, sur place, il était naturel que ces liens continuent à se manifester, avant d’être officialisés par le titre de proxène. On trouve de bons parallèles à cette situation dans les liens entre les citoyens de différentes cités cariennes et le Caunien établi en Égypte Zénon, en particulier avec les gens de Calynda, petite cité voisine de Caunos aux confins de la Lycie, où Zénon avait des parents[81].

Or, on ne voit pas qu'il ait existé de liens particuliers entre Rhodes et Égine à l’époque archaïque et au vie s. Il serait pour le moins étrange que les Rhodiens aient justement choisi comme proxène un Éginète, c’est-à-dire un non résident (de passage à Naucratis, tout comme les Rhodiens). N’y avait-il donc pas à Naucratis de Rhodien susceptible d’aider ses compatriotes ? A vrai dire, on doit aussi se demander si cette situation consistant pour un Grec à venir résider pour une longue période à Naucratis était concevable sans qu’il devienne ipso facto un “résident en Égypte”, relevant comme tel de la souveraineté égyptienne (même si plus tard, tel individu, une fois fortune faite par exemple, pouvait éventuellement rentrer dans sa cité d’origine). La situation était toute autre pour le Naxien résidant à Alexandrie, qui demeurait étranger au corps civique – ailleurs, il aurait été métèque, mais ce statut ne paraît pas attesté dans cette cité[82] – même si, sans doute, il n’était pas très difficile à un Grec de se faire attribuer la citoyenneté vu la situation particulière de la ville en pays égyptien[83]. Pour ce qui est du formulaire employé, on doit souligner qu’il diffère profondément dans le décret délien et dans le décret rhodien : dans le premier cas, Philippos est Νάξιος κατοικῶ[v] ἐν Ἀλεξανδρείαι τῆς Αἰγύπτου, dans le second, la formule Αἰγ[...... τ]ὸν ἐγ Ναυκράτ[ιος] signifie, comme l'indique l’emploi de ἐκ que l’on a affaire à un rapport d’ordre logique entre contenant et contenu, ce qui n’est évidemment pas le cas si l’on accepte la restitution Αἰγ[ινάταν] : il n’y a aucun lien d’inclusion entre Égine et Naucratis[84]. En revanche, comme on le verra, on trouve mention, au ive s., de la formule Ναυκρατίτης ἐξ Αἰγύπτου. Le fils de Pythéas (le nom est écrit avec un génitif ionien, et non dorien comme on l’attendrait éventuellement pour un Éginète, même s’il y a un autre ionisme dans le texte, cf. 1. 12, [εἰρ]ήνης, qui est un interprète, et qui réside donc dans le pays depuis longtemps – il est bien plus vraisemblable qu'il y soit né – a ainsi toute chance de ne pas être un Éginète.

On ne saurait non plus imaginer que les résidents à Naucratis, même installés depuis longtemps gardaient leur ethnique d'origine, Éginète en l'occurrence. C’est d’une certaine façon l'hypothèse émise par D. Roussel. Selon ce dernier, il serait possible, bien qu’on n’en ait pas la preuve formelle, que les gens de Naucratis originaires des cités de l'Hellénion et disposant de ce sanctuaire commun soient répartis en phylai “ethniques” pour assurer ensemble ou à tour de rôle l’administration de la communauté, celle notamment de l'emporion, dont ces phylai auraient désigné chacune un des “préfets” ou “prostatai”[85]. Évidemment, on retombe là dans la confusion entre résidents et passagers, pourtant bien distingués par Hérodote. Mais, de plus, sans parler de l’obstacle que représenterait de nouveau “l’absence d’ethnique” dans le décret lindien, il faudrait justifier le fait que, dès le ive s. en tout cas, on trouve la mention Naukratitès pour désigner des gens originaires de Naucratis[86]. En fait, tout indique que la communauté des résidents grecs de Naucratis était, vers la fin du ve s. au moins, et sans doute bien avant, culturellement unifiée. Les Grecs d’origines diverses qui étaient venus s’y agréger s’étaient, l’endogamie aidant, fondus dans le “melting pot” que formaient les résidents plus anciens. Juridiquement, ils relevaient de la souveraineté égyptienne. A l’époque archaïque et classique, quel que soit le rôle qu'ils pouvaient déjà jouer dans le pays, les Grecs n’étaient pas encore en Égypte la caste dominante qu'ils formeront plus tard, après la conquête d'Alexandre[87]. A lui seul, le strict contrôle administratit et fiscal auquel les commerçants grecs étaient soumis au temps des dynasties indigènes suffit à illustrer, au contraire, la volonté des souverains égyptiens d'exercer la plénitude de leur souveraineté, sans que les Grecs (les résidents au moins) puissent s'y soustraire. On doit donc admettre que, mis en parallèle avec le texte d’Hérodote, le décret lindien livre bien la clé de l’énigme du statut des résident grecs de Naucratis. Pour ce dernier, dont le double devait être placé dans l’Hellénion (voir 1. 15-18) et dont les autorités du pays pouvaient ainsi, d'une façon ou d'une autre, facilement prendre connaissance, il ne pouvait être question d’attribuer au proxène un statut autre que celui qui définissait exactement la position juridique des Grecs de Naucratis. Rejoignant les enseignements que nous avons tirés du texte d'Hérodote, on est ainsi amené à conclure que les résidents grecs de Naucratis relevaient de la souveraineté des maîtres de l'Égypte, pharaons de la 26e dynastie, souverains perses, et de nouveau, probablement, pharaons des dynasties indigènes, à partir de 404 au moins – manifestement, en effet, en ce domaine comme en d’autres, les Perses avaient repris à leur compte le système pharaonique[88]. En outre, le témoignage mentionné plus haut (p. 19) d'Aristagoras de Milet, qui parle des Naucratites “et autres Égyptiens”, montre peut-être que les résidents grecs de Naucratis, même s’ils jouissaient d’un statut spécial, pouvaient être totalement assimilés aux Égyptiens.

Revenant au décret des Rhodiens, il est clair que si la restitution Αἰγ[ινάταν] doit être abandonnée, il reste à envisager l’autre solution possible : Αἰγ[ύπτιον] Repoussée par K. F. Kinch et Chr. Blinkenberg. cette restitution avait pourtant déjà refait une timide apparition (avec un point d'interrogation) dans l'index (et non dans le texte) de Syll.3, et elle a eu, sans qu’il explique pourquoi, la faveur de C. Roebuck. Néanmoins, ce dernier n’en a pas tiré les conclusions qui s'imposaient, bien au contraire, puisqu’il voit là, on ne sait comment, une preuve de l’existence d’une cité à Naucratis. Faut-il voir en Αἰγ[ύπτιον τ]ὸν ἐγ Ναυκράτ[ιος] un simple équivalent de la formule ἐν Αἰγύπτωι οἰκέοντα du décret lindien ? C’est apparemment la solution la plus naturelle. Sans exclure tout à fait cette hypothèse, il nous paraît préférable de proposer une autre solution. On doit remarquer que le formulaire utilisé dans le décret rhodien ne diffère pas de celui qu’on peut trouver dans une inscription funéraire attique contemporaine. Dans ce texte (IG, II2, 7967, cl. Meritt 1934, 87, nº 105, avec reprod. des lettres de l’inscription) apparaît un (Ἑ)ρμαῖος Αἰγύπǀτιος ἐχ Θηβῶν ǀ γναφαλλουφάνǀτης, un tisserand en laine selon Meritt. D'après la forme des lettres, l'inscription nous paraît dater de la fin du ve s., plutôt que du début du ive s. (selon IG, II2 [maintenant IG, I3, 1341 bis, “c. a. 425-400 ?”, qui confirme donc notre suggestion]). S’agit-il d’un Égyptien de souche résident à Athènes et ayant adopté un nom grec ? Ou de Grecs originaires de ces villes et revenus s’installer en Grèce ? La première solution est sans doute la bonne. En tout cas, on retrouve là une formule identique à celle du décret des Rhodiens. C’est cette inscription qui fournit le véritable parallèle : ainsi, Hermaios est un “Égyptien de Thèbes”, comme le fils de Pythéas est un “Égyptien de Naucratis” – Égyptien de souche lui aussi[89]. On sait que la nomination d’un proxène n'exige pas que le bénéficiaire soit un Grec, ou qu'il soit citoyen d'une cité grecque, et on ne peut donc en aucune façon tirer argument, comme le font C. Roebuck et M. Austin, de la nomination de proxènes à Naucratis pour conclure, comme si cela allait de soit, qu'il y avait là une cité[90]. Le titre de proxène pouvait par exemple être accordé à un prince ou à un roi barbare, qui était d'autant mieux placé pour aider les ressortissants de la cité qui lui avait confié cette dignité qu’il était lui même l'autorité suprême dans son pays[91]. Quand aux proxènes choisis parmi les résidents grecs de Naucratis, même s’ils jouissaient avec ces derniers de certains privilèges particuliers, c’est en tant que relevant de la souveraineté s’exerçant sur le pays qu’ils pouvaient agir, auprès des résidents grecs de Naucratis naturellement, mais aussi auprès des indigènes vraisemblablement.

Mais ce qui peut légitimement paraître étonnant, c’est de voir un Égyptien de souche, même de “Naucratis”, porter – et en Égypte même cette fois – un nom grec. Ce point nécessite une explication particulière. Pour cela, il convient d’abord de justifier la manière dont nous construisons les 1. 3-5 du décret. K. F. Kinch, de son côté, a construit : Αἰγ[ινάταν τ]ὸν ἐγ Ναυκράτ[ιος| ἑρμ[α]νέα, πρόξενον. Il considérait le fils de Pythéas comme un ἑρμηνεὺς τῶν Ναυκρατιτῶν, ou τῶν ἐν Ναυκράτει Αἰγινατῶν, donc comme l’interprète officiel de telle ou telle catégorie d’habitants de Naucratis, d’où l’article défini, τόν, c'est-à-dire “l'interprète bien connu...” Mais ce n'est pas ce qu’indique le texte qui, traduit en suivant la coupe de Kinch, voudrait dire : “l'interprète originaire de Naucratis”. On voit qu'il y aurait alors contradiction entre l’aspect défini (“l’interprète”, supposé bien déterminé) et l’aspect indéfini (“originaire de Naucratis”). On n’admettra pas non plus la traduction de M. Austin, “Aeginetan (?), an interpreter from Naucratis”[92]. En fait, on sait que dans des décrets athéniens, par exemple, on honore en Denys “l’archonte de la Sicile”, τὸν Σικελίας ἄρχοντα, ou en Hébryzelmis “le roi des Odryses”, τὸν βασιλέα τὸν Ὀδρυσῶν : l’article défini se justifie par le caractère même de la fonction exercée[93]. En revanche, dans un texte comme le décret delphique pour une harpiste et son cousin, où il s’agit seulement d’indiquer une profession, un état, on trouve la formulation suivante : Πολυγνώτα Σ(ω)κράτους Θηβαία χοροψάλτρια,...” Polygnôta, fille de Sôkratès, de Thèbes, harpiste accompagnant le chœur... ”[94]. De même, on a dans le décret des Rhodiens la construction suivante : “(Un tel, fils de Pythéas), Αἰγ[ύπτιον τ]ὸν ἐγ Ναυκράτ[ιος], ἑρμ[α]νέα, πρόξενον κτλ. On comparera pour mémoire avec Arrien (Anabase, 3.5.4), où il est question de “Cléomène de Naucratis”, Κλεομένης ὁ ἐκ Ναυκράτιος. La profession est indiquée par un nom en apposition (ἑρμανέα), sans article[95].

C'est cette profession d'interprète qui est précisément la clé de l’énigme évoquée précédemment, et c’est Hérodote, encore une fois, qui permet de trouver la bonne solution. C’est par le truchement d’interprètes que l'historien pouvait s’entretenir avec les Égyptiens, les prêtres en particulier, qui sont ses informateurs privilégiés. Dans sa description des Pyramides, il précise que c’est à un interprète qu'il doit la traduction d'une inscription (2.125). Il signale en outre (2.154) – c’est là le point capital (négligé par Kinch, induit en erreur par sa construction des 1. 3-5 de toute façon) – que Psammétique Ier avait confié aux soldat grecs établis dans le pays de jeunes Égyptiens pour que ces derniers puissent apprendre la langue grecque, et que les interprètes de son époque en étaient les descendants. Il ajoute encore (2.164) que les interprètes formaient l’une des sept castes de l’Égypte, ce qui signifie sans aucun doute qu’ils jouissaient d’un statut propre, même si évidemment, pour ce qui est du nombre de ses membres, leur caste ne pouvait être comparée à celle des prêtres ou des guerriers. En tout cas, il paraît tout naturel de supposer que les jeunes indigènes confiés aux Grecs par Psammétique avaient pris des noms grecs (en plus des noms indigènes qu'ils conservaient sans doute par ailleurs), et que leurs descendants avaient fait de même. Que, plus tard, nombre de ces derniers aient habité Naucratis paraît d'autant plus naturel aussi que c’est là plus qu’en aucune autre ville d’Égypte qu’on pouvait avoir besoin de leurs services. La nomination comme proxène par les Rhodiens d’un interprète se passe d'un long commentaire : on peut facilement imaginer tous les avantages de cette situation pour remplir les obligations d’un hôte public en pays “barbare”. Mais cela montre aussi qu'en fait (puisque tel n’était pas le cas en droit), à Naucratis, des indigènes hellénisés comme les interprètes ne devaient plus guère se distinguer des Grecs de souche, même si la fierté de caste de ces derniers n’avait pas disparu, comme en témoigne, dans le décret des Rhodiens, l’indication de l’état d’interprète du fils de Pythéas.

Telle est la justification du système des proxènes à Naucratis, qui n’implique donc absolument pas que les résidents grecs aient formé une cité. Cette fonction spécifique d’hôtes publics relevant de la souveraineté locale, remplie en l’occurrence par des résidents grecs ou par des indigènes hellénisés, par définition, en tant qu’étrangers, même chargés de la gestion du port, les représentants que Lindos ou Rhodes pouvaient avoir dans l’Hellénion ne pouvaient pas la remplir. Les prostatai de l'emporion et les proxènes ne faisaient donc pas double emploi, quoi qu’on en ait dit. Aux premiers revenait vraisemblablement, avec un titre plus prestigieux, un rôle analogue à celui des “épimélètes du port” bien connus dans plusieurs cités, aux seconds, en tant que relevant de la souveraineté s’exerçant sur l'Égypte, le rôle ordinaire des proxènes[96]. Au reste, il convient maintenant de préciser le fonctionnement de l’Hellénion et la manière dont étaient nommés les prostatai.

2.3. A propos de l’Hellénion, Hérodote signale : “Le plus grand de ces sanctuaires, le plus célèbre et le plus fréquenté, appelé Hellénion, a été fondé en commun par les cités suivantes : pour les Ioniens, Chios, Téos, Phocée et Clazomènes ; pour les Doriens, Rhodes, Cnide, Halicarnasse et Phasélis ; pour les Éoliens, la seule Mytilène.” La liste des “cités doriennes” a de quoi surprendre on ne s’attend pas à trouver, pour une période qui remonte aux environs du milieu du vie s., une référence à Rhodes comme polis, alors qu’il est bien connu que le synœcisme de l'île n’intervient qu'en 407[97], soit postérieurement à l’époque où Hérodote lui même rédige ses Histoires. Même si la difficulté a été relevée par certains auteurs[98], on a ordinairement compris “les trois cités de Ialysos, Camiros et Lindos”, en corrigeant Hérodote[99]. Ce faisant, on est arrivé a considérer que les cités de l’Hellénion n’étaient pas au nombre de neuf, ce que nous dit Hérodote, mais, logiquement, de onze. A vrai dire, cette difficulté a elle-même provoqué, s’agissant justement du nombre des cités de l’Hellénion, un certain nombre d’erreurs, qui s'expliquent probablement par le sentiment d’une difficulté qu’on n’arrivait pas à expliciter[100]. Or, si l'on modifie le chiffre d’Hérodote (neuf “cités”), on perd totalement la clé du fonctionnement de l'Hellénion, comme on va le voir.

Auparavant, il est vrai, il convient de répondre à la question de savoir si, à une date haute, avant le synœcisme, Rhodes pouvait être considérée comme une polis, ce qui apparemment contredit formellement ce que nous pouvons savoir de l'histoire de l'île jusqu’à la fin du ve s. Avec pour point de départ ce même problème de la mention de Rhodes comme polis dans le texte d’Hérodote, 2.178, F. Cordano a rassemblé un certain nombre d’éléments qui tendent à montrer les éléments d’unité qui existaient entre les trois cités de l'île, cela avant même le synœcisme : référence à des “Rhodiens” comme fondateurs de colonies, aspect panrhodien des cultes de Zeus Atabyrios et d’Athana Lindia[101]. Cependant, les arguments tirés des récits de colonisation, où il est question de “Rhodiens”, ne nous semblent pas devoir être retenus : le terme possède alors un sens local, géographique, et, de même par exemple que la mention de “Crétois”, il n’implique pas logiquement l’existence d'une quelconque structure qui aurait réuni les cités de l’îlel[102]. En revanche, effectivement, la référence chez Polybe (9.27) à un culte de Zeus Atabyrios à Agrigente, colonie de Géla elle-même fondée par des “Lindiens de Rhodes” selon Hérodote (7.153), est un argument de plus grande valeur. Précisons en effet que le culte de Zeus Atabyrios (dont le sanctuaire était installé sur le Mont Atabyros, le plus haut sommet de Rhodes, au centre de l'île, aux confins du territoire camiréen, non loin du territoire lindien) était commun aux trois cités de l'île, ce qui nous est attesté par des sources postérieures au synœcisme, mais aussi par la viie Olympique de Pindare (v. 87), c’est-à-dire par une source qui lui est antérieure, puisque cette ode date de 464. Rappelons que l'œuvre était dédiée à l’aristocrate ialysien Diagoras. Or, la fondation d’Agrigente, à laquelle il est fort possible qu’ait participé une nouvelle vague rhodienne venant directement de l'île, si l’on suit Polybe (loc. cit.) à la lettre, date de 581[103]. Le culte de Zeus Atabyrios à Agrigente remontant selon toute vraisemblance à la fondation de la cité, on a donc là la preuve qu’il existait un culte panrhodien dès avant 568 (et bien avant sans doute), date la plus haute qu’on puisse retenir pour la fondation de l'Hellénion, puisqu'il s'agit de celle de l'avènement d’Amasis. Par ailleurs, d'autres cultes avaient une vocation panrhodienne : celui d’Hélios, divinité également célébrée par Pindare, qui deviendra le culte suprême de l'État rhodien unifié, celui d'Athéna Lindia dans une certaine mesure, mais celui-ci d'une autre manière, par sa vocation internationale, car il semble avoir été le plus célèbre des sanctuaires rhodiens à l’extérieur de l'île[104]. Le sentiment de solidarité existant entre les cités de Ialysos, Camiros et Lindos, affirmé déjà par Homère, se traduisait donc par l’existence de cultes communs[105].

Au reste, la documentation numismatique montre elle aussi des liens étroits entre les cités rhodiennes, bien mis en évidence par E. Babelon pour le ve s. : “Les monnaies au type de la protomé de cheval sont importantes à signaler, en ce sens qu’elles nous révèlent une alliance monétaire entre les trois villes rhodiennes de Camiros, Ialysos et Lindos, avant la fondation de la ville de Rhodes en 407... Certaines pièces même, identiques pour le droit (type de cheval) et pour le revers (type de la rose ou de la tête de lion) ne se distinguent que par la légende. On est autorisé, par là, à conclure qu'avant d’être absorbées dans une nouvelle ville, – Rhodes, qui devait à elle seule, désormais, avoir un atelier monétaire, – les trois villes précitées étaient étroitement unies au point de vue politique, commercial et monétaire”[106]. L’étude du monnayage de la fin de l'archaïsme et du début de l'époque classique permet de tirer des conclusions analogues[107].

S'agissant du terme polis pour désigner Rhodes chez Hérodote 2.178, on est amené à conclure que, de même qu'il existait entre les trois cités de l’île des liens étroits, culturels et monétaires en particulier, de même, pour la gestion de l'Hellénion, ces dernières agissaient de concert, parlaient d'une seule voix[108]. La gestion de l’Hellénion était donc aux mains de quatre cités ioniennes, quatre doriennes, et une éolienne. Il nous paraît que cela montre une volonté d'équilibre entre les deux groupes culturels les plus importants, les Doriens et les Ioniens. En effet, chacun de ces groupes comprenant quatre cités (nous emploierons désormais ce terme, avec la réserve ou la précision donnée plus haut pour le cas de Rhodes), il ne pouvait y avoir domination de l'un sur l’autre, et on est conduit à postuler l’existence d'un conseil de gestion où, du fait de leur nombre, les Ioniens ne pouvaient pas avoir le pas sur les Doriens, et réciproquement. On perd évidemment cet aspect des choses si l'on considère que chacune des trois cités rhodiennes participait sur un plan d'égalité avec les autres cités à la gestion de l'Hellénion, puisqu’alors les Doriens auraient été représentés par six cités, les Ioniens seulement par quatre. A vrai dire, cela seul aurait dû susciter l’étonnement, car, pour ce qui est des groupes culturels de Grèce de l’Est, on aurait plutôt attendu une domination des Ioniens, plus nombreux et à l'évidence plus puissants, globalement, que les Doriens[109]. Il faut d’ailleurs admettre que les Doriens avaient bien su manœuvrer pour se faire reconnaître la parité dans l'Hellénion. Le système adopté préservait en tout cas les droits des uns et des autres. Quand aux Éoliens, qu’Hérodote décrit comme relativement moins puissants, un rôle non moins important leur était réservé, même si une seule de leurs cités faisait partie de l'Hellénion, au reste de loin la plus grande. Mytilène. En effet, la neuvième voix pouvait faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre, pour le cas où Doriens et Ioniens auraient des intérêts et des points de vue divergents – et on verra l'importance des votes dans des organismes internationaux du type de l'Hellénion[110]. Cette structure de l’Hellénion suppose manifestement une volonté d’équilibre et de représentation des trois composantes culturelles de l'hellénisme. Vraisemblablement y avait-il eu de subtiles négociations, entre les Grecs eux-mêmes d'une part, et entre les Grecs et Amassis d’autre part, avant que de parvenir à mettre au point ces dispositions et cette distribution. Comme son nom l’indique, il semble bien que l’Hellénion ait eu vocation à être le sanctuaire de tous les Grecs, et c’était donc aux mains des “Grecs” qu’Amasis remettait la gestion du port de Naucratis, en particulier. Mais, comme la Grèce n’était pas une entité politique unifiée, et comme il ne pouvait être question, car le système aurait été beaucoup trop lourd, de donner part à la gestion à toutes les cités intéressées, même s’il s’agissait en fait, pour l'essentiel, de celles de la Grèce de l'Est, il avait fallu faire un choix : pour éviter les conflits, représentation équilibrée des groupes culturels, et sélection d’un certain nombre de cités au sein de chacun d'eux. Quant au processus de choix des cités – pourquoi Chios et pas Samos ? pourquoi Clazomènes et pas Milet ? – Hérodote n’en dit rien. Cependant, il est possible de formuler plusieurs remarques à ce sujet.

Tout d’abord, on a affaire en l'occurrence à des cités dont la puissance est bien attestée par les sources littéraires, ce dont témoignent aussi leur monnayage ou leurs exportations de céramiques, même s’il s’agit là d’un critère qui ne peut être utilisé n’importe comment[111]. A vrai dire, le problème du choix se posa surtout pour les Ioniens. En principe, toutes les cités ioniennes sont membres de la Dodécapole, organisation regroupant les douze cités ioniennes autour de leur sanctuaire du Panionion, sur le Mont Mycale[112]. Mais Hérodote distingue quatre zones dialectales chez les Ioniens[113] : on constate ainsi qu’aucune des trois cités du groupe carien (Milet, Priène, Myonte) n’est représentée dans l’Hellénion, non plus que Samos, qui à elle seule forme un groupe dialectal particulier ; dans le groupe lydien, les trois cités les plus méridionales, Éphèse, Lébédos et Colophon, en sont absentes, tandis que, plus au nord, les cités voisines de Téos, Clazomènes et Phocée y ont part ; dans le quatrième groupe, Chios en est membre, ce qui n’est pas le cas pour Érythrées. Deux conclusions s’imposent. La première n'est guère surprenante : les villes situées un tant soit peu à l’intérieur des terres et qui n’ont pas vocation au grand commerce maritime (telles Colophon, Priène et Myonte) se trouvent normalement exclues. La seconde conclusion est que ce sont globalement les cités ioniennes du nord, voisines les unes des autres, qui ont la prérogative de faire partie de l'Hellénion. Très probablement, ces cités avaient réussi à se réserver les places, et cela au détriment des autres. En effet, la participation à la gestion de l’Hellénion et donc à la nomination des prostatai devait être source d’avantages, puisqu’Hérodote nous dit (2.178) qu’à son époque certaines cités qui normalement ne possédaient pas ce droit essayaient d’y avoir part. L’hostilité traditionnelle entre Samos et Milet avait sans doute empêché ces deux cités de constituer un groupe de pression aussi solide que celui des cités du nord[114]. C’est peut-être bien parce qu’elles se trouvaient exclues de l’Hellénion que des cités aussi puissantes et aussi intéressées par le commerce avec l'Égypte que Samos, Milet et Égine avaient pu obtenir leur sanctuaire propre, à litre de compensation en quelque sorte : cela justifierait bien, en tout cas, le fait qu’Amasis leur fasse don à chacune de terrains pour élever leur sanctuaire propre, au moment même où se met en place le système de l'Hellénion. S’agissant des Doriens cette fois, toutes les cités de l’Hexapole (ou Pentapole, plus Halicarnasse) sont de fait représentées (les trois cités rhodiennes comptant pour une seule polis), sauf Cos, dont le dynamisme commercial et politique paraît plus faible à l’époque[115]. En revanche, la riche cité de Phasélis, étape nécessaire sur la route maritime vers l’Orient et l'Égypte, via Chypre, et ancienne colonie rhodienne, y avait parfaitement sa place[116].

Le cas d’Halicarnasse, qu’Hérodote présente comme l'une des quatre cités doriennes de l’Hellénion, peut néanmoins paraître faire difficulté. On sait en effet que, même dans les inscriptions les plus anciennes, celles qui proviennent de cette cité ou celles qui concernent des gens d’Halicarnasse à l’étranger, c'est le dialecte ionien qu’on trouve employé[117]. On sait aussi que selon Hérodote lui-même, la cité avait été exclue de l'Hexapole dorienne, devenue de fait Pentapole. Mais l'historien explique cette exclusion par le fait qu’un citoyen d’Halicarnasse aurait emporté chez lui un trépied gagné aux concours du Triopion, alors que l'usage était pour le vainqueur de consacrer son prix à Apollon[118]. Les historiens modernes ont considéré, ce qui est effectivement assez probable, que le véritable motif de l’exclusion était “l’impureté” ethno-culturelle d'Halicarnasse, envahie par des éléments ioniens (mais aussi cariens et perses, ces derniers après que la ville fut entrée dans l'empire de Cyrus)[119]. Arguant de ce fait, un historien comme F. Hiller von Gaertringen considère que cette éviction a nécessairement eu lieu après la création de l'Hellénion, puisque, à cette date, Halicarnasse aurait encore été considérée comme dorienne[120]. En réalité, les choses ne sont peut-être pas aussi simples. Hérodote lui-même, au ve s., qui, comme ses concitoyens, parle et écrit en ionien, ne cesse de revendiquer le caractère dorien d’Halicarnasse. Il affiche même, comme on sait, de nets préjugés anti-ioniens, d'autant plus vifs sans doute que pesait sur Halicarnasse, pour ce qui est de son caractère dorien, le reproche d'impureté. L'aspect linguistique ne suffisait donc pas, du moins pour les gens d'Halicarnasse, à définir l’appartenance ethno-culturelle[121]. Et c’est cela qui est important pour la compréhension de la structure de l’Hellénion, que l’exclusion de l’Hexapole soit antérieure ou postérieure à la fondation de ce sanctuaire : les milieux dirigeants d’Halicarnasse, dont on peut considérer que, sur ce point, Hérodote ne fait que refléter les idées, se considéraient comme des Doriens, et la “solidarité dorienne” pouvait éventuellement jouer entre les quatre cités mentionnées par Hérodote.

2.4. Dans ce développement, nous avons suivi fidèlement Hérodote, à la différence de plusieurs auteurs contemporains, qui corrigent “les cités” en “les navigateurs et marchands qui venaient à Naucratis”. C'est déjà le cas chez J. Hasebroek, et on retrouve la même idée chez J. Boardman et M. Austin[122]. Ainsi, ce dernier considère que les cités de l’Hellénion, fort distantes les unes des autres, sans cesse en querelle, et cela même en présence d'un ennemi qui les menaçait toutes, la Perse en particulier, étaient incapables d'agir en commun, incapables donc de nommer tous les ans en leur sein des magistrats chargés de diriger la gestion d'un lointain port égyptien. En outre, cette procédure lui paraît sans parallèle et compliquée. Il considère donc qu’Hérodote “must be writing loosely” et que l’historien a confondu les membres de chacune des cités avec leur polis d’origine. Ce seraient les marchands présents à Naucratis, bien que ne résidant pas là en permanence, qui auraient procédé à la nomination des magistrats de l'emporion. Evidemment, ce schéma s’inscrit parfaitement dans une certaine perspective théorique, qui refuse d’admettre que, en tant que telles, les cités à l’époque archaïque en l’occurrence, aient pu avoir quelque préoccupation mercantile que ce soit.

Malheureusement, ce schéma ne correspond pas à la réalité. Tout d’abord, on doit poser la question de savoir s’il est effectivement concevable que ce soient les navigateurs et marchands de passage (rappelons-le) qui se soient eux-mêmes chargés de la gestion de l'Hellénion. Naucratis n'était après tout, pour eux, qu’une escale plus ou moins brève, limitée, pour les marchands, au temps nécessaire pour vendre leurs marchandises et en acquérir d'autres pour le retour : un séjour de quelques jours à quelques semaines, quelques mois au plus. Comme le montre par exemple le C. Dionysodôros (§ 30) – et il n'y a pas de raison qu’il en ait été fondamentalement autrement aux époques précédentes – ces commerçants avaient en effet intérêt à rentabiliser au maximum les fonds que, le plus souvent, ils avaient obtenus par emprunt, pour une durée limitée donc. Les rotations pouvaient être relativement rapides. L'Odyssée signale que, de Crète en Égypte, il ne fallait que cinq jours, par beau temps, et Strabon donne, sur le même trajet, une durée sensiblement équivalente, trois ou quatre jours[123]. Pour la traversée de Rhodes en Égypte (Alexandrie), par temps favorable toujours, Diodore signale une durée de trois jours et demi, Appien fait de meme[124]. Ces chiffres sont donc cohérents les uns avec les autres, malgré les différences d’époque, puisque les techniques de navigation n’avaient pas subi de modifications importantes. Évidemment, suivant la saison, les conditions atmosphériques, le trajet (aller ou retour) et l’itinéraire choisi (traversée directe ou escale à Chypre, etc.), la durée du voyage pouvait sans aucun doute varier très sensiblement. Néanmoins, on peut croire à la véracité des propos du C. Dionysodôros du Ps-Démosthène, qui signale que, rien que pendant la mauvaise saison, il était possible de faire deux ou trois rotations, entre Rhodes et l’Égypte du moins[125]. Ainsi, ces navigateurs et marchands étaient toujours entre deux voyages. En outre, ils n’étaient pas nécessairement spécialisés sur une seule route commerciale. Le fait que, parmi les quelques noms (une quinzaine environ) signalés dans les premières publications relatives à Gravisca, deux au moins soient attestés à Naucratis donne à réfléchir[126]. Comment cette “communauté” de migrateurs éparpillés à tous les vents aurait-elle pu assurer une continuité dans la gestion de l’Hellénion ? Si cette gestion par les navigateurs eux-mêmes n'est pas à la limite strictement impensable, elle pose néanmoins des problèmes que les auteurs précités n'ont pas envisagés et qui amène à se poser des questions sur le bienfondé de la “correction” apportée au texte d’Hérodote.

De plus, il n'est pas exact que les Grecs d’Asie aient été incapables d'agir en commun. A deux reprises au moins à l’époque archaïque, et face à la menace perse justement, les Ioniens et les Éoliens sont dans un premier temps capables de s’unir pour défendre leurs intérêts. Ce n’est guère qu’un rapport de forces par trop défavorable (car par deux fois ils ont été abandonnés par les Grecs d’Europe) qui les précipite dans un sauve-qui-peut individuel[127]. En outre, Ioniens et Doriens parvenaient fort bien, les uns et les autres à gérer, malgré leurs divergences intestines, leur organisation religieuse commune, qui pouvait éventuellement jouer un rôle directement politique[128]. On ne saurait non plus manquer d’évoquer les deux grandes amphictionies des Pyles et de Delphes d’une part, de Délos d’autre part. L’appréciation sur la trop grande sophistication du système tombe du même coup, d'autant que M. Austin semble croire qu’il exigeait pour fonctionner une sorte de renégociation annuelle. Certes, initialement, et on a vu pourquoi, les négociations avaient peut-être été difficiles avant le compromis final. Mais ensuite, comme l’indique Hérodote, le système était conçu pour fonctionner de manière extrêmement simple. On doit vraisemblablement envisager la nomination de magistrats chargés de la gestion du sanctuaire, qu’on peut imaginer réunis en un conseil analogue à celui qui réunissait les vingt-quatre hiéromnémons nommés par les douze “peuples” qui avaient part à l’amphictionie pyléo-delphique[129]. C'étaient les cités qui devaient les nommer, de même qu’elles nommaient les prostatai : la comparaison avec l’amphictionie de Delphes montre qu’il s’agissait d’une procédure habituelle[130]. Admettons que les prostatai aient été neuf, ou un nombre multiple de neuf : chacune des poleis nommait elle-même son ou ses prostatas(-ai), qui tous se retrouvaient à Naucratis pour accomplir leur fonction. Où est la complexité ? Le système paraît au contraire autrement plus simple, commode et logique que celui qu’envisagent J. Hasebroek, J. Boardman et M. Austin, et, encore une fois, il ne s'agit là de rien d’autre que de ce qu'Hérodote lui-même nous dit. Sur place, tout en assurant collectivement la gestion du port, les prostatai favorisaient sans doute d’une manière ou d’une autre leurs nationaux : d’où l’intérêt, pour une cité, d'avoir part à l’Hellénion, d’où aussi, comme Hérodote le signale, les manœuvres des cités exclues pour y entrer (2.179 : si l’on voulait corriger Hérodote, il faudrait, notons-le, le faire à trois reprises – étrange persévérance dans “l’erreur” !). Evidemment, le prostatas habitait Naucratis pendant la durée du mandat qui lui avait été confié par sa cité d’origine. Cette durée, qui ne nous est pas connue, n’était pas nécessairement d'un an[131]. Il n'en devenait pas pour autant un “résident”, puisque, par définition, son séjour était limité dans le temps. Au contraire, il devait peut-être lui aussi recourir au proxène de sa cité pour divers services (pour trouver à se loger, ou, dans ses fonctions, pour dénouer telle affaire compliquée, etc.), tout comme les autres étrangers de passage[132]. Deux problèmes restent cependant à élucider : d’une part celui de la nomination d’un proxène par Lindos, et non par Rhodes, dans le décret Lindos, 16 app., et d’autre part celui du statut exact des sanctuaires des Milésiens, Samiens et Éginètes.

Comment se fait-il que l’on voie Lindos, et non Rhodes, nommer un proxène à Naucratis avant le synœcisme, alors que c’est Rhodes, en tant que polis, qui est mentionnée par Hérodote comme faisant partie de l’Hellénion ? On vient de relever la différence fondamentale entre le statut et le rôle du prostatas, gérant du port nommé par une cité et agissant en représentant de la mère patrie, et celui du proxène, résidant en Égypte, relevant de la souveraineté égyptienne et jouant le rôle d’intermédiaire auprès de ses “compatriotes” et des autorités locales. Que la “polis” rhodienne ait procédé à la nomination des prostatai, au reste selon des modalités qu’il faudra essayer de préciser, n’est donc pas exclusif du fait que chacune des trois cités de l'île, qui préservait son indépendance malgré les liens qui l’unissaient aux autres, ait pu avoir soin de ses intérêts propres et ait nommé ses proxènes, de même qu’elle légiférait de manière indépendante dans d’autres domaines. Cela nous amène d'ailleurs à préciser le rôle de Polyklès, fils d’Halipolis, dont il est fait mention 1. 18-19. Après que, 1. 4-15, a été acquis le principe de l'inscription comme proxène de Damoxénos, fils d’Hermôn (et qu'on a signalé au passage que le texte du décret devait être inscrit dans le sanctuaire d'Athanaia à Lindos), on passe à diverses précisions, la première étant, 1. 15-19, qu'une stèle portant le décret devait également être placée en Égypte dans l'Hellénion, la seconde, 1. 19-21. que la stèle devait être une stèle de pierre. Dans la phrase des 1. 15-19, Π[ο]λυ[κλ]έα Ἁλιπόλιọς est le sujet du verbe ἀγγράψαι[133]. Comme il est courant dans les décrets, on précise à la fin qu'un citoyen sera chargé de l'application de telle clause : en l’occurrence, l’inscription de la stèle dans l'Hellénion, en Égypte, “pays d’origine” du proxène. Il ne fait aucun doute que Polyklès lui-même est un Lindien. La dédicace lindienne des “descendants d'Halipolis” laisse penser que son père était déjà lui-même quelque notable de Lindos, et Polyklès héritait probablement d'un capital de confiance : d’où la tâche à lui confiée[134]. Il est fort possible aussi que, pour ses affaires, il ait été en relation fréquente avec l’Egypte, ce qui lui donnait la possibilité d’accomplir sa tâche dans les meilleurs délais. Cependant, rien ne permet d’affirmer qu’il exerçait à ce moment là une magistrature officielle. Si tel avait été le cas, on peut penser que cette dernière aurait été précisée. A moins évidemment (hypothèse nettement moins vraisemblable) qu'il n’entrât dans les attributions de tel des magistrats ordinaires de l'Hellénion de faire l'inscription des stèles, le décret lindien se contentant alors de citer le nom du titulaire de la charge – un Lindien en l’occurrence – sans rappeler la fonction elle-même.

En revanche, même si Polyklès, comme il est probable, n’exerçait pas de charge officielle dans l'administration de l'Hellénion, la procédure de décret par laquelle on lui attribue une tâche précise (l’inscription de la stèle) ne devait guère différer de celle employée pour nommer les représentants rhodiens au sein de l'Hellénion. On peut en effet penser que c’étaient les trois cités, en tant que telles, qui désignaient les représentants de la polis de Rhodes, de même que, au sein de chacun des “peuples” de l'amphictionie de Delphes, c’étaient bien des cités qui. à tour de rôle, désignaient les représentants de l'ethnos[135]. Peut-être y avait-il entre les trois cités rhodiennes un système d’alternance, de même que plus tard, après 407, existait une rotation triennale pour l’exercice de la prêtrise poliade d’Halios[136]. Quoi qu’il en ait été effectivement, l'essentiel est de souligner que, dans l’état actuel de nos connaissances, les hypothèses qu’on peut faire sur le mode de représentation des poleis n’obligent nullement à corriger Hérodote et à voir six cités doriennes siégeant dans l’Hellénion, là où il n'en mentionne que quatre[137]. Enfin, le fait que l’État lindien puisse lui-même décider que le texte d’un décret devra être placé dans l'Hellénion montre que, en tant que Rhodiens, les Lindiens continuaient d’exercer leur co-souveraineté sur le sanctuaire, ce qui une fois encore vient confirmer Hérodote.

Quant au statut des autres sanctuaires mentionnés par Hérodote, le problème se pose, comme pour l’Hellénion, de savoir s'ils avaient été fondés puis gérés par des navigateurs de passage, ou bien par des cités en tant que telles. On a vu que, s’il n’avait pas signalé le sanctuaire d’Aphrodite, c’est très vraisemblablement parce que ce dernier était une création antérieure à Amasis. Il s’agissait d’un sanctuaire de navigateurs, tout comme celui, plus tardif, des Dioscures, comme le montre l’anecdote, rapportée par Polycharme de Naucratis, mettant en scène un marchand originaire de Naucratis, Hérostratos, qui faisait le voyage de Chypre en Égypte : pris dans une tempête, il promet, s’il arrive à bon port, de faire la dédicace dans le sanctuaire d’Aphrodite d’une statuette de la déesse qu'il a achetée dans l'île avant son départ[138]. Ce sanctuaire, situé dans la partie la plus ancienne de la ville, avait probablement été fondé par les Grecs d’origines diverses qui fréquentaient ou habitaient déjà Naucratis avant qu’Amasis ne sépare juridiquement résidents et passagers[139]. Après cette séparation, on peut penser que la gestion de ce sanctuaire resta aux mains des Grecs établis à Naucratis, ce qui le différenciait des nouveaux sanctuaires autorisés par le pharaon.

S’agissant maintenant du statut exact des sanctuaires des Milésiens, Samiens et Éginètes, on doit remarquer tout d’abord que la formule Aiginètai ou Samioi ne signifie pas nécessairement qu’il se soit agi de groupements de particuliers, éginètes ou samiens : en effet, on sait bien que. très souvent, on ne désigne pas une cité autrement que par un pluriel collectif. En second lieu, chacune des divinités auxquelles est élevé un sanctuaire a un aspect poliade et se trouve être la plus grande divinité de la cité : Zeus pour les Éginètes, Héra poulies Samiens, Apollon pour les Milésiens[140]. En troisième lieu, on doit prendre en considération les sanctuaires accordés aux Grecs de l’extérieur en parallèle avec les offrandes faites par Amasis, et aussi par ses prédécesseurs, aux grands sanctuaires du monde grec. Lorsque Néchao fait une offrande à l’Apollon de Didymes (Hdt. 2.159), qu’Amasis finance la reconstruction du temple de Delphes, ou envoie des offrandes à l'Athéna de Cyrène, à l’Athéna de Lindos, à l'Héra de Samos (Hdt. 2.180-182), ou encore aux Lacédémoniens (Hdt. 3.47 et justement l'historien ne précise pas à quelle divinité revenait ce qui était manifestement une dédicace, puisqu’il s'agit d'un corselet analogue à celui qui fut consacré à l'Athéna de Lindos), il s'agit en fait de relation d'État à État, sous la forme d'une dédicace à une divinité. Au reste, Hérodote l’indique lui-même explicitement pour le don fait à l’Héra samienne : ce sont ses liens d'hospitalité avec Polycrate qui amènent Amasis à faire cette offrande. De la même façon, il paraît très vraisemblable (pas absolument certain il est vrai, puisqu’Hérodote ne précise pas explicitement : poleis, comme pour l’Hellénion), que ce ne sont pas à des groupes privés, mais bien à des cités en tant que telles que sont concédés des terrains pour y bâtir autels et sanctuaires, sans que cela leur donne des droits analogues à ceux que possédaient les cités de l'Hellénion. On comparera une dernière fois avec Delphes, où, en dehors même des peuples amphictioniques, des cités comme Cnide ou Marseille, etc., avaient pu recevoir elles aussi le droit d'élever un trésor (toutes proportions gardées évidemment : un trésor n’est pas un sanctuaire)[141]. Ce qui est propre à Naucratis, c'est qu'il est bien possible, comme on l'a vu plus haut, que ces sanctuaires aient été accordés à ces trois cités en compensation de leur exclusion de l’Hellénion.

Cependant, et on ne pourra être d'accord avec M. Austin à ce sujet, le droit de commercer à Naucratis n’était en aucune façon réservé aux seuls citoyens des cités qui étaient membres de l'Hellénion ou qui possédaient là un sanctuaire particulier[142]. Hérodote ne dit rien de tel, et la documentation épigraphique n’autorise pas davantage une telle conclusion. Les inscriptions dédicatoires sur céramique sont peu nombreuses par rapport à l’effectif total de cette catégorie d’inscription. A. Bernand en a dressé la liste, mais on doit à notre sens en retrancher les quatre “Égyptiens” et le “Chalcidien” : Aigyptios et Chalkideus sont bien attestés aussi comme anthroponymes. Les inscriptions où apparaît Aigyptios sont trop fragmentaires pour qu’on puisse savoir s'il s’agit du nom ou de l’ethnique. Dans la dédicace Χαλκιδ[εὺς ἀνέ]θηκεν [Ἀφρο]δίτῃ. il s’agit nécessairement d'un anthroponyme[143]. Restent donc un Clazoménien, trois Mytiléniens, un Rhodien, quatre Téiens, deux Phocéens, huit Chiotes et un Syracusain, soit un effectif de vingt ethniques. Tous, sauf celui du Syracusain, correspondent à des cités membres de l'Hellénion. On se gardera certes de toute projection “statistique” systématique (sauf dans le cas des Chiotes peut-être, qui paraissent sensiblement plus nombreux). On noiera aussi que trois cités de l’Hellénion (Halicarnasse, Cnide et Phasélis) ainsi que Milet, Samos et Égine n’apparaissent pas dans cette liste – même si, pour Milet, on possède de nombreuses dédicaces à “l'Apollon de Milet”, et une à “l’Apollon de Didymes[144]. Les ethniques qu’on trouve dans des inscriptions sur pierre n’enrichissent guère ce dossier[145]. Très probablement, donc, les marchands originaires des douze cités mentionnées par Hérodote se taillaient la part du lion dans le commerce de Naucratis. Mais la seule dédicace du Syracusain suffit à prouver que le trafic ne leur était pas réservé, et que, entre autres, des Grecs d’Occident pouvaient eux aussi venir commercer sur les rives du Nil[146]. C’est ce que nous paraît confirmer la plus grande diversité des monnaies d’époques diverses (ve fin ive s.) trouvées à Naucratis, sans parler des monnaies de provenances variées des trésors égyptiens, qui comme on sait, posent des problèmes spécifiques[147]. On a ainsi mis au jour une monnaie de Syracuse (à rapprocher de la dédicace mentionnée précédemment), deux de Cyrène, des monnaies de cités ou peuples du Sud de l’Asie Mineure (Mallos, Sidè, Lycie), ainsi que de Chios, Samos, Égine et Athènes, toutes en argent, auxquelles on peut ajouter des bronzes d’Erythrées, Cnide, Rhodes, Phasélis et Chypre de la lin du ive s. Même si l'on ne pourra évidemment jamais prouver que telle monnaie a été effectivement apportée par des marchands originaires de la cité d’émission, cette diversité des monnayages paraît globalement correspondre à la diversité d'origine des marchands qui fréquentaient Naucratis. A l’évidence, pour les cités de l’Hellénion, la gestion de l'emporion s’entendait comme un privilège par rapport aux commerçants originaires des autres cités (et pas seulement Milet, Samos et Égine), et non comme “l’autogestion” d’un club fermé. Telle était aussi l’originalité de Naucratis.

3.1. Tout ce qui vient d'être exposé suppose le rejet des traditions tardives relatives à l'antique fondation d'une “cité” de Naucratis par les Milésiens. Peut-être ces derniers fondèrent-ils effectivement un teichos sur la bouche bolbitine du Nil, comme le veut Strabon[148] Mais un teichos n'est pas une cité[149]. Les traditions qui remontent à l’époque hellénistique et qui présentent Milet comme la métropole de nombreuses cités du Pont Euxin, d’Egypte et d’ailleurs sont plus douteuses s’agissant de l’Égypte[150]. A une époque où Milet développe une politique systématique d’isopolitie avec différentes cités du monde grec, il pouvait être commode de faire de certaines d’entre elles d’anciennes colonies[151] Pour Naucratis, le récit de Strabon est manifestement contraire à ce que dit Hérodote et à ce que montre l’archéologie[152]. On doit au reste remarquer que la fondation de Poseidonia, en Italie, est décrite par Strabon sous la même forme que celle de Naucratis, mais, sur ce site, les fouilles ont montré que les choses se sont effectivement passées de cette manière : d’abord un simple teichos, un point d'appui (crée par des Sybarites probablement), en un site facilement défendable, un promontoire rocheux s’avançant dans la mer ; la création de la polis s’est opérée ensuite, par un déplacement vers le nord et l’occupation d'une chôra[153]. Revenant à Naucratis, on a le sentiment que Strabon plaque sur l'histoire de cette ville un schéma tout fait – sans doute valable ailleurs, mais en l’occurrence déplacé.

Reste donc le problème de savoir à quel moment Naucratis devint effectivement une cité. Est-ce dès avant l’arrivée d'Alexandre, ou après, à la faveur de la domination gréco-macédonienne sur l’Égypte ? Pour le ive s. on possède un certain nombre de documents, dont au moins un décret de proxénie athénien, daté de 349/348, en faveur d’un certain Théogénès, fils de Xénoklès, Naukratitès, ainsi qu’un fragment de ce qui est probablement un décret honorifique, antérieur à 353/352, en l’honneur d'un “fils de Diodoros” (le nom est manquant), Naukra[titès][154]. D’autre part, un certain nombre de documents du ive s. (stèles funéraires, signature d'artiste, listes d’offrandes, et aussi un fragment de décret honorifique delphien) venant de différentes parties du monde grec font eux aussi connaître des Naukratitai[155]. On constate ainsi que le formulaire ordinaire ne semble pas différent de celui qu'on rencontre dans les documents concernant des Naukratitai et datant eux de l’époque hellénistique[156]. Cela est-il suffisant pour affirmer, comme le fait M. Austin, que Naucratis était nécessairement une véritable cité dès avant la conquête d'Alexandre[157] ? Nous ne le pensons pas. Il est clair, comme on l’a vu, que la nomination d'un proxène n’implique pas en soi l’existence d’une cité. Mais l’appellation Naukratitès elle-même ne suffit pas non plus pour que l’on puisse tirer cette conclusion.

D’une part, en effet, deux graffiti remontant au ve s. sans doute et provenant du Memnonion d'Abydos font connaître l’un un certain Τίμαρχος ὁ Δαφναΐτης, l’autre un Χαρίανδρος ὁ Στράτωνος Μεμφίτης[158]. Il s’agit de Grecs établis en Égypte, et pour eux “l’ethnique” indique seulement la ville où ils résident, Daphné, la ville des mercenaires grecs, ou Memphis. Bien évidemment, on n’en conclura pas que Daphné ou Memphis étaient des cités grecques en pays égyptien. L’existence d’un “ethnique” est donc une condition nécessaire, mais pas en soi suffisante pour qu’on puisse conclure à l’existence d’une cité. D’autre part, un détail mérite d’être relevé. Dans deux inscriptions du ive s., on précise en effet : Ναυκρατίτης ἐξ Αίγυπτου “Naucratite d’Égypte”. C’est le cas dans la dédicace delphique FD, III.5, nº 3, où l’expression apparaît parallèlement à l’ethnique simple Naukratitès[159]. C’est le cas également dans un décret de proxénie d’Ios public par F. Lenormant, célèbre faussaire, et rangé en conséquence, dans IG, XII.5, dans la catégorie des inscriptions “douteuses et incertaines”, nº 19[160] Mais, 1. 1, la restitution de Lenormant, Ναυ[κρατίτ]ην ἐξ Αἰ[γύπτου] ? et l'authenticité de ce texte, nous paraissent corroborées par l’inscription de Delphes, dont on doit noter qu’elle a été découverte en 1896 seulement, soit près de trente ans après la publication de Lenormant (1867) – sauf parallèle antérieur nous ayant échappé. Cela nous incite donc a considérer ce texte comme authentique. S’agit-il seulement, par cette formule, de préciser la localisation de Naucratis ? Tout le monde devait pourtant savoir où se trouvait cette ville, et l’on ne voit pas qu'on ait donné une précision de cet ordre s’agissant de cités grecques, même établies dans des contrées lointaines. L’expression aurait-elle une valeur juridique précise “Naucratis qui fait partie de l’Égypte”[161] Il est difficile de trancher. Du moins doit-on noter que la précision “Naucratite d’Égypte” laisse ouverte la possibilité d’un maintien, sous une forme identique ou légèrement modifiée, de l’ancien système mis en place par Amasis. En tout cas les plus anciennes monnaies de Naucratis que nous possédons portent au droit la légende ΑΛΕ(ΞΑΝΔΡΟΣ), ce qui ne permet donc pas d’affirmer l’existence d’une cité antérieurement à la conquête d’Alexandre[162].

Comment conclure ? Il est sûr que, pour les Grecs résidents installés là depuis des générations, communauté endogamique et “ethniquement” unifiée de plusieurs milliers d’individus, qui préservait ses coutumes propres et sa culture hellénique, avec très vraisemblablement ses formes d’organisation interne, ses hiérarchies sociales et ses notables aussi, la tendance naturelle devait être la constitution d'un État-cité, d’autant plus qu’ils étaient par définition en relations constantes avec la Grèce. On voit, au ive s., deux Naucratites faire la dédicace d’une palestre, ce qui témoigne bien de la vitalité de la culture hellénique[163]. Cependant, aussi longtemps qu’une forte autorité étatique s’exerçait sur l’Égypte, il ne pouvait en être question. Le rôle sans cesse plus grand joué par les Grecs dans le bassin oriental de la Méditerranée et les difficultés internes de l’État égyptien sous les dynasties indigènes au ive s. ont-ils abouti à une modification de l’ancien système dès avant l’époque hellénistique[164] ? Un document comme la stèle de Nectanébo Ier et les références aux “Naucratites d’Égypte”, ainsi que, en sens inverse, l’absence de tout document qui puisse permettre de prouver l’existence d’une cité incitent à penser que ce ne fut pas le cas. On doit cependant reconnaître que le dossier est encore incertain, et on s’abstiendra pour le moment d’une conclusion trop tranchée.

3.2. Si la “colonisation milésienne” est une fable, l’installation de Grecs à Naucratis, qui date, comme on l’a vu, de la deuxième moitié du viie s. et sans doute plutôt des deux dernières décennies, doit être replacée dans le cadre du grand mouvement d’expansion que connaît la Grèce de l’Est dans cette période, et qui amène ses marins sur presque tous les rivages de la Méditerranée et du Pont Euxin. En dehors des nouvelles cités coloniales, des établissements comme Al Mina, Ras El Bassit ou Tell Soukas sur la côte syrienne, ou Gravisca en Italie posent des problèmes juridiques du même type que ceux qui se posent pour Naucratis[165] Gravisca offre sans doute le parallèle le plus frappant. Les Grecs s’y installent au même moment qu’à Naucratis, à la fin du viie s. ou au début du vie s. On y retrouve des commerçants de la Grèce de l’Est et d’Égine, ceux-là même qu’on a vu jouer un rôle prédominant à Naucratis. A Gravisca, les Grecs, artisans spécialisés ou commerçants, reçoivent l’autorisation d’élever des sanctuaires et d’exercer leurs activités. Dans les deux cas, à Naucratis comme à Gravisca, le premier sanctuaire est voué à Aphrodite, avec cette différence qu’à Gravisca la déesse apparaît non sous son aspect de protectrice des navigateurs, mais plutôt sous celui de patronne du “monde des femmes”[166]. Mais, pas plus sur la côte toscane qu’en Égypte, les Grecs ne trouvent un vide politique. Là, à la différence de ce qui pouvait se passer sur les rivages du Pont Euxin ou du pays ligure, il pouvait être question non de s’approprier une portion de territoire, fût-elle de petites dimensions, mais seulement d'établir un point de contact commercial avec un État étranger jaloux de ses prérogatives. A Gravisca, les Grecs apparaissent comme des hôtes provisoires, maintenus en marge de la communauté étrusque tarquinienne. Alliée au caractère mixte de la population (Grecs au nord. Égyptiens au sud), la position géographique de Naucratis, sur la branche canopique du Nil, mais loin à l'intérieur des terres, près de Sais, la capitale, permettait de même un contrôle étroit de la communauté grecque. La concentration dans cette ville du commerce grec témoigne de la même volonté, en même temps que la proximité de Saïs rendait les échanges commodes et fructueux, tout en maintenant les Grecs à distance de la capitale. Bien entendu, pas plus à Naucratis qu’à Gravisca il ne pouvait être question de créer une cité. Il y a tout de même deux différences importantes entre les deux établissements.

A Gravisca, le milieu ambiant était très réceptif à la culture hellénique : l’aristocratie étrusque, en particulier, connaissait une très forte hellénisation. A long terme, les coutumes, les idées des Grecs transformèrent profondément les mentalités de l’Étrurie dans son ensemble. Il n’en était pas de même en Égypte. A cet égard, il faut souligner les deux aspects de l'attitude égyptienne. D'une part, à toutes les époques on constate une grande capacité d’accueil des diverses communautés étrangères. La tolérance dont on fait preuve à leur égard se manifeste entre autres par le droit qui leur est accordé d'élever des sanctuaires à leurs dieux[167] D’autre part, le milieu égyptien reste profondément attaché à ses propres traditions culturelles et rejette totalement les mœurs étrangères : toutes nos sources, tant grecques que juives et égyptiennes, concordent à ce sujet[168]. La tolérance, qui n’est peut-être en réalité qu'indifférence méprisante, cohabite donc avec le rejet radical de l'altérité, d'où aussi, de loin en loin, de violentes explosions de xénophobie, contre les Grecs (à la fin du règne d’Apriès par exemple) ou contre les Juifs (sac du temple d’Éléphantine en 410, dans un contexte particulier de réaction nationaliste et de soulèvement contre la domination perse)[169]. Elles doivent être distinguées de manifestations qui n’ont que l'apparence de l'analogie, comme le massacre des Phocéens par les Agylléens après la bataille d'Alalia, qui se produit dans un contexte de guerre et n’est en aucune façon significatif d’un rejet de la culture hellénique[170]. La raison profonde de ce contraste, c’est qu’il n’y a pas hétérogénéité absolue entre une cité étrusque comme Tarquinia et une polis grecque, tandis que, entre la Grèce des cités, où est en train de s’instaurer un système fondé sur la réciprocité et l’échange entre les citoyens, et la monarchie bureaucratique égyptienne, il y a un monde[171]. En ce sens, Naucratis répond, dans sa formulation la plus générale, au concept de “port of trade” défini par K. Polanyi et ses disciples comme point de contact entre deux économies de type différent[172]. Nous définirons Naucratis comme un point de rencontre entre une zone où l'échange marchand règle la circulation des produits, et une zone où il est presque absent et où règne le système du tribut aux sanctuaires, aux dignitaires et au roi.

La deuxième spécificité de Naucratis – pour autant qu’on puisse en juger, car nous disposons là de sources fournies par la tradition littéraire, ce qui n'est pas le cas pour Gravisca par exemple – et la marque du philhellénisme d’Amasis, c’est bien entendu le double statut accordé aux Grecs, résidents d’une part, auxquels toute une partie de la ville était réservée, passagers de l’autre, avec ce privilège fondamental qui consistait pour les cités de l’Hellénion en la gestion directe des affaires du port au nom de la Grèce toute entière, et, pour d’autres cités, en la représentation sur place au moyen d’un sanctuaire leur appartenant. En cela, la Naucratis réorganisée par Amasis était sans doute tout à fait exceptionnelle, tandis que jusque là elle était juridiquement plus proche d’établissements comme Gravisca ou Tell Soukas. Bien entendu, Naucratis devait aussi sa spécificité à la concentration dans cette ville des résidents grecs non mercenaires sous la 26e dynastie, qui donnait à la communauté hellénique une importance, d’abord sur le plan numérique et également par le volume des affaires qui s’y traitaient, puisque c’était le seul point de contact commercial entre l’Égypte et le monde grec, que ne pouvaient avoir les multiples places de commerce égayées sur la côte syrienne, par exemple. Le fait que cette importance se soit globalement maintenue même après que les Perses eurent supprimé la concentration du commerce grec dans cette ville explique que Naucratis, à l’arrivée d’Alexandre en Égypte semble-t-il, ait pu tout naturellement se transformer en une cité.

3.3. Cela amène à réfléchir plus en profondeur au rôle de Naucratis, et plus particulièrement à celui du double statut édicté par Amasis. On doit également s’interroger sur les occupations des résidents grecs de Naucratis. S’abstenaient-ils de toute activité commerciale, comme on a bien voulu le dire[173] ? Pour ce qui est de la création de l'Hellénion et de la gestion du port, laissée entre les mains de ses neuf cités fondatrices, il s’agit là manifestement, de la part d'Amasis, d’un gage de sa volonté d’entretenir les meilleures relations avec les principales cités dont les ressortissants commerçaient avec l’Égypte. Mais ce n’était pas par pure bonté d’âme que ce pharaon faisait des concessions aussi importantes. L’Égypte – c’est-à-dire l’État égyptien pour les produits stratégiques, et un certain nombre de princes et notables locaux pour le reste - avait un besoin vital du commerce extérieur pour un certain nombre de produits aussi importants que le bois et le fer, auxquels s’ajoutaient les métaux précieux, l'argent surtout, mais également l’or semble-t-il (cf. la stèle de Nectanébo citée supra, n. 18), et de produits de consommation de luxe comme le vin. Or, les Grecs étaient à même de répondre à cette demande. Certes, les Phéniciens devaient prendre en charge une part importante de ce commerce[174], mais peut-être n’étaient-ils pas à même de répondre à tous les besoins de l’Égypte. De plus, ils étaient trop obligés de tenir compte de la volonté des empires dominant l’Asie antérieure pour ne pas être amenés à prendre le parti des adversaires traditionnels de l'Égypte en cas de conflit[175]. Les Mésaventures d'Ounamon, qui remontent certes au tout début du xie s. a.C., mais qui montrent au fond une situation globalement identique à celle qui prévaudra quelques siècles plus tard, avec en outre les avantages d’un récit très riche et vivant, témoignent bien du parti que les cités phéniciennes savaient tirer des ressources naturelles de leur pays : contre le bois qu’il vend à Ounamon, comme antérieurement à d’autres émissaires égyptiens, le prince de Byblos exige un paiement très élevé en métaux précieux et en produits divers. Avant que l’accord ne se fasse entre les parties, les négociations sont longues et difficiles[176]. Ce n’est donc pas “moderniser” que d’imaginer une volonté des souverains de la 26e dynastie de ne pas se trouver à la merci d’une source d’approvisionnements extérieurs exclusivement phénicienne. Or, à cette époque, les Grecs de l'Est faisaient preuve d’un extraordinaire dynamisme commercial, et, jusqu'à la conquête de Cyrus, ils étaient plus ou moins dans la mouvance lydienne, puissance traditionnellement alliée de l'Égypte[177]. Les bonnes relations entretenues avec Samos jusqu’à la veille de la conquête de Cambyse montrent la continuité de cette politique. Même si les Grecs n’avaient donc pas l’exclusivité du commerce extérieur de l’Égypte, ils en faisaient néanmoins une part très importante. L’empressement avec lequel semble avoir été rétabli l'ordre dans la perception des droits de douane par le “préposé à la porte des pays étrangers de la Grande Verte” (la zone ouest du Delta, celle du commerce grec) au début du règne d’Amasis suppose que les revenus de ces taxes étaient élevés, donc que le commerce était très actif[178].

Cependant, il faut encore aller plus loin, et expliquer aussi comment il se fait que l’Egypte, et cela antérieurement à Amasis, ait admis l’établissement d’un nombre important de résidents grecs. S’agissant de mercenaires, il est clair que c’est le besoin d'avoir sous la main en permanence de bons guerriers qui amène les pharaons, depuis Psammétique Ier, à faire appel aux Grecs. A quelle nécessité pouvait répondre l’acceptation de l'installation de Grecs autres que des mercenaires ? Comme on l’a rappelé, la différence entre le système économique et social de la Grèce et celui de l'Égypte était radicale. Naucratis, avec ses Grecs de l’extérieur et ses Grecs résidents sujets de l'Égypte, était ainsi un milieu osmotique, où les échanges entre les deux mondes se trouvaient largement facilités, puisque c’étaient avec des Grecs que les commerçants venus d’au-delà des mers pouvaient traiter. Les occupations des Grecs résidents de Naucratis ne nous paraissent donc nullement mystérieuses ! Un certain nombre d’entre eux étaient sans doute des commerçants en gros qui jouaient le rôle d’intermédiaires entre les Grecs de l’extérieur et les Égyptiens, susceptibles par exemple d’acheter rapidement sa cargaison à un commerçant rhodien ou chypriote, pour la revendre ensuite aux indigènes de la caste des commerçants ou à tel riche client amateur d’armes ou de vins grecs, et vice versa pour les produits égyptiens (blé, textiles, papyrus sans doute surtout)[179]. Les très nombreux décrets de proxénie que nous possédons montrent bien le besoin que les commerçants pouvaient avoir de trouver des correspondants dans les villes ou cités qu'ils fréquentaient. Ainsi, le décret athénien en faveur de Théogénès (IG, II2, 206, cf. supra) rappelle explicitement qu'il a rendu des services à Athènes, et que ses ancêtres et lui-même ont pris soin des Athéniens venant à Naucratis (1. 1 1-13). Dans un certain nombre d’occurrences, il semble bien que les proxènes n’aient été autres que les commerçants de la ville ou cité avec lesquels on entretenait des relations privilégiées. Comme on le verra, c’est sans doute le cas pour les proxènes naucratites que nous connaissons. C’est aussi probablement à sa bonne connaissance de ces activités d'intermédiaire (et des profits importants qu’elle permettait de dégager) que Cléomène de Naucratis, nommé gouverneur d’Égypte par Alexandre, dut de pouvoir monter sa fructueuse spéculation sur le commerce des grains[180]. Les activités artisanales, dont témoignent les petits objets de faïence fabriqués à Naucratis (si, toutefois, ils n’étaient pas produits par une main d’œuvre indigène), ainsi que les restes d’ateliers métallurgiques, laissent penser qu’un certain nombre d’autres résidents grecs étaient tout bonnement artisans[181]. Ne peut-on pas supposer aussi qu'il y avait dans la ville une importante activité de construction et de réparation navale ? Cela nous paraît assez logique, puisque Naucratis importait du bois de charpente pour les besoins de l’Égypte.

Mais de plus – et cela a été presque totalement négligé – les Naucratites pratiquaient eux-mêmes le grand commerce. On est habitué à considérer le commerce entre le monde grec et l’Égypte dans la perspective d'un aller-retour, avec les cités grecques comme point de départ et des Grecs (entendons “de l'extérieur”) comme opérateurs. Mais cette vision des choses, même si elle est fondamentalement juste évidemment, est tout de même incomplète. Ce ne sont pourtant pas les Égyptiens qui, par eux-mêmes, pratiquaient le grand commerce. Bien que le pays possédât des gens de mer, comme le montrent certains témoignages relatifs à la marine de guerre égyptienne, il ne semble pas que les emporoi égyptiens – s’il en existait – aient été nombreux tant à l’époque archaïque que classique[182]. Hérodote n’en parle pas. Le décret athénien qui accorde à des marchands chypro-phéniciens de Kition l’autorisation de bâtir un sanctuaire à Aphrodite (333 a.C.) lait bien allusion à des Égyptiens qui ont antérieurement obtenu le droit d’établir un sanctuaire d Isis. Mais il est vraisemblable que, pour l’essentiel, ces derniers étaient seulement des artisans ou commerçants de détail installés à Athènes[183]. En revanche, plusieurs témoignages montrent l’existence d’un commerce effectué par les résidents grecs de Naucratis. Ainsi en est-il de l'anecdote de Polycharme de Naucratis déjà mentionnée : κατὰ δὲ τὴν τρίτην πρòς ταῖς εἴκοσιν’Ολυμπιάδα ὁ ‘Hρόστρατος, πολίτης ἡμέτερος ἐμπορίᾳ χρώμενος καὶ χώραν πολλὴν περιπλέων, προσοχῶν ποτε καὶ Πάφῳ τῆς Κύπρου κτλ. “Durant la 23e Olympiade, Hérostratos, notre concitoyen, faisant du commerce et naviguant beaucoup, fit un jour relâche à Paphos, à Chypre”, avant de se rendre en Égypte, à Naucratis[184]. L'expression politès sous la plume de Polycharme (dont on ne sait pas à quelle époque il vivait) est bien entendu toute naturelle dans cette acception[185]. Si la date de l’anecdote est manifestement fausse, la dédicace d’une de ces statuettes chypriotes comme on en ajustement trouvé dans les fouilles de Naucratis nous paraît prouver à la fois l’authenticité et l’ancienneté de l’épisode, ou du moins de la situation qu’il décrit[186]. On a là la preuve de l’existence d’un commerce effectué par des Naucratites, à une date qui se situe vraisemblablement au vie s. Au reste, le décret Lindos, 16 app., qui, rappelons-le, date des années 440-420, accorde à Damoxénos, outre le titre de proxène et d’évergète, l’exemption de taxes à Lindos à l’importation et à l’exportation, en temps de paix et en temps de guerre. Le décret Lindos, 16, donne sûreté et neutralité à l'entrée et à la sortie des ports rhodiens. On pourra avancer l’objection qu’il peut s’agir là de formules purement honorifiques – c'est effectivement possible pour l'interprète de Lindos, 16, mais cela a toute chance de ne pas être le cas pour Damoxénos (cf. la clause prévoyant l’exemption de taxes à l'importation et à l'exportation), même si on ne peut avoir de certitude absolue. En tout cas, le fait qu’on puisse accorder de tels privilèges aux “résidents en Égypte” montre bien, au minimum, qu’on pouvait envisager de les voir utilisés par ces derniers. Dans le décret de proxénie athénien en faveur de Théogénès évoqué précédemment, la proposition visant à l'introduire devant l’assemblée (1. 14-16) et celle qui l’invite au prytanée (1. 35-36) supposent que Théogénès soit sur place à Athènes[187]. Il n’est pas très aventuré de supposer que c’est pour affaires. Le privilège d’enktèsis pour une maison qui lui est accordé (1. 23) s’accorderait bien avec l'idée exprimée dans les Poroi de Xénophon selon laquelle on doit attirer les marchands par toutes sortes de privilèges, réels et honorifiques[188]. Si Théogénès était bien un marchand, Athènes l’aidait dans ses affaires en lui permettant d’acheter un local, comme lui même et ses ancêtres avaient aidé les Athéniens – pour la plupart sans doute des marchands venus en Égypte pour acheter le blé dont la cité avait un si grand besoin. Dans le décret d’Ios dont nous avons admis l’authenticité, il n’est pas impossible que le personnage honoré soit un marchand (on ne saurait être plus affirmatif). En effet, la petite île d’Ios était, comme les autres Cyclades, fortement dépendante de l’extérieur pour son approvisionnement en blé et accordait des honneurs divers à ceux qui le lui facilitaient. C’est ce que montrent plusieurs inscriptions du début de l’époque hellénistique[189]. Un dernier témoignage s’offre à nous. Il s'agit d’un passage du Contre Timocratès de Démosthène, § 1 1-12. Le point de départ du litige est une saisie en mer Égée effectuée par une trière athénienne en route pour Halicarnasse, à une date qui doit être 335 ou 334[190]. Il semblerait que les chrèmata naukratitika dont il est question désignent à la fois le navire et sa cargaison (et non la cargaison seule). En ce cas, armateurs et marchands seraient tous des Naucratites. Ce témoignage confirme donc que, parmi les Grecs résidant à Naucratis, certains, dans une proportion qu’il est évidemment impossible de chiffrer, mais qui n’était pas nécessairement faible vu les possibilités offertes, pratiquaient le grand commerce. En résumé, l’essentiel de l’activité des résidents grecs de Naucratis devait être le commerce (ils jouaient ainsi le rôle d’intermédiaires avec les indigènes, ou ils étaient eux-mêmes grands commerçants, au reste sans que les deux occupations soient obligatoirement exclusives l’une de l’autre) et l'artisanat, auxquels devaient s’ajouter naturellement tous les “services” qu’on peut s’attendre à trouver offerts dans un port (hôtellerie, prostitution, etc.).

Au delà des bénéfices tirés des diverses taxes frappant le commerce et l’artisanat de Naucratis, les divers besoins des pharaons et de l'État égyptien auxquels pouvait répondre la communauté grecque de la ville justifient pleinement l’autorisation de son implantation : l'Égypte disposait ainsi de “ses” propres marchands et artisans en la personne des Grecs résidents de Naucratis, qui remplissaient donc le même rôle que les Phéniciens de Memphis, par exemple[191]. Établis dans le pays et y ayant fait souche, ils n’avaient évidemment rien à refuser au pharaon, alors que ce dernier, en cas de crise, pouvait avoir un besoin vital de certains produits stratégiques. C'est la raison pour laquelle il était important de ne pas dépendre de marchands et d’artisans véritablement étrangers au pays. En temps ordinaire, ces marchands installés en Égypte contribuaient aussi au maintien des relations avec le monde extérieur : ainsi en était-il, du temps d'Amasis, pour les relations avec Chypre soumise (si le tribut était perçu en nature, comme on peut le penser, il se posait un problème de transport, etc.).

On nous permettra de revenir aux Mésaventures d’Ounamon pour illustrer notre propos. Ounamon avait été envoyé par le Premier prophète d’Amon, Hérihor, qui tenait le pouvoir à Thèbes, pour acheter le bois nécessaire à la réparation de la barque du dieu. En cette période de division de l’Égypte, il doit d’abord obtenir à Tanis l’agrément de Smendès et Tentamon, les régents de Basse Égypte. Il y parvient sans difficultés et s’embarque sur un navire phénicien que les régents ont mis à sa disposition (I. 1 sq.). Ses mésaventures avec l'équipage phénicien (1. 10-30), qui le vole et qu’il vole, ne sont d’ailleurs pas sans rappeler celles du “Cretois” de l’Odyssée, 14.287-298, que le capitaine du navire phénicien qui l’a emmené d'Égypte en Phénicie veut ensuite vendre comme esclave, en saisissant ses richesses. Arrivé à Byblos, Ounamon obtient après une longue attente une entrevue avec le prince de la ville. Mais ce dernier se méfie de lui et lui lance (I, 55 sq.) : “Et où est-il le navire en bois de sapin que t’a donné Smendès ? Où est son équipage de Syriens ? Ne t'a-t-il pas remis à ce capitaine étranger dans l’intention qu’il te tue et qu’on te jette à la mer ?...” La réponse d'Ounamon met bien en lumière la manière dont l’Égypte considérait ceux qu’elle prenait à son service : “Mais n’est-ce pas un navire égyptien ? Ils forment bien un équipage égyptien ceux qui rament pour le compte de Smendès. Il n'a pas d’équipage syrien”. Pour Ounamon, l’équipage est donc juridiquement égyptien dans la mesure où le navire voyage pour le compte de Smendès[192]. Cet argument ne convainc guère le prince de Byblos, mais ce qui importe pour nous est de comprendre que ce sont des raisons au fond identiques qui font que, quelques siècles plus tard, les résidents grecs de Naucratis relevaient de la souveraineté égyptienne. Quant au Phénicien Ouerkatel auquel le papyrus fait allusion peu après (2, 1), et qui était manifestement un commerçant installé à Tanis avec le rôle d’intermédiaire pour les marchands sidoniens[193], il évoque irrésistiblement lui aussi la situation des Naucratites. Faute de pouvoir trouver en elle-même, du fait d’une structure économique et sociale totalement rigide, les moyens de pouvoir à certains besoins spécifiques, comme, de plus en plus, la guerre et le commerce extérieur, l’Égypte “importait” pour répondre à ces exigences des communautés étrangères de mercenaires, commerçants et artisans. Ces derniers, tout en relevant juridiquement de la souveraineté égyptienne, vivaient en surimposition dans un milieu indigène qui, de son côté, restait pour l’essentiel semblable à lui-même à travers les siècles. Ce qui était déjà valable, dans une certaine mesure, sous le Nouvel Empire, l’était bien davantage quelques siècles plus tard, aux époques archaïque et classique de notre chronologie du monde hellénique.

Chapitre II. Retour à Naucratis

La question du commerce avec l’Égypte, avec au centre le rôle de l’emporion de Naucratis, a continué à faire l’objet de débat dans la littérature scientifique la plus récente. Le moment paraît venu de tenter d’en dresser un bilan et, du même coup, de tester la validité des hypothèses émises dans notre première étude, mais aussi de faire de nouvelles propositions en fonction des données nouvelles qui ont été récemment publiées.

NAUCRATIS : UN BILAN

Du point de vue archéologique, le fait nouveau a été la reprise des fouilles sur le site de Naucratis par une équipe américaine. La tentative valait d’être faite mais, malgré des efforts méritoires, les conditions des fouilles – la plus grande partie du site antique est maintenant occupée par un lac – ne semblent pas avoir permis d’aboutir à des résultats nouveaux et décisifs sur l’histoire de la ville, de ses sanctuaires ou de sa vie commerciale à l’époque archaïque et classique[194]. Les céramiques d’époque archaïque et du ve s. se ramènent à peu de choses, et, pour les mêmes périodes, les restes d’amphores témoignent des importations bien connues en provenance du bassin égéen[195]. Même pour les éléments de base du plan de la ville, on reste encore largement tributaire des données de Petrie et Gardner. La critique du caractère égyptien de la partie sud de la ville, entreprise par W. D. E. Coulson, A. Leonard et N. Wilkie[196], devra être examinée dans la publication définitive.

Dans la lignée de ces travaux, mais sans pouvoir s’appuyer sur une documentation nouvelle, R. D. Sullivan a considéré que Naucratis aurait été d’abord une fondation militaire[197]. La chose est en réalité douteuse. Nous dirions plutôt qu’en ces hautes époques la séparation entre commerce à l’aventure et guerre piratique n’était sans doute pas aussi nette qu’elle le sera plus tard. C’est la raison pour laquelle aussi, même si on ne peut le prouver formellement, il semble toujours raisonnable d’admettre que les Naucratites avaient pu jouer un rôle militaire au moment de la “révolution nationaliste” et des combats entre Apriès et Amasis[198]. La dimension militaire de la présence grecque en Égypte du viie au vie s. reste en tout cas une réalité incontournable[199]. R. D. Sullivan considère aussi qu’il faudrait faire remonter la première présence grecque à Naucratis à la première moitié du règne de Psammétique Ier plutôt qu’à la fin de son règne, s’appuyant en particulier sur la synchronie avec la céramique du site de Vroulia, à l’extrémité sud de l’île de Rhodes[200]. Vroulia paraît avoir joué le rôle d’un petit port de relais sur la route de l’Orient et de l’Égypte. Pour K. F. Kinch, le fouilleur du site, Vroulia aurait été fondée vers 700 a.C. et abandonnée dans la première moitié du vie s.[201] Cependant, I. Morris a récemment proposé pour Vroulia des dates plus basses et plus resserrées, entre 625 et 575[202]. On voit que, même en se fondant sur les témoignages archéologiques vrouliens, il reste difficile de faire remonter la présence grecque à Naucratis au-delà des dernières décennies du viie s.

Du côté de la recherche égyptologique, on insiste aujourd’hui plus que jamais, au contraire des travaux de l’équipe américaine, sur la présence égyptienne à Naucratis. Certains petits objets trouvés à Naucratis sont indubitablement antérieurs à la 26e dynastie et remontent à la période xe-viiie s.[203] Selon J. Yoyotte, le nom de la ville de Naucratis serait même une transposition en grec du nom égyptien Nokradj, cl non l’inverse[204]. Quoi qu’il en soit effectivement, on sera d’accord avec J. Yoyotte sur l’intérêt particulier de trois petites stèles à décor et inscrites provenant très probablement de Naucratis ou d’une zone proche de Naucratis. La première (Berlin 7780) date du règne d’Apriès (an 2 ou an 12, ce pharaon régnant entre 589 et 570), où Amon-Rê-Baded figure dans le décor avec Mont dame d’Isherou : or, Amon-Rê-Baded a fait l’objet d’une dédicace de Ptolémée Ier ou Ptolémée II sur un tronçon d’obélisque provenant de Naucratis qui nomme le lieu saint appartenant au dieu “le Beau Château”, tandis qu’un manche de sistre (Louvre E 6268) porte deux inscriptions, l’une en l’honneur d’Amon-Rê “qui préside au Beau Château”, l’autre pour Mout, ce qui, ajouté au parallèle des formulaires avec les deux autres dédicaces, conforte l’hypothèse d’une provenance naucratite[205]. La seconde (Le Caire 14/2/25/2) est une stèle de l’an 3 d’Amasis (soit 567), qui honore Amon-Rê, “seigneur du Beau Château”, et a donc toute chance de provenir de Naucratis[206]. La troisième (Ermitage 8499), de l’an 16 d’Amasis (soit 554 a.C.), qui représente Horus, Isis et un pharaon coiffant la couronne d’Osiris, est l’œuvre d’un “homme de Nokradj”, la dédicace étant faite dans le village “Le Mur-de Pekher(y), sur le territoire de Sais”, certainement tout près de Naucratis[207]. Comment ne pas faire un parallèle entre cet “homme de Nokradj”[208] et “l’Égyptien de Naucratis” de la stèle Lindos, 16, de la fin du Ves. ? La convergence entre les deux sources, l’une égyptienne, l’autre grecque, est tout à fait instructive. L’existence d’une communauté égyptienne à Naucratis est hors de doute. De même, on doit supposer avec J. Yoyotte qu’il est possible qu’un temple d’Amon-Rê-Baded ait prospéré à Naucratis dès la 26e dynastie.

On relèvera, si nécessaire, qu’il n’est pas étonnant de voir un Égyptien porter en même temps un nom grec. La mention, à l’accusatif, de [---]αν Πυθέω Αἰγ[ύπτιον τ]ὸν ἐγ Ναυκράτ[ιος] (Lindos, 16, 1. 2-5) où nous avons montré qu’il fallait voir un Égyptien de Naucratis, et non un Éginète[209], trouve aisément des parallèles. Le phénomène du double nom est bien attesté dans l’Égypte ptolémaïque[210]. On pourrait cependant objecter que le contexte est trop tardif. Mais on rencontre ce phénomène à Athènes au IVe s. avec le fameux décret pour le roi Abd Aštart de Sidon, qui, dans le décret attique en sa faveur, porte le nom de Stratôn[211]. En outre, de manière plus banale et encore plus significative, on le rencontre par exemple aussi dans des bilingues d’Athènes ou du Pirée, où des Phéniciens de Kition portent dans l’inscription en grec le nom de Νουμήνιος, “Nouvelle Lune”, et dans l’inscription phénicienne correspondante, le nom de Benhodes, “Fils de la Nouvelle Lune” (IG, II2, 9034) ou de Mahdas, “Nouvelle Lune” (IG, II2, 9035)[212].

Enfin, même s’il n’y est pas directement question de Naucratis, on soulignera l’importance de la publication d’un registre douanier de la satrapie d’Égypte, publié par B. Porten et A. Yardeni, et qui a fait l’objet d’un commentaire historique détaillé de la part de P. Briant et R. Descat[213]. Le texte est daté de la 11e année de règne d’un pharaon perse et diverses raisons de formulaire et de paléographie incitent à le dater de la première moitié du ves. Cependant, entre la 11e année de règne de Xerxès (475) et la 11e année de règne d’Artaxerxès Ier (454), un certain doute subsiste encore dans l’esprit des commentateurs. Les premiers éditeurs ont préféré la date haute, entre autres raisons parce que les années 450, celles de l’expédition athénienne en Égypte, leur ont paru trop troublées pour le contexte apparemment tout à fait pacifique du registre de douane[214]. Tout en insistant sur l’incertitude qui leur semble subsister, P. Briant et R. Descat considèrent en revanche que rien ne permettrait d’exclure une date sous Artaxerxès Ier et concluent que la question devrait rester ouverte[215].

On reviendra sur la question de la chronologie, mais auparavant, il faut analyser brièvement le contenu même du document. Le registre répertorie pour chaque entrée le nom du capitaine suivi de ce qui est manifestement son ethnique. Un récapitulatif donne respectivement 36 navires ywny psldrsy et 6 navires kzdry. Ces derniers sont très probablement des Phéniciens ou des gens d’une cité de la côte de Palestine, mais que l’on ne peut identifier clairement[216]. C’est ici qu’il convient de souligner l’intérêt majeur de l’identification d’ethnique effectuée par P. Briant et R. Descat, qui ont reconnu sous ywny psldrsy des “Ioniens” de Phasélis[217]. Il convient de suivre et d’exploiter cette piste qui constitue en fait une clé essentielle pour l’analyse du document.

Phasélis était cette cité située du sud de l’Asie Mineure, aux confins de la Lycie et de la Pamphylie[218], qui jouait pour le monde grec un rôle de plaque tournante dans le commerce avec l’Égypte et l’Orient. On a vu qu’elle faisait partie de l’Hellénion de Naucratis (Hdt. 2.178), ce qui montre l’importance de son commerce dès les années 560 au moins[219]. Dans une monographie consacrée au monnayage phasélitain allant de l’époque archaïque à l’époque hellénistique, Chr. Heipp-Tamer a dressé la liste des trésors où apparaissent des monnaies de Phasélis de la fin de l’archaïsme et du début de l’époque classique[220]. Elle a ainsi pu insister sur le fait que sur les sept trésors en question, quatre sont des trésors égyptiens : Demanhur, daté c. 500 a.C. (IGCH, 1637) ; Benha El Asl, c. 485 a.C. (IGCH, 1640) ; Asyut, c. 475-460 a.C. (IGCH, 1644) et Zagazig, date d’enfouissement discutée entre c. 470 et après 450 (IGCH, 1645)[221]. Chr. Heipp-Tamer a aussi relevé que Demanhur, Benha El Asl et Zagazig sont des trésors du Delta, les deux premiers sites étant respectivement à c. 20 et 10 km de Naucratis, Zagazig étant en revanche dans l’Est du Delta. Elle a en outre souligné que le quart des exemplaires connus du groupe archaïque 3.1 de Phasélis provient d’Égypte[222].

Un épisode fameux de la Vie de Cimon de Plutarque (12.3-4) rapporte comment cette cité, qui jusqu’à la campagne de l’Eurymédon était restée fidèle à la Perse, dut subir un siège de la part des forces d’Athènes et de ses alliés. Plutarque rapporte ainsi comment les Phasélitains communiquèrent avec leurs amis chiotes, qui faisaient partie de l’armée de Cimon puisque Chios était la principale cité alliée d’Athènes en mer Égée : finalement, les Phasélitains furent ainsi convaincus d’abandonner la cause perse et de se ranger au côté des alliés. C’est un peu plus tard que les Phasélitains reçurent d’Athènes des privilèges judiciaires qui intéressaient directement leurs commerçants, puisque la convention qu’ils conclurent avec Athènes mentionne les conflits d’affaires qui devaient être réglés dans les mêmes termes que selon les conventions entre Athènes et Chios[223].

C’est dans ce cadre, semble-t-il, que l’on peut mieux comprendre le sens du registre douanier d’Égypte. Ce n’est certainement pas un hasard si les commerçants “ioniens” fréquentant l’Égypte qui apparaissent dans l’année 11 sont exclusivement des Phasélitains. Il faut une date où Phasélis soit la seule cité grecque dont les commerçants puissent gagner l’Égypte, et l’on voit immédiatement que cette date est 475. A ce moment, en effet, non seulement Phasélis n’était pas en guerre avec l’empire perse mais elle en était sujette. En revanche, les ressortissants des autres cités grecques étaient nécessairement exclus des ports de l’empire, ceux des grandes cités de Grèce d’Europe depuis la révolte de l’Ionie (499) et ceux de la côte ouest de l’Asie Mineure depuis 479 et la deuxième révolte contre la Perse. Plus tard, en 455, Phasélis était passée du côté d’Athènes et, à leur tour, ses ressortissants ne pouvaient donc qu’être considérés commme ennemis. A fortiori, le contexte de guerre acharnée dans le Delta entre 459 et 454 exclut encore davantage que le registre douanier puisse dater de 455 : car même si, peut-être, les pertes finales des forces d’Athènes et de ses alliés ont été un peu moins importantes qu’on ne l’a pensé jusqu’ici (“seulement” 70 ou 100 trières peut-être, soit le chiffre tout de même considérable de 14 000 à 20 000 hommes[224],) l’ampleur et la continuité des opérations ne font aucun doute.

Seule cité grecque d’Asie Mineure ou de Grèce d’Europe à commercer avec l’Égypte entre 479 et la bataille de l’Eurymédon, donc en situation de monopole de fait, Phasélis dut trouver bien des avantages dans sa situation, même si elle résultait d’enchaînements de circonstances qu’elle n’avait ni voulues ni maîtrisées. On comprend donc que les Phasélitains n’aient pas été trop pressés de passer dans le camp athénien : leurs intérêts commerciaux étaient prioritairement dans les trafics avec Chypre et l’Orient sous contrôle achéménide et ils avaient beaucoup à perdre à changer de camp. Il n’est même pas aventuré de penser que la convention judiciaire que leur accordèrent un peu plus tard les Athéniens, avec sur ce point le statut d’allié privilégié au même rang que les Chiotes, ait été conçue par les Athéniens comme une compensation pour les pertes qu’ils avaient subies dans leur commerce avec l’Orient : après leur passage dans l’alliance athénienne, les Phasélitains avaient nécessairement dû réorienter leur activité vers le commerce d’intermédiaires sur les marchés égéens, à l’instar du rôle qu’on leur voit jouer plus tard au ive s.

C’est ici le lieu d’ouvrir une parenthèse pour justifier cette vision des choses. On peut être tenté de penser que la guerre n’interrompait pas les échanges commerciaux[225]. En réalité, on ne doit pas douter qu’en cas de conflit, aussi bien pour le monde des cités que pour l’empire perse, la règle officielle était bien en principe la fermeture à l’adversaire. On doit cependant faire une distinction entre les commerçants et les objets de commerce. Dans le cadre de la Grèce des cités, l’état de guerre impliquait ipso facto l’arrestation de tous les ressortissants considérés comme ennemis. Dans les contrats commerciaux du ive s., on prévoit une clause indiquant de ne pas faire escale dans les ports où l’on peut exercer un droit de saisie contre la cité où a été conclu le contrat[226] : a fortiori va-t-il de soi qu’en cas de guerre il était impossible de fréquenter les ports du territoire ennemi. Nous avions souligné que les clauses d’inviolabilité et de neutralité (ἀσυλεὶ καὶ ἀσπυνδεί) concernaient les cités alliées de cités en conflit, mais pas les cités en conflit elle-mêmes[227]. Pour ce qui est des produits provenant du pays adverse, on voit que les cités pouvaient aussi prohiber les denrées venant de pays considérés comme hostiles, ou, en cas de guerre, déclarés ennemis. Le cas le plus net est évidemment celui de l’empire athénien, qui, du fait de sa structure, ses intérêts et ses méthodes de guerre et de gouvernement, fut capable de mener de véritables guerres commerciales contre les cités récalcitrantes à son autorité, au premier chef Mégare, épisode qui fut le casus belli de la Guerre du Péloponnèse[228].

Pour ce qui est des relations entre la Perse et les cités grecques, au moins s’agissant des hommes, il ne doit faire aucun doute que le principe de base était le même. Les commerçants grecs originaires de cités qui étaient en guerre avec la Perse y étaient donc sans aucun doute traités en ennemis. Jusqu’à la paix de Callias (449)[229], il va de soi que, sauf arrangement obtenu localement par quelque pot de vin à un représentant de l’autorité, tout commerçant venant d’Athènes ou d’une cité alliée d’Athènes qui se serait risqué dans un port tenu par l’empire achéménide aurait été immédiatement arrêté comme ennemi. Les marchands étaient naturellement considérés comme des espions potentiels et cela seul aurait pu suffire à justifier leur arrestation. En 491, pour connaître l’état des forces adverses, les Grecs coalisés durent envoyer des espions dans le camp perse, ce qui montre que les autres sources d’informations n’étaient pas disponibles[230]. Dans les situations de conflit, seuls les neutres pouvaient fournir des renseignements sur l’adversaire. Ainsi, en 397/396, alors qu’ils étaient en guerre avec la Perse, c’est par l’intermédiaire d’un Syracusain du nom d’Herodas, qui se trouvait en Phénicie avec un armateur, que les Lacédémoniens apprirent que le roi et Tissapherne étaient en train de préparer une grande expédition navale[231].

Contre cette manière de voir, on pourra cependant invoquer une anecdote rapportée par Hérodote (7.147). L’affaire se situe en 480, au moment où Xerxès faisait passer son armée en Europe. Alors qu’il se trouvait à Abydos, le roi vit des navires chargés de grain passer l’Hellespont, en route pour gagner Égine et le Péloponnèse. Or, selon Hérodote, au lieu de les faire saisir, il les laissa passer, au motif qu’ils se rendaient où ils allaient eux-mêmes, et en considérant que son armée aurait elle-même besoin de grain lorsqu’elle serait dans ces régions. En fait, le propos de Xerxès fait écho au dialogue entre le roi et son oncle Artabane, qui lui avait montré les dangers de pénurie de grain pour une armée aussi nombreuse, à quoi Xerxès avait répondu que son armée trouverait sur place la nourriture dont elle aurait besoin, car la Grèce n’était nullement un pays de nomades mais un pays de producteurs de blé (Hdt. 7.49-50).

Quelle qu’ait été l’attitude effective de Xerxès, il paraît clair qu’on à ici affaire à un logos sur l’hybris, la démesure de Xerxès, qui se voyait déjà maître de la Grèce d’Europe avant même d’avoir livré bataille. L’anecdote doit être mise au rang de celle qui veut que Xerxès ait fait frapper de verge l’Hellespont (voire l’avoir marqué au fer rouge) parce qu’une tempête avait détruit son premier pont de bateaux (Hdt. 7.56) ou refusé de tenir compte des prodiges inquiétants qui s’étaient manifestés lorsque l’armée était passée en Europe (Hdt.7.57). Il faut plutôt admettre que les Perses n’avaient pas coupé la route du blé venant du Pont Euxin parce qu’ils comptaient bien ainsi contribuer au ravitaillement de leur armée en marche vers le Sud de la Grèce, avec il est vrai le risque qu’une partie des navires, une fois passé l’Hellespont, ne gagnent pas le port qu’on leur avait signifié de rejoindre mais éventuellement leur destination initialement prévue, c’est-à-dire les cités tenues par les Grecs coalisés[232]. Au demeurant, on relèvera que la première réaction des conseillers de Xerxès en voyant arriver des navires susceptibles d’aller ravitailler Égine et le Péloponnèse avait été de les tenir pour “ennemis” et de se tenir prêts à les saisir[233] : il ne leur manquait plus que l’ordre du roi, ce qui montre assez ce qu’était la pratique ordinaire. C’est le contrordre de Xerxès, dont on a vu qu’à notre sens il fait partie du logos d’Hérodote sur l’hybris de Xerxès, qui, par son caractère exceptionnel, méritait selon Hérodote de retenir l’attention. En matière d’attitude observée à l’égard de commerçants originaires de pays ennemis, on ne devra donc nullement opposer à une attitude rigoureuse des Grecs un supposé “libéralisme” perse : tout indique que, pour les Grecs comme pour les Perses, commerçant ou pas, tout ressortissant du pays avec lequel on était en guerre était traité en ennemi.

Il est vrai que, apparemment, la documentation archéologique n’incite pas à penser que les choses étaient aussi tranchées. En réalité, avec des modalités pratiques qui méritent une justification particulière, la guerre nuisait directement aux échanges commerciaux. Les échanges entre le monde grec et le monde oriental à la fin de l’archaïsme et au début de l’époque classique ont à cet égard une valeur exemplaire. Si, en valeur, la céramique ne représentait qu’un élément marginal du commerce international, elle constitue néanmoins un marqueur précieux de l’intensité des échanges. Or, avec des rythmes divers, des céramiques attiques n’ont pas cessé d’être importées au Proche Orient et en Égypte, même à l’époque des Guerres Médiques[234]. Cette constatation paraît être en contradiction avec le principe posé précédemment. En effet, une telle continuité laisse supposer que les échanges entre Athènes et le monde tenu par les Perses n’étaient pas interrompus. Mais ces échanges n’impliquent aucun contact direct entre des commerçants athéniens et les ports de l’Orient achéménide. A cette époque, les commerçants ioniens jouaient un rôle décisif dans les échanges. De 545 à 479, sauf pendant la douloureuse parenthèse de cinq années de la Révolte de l’Ionie (entre 499 et 494), les cités ioniennes n’ont pas cessé de faire partie de l’empire perse. On ne doit pas douter que c’est par leur intermédiaire que purent se poursuivre les trafics entre le monde égéen, Athènes incluse, et les ports sous contrôle achéménide.

En revanche, dans le deuxième quart du ve s., entre c. 475 et 450, on constate une chute brutale des importations céramiques en Syro-Phénicie et à Chypre, un peu moins marquée seulement en Égypte[235]. Au même moment, l’arrivée d’argent grec se tarit[236]. Cette chute brutale des importations de céramiques et d’argent ne doit pas étonner[237]. Avant la reprise marquée après 450, elle correspond trop bien à la conjoncture politique de ces années pour qu’on puisse douter que la sortie de l’empire de l’ensemble de la Grèce d’Asie et la poursuite de la guerre aient eu pour conséquence l’interruption presque totale des échanges entre le monde grec égéen et le monde oriental tenu par la Perse. C’est tout simplement le contexte de guerre qui rendait impossibles les contacts directs ou indirects entre les cités de l’alliance athénienne et les ports de l’empire achéménide, faisant chuter de manière très importante l’arrivée des produits venant du monde égéen, dont la diminution des arrivages de céramique attique n’est que l’élément révélateur, et, de même, les taxes en argent versées par les commerçants. L’affaiblissement des cités d’Ionie dans cette période est certes d’abord lié aux suites de l’échec de leur révolte de 499-494, mais aussi aux conséquences de leur choix politique de 479 de quitter le camp perse : ce faisant, dans un contexte de guerre prolongée, elles s’étaient tout simplement privées elles-mêmes de leurs partenaires orientaux naturels qui, quant à eux, devaient par force rester encore dans l’empire. Les tentatives pour libérer Chypre ou pour provoquer la sécession de l’Egypte étaient donc aussi de l’intérêt direct des cités grecques d’Asie Mineure, qui auraient pu ainsi retrouver leurs partenaires naturels et on comprend qu’elles se soient fortement engagées dans ces opérations[238]. Après la déroute de 454 en Égypte et malgré les ultimes succès à Chypre en 449, l’échec de cette politique était patent. La Paix de Callias fut donc sans doute accueillie avec soulagement par les cités commerçantes d’Asie Mineure, mais entre temps Athènes était devenue une énorme puissance avec laquelle il n’était plus question de pouvoir se comparer. La guerre avait donc des effets directs sur le commerce et sur la prospérité des cités, comme le montre aussi la chronologie des exportations d’amphores de Chios au ve s. (Lawall 1998).

Le rôle de Phasélis apparaît maintenant en pleine lumière. Depuis 479 et jusqu’à la période 469-466, soit une douzaine d’années après la deuxième Révolte de l’Ionie, seule Phasélis continua à faire partie de l’empire. Il n’est pas très difficile d’imaginer comment des commerçants de cités grecques appartenant à l’alliance athénienne purent encore faire passer en contrebande à leurs vieux amis et partenaires phasélitains quelques produits qu’ils pouvaient souhaiter se procurer – mais évidemment les quantités ne pouvaient qu’être minimes. Certes, du côté perse, rien ne prouve qu’on ait à proprement parler banni tous les produits venus de l’autre côté de la mer, argent, métal ou bois par exemple, qui pouvaient même au contraire être utilisés dans la guerre comme matériaux stratégiques. Il se peut que l’empire perse ait eu sur ce point une attitude plus souple que l’empire athénien, où la pression commerciale était une véritable arme de guerre. L’origine des produits importés n’est pas indiquée dans le registre de douane de 475, ce qui peut laisser supposer qu’elle n’intéressait pas les contrôleurs de douane. Mais l’absence de la quasi totalité des intermédiaires grecs dans les ports orientaux eut manifestement les plus sérieuses conséquences sur les volumes échangés, qui, pendant le deuxième quart du ve s., tombèrent à un niveau dérisoire.

De la sorte, on peut aussi se faire une tout autre image de ce que fut le commerce égyptien et le rôle de Naucratis dans la longue période de guerre du début du ve s. Le fonctionnement de l’Hellénion fut à coup sûr paralysé à l’époque de la révolte de l’Ionie, entre 499 et 494 (et même 493, pour la (in ultime de la révolte). Il fut certainement de nouveau entravé entre 479 et 469-466, et même paralysé entre 469-466 et 449, avec la réserve qu’entre 459 et 454 il est fort probable que la communauté grecque de Naucratis ne dut pas manquer de nouer des contacts avec les forces d’Athènes et de ses alliées, qui représentaient une aubaine commerciale de premier ordre. Pour le commerce égyptien et oriental, Phasélis assura seule une activité mininum à Naucratis jusqu’à ce que, entre 469 et 466, la cité passât à son tour dans le camp athénien. Lorsqu’Hérodote put visiter l’Égypte après la paix de Callias[239], le fonctionnement de l’Hellénion avait donc été réactivé selon les bases institutionnelles qu’Amasis avait autrefois fixées (toutefois naturellement sans la concentration du commerce grec à Naucratis depuis la conquête de Cambyse), mais après trente années qui avaient presque paralysé les contacts entre le monde grec “libre” et l’Égypte sous contrôle achéménide.

Enfin, le document douanier d’Égypte illustre de manière concrète les importations venant d’outre-mer, les principales importations étant les métaux (fer, bronze, étain), le bois (entre autres sous forme de planches et de rames), le vin, l’huile parfumée et la laine, et même peut-être des vases vernissés vides[240] (de la céramique attique ?). Surtout, on voit les prélèvements fiscaux en or et en argent exigés des commerçants grecs par le fisc royal, qui explique sans doute pour une bonne part l’introduction d’argent grec, souvent monnayé, en Égypte[241], et sans doute aussi dans d’autres régions de l’empire, comme on serait tenté de le penser d’après les trésors de Syro-Palestine contenant des monnaies grecques.

LE STATUT DE NAUCRATIS

Dans une étude qui s’insère dans un vaste ensemble de travaux relatifs à la polis grecque archaïque et classique, Μ. H. Hansen s’est intéressé aux rapports entre les notions d’emporion et de polis, et s’est attaché plus particulièrement au cas de Naucratis[242]. Plusieurs des conclusions de notre article sur Naucratis[243] et de notre synthèse sur la notion d’emporion[244] y sont discutées. C’est ce débat engagé de la manière la plus courtoise par Μ. H. Hansen que nous voudrions ici poursuivre, tout d’abord en faisant le point sur la question de Naucratis près de vingt ans après la publication originelle, puis en replaçant le débat dans la perspective plus vaste de la définition et de la date d’apparition des emporia grecs.

Les conclusions de notre première étude portaient principalement sur trois points. Le premier était la distinction à établir entre résidents et passagers. Cette distinction est fondamentale et tout à fait évidente chez Hérodote 2.178-179, mais notre apport était de montrer que cette différenciation permettait d’expliquer deux documents du ve s. a.C., un décret de Lindos datant des années 440 ou 430 (Lindos, app. au nº 16) et un décret de la confédération rhodienne datant vraisemblablement de la période 412/411 - 408/407 (Lindos, 16), qui définissent le statut juridique des habitants de Naucratis, Grecs et Égyptiens. Le second était le fait que la gestion de l’Hellénion, le sanctuaire principal de la ville, était aux mains de neuf cités, et que c’étaient ces dernières, en tant qu’États, et non de manière informelle leurs représentants sur place, qui envoyaient périodiquement des délégués, les prostatai de l’emporion. On retrouvait donc là un fonctionnement de type amphictionique, bien connu en particulier pour l’amphictionie pyléo-delphique et sa gestion du sanctuaire de Delphes. Le troisième point était que Naucratis n’avait manifestement pas été une cité au moins jusqu’à la fin du ve s., la situation du ive s. étant plus incertaine.

Sur le premier point, si l’on s’accorde toujours à admettre comme essentielle la différence entre résidents et passagers, il est clair que l’importance des documents rhodiens pour la détermination du statut juridique de Naucratis jusqu’à la fin du ve s. n’a toujours pas été reconnue et c’est un point sur lequel il va falloir revenir. Pour ce qui est ensuite de la gestion du sanctuaire de l’Hellénion par des représentants des cités, et non par les marins et commerçants de passage à Naucratis originaires de ces cités, il semble que cette vision des choses soit maintenant acceptée[245]. C’est en fait surtout la question du statut de Naucratis et la question de savoir si cet établissement était ou non une cité qui semble avoir retenu l’attention. A nos yeux, cette question n’était pas centrale, ou plutôt la solution du problème découlait logiquement des analyses sur le statut juridique des résidents et des passagers.

Pour Μ. H. Hansen, Naucratis était une cité au moins dès l’époque d’Hérodote. En laveur de ce point de vue sont avancés quatre arguments principaux, mais dont aucun ne peut emporter la conviction.

— Le premier est fondé sur l’analyse des inscriptions et des monnaies de bronze. Tout le monde admet que Naucratis devint une cité au plus tard avec Alexandre. Le problème est donc de savoir si le passage au système civique précéda Alexandre.

Μ. H. Hansen évoque tout d’abord le “décret honorifique” de la fin du ive s. OGIS, 120, qui commence par ἡ πόλις ἡ Ναυκρατιτ[ῶν]. En réalité, même avec cette datation, l’inscription ne serait d’aucun secours car le problème demeurerait de savoir si l’inscription était ou non antérieure à Alexandre. Mais il y a plus grave : ce document, qui n’est pas un décret mais une dédicace en faveur d’un συγγραφοφύλαξ, date indubitablement de la période hellénistique, plus précisément de la période 181-146 a.C. selon W. Dittenberger[246]. Comment pourrait-il avoir le moindre intérêt pour le problème considéré ?

Est ensuite avancé l’argument des monnaies de bronze à légende NAY trouvées à Naucratis ou dans le voisinage de la ville. Pour Μ. H. Hansen, citant B. V. Head “they are undated, but ‘the style is that of the fourth century’” (avec citation de Head dans Hist. Num.2, 845). Dans notre première étude avait été rappelée l’existence de ces monnaies, portant la légende ΑΛΕ, qui nécessairement dataient de l’époque d’Alexandre[247]. Leur examen a été repris ex novo par G. Le Rider[248] : ces monnaies portaient (sans doute) au droit une tête d’Alexandre avec légende ΑΛΕ et au revers une tête féminine avec légende NAY. Elles montrent donc que Naucratis avait un monnayage à usage local à l’époque d’Alexandre mais ne sont évidemment en rien une preuve de l’existence d’une cité avant cette date.

On relèvera en revanche que, à la suite de E. T. Newell[249], G. Le Rider signale l’existence d’une obole d’argent aux types d’Athènes (avec une Athéna à l’œil de profil) et à la légende NAY, au lieu de ΑΘΕ. G. Le Rider suggère que cette émission pourrait également avoir été effectuée à l’époque de Cléomène, en même temps que les bronzes. On conçoit au reste aisément comment Cléomène maître de la satrapie d’Égypte aurait pu favoriser sa petite patrie et l’encourager à frapper monnaie. Cependant, G. Le Rider insiste aussi sur l’importance des émissions de tétradrachmes aux types d’Athènes, très vraisemblablement émis par les pharaons indépendants après 404[250], puis, à coup sûr cette fois, par Artaxerxès III et par les satrapes perses dans l’Égypte reconquise après 343[251]. On suggérera donc avec la prudence de rigueur que, du fait de la similitude des types, l’obole naucratite pourrait aussi avoir été émise à la même époque que les monnayages originaires d’Égypte imitant les monnaies d’Athènes. Si tel était le cas, on aurait éventuellement un argument positif en faveur de l’existence d’une communauté civique en Égypte au ive s. avant Alexandre. On voit combien l’argument est encore ténu, mais qu’en tout état de cause ce ne sont pas les bronzes qui l’apportent.

— Μ. H. Hansen insiste aussi sur le fait qu’Hérodote 2.178 fait usage du terme polis lorsqu’il mentionne Naucratis. Or, selon lui, même si en l’occurrence manifestement c’est le sens de “ville” qui est le bon, Hérodote n’aurait pas employé ce mot si cette ville n’avait pas aussi été une cité, agissant en cela, toujours selon M. Hansen, comme les autres auteurs d’époque classique : telle est la lex Hafniensis qui est avancée pour justifier cette proposition[252]. Plusieurs arguments peuvent être opposés à ce point de vue.

Tout d’abord, on doit relever que l’idée que l’emploi du mot polis chez les auteurs classiques aurait répondu à des critères aussi rigoureux paraît plus que douteuse. Il suffira ici d’examiner ce qu’il en est avec Hérodote, chez qui le mot renvoie couramment à des villes barbares. La chose est évidente dans le livre II à propos de l’Égypte où une multitude de villes du pays sont désignées comme poleis[253]. Le livre II, consacré en totalité à l’Égypte, contient proportionnellement le plus grand nombre de mentions du mot polis, 100 sur les 469 mentions dans la totalité de l’œuvre. A 53 reprises le mot est employé seul, à 47 reprises en apposition pour désigner spécifiquement une ville, par exemple Memphis (Μέμφις πόλις[254]) ou Éléphantine (Ἐλεφαντίνη πόλις[255].) Ces villes n’étaient évidemment pas des états-cités de type grec, et Hérodote n’avait pourtant aucun scrupule à les désigner comme poleis. Au reste, Hérodote n’est pas le seul auteur d’époque classique à propos duquel on puisse faire la même observation. On relèvera ainsi l’emploi du mot polis chez Xénophon (Anab., 1.2.14-18) lors de la description de l’itinéraire de Cyrus pour Tyriaon, en Lycaonie (entre la future Antioche de Pisidie et Iconium). Or, si besoin était, une inscription récemment publiée montre de la manière la plus claire que la ville ne devient une polis grecque (avec ses tribus, ses lois, etc.) qu’à l’époque d’Eumène II (197-159), au IIe s. a.C. : en effet, la ville reçoit alors πολιτείαν ǀ τε καὶ νόμους ἰδίους καὶ γυμνάσιον καὶ ὅσα τούτοις ἔστι ǀ ἀκόλουθα[256]. L’idée que l’emploi du mot polis à l’époque classique suggère toujours l’existence d’une cité est en réalité intenable. La mention de Naucratis Ναύκρατις πόλις (Hdt. 2.178) entre dans une série d’où l’on ne peut tirer aucun argument sur le supposé statut de cité de cette ville.

Au reste, ce jugement est conforté par une inscription de l’époque de Psammétique Ier, dans la deuxième moitié du viie s où l’on trouve le mot employé pour désigner une ville donnée en récompense à un Grec de Priène, sans doute un mercenaire qui s’était distingué au service de pharaon, et qui au retour dans son pays fit une dédicace d’une statuette à l’égyptienne rappelant les bienfaits du roi : Πηδῶμ μ’ ἀνέθηκεǀν ὡμφίννεω : ἐξ Αἰγǀύπτὠγαγὼν : ὦι βαǀσιλεὺς ἔδωo’ὡιγύπǀτιος : Ψαμμήτιχοǀς : ἀριστήιια ψίλιοǀν τε χρύσεον καὶ ǀ πόλιν ἀρετῆς ἕǀνεκα. Il est frappant de constater que précisément le roi ait “donné une ville”, par quoi il faut donc certainement entendre autre chose qu’un simple village, c’est-à-dire sans doute la charge de gouverner cette ville[257]. On ne peut qu’être frappé de l’étroit parallèle formulaire entre Hérodote et le texte de l’inscription. Bien évidemment, cette polis n’était pas une cité-État. Il est regrettable que Μ. H. Hansen n’ait pas connu ce texte qui aurait pu l’amener à des conclusions différentes de celles qu’il a prononcées.

— En troisième lieu. Μ. H. Hansen s’appuie sur les ethniques pour montrer que, dès le ve s., et a fortiori au ive s., on employait l’ethnique de Naucratis comme un ethnique civique. Il s’appuie pour cela sur une série d’inscriptions portant l’ethnique Ναυκρατίτης, selon lui du ve et du ive s. Il présente alors une critique de nos analyses en considérant que le lieu de provenance des inscriptions n’y avait pas été pris en compte : pour Μ. H. Hansen, les ethniques Μεμφίτης et Δαφναΐτης, attestés en Égypte, ne sauraient être mis sur le même pied que les occurrences de Ναυκρατῖται attestées en Grèce propre, cela non seulement dans des documents privés mais aussi dans des documents officiels, comme les listes de donateurs du sanctuaire de Delphes CID, II, 4, de 360 a.C. (col. 1, 1. 37 ; 3, 1. 21 et 24) et a fortiori le décret de proxénie attique IG, II2, 206, de 349/348.

En fait, on peut aisément montrer que le problème ne se pose pas dans les termes indiqués par Μ. H. Hansen. Relevons tout d’abord que l’inscription funéraire de Διονύσιος Πορμένοντο[ς] IG, II2, 9984, traditionnellement datée de la fin du ve s., est en réalité certainement une inscription du ive s. En effet, ce n’est qu’avec de sérieux doutes que J. Kirchner (IG, II2) l’attribuait au ve s.[258] L’inscription n’est pas reprise dans IG, I3 : ce texte doit en fait dater de la première moitié du ive s. Surtout, on doit observer que M. H. Hansen n’a pas tenu compte du statut des οἱ ἐν Αἰγύπτῳ οἰκοῦντες Ἕλληνες, de l’apparition de cette formule aussi bien sous la plume d’Hérodote que dans le décret de proxénie lindien Lindos, 16 app., c’est-à-dire dans un document officiel. Ainsi, Μ. H. Hansen n’évoque pas ce qui était le point central de notre analyse, si bien qu’un lecteur non prévenu en est malheureusement laissé dans l’ignorance. Dans notre étude de 1991, nous étions revenu sur cette question, en montrant que la formule n’était pas banale, mais tendait à montrer que les Grecs d’Égypte dans leur ensemble – selon nous, y compris les Naucratites, qui formaient l’élément majeur de cette communauté –, étaient considérés comme les “métèques de l’Égypte”[259]. On doit en effet accorder une signification bien précise à la formule οἱ ἐν Αἰγύπτῳ οἰκοῦντες Ἕλληνες qui apparaît tant dans le décret lindien Lindos, 16 app., que chez Hérodote 2.180. En fait, la formule “ethnique + οἰκῶν ἐν + nom de dème” est la manière ordinaire de désigner les métèques à Athènes, qui doivent s’inscrire dans le dème de leur résidence[260]. Dans le cas d’Athènes, certes, ces formulaires ont manifestement une signification limitée au cadre athénien, et pas à proprement parler une valeur juridique internationale[261]. En revanche, à l’époque hellénistique, à Délos ou à Delphes en particulier, on trouve des catégories d’étrangers qui sont désignés comme οἰκῶν ἐν Δήλωι ou ἐν Δελφοῖς et cette fois la formule ne peut avoir seulement une valeur interne mais a clairement une signification juridique à caractère international[262]. Telle était déjà manifestement aussi la valeur de la désignation ἐν Αὶγύπτῳ οἰκῶν d’Hérodote et, surtout, du décret lindien. Si l’on ne prend pas en compte cet aspect des choses, on manque un point décisif pour la compréhension du statut de Naucratis.

Nous avions donc posé la question de savoir si ce qui était à nos yeux un changement de désignation – de ἐν Αἰγύπτῳ οἰκῶν à Ναυκρατίτης – avait ou non une signification pour le statut de la communauté grecque de Naucratis. Nous soulignions aussi l’existence de cette curieuse précision Ναυκρατίτης ἐξ Αἰγύπτου, non seulement dans une inscription de Delphes mais aussi dans une inscription d’Ios qui avait été publiée par Fr. Lenormant (IG, XII.5, l9) et dont l’authenticité avait été mise en doute du fait des manquements à la déontologie dont ce savant s’était rendu responsable.

— Reste enfin le cas d’un passage d’Athénée (4 149d) où se trouve cité un texte relatif aux fêtes de Naucratis, œuvre d’un auteur nommé Hermeias. A Naucratis, on faisait un banquet au prytanée lors des fêtes anniversaires d’Hestia Prytanitis et aux Dionysies, ainsi que lors de la fête d’Apollon Kômaios, tout le monde revêtant alors une robe blanche, que dit-il “jusqu’à aujourd’hui on appelle vêtements prytaniques”. Athénée décrit ensuite les rites et pratiques alimentaires liées à ces fêles, puis fait diverses allusions à l’usage du prytanée pendant le reste de l’année (on peut y banqueter quand on le souhaite et son accès est interdit aux femmes).

Pour ce qui est de cet Hermeias anonyme, Μ. H. Hansen considère qu’il s’agit d’un auteur du ive s., Hermeias de Méthymna[263]. Athénée connaît plusieurs Hermeias : l’un de Méthymna, un historien du ive s. a.C., l’autre de Kourion, un poète iambique du iiie s. a.C., un troisième de Samos, auteur d’un erôtikos logos qui vécut c. 200 a.C.[264] Pour Μ. H. Hansen, l’historien est un meilleur candidat que le poète et le rhéteur et le lien doit être avec Hermeias de Méthymna, car le sanctuaire d’Apollon Gryneios, en Éolide, n’était pas très éloigné de Méthymna, en Éolide aussi. Les allusions au prytanée montreraient qu’à cette époque, et depuis longtemps (cf. μέχρι καὶ νῦν), les Naucratites disposaient d’un prytanée – donc qu’ils constituaient bien une cité depuis l’époque archaïque.

Hermeias de Méthymna est l’auteur d’une histoire de Sicile en 10 ou 12 livres[265]. Il est effectivement bien possible qu’il ait vécu au ive s. On notera cependant avec Μ. H. Hansen lui-même que F. Jacoby n’incluait pas le fragment en question dans ses FGrHist. Remarquons cependant que cet Hermeias connaissait fort bien Naucratis, pour en décrire aussi bien les rites et usages. C’est cela qui a retenu l’attention d’Athénée, lui aussi originaire de Naucratis. Le sanctuaire d’Apollon Gryneios était assez célèbre et son importance régionale ne saurait être niée[266]. Un oracle du dieu apparaît dans une inscription de Caunos du ier s. a.C.[267] Bien qu’on ne puisse exclure totalement qu’il ait existé depuis des époques anciennes, cet oracle ne paraît avoir connu une certaine vogue qu’à l’époque hellénistique et à la haute époque impériale. L’Hermeias qu’Athénée peut citer sans mentionner son ethnique, qui tout en écrivant un traité sur Apollon Gryneios connaît si bien Naucratis, est-il donc vraiment Hermeias de Méthymna, comme le voudrait Μ. H. Hansen ? Ne pourrait-il être le poète de Samos ? Ou bien encore – on tiendrait là la raison pour laquelle son ethnique n’aurait pas été donné par son compatriote – un auteur qui serait resté inconnu mais qui, comme Athénée, aurait été lui aussi un Naucratite ? En tout cas, le style d’antiquaire et le μέχρι καὶ νῦν, par référence au lointain passé de la cité, paraissent devoir mieux convenir à quelque écrivain de la basse époque hellénistique ou du haut empire qu’à un auteur d’époque classique. On se gardera donc d’y voir la preuve de l’existence d’un prytanée civique au ive s. (même si cela n’interdit pas de penser qu’il ait pu y en avoir un à cette date), mais surtout de conclure qu’un prytanée aurait existé dès l’époque archaïque, donc que la communauté grecque de la ville aurait été une cité dès l’époque archaïque.

Faute de ce que nous considérions pouvoir être une preuve définitive, et tout en penchant pour l’idée que le changement de statut ne s’était effectué qu’avec l’arrivée d’Alexandre, nous avions laissé la question ouverte, car l’existence de l’ethnique nous paraissait être une condition nécessaire mais pas suffisante, pour conclure de manière certaine à l’existence d’une cité au ive s. du fait des particularités du cas de Naucratis. L’obole dont il a été suggéré plus haut qu’elle pourrait être antérieure à Alexandre constitue précisément l’élément qui fait pencher la balance du côté de l’existence de la cité. Comme on voit en outre dans le document de Delphes que les Naucratites apparaissent dans une série des poleis qui sont cette fois indubitablement des cités[268], nous opterions maintenant pour la transformation du statut de Naucratis au cours du ive s., mais qui était alors une polis dépendante au sens de la définition de Μ. H. Hansen[269], d’où peut-être la formulation Ναυκρατίτης ἐξ Αἰγυπτου. Nous maintenons donc l’essentiel de nos positions, tout en les précisant pour ce qui est de la date de la transformation de Naucratis en cité (nous revenons ailleurs sur ce point dans une autre étude).

LES EMPORIA ARCHAÏQUES ET CLASSIQUES : QUESTIONS DE MÉTHODE

Nous avons eu récemment l’occasion d’évoquer en détail notre point de vue sur la notion d’emporion[270]. ‘Il est inutile de reprendre ici les résultats de notre mémoire, mais il est en revanche nécessaire de faire une mise au point méthodologique. Μ. H. Hansen a consacré une élude détaillée à la question du rapport entre emporion et polis[271]. Bien que le point de départ de nos deux études soit différent, leurs conclusions se rejoignent très largement, en particulier sur la nécessité de ne pas être dupe des sources anciennes. Si un site est décrit dans une source comme un emporion, cela ne veut nullement dire qu’il n’avait pas de statut civique. Sur ce point, notre accord est total. Au reste, comme on y a déjà insisté, c’est la volonté de donner une définition simple et univoque de la notion d’emporion qui est irréaliste[272]. Tout notre effort a consisté non pas à dresser une “typologie” des sites, mais à construire l’espace de signification de l’emporion par le jeu des oppositions sémantiques sur ce que nous avons appelé l’axe de la vie commerciale et l’axe de la vie politique. C’est seulement par rapport à ces deux axes de signification que nous avons été amenés à proposer ponctuellement une typologie, mais sans jamais affirmer l’existence d’une “essence” de l’emporion qu’il suffirait de “définir” une fois pour toutes, pour pouvoir ensuite “identifier à coup sûr” tel ou tel établissement soit comme emporion, soit comme polis. Bien au contraire – en cela encore une fois nous sommes en plein accord avec Μ. H. Hansen-, nous avons souligné que la plupart des sites qui apparaissent dans une source comme des emporia parce qu’ils sont pris en compte sous l’angle de la vie économique ou (aspect non moins important) de la dépendance financière sont ailleurs désignés comme des poleis parce qu’ils sont envisagés dans leur dimension politique. En d’autres termes, notre démarche a consisté à utiliser une sémantique fondée non pas sur la recherche de l’unité signifiante (ce que d’aucuns ont appelé des sèmes), mais sur les jeux d’opposition, le sens apparaissant par contraste avec d’autres termes situés sur le ou les même(s) axe(s) de signification.

Au delà du cas de Naucratis, M. H. Hansen pose la question de l’existence de l’emporion – le mot et la chose-, à l’époque archaïque[273]. Selon lui, le mot n’apparaîtrait qu’avec Hérodote. Partant de là, Μ. H. Hansen considère que le concept d’emporion au sens de “place de commerce” ne serait qu’un sens dérivé du sens premier de “port de commerce”, institution qui ne serait elle-même apparue qu’avec la différenciation au sein des cités entre commerce de détail, concentré à l’agora, et commerce de gros, concentré dans l’emporion - port de commerce, dont Le Pirée constitue l’exemple le mieux connu. De fait, l’emporion pure “place de commerce” distincte d’une polis ne serait qu’une création des historiens contemporains et n’aurait pas correspondu à une réalité antique. La règle serait donc : pas d’emporion sans cité, et cela dès les origines. Comme le concept d’emporion ne serait apparu qu’à l’extrême fin de l’archaïsme ou au début du ve s., Hérodote aurait commis un véritable anachronisme en utilisant le mot pour désigner Naucratis – et de toute façon Naucratis aurait été une cité dès l’époque d’Amasis au moins.

Cette thèse originale mérite d’être examinée en détail[274]. Au plan méthodologique, on ne peut que souscrire à une tentative de renouveler une problématique de manière radicale, en reprenant la question de l’emporion sur des bases nouvelles. En outre, on ne peut qu’approuver le principe d’essayer de donner un contenu précis à un concept, en le replaçant dans son développement historique. Il est clair par exemple qu’à l’époque romaine la notion d’emporion ne recouvre plus celle de l’époque classique et hellénistique[275]. Cependant, même si l’intention est a priori intéressante, c’est encore une fois le détail de la démonstration avec lequel on ne peut être d’accord.

Comme le montre Μ. H. Hansen lui-même à propos de Thucydide (mais la même remarque vaudrait pour Hérodote, Xénophon ou Strabon), l’emploi du mot emporion est statistiquement ultra-minoritaire chez ces auteurs par rapport à l’emploi du mot polis[276]. Vu le très faible nombre de textes en prose que l’on possède avant Hérodote (textes épigraphiques essentiellement), les chances d’apparition du mot avant le ve s. sont donc minimes. En outre, on ne peut même être sûr que le texte d’Hécatée, donc antérieurement à Hérodote, ne faisait aucun mention d’un emporion. On doit en effet compter avec le filtre d’Étienne de Byzance. Μ. H. Hansen a considéré qu’Étienne n’avait pas fait subir de distorsion notable à Hécatée[277]. Cependant, il relève lui-même à propos du site d’Eion un trait qui pourrait avoir plus d’importance qu’il n’y paraît[278]. En effet, Eion, certes mentionnée comme polis par Hérodote (7.1 13.1), est mentionnée 14 fois par Thucydide, une fois comme emporion (4.102.3), 13 sans désignation particulière[279]. Or, citant explicitement Thucydide, Étienne indique s.v. Ἡιών· πόλις ἐν χερρονήσῳ, ὡς Θουκυδίδης. On a donc la preuve qu’Étienne pouvait bel et bien transformer sa source, et cela précisément à propos du mot emporion : quelle meilleure preuve peut-on espérer trouver ? Or, si Hécatée avait lui aussi employé le terme emporion, on peut présumer que par rapport à polis cet emploi était minoritaire chez lui comme chez ses successeurs. De ce fait, on ne peut en aucun cas affirmer que le mot emporion était inconnu d’Hécatée. Au reste, à titre de remarque méthodologique générale, il faut bien constater qu’avant Hérodote la prose grecque n’est représentée que par un nombre de textes qui est quantitativement dérisoire par rapport a celui des époques suivantes. La plus grande partie du lexique grec n’est attestée dans nos sources qu’à partir de la deuxième moitié du ve s. et au delà, cela ne veut pas dire que les mots qui ne sont pas attestés avant cette date n’existaient pas auparavant : en l’occurrence, l’argumentum e silentio est argument de bon sens. On doit doit donc être prudent avant d’affirmer que tel mot n’existait pas avant qu’il n’apparaisse chez Hérodote sous peine de risquer de tomber dans des simplifications excessives.

Mais les faits contredisent aussi l’idée d’une apparition tardive du mot et du concept d’emporion. Considérant donc que le mot n’est attesté qu’avec Hérodote, Μ. H. Hansen repousse ainsi l’idée que la ville d’Emporion, en Ibérie, ait pu porter ce nom avant une époque assez avancée et en tout cas considère que ce nom n’est pas attesté avant le ive s. a.C., avec référence au Ps-Skylax et aux monnaies à légende ΕΜΠ[280]. La désignation Emporion ne serait qu’une métonomasie tardive de la fondation de Pyrènè, qui serait le nom originel de la colonie[281]. Mais, si besoin en était, deux inscriptions publiées ces dernières années, largement discutées dans la communauté scientifique, ont permis de montrer que, bien avant le ive s., Emporion était bien désignée sous ce nom. Il s’agit de lettres sur plomb, l’une provenant d’Emporion[282], l’autre de Pech Maho[283], sur la côte languedocienne française. La date de ces inscriptions est discutée : la lettre d’Emporion a été datée de 530-500 a.C par ses premiers éditeurs, la date étant abaissée à la fin du ve s. par S. R. Slings[284] ; pour le plomb de Pech Maho, deuxième tiers du ve s. selon les premiers éditeurs[285], mais premier tiers selon Yu. Vinogradov[286]. En tout état de cause, ces inscriptions sont donc largement antérieures au ive s. et pourraient éventuellement remonter à la fin de l’archaïsme, même si en ce domaine aucune certitude ne peut être atteinte. Si la fondation d’Emporion remonte à c. 590-580 a.C., il n’y a nulle raison de douter que ce qui était fondamentalement un comptoir commercial ait dès l’origine porté le nom d’Emporion. L’hypothèse de la métonomasie, qui au demeurant n’avait déjà aucun élément positif en sa faveur, doit donc être définitivement repoussée.

Or, le parallèle de l’emporion de Thrace intérieure, près de Vetren, montre de la manière la plus claire comment fonctionnait un établissement de type commercial vivant en symbiose avec le monde barbare, avec des résidents et des marchands de passage sous la protection de cités tutélaires[287]. Toutes proportions gardées, cet emporion était en quelque sorte la Naucratis de la Thrace intérieure, les ἐμπορῖται correspondant aux οἰκοῦντες Ἕλληνες de Naucratis. et les trois cités de Maronée (avec un rôle déterminant), Thasos et Apollonia y jouant en quelque sorte le rôle dévolu en Égypte aux neuf cités de l’Hellénion. Le parallèle est trop net pour qu’on puisse ne pas être frappé par le parallèle structurel. Or, la leçon de l’emporion de Thrace est double : les résidents se désignent eux-mêmes comme des ἐμπορῖται, ils ne forment évidemment pas une cité puisqu’ils vivent au contact immédiat et sous le contrôle direct du roi thrace. On sait qu’à Emporion d’Ibérie, les indigènes étaient présents sur le site certainement dès avant l’arrivée des Grecs. Les travaux de synthèse de P. Rouillard ont montré qu’à ses origines (vers 590-580) Emporion était un établissement plus que modeste[288] : seulement quelques installations sur l’îlot de la Palaiapolis. Même lorsque l’installation se fit sur le continent (vers 580-570), la Neapolis n’eut jamais une surface de plus de deux hectares. En outre, la cohabitation entre Grecs et indigènes – comme dans l’emporion de Thrace, et comme à Emporion-Tanaïs[289] – fut un trait permanent de la ville jusqu’à une époque avancée. Un texte fameux de Tite Live (34.9) insiste à la fois sur le caractère de ville double de l’Emporion d’Ibérie et sur le souci permanent des habitants d’Emporion de se défendre contre une possible attaque de la part des indigènes[290]. De même, il faut encore une fois souligner que Naucratis n’était pas une ville purement grecque mais une ville double, à la fois grecque et égyptienne, et cela loin à l’intérieur des terres.

Μ. H. Hansen veut faire de l’emporion de Thrace un cas à part, isolé, alors que l’inscription montre au contraire de manière concrète comment s’organisait une collectivité de commerçants grecs au contact du monde barbare, et en particulier quelles garanties juridiques elle exigeait pour sa survie et la poursuite de ses activités s’il y avait sur place une autorité de type étatique avec laquelle il fallait composer. Le parallèle entre les ἐμπορῖται – qui deviennent des Ἐμπορῖται puisque le nom commun devient nom propre – de Péninsule Ibérique, de Thrace et du Tanaïs est trop clair pour qu’il soit nécessaire d’y insister. On relèvera au passage que les ἐμπορῖται de l’emporion de Thrace ne se considéraient pas eux-mêmes comme une cité : il leur aurait fallu l’autarkeia à laquelle aspirait tout communauté grecque, mais qui passait d’abord par la capacité à assurer sa propre défense[291]. C’est en ce sens que la démarche de Μ. H. Hansen est intéressante, car elle met l’accent sur ce trait fondamental de la société grecque : la recherche d’institutions politiquement autonomes, la volonté, si cela était possible, de devenir un État-cité. Platon disait par boutade qu’il suffisait en théorie de quatre ou cinq hommes pour faire une cité[292], En fait, il fallait que l’établissement atteigne une certaine masse critique et aussi que les conditions politiques s’y prêtent, c’est-à-dire qu’il n’y ait pas eu localement une population indigène majoritaire et un pouvoir politique fort interdisant, ou bloquant provisoirement, le développement du processus. Dans l’emporion de Thrace de Kotys comme à Naucratis jusqu’à la fin du ve s., il ne pouvait être question qu’une telle communauté politiquement autonome puisse voir le jour. Les Grecs de Naucratis, jusqu’à la lin du ve s., étaient donc définis juridiquement comme les “métèques de l’Égypte”. On se souviendra alors de la définition d’Hesychius, s.v. ἐμπορῖται· μέτοικοι[293]. Résider dans un emporion (dans le cas où la désignation s’oppose implicitement à polis), c’était donc être membre d’une communauté qui n’avait pas de statut civique. Si comme l’indique Hérodote tous les Grecs venant en Égypte pouvaient s’installer à Naucratis, selon la définition de Μ. H. Hansen[294] lui-même on trouve là la preuve que la communauté en question n’était pas une cité, puisqu’elle n’était pas maîtresse des règles d’appartenance au groupe, qu’elle ne pouvait elle-même définir qui en serait membre et qui ne le serait pas. Plus tard seulement, avec des modalités différentes dans chacun des cas, on assiste au passage à une communauté plus autonome qui devient une cité en fonction de son développement et des circonstances politiques, le critère décisif étant naturellement l’existence d’un véritable corps civique et non plus une simple communauté ouverte où tout un chacun pouvait s’agréger à sa guise.

On voit que la thèse de M. H. Hansen sur l’apparition tardive du concept d’emporion est intenable : si l’Emporion d’Ibérie portait ce nom dès l’époque archaïque et manifestement pour les mêmes raisons que dans l’emporion de Thrace, si Naucratis, désignée comme emporion par Hérodote, avait des structures de fonctionnement identique à l’emporion de Thrace, bref si et le mot et la chose existaient dès l’époque archaïque, on voit que c’est le fond de la thèse de Μ. H. Hansen qui ne peut être accepté. Le concept d’emporion n’est pas une création du ve s. mais bien de l’époque archaïque. D’une part, le terme désignait sans doute déjà le port marchand dans le cadre d’une cité ou d’un État. S’il fallait dessiner une histoire du concept d’emporion comme lieu où les échanges se faisaient sous le contrôle d’une autorité légale, ce n’est pas à la cité classique qu’il faudrait attribuer cette innovation, mais déjà au monde de la Grèce archaïque. Dès l’époque de Solon, donc dès le début du vie s., Athènes avait connu une structuration de ses échanges extérieurs qui avait donné à la cité un rôle décisif de contrôle[295]. D’autre part, de manière plus lâche, on pouvait désigner comme emporion tout établissement dont la vocation principale était le commerce, en particulier cette poussière de petites installations parfois de quelques dizaines de familles qui cultivaient quelques terres tout en traitant de denrées avec les indigènes, qu’ils revendaient aux commerçants de passage, des Ioniens surtout à cette époque. Ce n’est nullement un hasard ou un anachronisme si les sources (Hérodote pour Naucratis, Tite Live pour Emporion, l’inscription mentionnant les privilèges de l’établissement et les témoignages archéologiques pour l’emporion de Thrace) font usage du mot emporion. Hérodote n’a nullement projeté dans le passé un concept de son temps : il y a plus simplement continuité entre le vie s. et le ve s. Les historiens de notre temps se trouvent donc eux aussi légitimés à évoquer les emporia de la Grèce archaïque[296].

La controverse sur Naucratis et sur la notion d’emporion fait surtout apparaître la différence de méthode entre une approche philologique globalisante et une méthode historique qui s’attache aux définitions juridiques[297]. S’il suffit qu’un site, même non-grec, même en Égypte ou au cœur de l’Asie Mineure et au vie ou au ve s. a.C., soit dénommé polis (clairement au sens de ville) pour qu’il soit défini comme “city-state”, il est clair qu’il y a là une approche dont l’historien pourra difficilement se satisfaire. L’École de Copenhague rend un immense service en rassemblant une masse d’informations d’une richesse exceptionnelle sur les poleis grecques ou assimilées. Espérons donc que les définitions qu’elle a élaborées prendront une forme plus nuancée, plus soucieuse à la fois des réalités de terrain et des définitions juridiques, sans toujours vouloir faire entrer de force des réalités éminemment diverses dans un moule conceptuel forgé sur des modèles philologiques. Il y a suffisamment d’occurrences où, compte tenu du contexte, le mot polis renvoie à la notion de cité-État pour qu’on puisse se passer d’une règle qui affirme qu’il en est ainsi dans tous les cas.

Chapitre III. La coupe d’Arcésilas

La fameuse coupe laconienne dite “coupe d’Arcésilas” présente une scène narrative particulièrement remarquable[298]. Grâce aux travaux de Fr. Chamoux, dont l’apport a été décisif, ainsi qu’à ceux de E. Simon, l’interprétation des principaux éléments du dispositif scénique ne fait plus de doute[299].

L’ensemble est représenté sur deux registres, un registre principal à la partie supérieure qui occupe la plus grande partie de la coupe ; un registre secondaire à la partie inférieure (voir fig. 1.) Sur le registre principal, à gauche de la scène, le roi de Cyrène, Arcésilas II sans doute, est assis sur un tabouret pliant finement travaillé[300]. Il est vêtu d’un long chiton blanc et, par dessus, d’une sorte de manteau ouvert noir à bandes pourpres, avec une bande à motif brodé à la partie inférieure. Il a une barbe longue et peignée. Ses cheveux très longs tombent derrière son dos. Lui seul porte un chapeau, de forme conique. Une étole pourpre lui ceint les reins et revient sur ses bras. Il a aux pieds d’élégantes chaussures aux bouts recourbés et un sceptre à la main gauche. Sous son siège veille un petit guépard (ou un chat ?) pourvu d’un collier : il s’agit donc de la représentation d’un animal domestique d’Arcésilas, non d’un simple motif décoratif[301]. Enfin, il est installé sous un dais de toile blanche dont on distingue parfaitement les éléments de fixation, l’un d’entre eux étant rattaché à une sorte de poutre servant de support horizontal (qui soutient aussi la balance servant aux pesées).

La disposition de la scène suffit donc à montrer qu’Arcésilas en était le personnage principal, le maître des lieux, celui pour qui l’opération de pesée représentée était effectuée. L’inscription à son nom à droite de sa tête, qui l’identifie comme le roi Arcésilas, ne fait qu’apporter confirmation de ce rôle.

Les huit autres personnages, cinq sur le registre principal, trois sur le registre secondaire, sont affairés à leur tâche. Ils sont représentés légèrement plus petits (franchement plus petits pour ceux du registre inférieur). Leurs vêtements sont simples et paraissent être des vêtements de travail. Trois des personnages du registre supérieur sont torse nu, un autre porte une tunique à manches courtes (pour l’un des portefaix, dont l’image est en partie effacée, on ne peut rien dire de son vêtement). Le garde du registre inférieur porte un manteau et les deux porteurs de ballots une tunique à manches courtes. Aucun des huit personnages en question ne porte un chapeau ou des chaussures.

Devant le roi, trois personnages sont occupés à effectuer une opération de pesée, un autre, immédiatement devant Arcésilas et tourné vers lui, est manifestement en train de lui indiquer quelque chose, puisque son index est pointé vers le roi, qui lui même a le bras droit tendu en sens opposé. Une balance occupe le centre et la partie droite de la scène, et les personnages en assurant le service sont représentés sous le fléau, ce qui montre assez la taille de la balance, ou l’importance que le peintre voulait lui accorder dans la scène. Il s’agit là en effet d’une balance destinée à peser des tubercules de silphion, donc des objets pondéreux, d’où la robustesse de l’instrument de pesée. Le fléau de la balance est suspendu à une pièce sans doute métallique en forme de croix, qui passe dans un anneau lui-même relié par une suspension à la poutre déjà évoquée portant aussi le dais d’Arcésilas.

Deux études de Fr. Chamoux, fondées à la fois sur l’examen minutieux des textes de Théophraste et de Pline et sur l’analyse iconographique de la coupe d’Arcésilas et des monnaies, ont montré sans qu’il reste maintenant place au doute que c’étaient bien des tubercules de silphion qui étaient représentés sur la coupe laconienne[302]. La couleur blanche des tubercules de silphion, qui étonnait E. Simon et lui faisait préférer aux tubercules du silphion déjà préparé, puisque selon Pline les tubercules étaient de couleur noire, s’explique par le fait que les tubercules étaient pelés[303]. Le silphion était cette fameuse plante ne poussant qu’en Cyrénaïque. Utilisée en Grèce comme médicament et comme condiment, elle était l’un des éléments de la richesse de Cyrène et fut largement représentée sur les monnaies de la cité, mais surtout aux ve et ive s. pour symboliser l’indépendance de la “république aristocratique” cyrénéenne[304]. Pour Fr. Chamoux, le silphion était monopole royal du temps des Battiades et la scène représenterait la perception du tribut en nature versé par les indigènes libyens[305]. Mais il est plus vraisemblable que la scène ait représenté l’attribution de la part revenant aux Battiades (ou du moins à l’un d’entre eux. qui serait donc Arcésilas II) accordée par les Cyrénéens, conformément à une glose d’Hesychius[306].

La vieille théorie selon laquelle la scène de pesée se serait déroulée sur un bateau, dont on verrait un mât et une voile, a en tout cas été démontée par Fr. Chamoux au profit de l’analyse que nous avons suivie ici (il s’agit en fait d’une poutre tenant lieu de support et d’un dais)[307]. On est donc sans doute sur l’agora de Cyrène. Ce sont vraisemblablement les caves du palais (situé néanmoins sur l’acropole, à quelque distance de l’agora), et non les cales d’un navire, qui sont représentées. Les ballots de silphion entassés, qui représentent la part d’Arcésilas, sont placés sous la surveillance d’un garde, identifié par l’inscription φυλακός.

Pour ce qui est des motifs décoratifs du vase, ils sont tout à fait caractéristiques de la céramique laconienne de la période : oiseaux, animaux divers, comme ici le gecko grimpant sur la gauche de l’image[308]. Des traits stylistiques spécifiques ont permis d’identifier un peintre d’Arcésilas[309].

Jusqu’ici, nous n’avons guère évoqué les inscriptions, qui ont pourtant donné lieu à bien des interprétations divergentes. On trouvera l’essentiel de l’argumentation, avec le rappel d’un certain nombre de positions antérieures et des progrès effectués, dans une étude de G. Neumann[310]. Les inscriptions sont en écriture laconienne. Évoquons d’abord le cas des trois mots du registre inférieur, de gauche à droite : φυλακός n’est qu’une variante dialectale de φύλαξ et désigne le garde en position à l’entrée du magasin ; le second mot est illisible, le troisième, MAEN, au dessus des quatre ballots entreposés, a fait l’objet d’une tentative d’explication de la part de G. Neumann, mais qui reste incertaine[311].

C’est au registre supérieur que se trouvent les mots les plus importants. De gauche à droite, outre le nom du roi Ἀρκεσίλας, on trouve le mot ΣΟΦΟΡΤΟΣ, qui semble être complet à gauche. G. Neumann propose d’y voir le nom propre Σώφορτος, qui entrerait dans la série des noms comme Σώβιος, Σωσθένης, Σώστρατος, etc., et signifierait “dessen (Schiffs-)ladung unversehrt ist”, “celui dont la cargaison est saine et sauve”. Il aurait été donné par quelque riche marchand à l’un de ses fils. Le rang social atteint par les marchands enrichis justifierait que le nom de l’un d’entre eux apparaisse au côté de celui du roi[312]. Cette proposition de lecture, acceptée par E. Simon[313], n’est pas accueillie par LGPN, I. A vrai dire, il serait bien curieux qu’on ait affaire à un nom propre et rien n’indique qu’on ait ici quelque membre de lu supposée “classe des marchands enrichis”. C’est certainement vers une autre interprétation qu’il faut se diriger.

On relèvera en effet tout d’abord que la plupart des noms qui apparaissent ici, du moins en dehors de celui du roi Arcésilas, correspondent à des fonctions. Mais en est-il de même avec ΣΟΦΟΡΤΟΣ ? Fr. Chamoux voyait dans tous ces mots des anthroponymes parlants, ce qui n’est pas davantage une solution satisfaisante[314]. Mais il a en outre avancé l’explication suivante : “Le personnage appelé [Ἰ]σόφορτος a peut-être un stylet à la main pour noter le poids constaté”[315]. Parmi les personnages représentés, celui qui est figuré devant le roi a en effet manifestement une fonction différente de celle des autres. Il est possible que le personnage en question ait eu à la main un stylet, mais la chose ne peut être considérée comme certaine. Mais on a le sentiment que le personnage s’adresse directement au roi, comme pour lui indiquer quelque chose. En ce cas, il est tout à fait réaliste de considérer avec S. Stucchi qu’il indique au roi le résultat d’une opération de pesée : [ἰ]σόφορτος, “charge égale”, pour signifier que les deux plateaux sont en équilibre[316]. On remarquera que, chez Hérodote (4.196), la procédure de l’échange “à la muette” auquel ont recours les Carthaginois sur la côte africaine suppose une égalisation des marchandises, en valeur il est vrai, mais l’emploi du verbe ἀπισόω appliqué aux φόρτια des marchands et à l’or des indigènes fournit néanmoins un parallèle significatif[317]. Il est donc possible que le personnage ait été un “comptable de charge”, c’est-à-dire un comptable des écritures, analogue au φόρτου μνήμων de l’Odyssée (8.163), mais ici chargé de l’enregistrement des charges entrant dans le magasin royal, et non pas de celui des mouvements de la cargaison d’un navire. Le roi Arcésilas devait en effet nécessairement tenir comptabilité du silphion qui entrait dans ses réserves, ce qui n’est nullement pour surprendre. On sait aussi que, au ive s., la cité de Cyrène tenait comptabilité de ses envois de blé à l’étranger[318].

Avec [---]αθμός (en écriture rétrograde), on a peut-être comme le suggère G. Neumann un composé sur le mot σταθμός, la balance, qui pourrait être [ἐπί]σταθμος, même si cette restitution ne peut être tenue pour entièrement assurée[319]. La restitution [φ]ορμοφόρος, “portefaix”, donne sans doute au mot suivant sa solution définitive, qui correspond exactement au contexte[320]. Il en va de même avec ὀρυξό[ς] (rétro.), où le sens de “déterreur” de Fr. Chamoux convient parfaitement pour des ouvriers chargés de déterrer les tubercules de silphion[321].

Reste le mot σλιφομαχος (rétro.), au dessus du personnage le plus à droite. La variante σλιφο-pour σιλφιο-avec métathèse dans la première syllabe et sans l’élément suffixal -ι- n’est pas sans appui. Il s’agit donc bien ici du silphion. G. Neumann repousse à juste titre tout lien avec μάχομαι, “se battre”, mais fait un rapprochement bien peu vraisemblable avec μάσσω, “pétrir”. Faudrait-il revenir à une ancienne proposition de Fr. Studniczka, qui le premier avait proposé d’établir un lien avec l’égyptien mekhat (“macha” Studniczka), “balance” (<khaj, “mesure”, m+khaj, “instrument de mesure”)[322] ? Ce composé pourrait en fait faire référence à une “balance à silphion” et le personnage à droite du registre supérieur désignerait l’objet de sa main tendue. Le mot σίλφιον a lui-même une étymologie qui reste inconnue mais l’on a suggéré avec prudence une origine africaine[323]. Cette hypothèse sur l’origine du mot “silphion” a en fait toutes les chances d’être la bonne, si l’on suppose que les colons grecs venant de Cyrénaïque ont tout naturellement adopté le nom indigène d’une plante qui était inconnue en Grèce. Quant à l’interprétation avancée ici de σλκρομαχος comme “balance à silphion”, même si elle ne va pas sans faire question[324], elle peut aussi être justifiée par ce que l’on sait des rapports étroits entre les Libyens et l’Égypte, qui ne constituaient pas deux mondes à part[325], et par le type (égyptien comme on va le voir) de la balance représentée sur la coupe d’Arcésilas.

Il est encore un autre aspect des choses qui doit être souligné : le lien entre la scène de la coupe d’Arcésilas et les représentations de psychostasie égyptienne. La chose a été relevée depuis longtemps, en premier lieu, de manière rapide mais claire, (ordonnancement de la scène, présence du babouin, type de la balance), par O. Puchstein en 1880, dont le point de vue lut ensuite largement suivi[326]. Cependant, plus récemment, cette hypothèse a été généralement repoussée, ainsi par Fr. Chamoux et E. Simon, bien que certains critiques aient cependant continué à retenir cette idée[327]. Pourtant, le lien avec une scène de psychostasie est hors de doute. Il suffira de mettre à jour les analyses d’O. Puchstein.

Pour ce qui est de l’ordonnancement de la scène, la confrontation avec la scène de psychostasie du papyrus de Hunefer est très éclairante. A droite, on y voit Osiris assis en majesté sur un trône, sous un baldaquin, portant les attributs royaux et présidant à la scène : Arcésilas est lui aussi assis sous un dais, et porte le sceptre. Horus s’avance vers lui, conduisant Hunefer ; on remarque la position du bras droit tendu d’Horus, qu’on retrouve dans celle du personnage situé devant Arcésilas.

On remarquera aussi sur le vase d’Arcésilas un oiseau de la famille des échassiers volant vers la gauche, que l’on a identifié soit avec une cigogne, soit avec une grue[328]. Le graphisme de l’oiseau relève d’une iconographie purement grecque. Selon un rapprochement judicieux effectué par E. Simon, la présence d’une pierre sur les pattes de l’animal correspondrait à la fable selon laquelle les grues en avaient besoin comme ballast pour lutter contre le vent[329]. E. Simon repousse donc l’idée que l’objet posé sur les pattes de l’oiseau puisse être un scarabée, même si cette identification reste tentante vu la forme de l’objet en question. Le scarabée était le symbole du dieu Khépri, le dieu de la résurrection, lui-même fréquemment lié à l’oiseau Bennu ou héron d’Héliopolis[330]. En fait, l’aller-retour entre iconographie grecque et égyptienne reste difficile à saisir dans le détail et il se peut aussi que l’artiste laconien ait procédé à quelque mélange iconographique de sa composition. Il reste que cet échassier “réaliste”, sans doute donc une grue, qui de toute façon sur la coupe d’Arcésilas n’intervient que comme motif décoratif totalement dépourvu de sens religieux, a toute chance, selon nous, d’avoir été inspiré par la présence du symbole de l’udjat ailé volant devant Osiris, qu’on trouve par exemple sur le papyrus d’Hunefer (cf. fig. 2)[331].

Fig. 1 : La coupe d’Arcésilas. Cabinet des Médailles. Inv. nº 189.

Fig. 2 : Psychostasie du papyrus d’Hunefer. British Museum. Inv. nº EA 9901/3.

Fig. 3 : Balance de la psychostasie du papyrus d’Anhaï. British Museum. Inv. nº EA 10470/3.

Plus nette encore apparaît l’inspiration égyptienne dans deux détails qui ne laissent pas place au doute. Il s’agit d’une part de la présence d’un babouin perché au dessus de la balance. Au premier abord, ce babouin pourrait paraître n’être qu’un élément de couleur locale africaine[332]. Mais, dans la tradition égyptienne, cet animal était lié à Thot, le dieu des scribes et de la comptabilité[333]. Le dieu Thot apparaît dans les scènes de psychostasie, comme ici sur le papyrus d’Hunefer (c. 1370 a.C.), pour noter le résultat de l’opération de pesée, fig. 2. En outre, à de très nombreuses reprises dans les papyri ou les peintures de tombes, le babouin apparaît juché sur le support de la balance, comme on le voit ici sur le papyrus d’Anhaï (c. 1 100 a.C.), fig. 3 : c’est évidemment cette source d’inspiration qui a été reprise par l’artiste laconien, qui, dans la mesure où la balance représentée ne comportait plus de support vertical, a représenté le babouin perché sur la poutre supportant la balance.

C’est enfin le type de la balance de la coupe d’Arcésilas qui constitue l’élément le plus convaincant, car elle correspond parfaitement à une balance de type égyptien[334].

St. R. K. Glanville a expliqué les étapes de la mise au point et le principe de fonctionnement de la balance égyptienne[335]. Au Moyen Empire (c. 2100 - 1800 a.C.), les quatre cordes de suspension commencèrent à être nouées ensemble et à passer à travers un trou situé à chaque extrémité du fléau, le nœud, fait au dessus du fléau, bloquant ainsi le plateau[336]. Les balances furent ensuite améliorées. Les quatre cordes de suspension furent nouées ensemble selon le même principe que précédemment, mais la collerette en forme de trompette fixée à l’extrémité permettait de faire en sorte que les cordes divergent d’un même point à la partie inférieure de la collerette, assurant ainsi apparemment le meilleur équilibre possible[337]. Les représentations de balances du Nouvel Empire montrent des instruments de ce type et permettent d’observer le soin extrême avec lequel ils avaient été fabriqués, en particulier avec l’usage du métal (très coûteux) dans les différentes parties de l’assemblage. De même, le système du fil à plomb servant d’indicateur de précision des pesées fut encore perfectionné.

C’est précisément un système d’attache des plateaux si typiquement égyptien, avec ces collerettes à l’extrémité du fléau, qu’on retrouve sur la balance de la coupe d’Arcésilas et qui permet donc sans la moindre ambiguïté d’identifier cette dernière avec une balance égyptienne. Par rapport aux balances des vignettes du Livre des Morts, manquent le support vertical (mais pouvait-il être présent pour supporter une balance destinée à peser des pondéreux comme ceux de la coupe d’Arcésilas ?), ainsi que le fil à plomb et son support, point sur lequel il faudra revenir.

St. R. K. Glanville insiste également sur la grande fréquence des représentations de balance dans les scènes de tombes dans l’Égypte pharaonique. Cependant, ce sont d’ordinaire des scènes qui montrent le souverain ou un administrateur percevant un tribut ou une rente. Il s’agit le plus souvent d’objets précieux, soigneusement pesés avec des poids ajustés (comme le montre la série des poids portant l’incription nb pour peser l’or)[338]. De fait, aussi longtemps que les échanges quotidiens reposèrent sur le troc, la balance ne pouvait avoir aucun usage et, aux époques anciennes, les peintures montrent des scènes de troc, sans usage de balance[339]. En revanche, plus tard, l’introduction d’un équivalent commun en métal précieux, au moins comme instrument de mesure de valeur, amena à l’usage de balances et c’est ainsi que quelques peintures du Nouvel Empire représentent effectivement l’usage de balances portatives dans des scènes de marché[340]. Le fait que la représentation de scènes de marché soit assez rare nous prive sans doute de la représentation d’un usage banal et commercial des balances qui en fait devait être devenu fréquent à cette époque[341].

Pour ce qui est de la chronologie, il est remarquable que l’on trouve des scènes de pesée utilisant des balances traditionnelles jusqu’à l’époque hellénistique avancée, même si, peut-être, ces balances n’étaient alors déjà plus en usage[342]. Sur un papyrus du ier s. a.C., on retrouve encore pleinement, importée du Livre des Morts, une scène de psychostasie avec les cordes de suspension des plateaux émergeant des extrémités du fléau en forme de collerette, le babouin étant installé sur le sommet du support vertical de la balance. En revanche, deux siècles plus tard, on retrouve une scène analogue, avec toujours les extrémités en forme de collerette, mais les cordes sont attachées à un crochet à l’extrémité du fléau, ce qui montre que le fontionnement du système n’était plus compris[343]. Au vie s. a.C., les canons du Nouvel Empire étaient encore en place et c’est une représentation analogue à celle des psychostasies de Hunefer ou de Anhaï qui dut servir de références au peintre d’Arcésilas.

Il est remarquable que, dans les deux papyri tardifs précédemment évoqués (illustrations non reproduites ici), on retrouve un personnage debout, qui est alors le dieu-faucon Horus, la main tendue pour éprouver le fil à plomb fixé au sommet de la balance. C’est là le parallèle qui explique la position du personnage le plus à droite de la coupe d’Arcésilas. Ce dernier, qui montre le point central du fléau à son compagnon, lequel tourne la tête pour regarder le même point, est exactement dans la même posture que les Horus debout des scènes égyptiennes tardives de psychostasie. La différence tient au fait que, sur la coupe d’Arcésilas, la balance ne présente aucun fil à plomb central : le personnage tend donc la main vers un point vide. L’artiste a copié la scène, mais il n’a retenu que l’aspect formel du geste et il n’a pas représenté le fil à plomb, soit qu’à Cyrène on ait effectivement utilisé une balance d’inspiration égyptienne, avec les cordes de suspension des plateaux sortant des extrémités en forme de collerette, mais sans support vertical (comme on l’a vu, le fléau est ici suspendu à une poutre) et sans fil à plomb central, soit que l’artiste lui-même ait librement réinterprété les éléments d’origine diverse dont il disposait.

En tout état de cause se pose le problème de savoir de quelles sources l’artiste laconien pouvait disposer pour composer cette scène[344]. La question est double : c’est à la fois l’aspect cyrénéen et l’aspect égyptien de la scène qu’il faut essayer de justifier. Les détails relatifs à Arcésilas, à la pesée du silphion, soigneusement représentée, ou encore à l’accumulation dans les réserves du roi, montrent une connaissance visuelle directe ou indirecte des réalités cyrénéennes. L’artiste laconien avait-il fait le voyage de Cyrène, avait-il été résident à Cyrène et en avait-il rapporté un croquis pris sur le vif[345] ? Lui avait-on seulement rapporté un dessin de la scène, comme le suggère aussi Fr. Chamoux, qui évoque “quelque pinax, comme ceux que les peintres corinthiens répandaient alors à foison”[346] ? Sur ce point, il est impossible de trancher, même si encore une fois il ne peut faire de doute que, pour l’aspect cyrénéen, la scène n’est d’aucune façon une pure œuvre d’imagination (y compris peut-être pour le type égyptien de la balance)[347]. Mais, en outre, l’artiste devait avoir une autre source d’inspiration directe : une scène de psychostasie représentée sur un papyrus ou une tablette rapportée d’Égypte, et dont il s’est inspiré non plus cette fois pour son aspect narratif mais pour la mise en scène de l’ensemble de l’image.

La scène si pleine de verve de la coupe d’Arcésilas est donc une interpretatio Graeca d’une scène de psychostasie égyptienne. L’aspect religieux, fondamental dans le monde égyptien, en a totalement disparu. La scène se passe sans doute sur l’agora de Cyrène. Elle montre la pesée de la part d’honneur accordée au roi Arcésilas, et non plus une pesée des âmes. Il est remarquable qu’avec son étonnante synthèse gréco-égyptienne, la scène soit réprésentée au moment même où Amasis fixait le statut de Naucratis, puisque la coupe d’Arcésilas date d’environ 560 et que c’est certainement dans les années 560 que fut mis en place le système réglant le statut des Grecs à Naucratis[348]. Même si elle montre en fait une scène où un roi reçoit la part privilégiée qui lui revient et non à proprement parler une scène d’échange, par le déplacement qu’elle opère de la scène religieuse égyptienne en une scène profane la coupe d’Arcésilas est tout à fait significative d’une volonté de mettre sous les yeux de tous les opérations de mesure et de comptabilité. On ne doit pas négliger que c’étaient tout de même les Cyrénéens qui avaient accordé à leur roi le “privilège du silphion”. Les institutions spécifiques réglant l’échange mesuré, sur l’agora ou à l’emporion se mettent en place dans les cités grecques au viie et au vie s. Même si c’est de manière indirecte, c’est aussi ce dont porte témoignage la coupe d’Arcésilas.

Chapitre IV. Une famille camiréenne de commerçants en blé

Des documents du iiie s. a.C. provenant du Sud de la mer Égée permettent de montrer qu’un certain nombre de commerçants rhodiens opérant dans cette zone avaient la même origine géographique à l’intérieur de l’État rhodien et appartenaient, semble-t-il, à la même famille, ou du moins au même groupe familial.

On prendra comme point de départ de cette enquête le décret d’Éphèse Syll. 3, 354 [IK, 15.5-Ephesos, 1455], daté ordinairement de 300 a.C. environ, qui accorde la citoyenneté pleine et entière au Rhodien Agathoklès, fils d’Hagèmôn. Ce dernier, “alors qu’il importait dans notre cité quatorze mille hektès de froment et trouvait le blé vendu à l’agora plus de six drachmes, s’est laissé convaincre par l’agoranome de rendre service à notre peuple en vendant son blé en totalité à un prix meilleur marché que celui qui était vendu à l’agora” (1. 2-5.). Ces 14 000 hektès, soit 2 333 médimnes (c. 72 t, sur la hase de 31 kg le médimne, cf. infra 192, n. 42) représentent à peu de chose près la cargaison d’un navire de tonnage moyen à l’époque. Un règlement du port de Thasos montre en effet qu’on considérait comme de tonnage moyen les navires pouvant transporter entre 3 000 talents (80 t) et 5 000 talents (130 t) de fret[349]. Il est donc vraisemblable que c’est toute la cargaison d’un navire chargé exclusivement de blé qu’Agathoklès acceptait de vendre aux Éphésiens à un prix modéré. On pourra comparer le prix de référence de 6 drachmes le médimne (manifestement) aux prix déliens, étudiés par G. Glotz. Ces derniers pouvaient connaître des variations importantes au cours d’une même année. Citons l’année 282 : prix minimum 4 dr. 3 ob., prix maximum 10 dr., prix moyen 7 dr. 3 ob.[350] En tout cas, il ne fait aucun doute qu’Agathoklès, qui importe (eisagagôn, 1. 2) ce froment à Éphèse, était bien un commerçant, venu lui-même vendre ses denrées.

Le même Agathoklès reçoit par décret à Arkésinè d’Amorgos le litre de proxène et d’évergète (IG, XII.7, 9)[351]. Là aussi, il est vraisemblable que c’est en tant que négociant en blé qu’il reçoit ces honneurs[352]. En effet, la même pierre que celle du décret pour Agathoklès porte, au dessus de ce dernier, un décret de proxénie en l’honneur de trois Rhodiens (IG, XII.7, 8), mais aussi, outre un décret pour un Parien qui ne nous intéresse pas ici (IG, XII.7, 10), un quatrième décret, en faveur du marchand de blé Épianaktidès de Théra (IG, XII.7, 11). L’hypothèse selon laquelle c’était pour ses activités de commerçant en blé qu’Agathoklès avait été honoré à Arkésinè n’a donc rien de bien hardi.

Or, on retrouve des parents de cet Agathoklès à Camiros. On sait que l’État rhodien était divisé en trois tribus, qui correspondaient aux trois anciennes cités de Ialysos, Lindos et Camiros. Lindos et Camiros au moins continuaient à exister en tant qu’agglomérations importantes et centres de la vie sociale de leur territoire “tribal”. Deux listes de prêtres camiréens font apparaître deux personnages qui sont probablement les fils, ou du moins les descendants d’Agathoklès. Il s’agit de Chairèmôn, fils d’Agathoklès, hiérope des cultes publics camiréens vers 267 (TC, 18, 1. 14) et Hagèmôn, fils d’Agathoklès, hiérope vers 249 (TC, 30. I 1. 4). La parenté dans la formation des noms (Chairèmôn, Hagèmôn) et la récurrence des noms Hagèmôn et Agathoklès paraissent conduire logiquement à cette conclusion. Vu qu’on exerçait ordinairement la charge de hiérope dans les premières années de l’âge adulte, on voit que si Agathoklès est actif à Éphèse vers 300 environ, il est normal que Chairèmôn puisse être hiérope à Camiros vers 267, une trentaine d’années plus tard. Si Chairèmôn et Hagèmôn sont frères, Chairèmôn est l’aîné, Hagèmôn le cadet – chose assez étonnante, car on attendrait plutôt que ce soit l’aîné qui porte le nom du grand-père. S’agirait-il d’un fils tardif auquel on aurait donné le nom d’un aîné disparu auparavant ? Ou bien y a-t-il un chaînon qui nous manque dans cette famille ? En ce cas, plusieurs hypothèses sont possibles : par exemple, on peut penser aussi que l’Hagèmôn de TC, 30 est le fils d’un Agathoklès qui serait le frère du Chairèmôn de TC, 18, et le fils de l’Agathoklès d’Éphèse et Amorgos, puisqu’il arrive assez fréquemment qu’un fils reçoive le même nom que son père. Nous retiendrons cependant, avec les réserves exprimées précédemment, la première solution comme la plus probable. Du moins, il est assuré que l’Agathoklès honoré à Éphèse était originaire de Camiros.

A Arkésinè donc, sur la même pierre que le décret qui accorde la proxénie à Agathoklès, est gravé un décret (IG, XII.7, 8) qui, lui aussi, accorde le titre de proxène et d’évergète, plus une série d’autres honneurs, à trois frères, Agathostratos, Philiôn et Hègèmôn (Hagèmôn en dialecte dorien), fils d’Elpinikos, des Rhodiens eux aussi. Le motif en est que ces derniers “ne cessent d’être bienveillants à l’égard du peuple d’Arkésinè et de lui procurer tous les avantages qu’ils peuvent et se dévouent pour les Arkésiniens qui se rendent à Rhodes” (1. 4-7). En somme, avant d’en recevoir officiellement le titre, les trois frères avaient déjà la fonction de proxène. E. Ziebarth a considéré que ces derniers étaient eux aussi des marchands de blé, ce qui nous paraît également fort probable, et que l’Hagèmôn de cette inscription était probablement un parent de l’Agathoklès d’Éphèse et d’Arkésinè, sinon son père[353]. Si l’on ne trouve pas dans l’épigraphie camiréenne de sources susceptibles de confirmer sans aucun doute possible que les trois frères était bien eux aussi originaires de Camiros et qu’ils étaient des parents d’Agathoklès, il y a néanmoins plusieurs éléments qui vont dans ce sens. On peut ainsi mettre en rapport ces personnages avec un Hagèmôn camiréen, fils d’Hellanikos, lui-même fils de Geraistis, hiérope vers 241 (TC, 33, 1. 14), ainsi qu’avec le fils de ce dernier, Hellanikos, fils d’Hagèmôn, hiérope vers 210 (TC, 41, 1. 12). Elpinikos et Hellanikos sont tous deux des composés en -nikos, et les deux noms apparaissent liés à celui d’Hagèmôn. En outre, le nom Hellanikos est assez peu fréquent à Rhodes et cela est encore plus vrai pour Elpinikos[354]. D’autres noms en -nikos sont attestés à Camiros, pas en grand nombre, mais aucun en liaison avec Hagèmôn[355]. Pour ce qui est de la parenté entre les trois frères de la pierre d’Arkésinè et Agathoklès, on peut remarquer aussi les deux noms composés en Agatho-(Agathoklès et Agathostratos)[356], les trois noms à suffixe -ôn (Chairèmôn, Hagèmôn et Philiôn). Tout cela va donc dans le sens de l’hypothèse évoquée précédemment. Quant à l’activité des Arkésiniens à Rhodes, il n’est effectivement pas très aventuré de supposer qu’il s’agit de sitônai venant sur cette grande place commerciale qu’était Rhodes acheter le ravitaillement nécessaire à leur cité. Il serait alors bien naturel de songer que les trois frères avaient des intérêts dans le commerce du blé, comme Agathoklès, qui était probablement leur proche parent, sans qu’on puisse préciser davantage, à notre avis, le degré exact de parenté qui les unissait.

Dans une inscription provenant de la petite île d’Ios, voisine d’Amorgos, le Rhodien Antisthénès, fils d’Aristonikos, et par adoption de Charmoklès, est couronné “pour sa valeur et son dévouement envers le peuple d’Ios”. Le décret continue ainsi : “Que celui qui a acheté le blé public, Arétéas, verse l’argent pour la couronne sur les sommes qu’il doit rendre à l’agoranome, Mégaklès” (IG, XII.5, 1010, 1. 3-6).

On conclura logiquement que si c’est un sitônès – puisque telle est manifestement la fonction d’Arétéas – qui est chargé de donner l’argent pour la couronne, c’est donc qu’Antisthénès est lui aussi un marchand de blé[357]. L’inscription est datée par les éditeurs du iiie s. Or, on trouve à Camiros un Philtatos, fils d’Aristonikos, et par adoption d’Antisthénès, hiérope vers 203 (TC, 44,1. 11). L’adoption au sein d’une même famille étant un phénomène fréquent, la récurrence des noms Antisthénès et Aristonikos montre que Philtatos est un parent de l’Antisthénès couronné par les gens d’Ios[358]. G. Poma veut en taire son frère[359]. Cette hypothèse nous paraît néanmoins peu probable, car l’inscription d’Ios, d’après l’écriture (cf. par exemple la forme des sigma), ne date apparemment pas des dernières années du iiie s. (fin iiie début iie s. pour le premier éditeur P. Graindor, mais avec des arguments peu probants)[360] Plutôt que son frère, il faut peut-être voir en Philtatos un neveu d’Antisthénès, qui serait aussi son père adoptif (il serait alors le fils d’un Aristonikos fils d’Aristonikos et frère d’Antisthénès ; voir tableau généalogique). Quoi qu’il en soit, encore une fois, il est donc certain qu’Antisthénès, qui était lui aussi manifestement un commerçant de blé, était originaire de Camiros. Une lointaine parenté avec le groupe familial évoqué précédemment n’est peut-être pas à exclure (cf. de nouveau la récurrence d’un nom en-nikos).

Deux conclusions s’imposent. La première est que des Rhodiens originaires de Camiros (du moins du territoire tribal camiréen) faisaient preuve d’une particulière activité dans cette zone du Sud de la mer Égée où Rhodes jouait manifestement un rôle de redistribution pour le commerce du blé[361]. A Rhodes, on est conduit a imaginer l’existence de maisons de commerce dont les directions devaient être organisées sur un mode familial, comme tendent à le montrer les documents relatifs à ces Camiréens. Ces derniers devaient en outre être plus ou moins spécialisés dans une zone géographique. On comparera avec l’activité des membres d’une même famille d’Halicarnasse en Grèce centrale et du nord-ouest, étudiée par S. G. Miller[362]. A priori, cependant, on se gardera de généraliser cette spécialisation géographique à tous les commerçants Rhodiens. De même, il ne faut vraisemblablement imaginer rien de strict ou de figé dans cette spécialisation, ni a fortiori de “monopole” des Rhodiens de telle origine (Camiréens, Ialysiens ou Lindiens) sur telle zone géographique. Ainsi, la cité de Minoa d’Amorgos nomme proxène le Rhodien Hermokréôn, fils d’Aristonymos (IG, XII.7, 221, 1. 33-34). L’inscription date vraisemblablement du règne d’Antigone Dôsôn (229-221). Ce personnage est soit identique à, soit plutôt un ascendant de l’homonyme qui portait le démotique Brykountios (l’un des trois dèmes de l’île de Carpathos, rattachée à Lindos au sein de l’État rhodien) et dont on connaît la stèle funéraire (IG, XII. 1, 222a), découverte, ainsi que celle de son fils, entre Koskinou et Sgourou, non loin de la ville même de Rhodes[363]. Ces gens originaires de Carpathos devaient donc résider à Rhodes, où ils avaient probablement leurs affaires. C’est bien entendu aussi dans la ville de Rhodes que devaient se rendre les sitônai des cités de l’Égée, par exemple ceux auxquels il est probablement fait référence dans le décret d’Arkésinè. De même, c’est à Rhodes (ville) que les marchands de blé camiréens devaient exercer leurs activités commerciales. Cela ne les empêchait pas de garder leurs attaches locales, puisqu’on voit leurs fils ou leurs parents exercer des fonctions à Camiros.

La seconde conclusion touche à la place des commerçants rhodiens dans la vie de la cité, problème sur lequel on s’est encore récemment interrogé[364]. Comme le montrent aussi les sources littéraires[365], des Rhodiens pratiquaient donc eux-mêmes des activités commerciales. On voit certains de leurs enfants ou parents (sinon eux-mêmes, mais selon toute vraisemblance, cela tient seulement aux lacunes de nos sources) occuper des charges, comme celle de hiérope, qui sont manifestement réservées à l’élite dominante (mais on se gardera, pour l’instant, de tirer des conclusions sur le fait qu’on ne voit pas d’individus de ce groupe familial exercer des prêtrises importantes ou des magistratures supérieures). D’autres analyses permettront de préciser ces résultats.

Chapitre V. La dynamique des cités de Lesbos

L’étude du développement des cités de l’île de Lesbos depuis le plus haut archaïsme jusqu’à l’époque hellénistique ne laisse pas d’étonner eu égard aux idées dominantes sur les facteurs de développement d’une cité grecque. On sait que chez les historiens de l’Antiquité grecque prévaut encore largement le schéma selon lequel, dans la mesure où la terre était “l’élément essentiel de l’activité économique” (nous employons à dessein cette formulation trop vague) la possession d’un vaste terroir agricole suffisait ordinairement à assurer la grandeur d’une cité. Certes, on ne peut qu’être d’accord avec la première proposition, du moins en précisant que la terre était, et de fait de très loin, le principal facteur de production. En revanche, il est légitime de s’interroger sur le point de savoir si on a le droit d’affirmer ipso facto que la richesse et l’étendue des terres dont pouvait disposer une cité était le principal vecteur de sa puissance et de son rayonnement. L’analyse du cas des cités de Lesbos présentée ici peut être considérée comme une sorte de test de la validité de ce modèle. Comme pour tout test, les conclusions de celui que nous allons construire ne peuvent naturellement être que limitées. Néanmoins elles permettront peut-être d’apporter une contribution significative au débat précédemment évoqué. Par la même occasion, l’enquête amènera à formuler quelques remarques critiques sur certaines théories relatives aux modes d’occupation de l’espace.

L’île de Lesbos a en gros la forme d’un triangle rectangle, qu’on aurait placé non loin des rivages septentrionaux de la façade égéenne de l’Asie Mineure[366]. Mais ce triangle présente sur son grand côté (regardant vers le sud), deux profondes indentations, qui donnent à l’île un caractère très original : il s’agit, à l’ouest, du vaste golfe de Kalloni, à l’est du golfe de Hiéra, qui paraît être comme une réplique du premier nommé, mais à une échelle légèrement plus petite. Si l’on examine la situation prévalant au plus haut archaïsme, les cités paraissent distribuées de manière régulière et uniforme sur le territoire lesbien. Il n’y a pas à cet égard de vide à l’est ou à l’ouest, au centre ou à la périphérie. Ces cités, ou ces agglomérations potentiellement appelées à devenir des centres civiques, étaient originellement au nombre de sept : Érésos et Antissa étaient toutes deux situées dans la partie occidentale de l’île, la première sur la côte sud, la deuxième sur la côte nord ; Méthymna était elle aussi située sur la côte nord, mais, à l’est d’Antissa, Arisbè était dans l’intérieur de l’île, au nord du golfe de Kalloni ; le site de Pyrrha se trouvait sur le rivage est du golfe de Kalloni et celui de Hiéra près des rivages ouest du golfe du même nom ; Mytilène enfin était située dans la portion méridionale de la côte est.

Dans son Histoire Naturelle (5.39 139), Pline insiste sur la fertilité de Lesbos, comme l’avait fait avant lui Cicéron (De lege agraria, 2.16 40), et indique que ce trait la différencie d’îles voisines comme Lemnos et Chios. Mais il faut naturellement essayer de déterminer la richesse relative des terroirs des cités de l’île. Pour ce faire, on pourra recourir à la carte d’occupation du sol du xixe s. établie à l’occupation de deux séries de relevés par R. Koldewey[367] (1885-1886) et H. Kiepert (1841, 1886 et 1888). On n’a certes plus le droit d’affirmer que la tableau de la vie agricole de Lesbos antique était le même que celui qu’on peut apercevoir au xixe s. Des différences très significatives apparaissent dans la nature des productions ou même, dans certains cas, dans la répartition des surfaces cultivées. Il n’en est pas moins frappant de constater que, sauf dans le sud de l’île, les principaux terroirs agricoles de Lesbos au xixe s. correspondent manifestement à ceux des cités de l’Antiquité, puisqu’une agglomération urbaine antique se retrouve toujours au centre du terroir agricole moderne (voir carte). Or, le tableau d’occupation du sol de l’île au xixe s. fait apparaître de nettes disparités.

A Érésos, le terroir agricole n’apparaît pas très étendu. Les orientations de la production sont diversifiées : céréales et coton, vignobles, olives, chênes à vallonnées.

Pour Antissa, on peut faire globalement les mêmes remarques, mais en proportion les céréales et les chênes semblent l’emporter légèrement.

A Méthymna, on constate que le terroir agricole est particulièrement peu étendu relativement à d’autres. Les chênes sont absents et les vignobles l’emportent sur les autres cultures.

A Arisbè, céréales, vignobles et surtout oliveraies se partagent un terroir qui est beaucoup plus vaste que précédemment.

Sur l’ancien secteur de Pyrrha, on a un terroir moins vaste que celui d’Arisbè, mais qui reste nettement plus vaste que celui de Méthymna. La céréaliculture l’emporte.

Les deux terroirs de Hiéra et de Mytilène ont sensiblement la même surface, un peu inférieure à celle de celui d’Arisbè, et la production oléicole est l’activité dominante.

Par rapport à l’Antiquité, il y a certainement des différences marquées sur certains aspects. Ainsi, le Sud de l’île semble avoir connu une occupation humaine plus dense à l’époque moderne et contemporaine que dans l’Antiquité, et donc des zones d’occupation agricole certainement plus étendues. La ville même de Plômarion ne paraît pas correspondre à un centre antique[368]. En outre, la vocation principale de l’agriculture mytilénienne antique paraît bien avoir été la production viticole, tandis que, comme on l’a vu, c’était la production d’olives qui dominait au xixe s. Cela suffit à montrer qu’il ne saurait y avoir de déterminisme étroit en matière d’occupation du sol et d’activité agricole, comme si par exemple l’existence d’un vaste territoire à usage agricole potentiel déterminait de son fait même la mise en valeur effective de ce terroir. Des facteurs d’ordre économique, politique (ou autre) interviennent toujours, naturellement. Ainsi, c’est certainement le changement de la nature de la demande à l’exportation, du fait de conditions socio-économiques d’ensemble très dissemblables, qui explique la différence entre les orientations de l’agriculture mytilénienne, orientée dans l’Antiquité vers la production de vin pour des grands centres urbains ou des marchés lointains où la demande était toujours très forte, vers la production d’olives à l’époque moderne dans le cadre d’une économie plus contractée et de rayon d’action moindre. Mais l’on doit alors signaler que la remarque vaut dans l’autre sens : si par exemple une zone de plaine à forte potentialité agricole se trouvait effectivement employée au xixe s. alors qu’elle ne l’avait pas été dans l’Antiquité, le fait mériterait en soi une explication.

Croquis schématique des terroirs de Lesbos (d’après Koldewey, Baureste, pl. 31).

Si donc l’on veut bien admettre par hypothèse que des contraintes naturelles inchangées ont, dans des conditions techniques peu différentes, déterminé des zones d’occupation agricole au moins potentiellement identiques entre l’Antiquité et le xixe s., on aperçoit alors une nette différenciation entre les terroirs des anciennes cités lesbiennes. On pourrait établir le classement suivant, par ordre d’importance décroissante : Arisbè (1), Hiéra et Mytilène (2-3), Pyrrha, Antissa et Érésos (4-5-6), et enfin Méthymna (7). Si l’on admettait comme critère de la puissance d’une cité l’importance de son terroir agricole potentiel, on devrait donc placer en tête Arisbè, suivie des autres cités de la liste que nous venons d’indiquer. Ce choix serait d’autant plus justifié si l’on analysait les choses plus en détail et si l’on différenciait les zones de plaine, plus faciles à travailler, demandant moins d’investissement en travail, des autres portions du terroir : en ce cas Arisbè l’emporterait encore plus nettement[369]. L’extension effective du terroir agricole de Mytilène sur des zones a priori moins favorables s’explique manifestement d’abord par des facteurs d’ordre économique, comme on le verra bientôt.

Or, confronté à la réalité du schéma d’évolution historique des cités de Lesbos, il est clair que la hiérarchie construite a priori se révèle tout à fait inadéquate. Tout autre en effet fut l’évolution réelle des cités de Lesbos.

A l’âge du Bronze, même s’il n’est pas certain que l’île ait été la Lazbaz des sources hittites (l’hypothèse apparaît cependant comme de plus en plus probable), la population de Lesbos apparaît déjà comme étant relativement dense. Les sites occupés paraissent déjà en grande partie être ceux qui le seront au premier millénaire (sauf pour Érésos et Arisbè). A une exception près, les implantations sont toujours côtières ou proches de la côte, mais les rivages des golfes intérieurs de l’île ne sont pas négligés. Le littoral sud du golfe de Kalloni paraît même avoir eu une occupation très dense. Le site de Thermi, sur la côte est, semble avoir eu une importance particulière, manifestement plus grande qu’au premier millénaire.

Dès l’époque archaïque, le sens de l’évolution du poids respectif des différentes cités se dessine avec clarté et une nette différenciation apparaît, certaines entités l’emportant sur d’autres, en prenant même le contrôle par la force. Or, l’explication de ce processus et de ces antagonismes ne saurait être recherchée dans une quelconque diversité ethnique héritée de l’époque mycénienne ou des Ages sombres. L’île passait en effet pour avoir une population éolienne homogène, comme on peut l’inférer de la tradition mythologique – et à cet égard la croyance est plus importante que la réalité des faits. Le clan royal des Penthilides se référait en effet à un ancêtre commun du nom de Penthilos, qui avait, disait-on, conduit l’essentiel de la migration éolienne à travers l’Égée[370]. Du reste, malgré les antagonismes existant entre elles, on voit à diverses époques fonctionner des formes d’associations entre cités lesbiennes.

A l’époque hellénistique, une inscription de Délos (republiée dans IG, XII.Suppl., 136) donne le texte d’une synthèka liant les cités de Mytilène, Antissa, Érésos et Méthymna, convention à laquelle font certainement référence les décrets relatifs à l’arbitrage entre des gens de Méthymna et d’Érésos par des juges de Milet, Samos et Aigai (IG, XII.Suppl.. 139). Or, la convention entre les quatre cités, selon le texte affiché à Délos, avait été conclue ἐμ Μέσσω (1. 5, 32 et 45) et c’est là qu’avaient siégé les juges étrangers mentionnés dans les décrets de Méthymna et Érésos (décret d’Érésos, 139 C, 1.70). C’est au lieu-dit Μέσσον qu’était situé le sanctuaire fédéral des Lesbiens. Après U. von Wilamowitz, L. Robert a montré que ce sanctuaire n’était autre que celui décrit au xixe s. par R. Koldewey au lieu-dit τὰ Μέσσα, que son nom suffit à identifier avec le site antique de Μέσσον[371]. Mais l’existence de ces structures communes n’est pas attestée seulement pour les époques tardives, puisque, de la fin du vie s. au milieu du ve s. semble-t-il, les Lesbiens émirent un monnayage à légende ΛΕΣ, pour ΛΕΣ(ΒΙΟΝ)[372]. Dès l’archaïsme les cités de Lesbos eurent donc sous une forme ou sous une autre une organisation commune.

N’est-il donc pas légitime a fortiori de supposer que les cités de Lesbos auraient pu connaître une évolution parallèle et harmonieuse, leur plus ou moins grande richesse étant seulement fonction de celle de leur terroir agricole ? L’existence de structures communes ne les prédisposaient pas à se fondre en un état unitaire dont la capitale aurait pu être située au centre de l’île, ἐμ Μέσσω, autour du sanctuaire fédéral de Μέσσον s’il existait déjà à la haute époque ?

La théorie du développement privilégié des “places centrales”, élaborée par les savants allemands Christaller et Lösch trouverait alors ici une excellente illustration[373]. Selon une variante de cette théorie mise au point par P. L. Goutletquer à propos de l’évolution d’une hiérarchie de sites de Basse-Bretagne du Moyen Age à nos jours amènerait précisément à conclure que la place centrale avait dû se constituer autour d’un point de centrage virtuel, non occupé au départ (l’auteur appelle “évolution centripète” cette tendance à la création d’une place centrale autour d’un point virtuel)[374]. Ces théories ne sont certes pas sans intérêt pour nous : à Lesbos, ce centre virtuel de l’île est bien matérialisé dans le sanctuaire fédéral de Messon. Mais, quant au reste, on ne peut que constater que l’évolution s’est faite tout autrement de ce qu’on aurait pu supposer en prenant comme critère d’évolution à la fois la richesse relative des terroirs et une théorie de l’organisation spatiale qui a comme présupposé l’existence d’une hiérarchie des services eux-mêmes fournis par une hiérarchie de villes. Du moins à l’échelle de l’ensemble de l’île, ces théories ne peuvent absolument pas fournir de modèle explicatif[375].

Que constate-t-on en effet ? Trois de ces cités paraissent avoir très vite décliné en tant que pôle autonome. Ce fut certainement d’abord le cas pour Hiéra, qui nous apparaît de la manière la plus fantomatique, et qui fut sans doute très tôt absorbée par sa voisine Mytilène[376].

De Pyrrha, on sait qu’elle existait encore au ive s. a.C. On en avait gardé le souvenir au iie s. p.C., puisque Ptolémée la mentionne dans sa Géographie (5.2.19). Pline (5.39 139) signale qu’elle avait été détruite par la mer et Strabon (13.2.4) indique qu’elle est en ruine et que seul un faubourg est occupé[377]. D’Arisbè[378], Hérodote (1.151) précise qu’elle fut “réduite en esclavage par Méthymna, bien qu’elle fût sa parente”[379].

Deux autres cités eurent un sort plus heureux sans connaître pourtant un grand développement : ce sont les deux cités occidentales d’Érésos et d’Antissa[380]. C’est en punition pour avoir choisi le camp de Persée qu’Antissa fut détruite par les Romains en 167 a.C. Son territoire fut donné aux Méthymniens, fidèles amis de Rome. Avant cet événement, Antissa et Érésos avaient connu une évolution similaire de cités de second ordre, Érésos par exemple n’émettant pas de monnayage avant 200 a.C., avec des émissions réduites et une diffusion limitée.

Deux cités en revanche se détachent et jouent un rôle de premier plan, à l’échelle de l’île et même à l’échelle internationale : Méthymna et Mytilène. La première nommée, Méthymna, était connue pour la qualité de son vin (qui était donc exporté). Elle avait absorbé Arisbè (Hdt. 1.151, cf. Strab. 9.4.5), et même Antissa après 167 a.C. (Liv. 45.31.13) Son monnayage est continu et abondant depuis la fin de l’époque archaïque (avec en particulier les nombreuses émissions du type de la tête casquée). Ses rivalités avec Mytilène, à l’époque de la Première Confédération athénienne comme à l’époque des guerres mithridatiques forment la trame de l’histoire des relations entre cités de Lesbos. Quant a Mytilène, on la voit jouer les plus grands rôles dès l’époque archaïque. C’est ainsi qu’à la fin du viie s. elle avait disputé aux Athéniens la route des Détroits et qu’un peu plus tard, dans les années 560, elle fut la seule cité éolienne membre de l’Hellénion de Naucratis (Hdt. 2.178), ce qui suffit à mesurer l’ampleur de son réseau commercial. Au ive s., on la voit liée par traité aux rois du Bosphore[381]. Ses vins étaient célèbres. Son monnayage était abondant et assez largement diffusé. Sa vie intellectuelle était renommée. Le chiffre de sa population devait être très nettement plus élevé que celui des autres cités de l’île. On peut en trouver une indication dans l’étendue de la superficie entourée par ses murailles, 140 ha, soit cinq fois plus que pour Méthymna, huit fois plus que pour Antissa, et trente fois plus que pour Érésos[382]. Certes, il n’y a pas de lien mécanique à établir entre population d’une cité et superficie d’une ville, d’autant que les vides dans les zones intra muros pouvaient être importants et sont en tout cas bien difficiles à estimer. On a néanmoins ici un ordre d’idée, même très grossier, de l’importance relative des diverses cités de l’île. Et si l’on admet, sur la base du renseignement donné par le décret d’Érésos IG, XII.2, 526 (883 votants lors de la condamnation à mort du tyran Agonippos en 332 a.C.) que la population citoyenne mâle adulte de cette cité tournait autour de 1 000 individus, et que de la même façon les citoyens adultes de Méthymna étaient peut-être 4 000 (si l’on prend au pied de la lettre la référence à quatre chiliastyes dans le corps civique), on voit que s’agissant du moins de Méthymna et d’Érésos l’estimation donnée par la surface urbaine n’est pas un paramètre à rejeter.

Ainsi, deux cités, et l’une d’entre elles surtout, ont joué un rôle majeur : Mytilène en premier lieu, Méthymna ensuite. Deux autres ont joué les seconds rôles : Antissa et Érésos. Trois enfin ont rapidement disparu et n’ont joué qu’un rôle marginal : Hiéra, Arisbè et Pyrrha. Il apparaît nettement alors qu’une première partition peut être faite entre les cités “intérieures” (même si elles sont près d’un rivage), celles qui ont rapidement quitté la scène – Hiéra, Arisbè et Pyrrha – et les autres, les quatre cités ouvertes sur la mer libre. A l’intérieur de ce groupe, cependant, une deuxième partition doit séparer Antissa et Érésos, situées à l’ouest de l’île et donnant sur le grand large, de Méthymna et Mytilène dans la partie occidentale, face à l’Asie Mineure.

On doit naturellement s’interroger sur le ou les facteurs qui ont amené cette répartition. La possession d’un terroir riche, tant pour Hiéra, Pyrrha qu’Arisbè, n’a pas suffi à susciter le dynamisme de ces trois cités. Dans le cas particulier d’Arisbè, on pourrait se demander si l’aspect marécageux d’une partie du secteur littoral n’avait pas pu jouer un rôle répulsif, mais on peut immédiatement objecter que toute la plaine intérieure, et en particulier la haute plaine de Napè, où un site néolithique a été découvert, restait disponible. Si l’on ajoute que les eaux poissonneuses des deux vastes mers intérieures (de nos jours les sardines du golfe de Kalloni sont célèbres) procuraient un complément de denrées alimentaires et que les golfes bien protégés des vents pouvaient offrir un abri sûr aux navigateurs, la marginalisation des sites intérieurs pourra paraître encore plus incompréhensible.

En fait, l’explication est à chercher d’abord dans la situation relativement aux grands axes commerciaux. Si les cités côtières extérieures se sont développées, c’est parce qu’elles étaient présentes sur les grandes voies commerciales qui irriguaient le monde grec, et cela dès l’époque archaïque. Car même si à cette époque le volume brut des quantités transportées était moins important qu’aux époques ultérieures, l’incidence relative de l’échange sur la vie économique et sociale comme vecteur de développement n’était pas nécessairement moindre[383]. Un indice supplémentaire est fourni par la différenciation même entre les cités côtières extérieures, Antissa et Érésos d’une part, Méthymna et Mytilène de l’autre. Il faut pour comprendre ce phénomène se reporter aux conditions de navigation à voile en mer Égée. Les vents y sont souvent violents, en particulier les vents étésiens, aussi les navigateurs recherchaient-ils les secteurs relativement abrités des vents. Les routes protégées étaient toujours préférées aux routes ouvertes[384]. Aussi les navigateurs empruntaient-ils le chenal longeant la cote d’Asie, où les vents étaient arrêtés par la succession des caps et des îles proches du littoral asiatique, de préférence aux routes passant à l’ouest des îles. Le véritable axe de circulation nord-sud entre les Détroits et, si l’on veut, l’Orient méditerranéen, était donc le chenal longeant la côte d’Asie, dont le point d’entrée se situait précisément au niveau de Méthymna. Quant à Mytilène, avec ses deux ports bien équipés, elle était l’étape naturelle pour la navigation remontant vers le nord ou descendant vers le sud.

A long terme, ce fut donc l’échange, la vie de relations, qui fut le facteur décisif de l’évolution des cités de Lesbos.

Note complémentaire

Sur Pyrrha, on ajoutera l’étude de Paraskevaidis 1963. Depuis le début des années 1980, plusieurs travaux sont venus enrichir notre connaissance sur les territoires des cités de l’île de Lesbos. H. Plommer (1981) revient sur la question du sanctuaire de Messon. G. P. Schaus et N. Spencer (1994) discutent de la chôra d’Érésos antique (nombreuses traces d’agriculture en terrasses, certainement vouées à la viticulture, cf. aussi Schaus 1996). N. Spencer (1995) fournit un gazetteer des sites de Lesbos et entreprend de montrer (1996) que la région de la forêt de Pyrrha était plus densément exploitée dans l’antiquité que de nos jours. La synthèse de G. Labarre (1996, part. 191-219, chap. “Villes et territoires”) permet un ample tour d’horizon sur le cadre territorial des cités de l’île. Enfin, P. Brun (1998b) suggère de reconnaître la cité de Pyrrha derrière les Ἀστραιούσιοι mentionnés dans le décret de fondation de la iie Confédération athénienne (IG, II2, 43 = Pouilloux, Choix, 27, 1. 118), qui apparaissent immédiatement après les Ἀντισσαῖοι et les Ἐρέσιοι et qui n’avaient pas jusque là reçu de localisation.

Chapitre VI. Aristote et le commerce extérieur

L'enjeu n'est pas mince : c'est la nature même de l'économie antique qui divise le monde savant depuis près d’un siècle. Par “nature de l'économie antique”, il faut entendre en fait aussi bien le type et le volume des opérations économiques concrètes que la manière dont la vie économique s'articulait avec la vie sociale et politique. Au reste, parler de “controverses et de divisions du monde savant” est presque abusif dans l'état actuel des choses. En effet, sauf quelques voix isolées, une doctrine règne aujourd'hui sans partage dans le champ des études d'économie antique[385] : celle qui a trouvé sa forme la plus élaborée dans The Ancient Economy (traduit en français sous le titre L'économie antique) de Μ. I. Finley[386] et dans Économies et sociétés en Grèce ancienne[387] de M. Austin et P. Vidal-Naquet. Nous ne retracerons pas ici – ce qui a été fait maintes fois, il est vrai toujours du même point de vue – les longues controverses entre primitivistes et modernistes, qui auraient enfin trouvé leur vraie solution dans les théories de Karl Polanyi, comme on le sait appliquées de manière effective à l'économie antique par Μ. I. Finley et le courant qui se réclame de lui.

De fait, il n'est pourtant pas aisé de se situer face à cette “Nouvelle Orthodoxie”, selon le qualificatif donné à cette doctrine par K. Hopkins[388], qui en est lui-même un des principaux représentants. On doit en effet la plus haute reconnaissance à Μ. I. Finley d'avoir fait justice de conceptions modernistes les plus plates qui sans autre forme de procès assimilaient le fonctionnement de l'économie antique à celui de l'économie contemporaine. Ainsi, par exemple, qui oserait aujourd'hui affirmer que les sociétés antiques vivaient de la production et de la vente d'objets manufacturés, à l'instar de nos sociétés modernes ? De même, l'accent mis sur la terre comme facteur de production primordial ne saurait plus maintenant être remis en question de quelque manière que ce soit – notons cependant d’emblée que cette vision des choses n'est pas réellement neuve : en adoptant ce point de vue, on ne fait en réalité que revenir à ce qui était une évidence pour les savants du xixe siècle, peut-être parce qu'ils vivaient dans un monde encore très proche de celui des sociétés préindustrielles, mais sans doute aussi parce que mieux que leurs successeurs immédiats ils avaient su ne pas refuser l'image donnée par toutes les sources antiques d'une économie où l'agriculture jouait un rôle clé comme facteur de production. Cette remarque suffit à montrer qu'admettre sur certains points des convergences avec les thèses de la “Nouvelle Orthodoxie” ne constitue pas a priori un acte d'allégeance à l'égard de cette doctrine, mais peut plus simplement ressortir de la même commune constatation d'évidence, même si cette évidence a longtemps été mise sous le boisseau. De ce fait, il est donc clair aussi qu'une éventuelle remise en cause des thèses de la “Nouvelle Orthodoxie” en d'autres matières n'implique nullement un retour aux vieilles lunes du modernisme.

Ce n’est certes pas le lieu de présenter ici une “théorie générale de l'économie”, qui prétendrait remplacer la “Nouvelle Orthodoxie”. Il y a au reste à cela une raison fort simple. Une telle théorie générale, si théorie générale il doit y avoir, ne saurait être assénée en quelques lignes, à coups de concepts a priori et de formules à l’emporte-pièce, qui peuvent certes frapper les imaginations et entraîner des adhésions momentanées, mais qui ne recouvrent en fait rien de solide. Il n’est rien de plus dangereux que de présenter trop vite de vastes “théories” qui ne sont que des généralisations de conclusions partielles, lesquelles souvent se révèlent en outre franchement discutables, si ce n'est totalement infondées, quelques années plus tard. Un bilan théorique serein en matière d'économie antique ne saurait intervenir qu’après une série d'analyses où seraient examinés les principaux points dont on doit du moins savoir gré à la “Nouvelle Orthodoxie” de les avoir mis en discussion, à une époque où le modernisme et son allié de fait le positivisme régnaient en maître.

Parmi ces thèmes[389], il en est un qui constitue l'un des fondements de la doctrine de la “Nouvelle Orthodoxie” : l'inexistence d'une quelconque forme d'action ou de réflexion politique à l'égard du commerce extérieur de la part des cités-États du monde grec ancien, si ce n'est à la rigueur que ces dernières pouvaient avoir une politique d'importation pour satisfaire les besoins alimentaires de la population. Au reste, l'attitude de l'État n'aurait été que le reflet d'un désintérêt universel à l'égard de l'économie et du commerce extérieur en général, et des exportations tout particulièrement.

Sur ce sujet, les développements les plus significatifs sont ceux de Μ. I. Finley dans le chapitre de L'économie antique intitulé “L'État et l'économie” : “La documentation existante, dont il faut bien admettre qu'elle est mince, est marquée par l'absence complète de ce que nous pouvons reconnaître pour des clauses, ou des références, commerciales. Cela ne veut pas dire qu'il n'y eut jamais d'accords commerciaux. Aristote (Rhétorique, 1.4 1360a 12-13) fait figurer l'approvisionnement en nourriture (τροφή) – le choix du mot vaut d’être remarqué – parmi les sujets qui doivent être connus de tout dirigeant politique de façon à pouvoir négocier des accords entre cités[390]”. L'absence d'intérêt pour l'économie se manifesterait en particulier dans l'absence d'une quelconque protection des productions locales : “Considérez seulement les implications d'une taxe portuaire universelle, qui frappait d'un même taux toutes les importations et toutes les exportations. On ne songeait nullement à protéger sa propre production, ou à encourager les importations essentielles, ou à veiller sur la balance commerciale[391]”.

C'est une tonalité absolument identique qu'on retrouve dans Économies et sociétés en Grèce ancienne : “Lorsqu'on dit que les États grecs ont une politique économique, il s’agit toujours d'une politique d'importation visant à assurer l'approvisionnement de l'État et des citoyens en un certain nombre de denrées essentielles pour leur existence, jamais d'une politique d'exportation cherchant à écouler à des conditions avantageuses, voire à imposer à l'étranger la production nationale en concurrence avec les États rivaux. Si l'État tient compte des intérêts économiques de ses membres, c'est uniquement en tant que consommateurs, pas en tant que producteurs. On ne peut donc parler de “politique commerciale" de la part des États grecs que dans un sens délibérément restreint : ils pratiquent uniquement une politique d'importation et non d'exportation[392]”.

Voici fixé nettement le cadre du débat. Comme Aristote est invoqué à titre de principal témoin par les plus distingués des représentants de la “Nouvelle Orthodoxie”, c'est Aristote qu'il convient donc d'interroger en priorité.

La théorie

C’est principalement dans la Politique qu'Aristote développe ses conceptions théoriques sur le commerce extérieur, le sujet étant repris sous l'angle de la pratique dans la Rhétorique[393].

Dans la Politique, on le sait, le point de départ d'Aristote est que la cité, comme toute communauté, est constituée en vue d'un certain bien (1.1.1). Formée naturellement par coalescence d'unités inférieures (villages...), la communauté atteint ainsi “pour ainsi dire le niveau de l'autarcie complète (αὐτάρκεια). Un fois formée, la cité existe pour le “bien vivre”, τὸ εὖ ζῆν (1.2.8). La “fin” et le “meilleur” pour la cité n'est autre que l'autarcie (ἡ δ’αὐτάρκεια καὶ τέλος καὶ βέλτιστον, 1.2.9). Alors que, pour un homme seul, l'autarcie est par définition impossible – si par hasard elle était réalisée elle ferait de lui une bête sauvage ou un dieu (1.2.14), en tout cas un être la-politique – l'autarcie est à la fois le but et l'idéal pour la cité. Divers autres passages de la Politique et de l'Éthique à Nicomaque montrent que l'autarcie doit s’entendre à la fois dans un sens matériel (disposition de tous les biens nécessaires à une vie digne) et spirituel (climat permettant l'heureux épanouissement des membres de la communauté)[394].

Si l'autarcie, entendue dans un sens matériel, est un idéal, il faudrait donc apparemment conclure pour Aristote, même s'il ne le fait pas lui-même, que la cité parfaite devrait être totalement dépourvue de commerce extérieur. Au reste, cette idée concorderait parfaitement avec la méfiance affichée à l'égard des étrangers en général et des marchands en particulier, nettement affirmée dans la Politique, pour ainsi dire dans le droit fil de la tradition des Lois où Platon décrivait dans le détail la manière dont on ferait en sorte que la cité demeure aussi fermée que possible[395]. Si l'on songe à toutes les variétés de fermeture de la vie sociale ou du corps civique que l'on rencontre aux ve et ive s. sous les formes les plus différentes dans un éventail de cités allant de Sparte à Athènes (pour reprendre en matière de cités des types à la fois classiques et parfaitement opposés), il est bien clair que la volonté de fermeture, de repli sur soi, était omniprésente en Grèce ancienne.

Pourtant, on l'a vu, Aristote ne va nulle part jusqu'à affirmer explicitement qu'une cité sans commerce extérieur serait un idéal. Discutant des aspects matériels de l'autarcie procurée par la chôra d'un cité, il signale certes, ce qui n’est après tout qu'un truisme, qu’il faut souhaiter disposer du maximum de ressources sur son territoire : “Les remarques sur le territoire (χώρα) sont à peu près du même genre. En ce qui concerne ses caractères particuliers, tout le monde évidemment fera l'éloge du territoire le plus autarcique (et telle est nécessairement la terre fertile en tout, car avoir tout à sa disposition et ne manquer de rien, c'est cela lautarcie)[396]”. Le Stagirite continue en annonçant une discussion sur ce point – “Cette norme, avons-nous raison ou tort de la poser, voilà un point à examiner avec plus de précision[397]” –, mais celle-ci est malheureusement perdue. En fait, non seulement il n'envisage jamais l’absence de commerce extérieur mais il expose nettement la philosophie qui était la sienne sur les échanges d'une cité.

Dans la pratique en effet, on ne peut jamais se passer de l'échange. Vivre sur soi était encore possible dans les formes les plus “primitives” de la vie sociale où les hommes avaient une activité “directement productrice”[398]. En revanche, dès que la communauté prend une certaine extension, il devient impossible de se passer de l'échange. C'est alors qu'Aristote introduit des précisions qui commencent à dessiner nettement sa conception du commerce extérieur : “(Tout d'abord) des objets utiles s'échangent contre d'autres objets utiles, mais rien de plus : par exemple, on donne ou l'on reçoit du vin en échange de blé, et ainsi pour chacun des autres produits similaires. Ce genre d'échange n'est pas contraire à la nature et n'est pas non plus une forme de l'art d'acquisition, puisqu'il ne servait qu'à compléter l'autarcie naturelle ; et pourtant c'est de lui qu'est sorti logiquement cet art (i.e. la chrématistique, cf. infra). Quand l’aide étrangère devint plus importante par l'importation de ce dont on manquait et l'exportation de ce qu'on avait en surplus, l'usage de la monnaie s'introduisit comme une nécessité[399]”. Ces propositions prennent place dans un développement général sur l'art d'acquisition (ἡ κτητική)[400]. C'est donc de la philosophie de l'acquisition sous sa forme naturelle qu'il s'agit ici, non d'une réflexion sur une pratique étatique. Mais il est aussi tout à fait clair que les exemples choisis (l'échange du vin contre du blé – on retrouvera cet exemple dans l'Éthique) le vocabulaire employé (“l'aide étrangère”, les importations et exportations) et la référence explicite à l'autarcie dont on a vu plus haut qu'elle était la “fin et l'idéal” de la cité, tout cela montre que c’est en prenant pour objet les échanges extérieurs de la cité qu'Aristote élabore son raisonnement théorique.

Laissons de côté le problème de la monnaie, qui n'entre pas ici dans notre perspective[401]. Du propos d'Aristote, on peut retenir quatre points :

• Tout d'abord, il va de soi pour Aristote qu'une cité ne peut se passer d'échanges extérieurs. Même si, comme on a vu précédemment, on doit souhaiter d'avoir une chôra qui permette d'être aussi autarcique que possible, le philosophe ne perd pas son temps à bâtir un modèle de cité imaginaire disposant de tous les biens existant en ce monde : il va de soi pour lui qu’aucune cité ne pourra jamais disposer de tout ce qui lui est nécessaire, qu'il s'agisse de denrées alimentaires, de bois, de métal, etc.

• Les échanges extérieurs sont donc une évidente et absolue nécessité. Par échange extérieur, on doit entendre importations et exportations, qui sont pour lui indissolublement liées, on y reviendra.

• Des échanges extérieurs qui se limiteraient à “compléter l’autarcie naturelle” font partie de l'art naturel d'acquisition” : ils ont donc la faveur du philosophe, qui insiste par ailleurs sur le caractère néfaste de la “chrématistique”, sur lequel il disserte longuement. La chrématistique, c'est la forme d'acquisition qui se prend elle-même pour lin, dont le but n'est pas la satisfaction d'un besoin mais la “soif inextinguible de l'or”. Parfaitement “artificielle”, la chrématistique est on le sait sévèrement condamnée par le philosophe.

• Dans le même temps où il affirme le caractère “naturel” d'échanges extérieurs qui se limiteraient à la satisfaction des besoins, Aristote constate, comme avec mélancolie, que la chrématistique, la mauvaise forme d'acquisition, est indissolublement liée à l'échange, qu'elle est sortie logiquement, κατὰ λόγον, de la forme naturelle d'acquisition, de même que l'usage de la monnaie s'est introduit par nécessité, ἐξ ἀνάγκης.

Ainsi, les échanges extérieurs sont pleinement présents dans la réflexion d'Aristote, avec les limites qui lui paraissent souhaitables pour cette activité. On peut à cet égard établir un parallèle entre les conditions qui prévalent pour l'échange entre les particuliers, pour les échanges internes à la communauté, et pour le commerce extérieur. Il est en effet indispensable que les particuliers puissent échanger, car c’est là en fait “le moyen le plus à la portée de réaliser la pleine indépendance[402]”. De même, il est souhaitable que la ville soit située convenablement dans le territoire de telle sorte qu’il y ait toute facilité pour drainer vers elle denrées alimentaires, bois et autres produits indispensables[403]. De même enfin, pour des raisons qui ne tiennent pas seulement à l'échange mais où les motifs commerciaux sont néanmoins aussi au premier rang, est-il indispensable que la cité ait un accès facile à la mer. malgré le risque social et politique que peuvent représenter les commerçants étrangers[404]. Il est également parfaitement logique que, s'agissant non plus de réflexion théorique mais des conditions pratiques de “l'art d'acquisition”, Aristote signale qu'on doit connaître les trois composantes fondamentales qui sont, dans l'ordre :

• Les soins à la production naturelle (agricole) ;

• L'échange, avec le commerce (dans ses aspects de frêtement, transport et vente), le prêt à intérêt et le louage de travail ;

• L'exploitation des bois et l'extraction des minerais (activité considérée comme “intermédiaire” entre les deux premières composantes)[405].

Pour ce qui est des échanges extérieurs, Aristote prend en considération les besoins de la communauté : cette idée, que l'on a déjà rencontrée, est encore réaffirmée nettement dans le livre VII : “C'est pour elle-même qu'une cité doit faire du commerce[406] ”. C'est d'abord pour satisfaire à la trophè, à l'alimentation, dans les postes où elle est déficitaire, mais aussi nécessairement pour les autres produits de base indispensables (bois, métaux...). Mais, quoi qu’en disent Μ. I. Finley[407], M. Austin et P. Vidal-Naquet, cette politique d'importation est toujours liée chez Aristote à une politique d'exportation, et ce concept est indissolublement lié à un autre, très voisin : la cité doit veiller à combler les déficits et à écouler les surplus. Aristote revient à quatre reprises sur la question :

1. Politique, 1.9.5, dans un développement théorique sur l'art d'acquisition (c'est le passage que nous avons discuté plus haut).

2. Politique, 7.6.4 : “L'importation de tous les produits que l'on ne trouve pas dans le pays et l'exportation du surplus de la production font partie des conditions indispensables[408]”.

3. Cette idée force, on la retrouve encore dans la Rhétorique, 1.4 1360a : le dirigeant politique doit savoir ce que produit sa cité et ce qui lui manque, et avec qui on doit conclure des accords d'importation et d'exportation (ce texte a été mal compris ; nous le discutons en détail infra).

4. Elle est encore présente dans l'Éthique, 5.5.13 1133 b. Aristote indique : ὅτι δ’ἡ χρεία συνέχει ὥσπερ ἔν τι ὄν, δηλοῖ ὅτι ὅταν μὴ ἐν χρεία ὥσιν ἀλλήλων ἣ ἀμφότεροι ἣ ἅτερος οὐκ ἀλλάτονται, ὥσπερ ὅταν οὗ ἔχει αὐτὸς δέηται τις οἷον οἴνου, διδόντες σίτου ἐξαγωγήν. Δεῖ ἄρα τοῦτο ἰσασθῆναι.

Le texte a paru difficile, du fait du membre de phrase ώσπερ ὅταν... ἐξαγωγήν. Jusque là, le sens était clair. Nous traduisons : “Que ce soit le besoin qui maintient la cohésion des parties en fournissant une unité commune, en voici la preuve : s’il n'existe pas de besoin réciproque entre deux parties, soit de la part des deux à la fois, soit d'une seule, elles n'échangent pas.” La suite a paru incompréhensible. Les uns, à la suite de Münscher, optent pour l'insertion d'un oὐ avant ἔχει et, comme par exemple R. A. Gauthier et J. Y. Jolif, comprennent : “Tel est le cas si quelqu'un a besoin de ce que l’on ne possède pas soi-même[409]”. D'autres, comme H. Rackham[410], considèrent que ces clauses “make neither grammar nor sense” et qu’il s'agit là d'une interpolation ; l'éditeur britannique repousse de toute façon la suggestion de Münscher “(as) there seems to be no question here of foreign commerce.”

Remarquons tout d'abord que, quel que soit son sens exact, la phrase en question s'inscrit trop bien dans un développement sur le besoin comme lien social pour qu'on puisse la rejeter sans autre forme de procès. Avec la correction de Münscher, on a un sens sinon conforme au texte du moins apparemment acceptable (on a déjà vu plus haut, dans la Politique, comment un exemple emprunté au commerce extérieur pouvait servir de matière à un raisonnement théorique). Mais en réalité on n'a même pas besoin de la correction de Münscher. La prose d'Aristote, a la fois technique et abstraite, au service d'une pensée qui multiplie les reprises de mêmes termes pour marquer les étapes du raisonnement, est aussi par voie de conséquence une langue qui utilise fréquemment le sous-entendu pour éviter les répétitions abusives. Ainsi, par exemple, l’article employé seul renvoie souvent à un substantif implicite ou déjà mentionné. On trouve un bon exemple de έχω accompagné d'un complément sous-entendu dans Rhétorique, 2.7 1385a (sur l'obligeance) : pour éviter des répétitions trop fréquentes, χάριν n'est pas répété à chaque fois[411]. Dans le passage considéré de l'Éthique, le mot χρεία a déjà été utilisé deux fois dans la phrase et la χρεία est l'objet du raisonnement : aussi comprend-on qu'Aristote sous-entende ici χρείαν dans la formule parfaitement banale χρείαν ἔχειν. Le sens véritable est donc : “Comme lorsque l'autre manque (δέηται τις) de ce dont on a besoin soi-même (οὗ ἔχει – s.e. χρείαν – αὐτός), par exemple de blé, et que les deux partenaires offrent une licence d'exportation de vin.” Dans ce cas. naturellement, dans la mesure où les deux parties ont besoin d'importer la même denrée et qu'ils proposent le même produit d'exportation il n'y a pas entre eux d'échange possible – c'est pourquoi Aristote conclut : δεῖ ἄρα τοῦτο ἱσασθῆναι, “il faut donc égaliser cette relation. La manière dont, dans des cas semblables, l'égalisation des besoins peut se faire par le biais de l'argent fait l'objet de la suite du développement, avec l'étude de l'échange différé. Il n'est nulle part dit explicitement chez Aristote que les exportations servent à financer les importations (dans sa perspective des “surplus” et des “manques” d’origine “naturelle” ce ne pouvait guère être le cas), mais le lien sans cesse établi entre importation et exportation va néanmoins dans ce sens. Au reste, l’idée affleure presque précisément lorsqu'il traite de l'échange différé[412]. Rien de mystérieux en tout cas, rien qui justifie le “traduction conjecturale d'un texte conjectural” (n'est-ce pas parce qu'il y est question d'exportation ?) du commentaire de M. Austin et P. Vidal-Naquet à la version qu'ils donnent de ce texte[413].

Or, si l'on fait une enquête chez d'autres auteurs, on découvre que le propos d'Aristote n'est nullement isolé :

• Thucydide prête aux envoyés corinthiens au congrès de Sparte, à la veille de la Guerre du Péloponnèse, les propos suivants : “Quant aux autres, qui sont établis vers l'intérieur, en dehors des voies maritimes, ils ont à savoir que, s'ils ne défendent pas les gens des bas pays, ils auront plus de mal à écouler leurs produits saisonniers et, inversement, à se procurer en échange ce que la mer fournit au continent (τὴν κατακομίδην τῶν ὡραίων καὶ πάλιν ἀντίληψιν ὧν ἡ θάλασσα τῇ ἠπείρῳ δίδωσι)[414]”.

• Isocrate a une conception des manques et des surplus qui s'apparente à celle d'Aristote, mais avec une vision plus nette de l'inévitable morcellement des sources de richesse entre les diverses cités : “En outre, chaque peuple n’a pas un terroir qui se suffise a lui-même, mais tantôt manque d'une chose, tantôt produit d'autre chose plus que le nécessaire[415]”.

• Chez le Platon doctrinaire des Lois, si rigoureux dans son exclusion des étrangers, exportations et importations (les deux activités étant mentionnées ensemble il faut le souligner, et cela à trois reprises) sont sévèrement limitées au strict minimum (les produits stratégiques et assimilés), cela sous contrôle strict de la cité[416].

• Chez Xénophon historien, on trouve une intéressante allusion au commerce extérieur dans un discours de Jason de Phères[417] où ce dernier, met en parallèle sa puissance naissante et celle des Athéniens : “C'est qu'avec la possession de la Macédoine, d'où précisément les Athéniens font venir leurs bois[418], nous serons en mesure de construire beaucoup plus de vaisseaux qu'eux.” Les Pénestes fournissant les marins, “pour la nourriture de ces matelots, est-ce nous qui devons être mieux en mesure d'y pourvoir, nous chez qui l'abondance de blé est telle que nous en exportons, ou les Athéniens qui n'en ont pas leur suffisance s'ils n'en achètent point ?” Ainsi, Jason se propose d’utiliser les “surplus ordinaires” que permettent les exportations de blé thessalien pour nourrir les matelots de sa flotte.

• Selon Polybe. l'idéal pour une cité est de pouvoir importer et exporter dans les meilleures conditions. Tel est le cas pour Byzance : “Ce sont donc peut-être les Byzantins qui sont le plus avantagés [par l'existence de la route commerciale avec le Pont dont traite Polybe dans ce passage] en raison des particularités de leur situation ; en effet, ils peuvent exporter la totalité de l'excédent de leur production (ἅπαν γὰρ τὸ περιττεῦον παρ’ αὐτοις) et, pour ce qui leur manque, ils peuvent l’importer directement et avantageusement, sans difficulté et sans risque[419]”.

On voit que les conceptions d'Aristote (importation des manques, exportation des surplus) ne sont nullement isolées non seulement de son temps mais aussi dans l'ensemble de la pensée grecque classique et hellénistique puisqu'on les retrouve sous des formes identiques chez Polybe. Au reste, plutôt que d'être le produit spécifique d'une école dont les enseignements se seraient transmis jusqu'à Polybe, on a manifestement là le reflet d'une communis opinio sur la question des échanges extérieurs. En fait, et de manière paradoxale eu égard à la chronologie, l'un des points de vue les plus intéressants sur cette question est celui qui nous est donné par le Vieil Oligarque. Ce dernier souligne en effet le caractère vital des exportations pour de nombreuses cités. Nous empruntons la traduction de Cl. Leduc[420] : “Quant à la richesse, les Athéniens sont les seuls parmi les Grecs et les Barbares à même de la posséder ; car si une cité est riche (πλουτεῖ) en bois propre à la construction de navires de guerre, où pourra-t-elle le vendre si elle ne s'entend pas avec ceux qui ont la maîtrise de la mer ? D'un autre côté, si une cité est riche en fer, en cuivre ou en lin, où pourra-t-elle les vendre si elle ne s'entend pas avec ceux qui ont la maîtrise de la mer ? Or, c'est avec ces matériaux, précisément, que je construis, bien entendu, mes navires de guerre : ce pays me fournit en bois, celui-ci en fer. celui-ci en cuivre, celui-là en lin, celui-là en cire. De plus, nos ennemis quels qu'il soient n'auront plus la possibilité d'exporter ou (s'ils le font) ils ne pourront pas utiliser la voie maritime. Et moi, sans me donner aucune peine, je me procure tous les produits de la terre grâce à la mer ; mais il n'y a pas une seule cité au monde qui en procure deux à la fois : le bois et le lin ne sont pas fournis par la même cité, mais au contraire, là où le lin abonde, la contrée est plate et dépourvue de bois ; le cuivre et le fer ne sont pas fournis par la même cité, pas plus que ne sont fournis par la même cité deux ou trois des autres produits ; au contraire, l'un est fourni ici, l'autre là[421]

Le ton est différent de celui d'Aristote. Les exemples sont plus nombreux et plus concrets (le Stagirite ne s'écartait pas de la trophè). Surtout, il n'est pas question de surplus (cf. πλεονάζω, Pol., 7.6.4) mais bien de “richesse” (emploi de πλουτέω) en telle ou telle denrée. Le caractère hautement novateur et pénétrant de l'essai du Vieil Oligarque se manifeste donc dans le domaine économique tout autant que dans le domaine politique. Alors que pour Aristote les échanges extérieurs, comme du reste tous les aspects de la vie de la cité, sont considérés à travers le prisme de l'image à laquelle ils devraient répondre, on a ici une vision qui ne s'encombre pas du carcan idéologique d'une vision normative et qui de ce fait est plus proche de l'action, du jeu réel des intérêts mis en œuvre par les échanges extérieurs, quelle qu'ait été l'idéologie (par essence très variée) des acteurs eux-mêmes.

Mais c'est peut-être là où on l'attendrait le moins, chez Platon, qu’on trouve en fait le point de vue le plus original. Dans la République, Socrate est amené à examiner la nature de la cité. Il expose ainsi sa genèse, fondée sur l'association de partenaires que lient le besoin (χρεία) qu'ils ont les uns des autres. La division du travail à l'intérieur de la cité permet d'économiser le temps de tout le monde, tout en assurant la fabrication d'objets de meilleure qualité[422]. C'est alors que se pose un autre problème, celui des échanges extérieurs :

“– Mais, dis-je, il serait presque impossible de fonder cette cité en un endroit où elle n'aurait besoin de rien importer. – C’est impossible en effet. – Elle aura donc encore besoin d'autres personnes pour lui apporter d'une autre cité ce qui lui manque. – Elle en aura besoin. – Et si l’intermédiaire part les mains vides, sans rien apporter de ce dont manquent ces cités où il va chercher ce dont ont besoin ses propres concitoyens, il reviendra les mains vides, n'est-ce pas ? — Il me semble. — Il faut donc non seulement produire des denrées en quantité appropriée au pays, mais encore, en nature et en quantité, celles dont manquent les partenaires ? — Il le faut, en effet – Il faut donc augmenter dans notre cité le nombre des laboureurs et des artisans. – En effet, il faut l'augmenter[423]”.

Ainsi, pour le Socrate de Platon, il est clair fondamentalement d'une part que l'État ne peut se passer d'échanges extérieurs (c'est là pour lui une évidence première), d'autre part que le financement des importations suppose des exportations qui soient d'un montant équivalent. Si l’on examine les choses plus en détail, on s'aperçoit en outre que Platon admet comme tout à fait naturelle l'idée qu'une partie de la production soit spécifiquement adaptée, en nature et qualité et en volume, à la demande particulière des pays qui sont ses partenaires commerciaux. Enfin, il est clair pour lui qu'une partie des travailleurs de la cité est occupée à financer par son travail les exportations, cette idée étant le corollaire naturel des précédentes. On a vu que l'idée d'un financement des importations par les exportations était implicite chez Aristote. En revanche, l'idée d'une adaptation d'une fraction de la production intérieure pour les besoins des exportations ne se retrouve pas chez le disciple, du moins dans les parties conservées de son œuvre, et ce n'est sans doute pas là un hasard (la vision normative “antichrématistique” est en fait encore plus affirmée chez le Stagirite que chez son maître). Platon passe pour avoir été un idéaliste peu soucieux des réalités, ce qui n'est en fait que très partiellement vrai. Mais en outre, en l'occurrence, il avance son propos comme une vérité d'évidence, ce qui incite à penser que sa réflexion s'inspirait de ce qu'il pouvait observer tous les jours dans les cités les plus avancées du monde égéen.

Certes, sur le plan théorique, c’est bien la vision des manques et des surplus qui est dominante, quand la vision du Vieil Oligarque (les cités tirent leur richesse des potentialités naturelles, nécessairement différentes, de leur territoire) ou celle de Platon (qui va jusqu'à affirmer la nécessité d'adapter une fraction de la production intérieure pour répondre aux demandes spécifiques des partenaires importateurs) paraissent plus isolées. Mais ces différences de degré dans l'approfondissement du problème posé par les échanges extérieurs n’entraînent aucune discordance fondamentale. En tout état de cause, le point de départ de la réflexion des divers auteurs que nous avons cités est toujours le même : il s’agit de compenser par les importations les manques inévitables. La conception autarcique de la vie de la cité n’exclut donc en aucune façon une réflexion sur les échanges extérieurs – de fait, bien au contraire, la théorie de l'autarcie inclut par définition une réflexion sur les importations et exportations, puisque tous les auteurs anciens savaient bien qu'aucune cité ne pouvait se suffire à elle-même. De même qu'un homme vivant tout seul n'est pour Aristote qu’un sauvage, à l'instar des Cyclopes de l'Odyssée qui vivent séparément, hors de toute vie sociale, de même une cité ne peut vivre seule mais doit communiquer avec ses pareilles et échanger pour obtenir ce qui lui manque. Pour l'individu comme pour la cité, c'est le besoin, la χρεία, qui fonde la relation avec les autres.

La pratique

Par ces analyses du rapport entre théorie et pratique, nous avons déjà abordé le second volet, celui des modalités concrètes d'organisation du commerce extérieur d'une cité.

C’est cette fois la Rhétorique qui va nous servir de fil conducteur. Pour Aristote, cinq sujets méritent d'être pris en considération par les dirigeants d'une cité :

• Moyens de revenus (πόροι[424])

• Guerre et paix

• Protection du territoire

• Importation et exportation (τὰ εἰσαγομένα καὶ έξαγoμένα)

• Législation[425].

D'emblée, on peut remarquer que le problème des échanges extérieurs, sous la forme de l'importation et de l'exportation, est posé comme l'un des plus importants qui soient pour une cité – hasard peut-être, cette question est même placée avant la législation, sujet dont on connaît pourtant l'importance aux yeux des Grecs de l'Antiquité. Le passage mérite une discussion approfondie :

’Έτι δὲ περὶ τροφῆς, πόση δαπάνη ἱκανὴ τῇ πόλει, καὶ ποία, ἡ αὑτοῦ τε γιγνομένη καὶ εἰσαγώγιμος, καὶ τίνων τ’ ἐξαγωγῆς δέονται καὶ τίνων εἰσαγωγῆς, ἵνα πρòς τούτους καὶ συνθῆκαι καὶ συμβολαὶ γίνωνται· πρòς δύο γὰρ διαφυλάττειν ἀναγκαῖον ἀνέγκλήτους τοὺς πολίτας, πρòς τε τοὺς κρείττους καὶ πρòς τοὺς εἰς ταῦτα χρησίμους[426].

Pour ce qui est du début, le sens est clair et nous reprenons ici la traduction de la CUF : “Puis, au sujet de l’alimentation, il faut savoir le montant et la nature de la dépense qui convient à la cité, les produits de son sol et ceux qui sont importés.” On retrouve là la conception explicitée plus haut, celle d'un commerce extérieur dont la fonction est de compléter les manques de la production par des importations compensées (le raisonnement est implicite) par l'exportation des excédents. Nous avons traduit trophè par “alimentation”, ce qui est le sens normal, mais dans la mesure où Aristote ne pouvait pas ignorer que les objets du commerce extérieur consistaient aussi en d'autres denrées (bois, métaux...), on peut se demander si le terme ne pourrait pas être traduit ici par “subsistances”, au sens qu’avait ce terme en français classique, “ensemble des vivres et des objets qui permettent de subsister”, selon la définition du Robert. Mais l'important est dans la suite du texte, dans le membre de phrase allant de καὶ τίνων à γίνωνται. Le passage est traduit ainsi par M. Dufour dans la CUF : “Ceux [i.e. les produits] qu'il faut exporter et ceux qu'il faut importer, afin de conclure avec les peuples pouvant les recevoir ou les fournir pactes et conventions.” Commentant ce texte et reprenant finalement la traduction de la CUF, Ph. Gauthier signale : “Après bien des hésitations, j'ai reproduit la traduction de M. Dufour (CUF), qui est la traduction habituelle. Elle présente deux inconvénients : d'abord, elle répète la même idée (cf. “les produits qui sont importés”... “ceux qu'il faut importer”) ; ensuite, τούτους est un démonstratif “en l'air”, qui oblige à une glose. On pourrait se demander si les deux τίνων ne sont pas des masculins (annonçant τούτους), désignant les communautés dont la cité ne saurait se passer soit pour l'exportation soit pour l'importation ; mais la construction serait malaisée[427]”.

Ainsi, Ph. Gauthier a bien vu les difficultés de la traduction de M. Dufour, et sur ce point il n'y a rien à ajouter, sinon qu'il faut évidemment rejeter cette traduction puisqu'elle est inacceptable. Quant à la construction de la phrase, elle ne pose pas en fait de réel problème, à condition qu'on accepte le sens manifeste du propos d'Aristote. Le verbe δέομαι a deux significations, très proches l'une de l'autre : manquer de quelque chose (construit avec l'accusatif ou le génitif de l'objet) ; demander quelque chose à quelqu'un, et en ce cas il se construit soit avec le génitif de la personne et l'accusatif de l'objet, soit avec le génitif de la personne et le génitif de l'objet[428]. C'est évidemment ce second sens, avec une construction employant le double génitif, qui est ici le bon. On doit comprendre : “(Et il faut connaître) les États à qui demander une licence d'exportation, et ceux à qui demander une licence d'importation, afin de conclure avec eux συνθῆκαι et συμβολαί[429]”. Qu'une cité puisse être concernée par le commerce extérieur – et rappelons-le c'est là selon Aristote un des cinq sujets capitaux sur lesquels doit s'exercer la délibération des hommes d'État – au point d'être demanderesse en licences d'exportation et d'importation d'autres cités, voilà qui ne cadre guère avec les conceptions de la “Nouvelle Orthodoxie”.

Il est donc indubitable qu'il existait des συνθῆκαι et des συμβολαί relatives aux exportations et importations. La volonté de Ph. Gauthier de réduire les συνθῆκαι dont il est question à des clauses plus ou moins vagues (“conditions d'accès au port, aux marchés, exemptions de taxes ?”), mais en tout cas renvoyant moins au “commerce des produits qu'à la possibilité pour des individus d’exercer leurs activités sans crainte d'injustice[430]” ne nous paraît pas recevable, du moins dans l'esprit de l'analyse qui est celle de Ph. Gauthier. Tout d'abord, et de la manière la plus naturelle puisque l'un ne va pas sans l'autre, la possibilité d'exporter ou d'importer une production vers ou en provenance d'une autre cité a comme présupposé la sécurité des commerçants qui s'y rendent. Il ne paraît pas utile d'épiloguer sur ce point. S'agissant de la formule d'Aristote de συνθῆκαι περὶ τῶν εἰσαγωγίμων existant entre Tyrrhéniens et Carthaginois[431]. Ph. Gauthier considère d'abord que de telles clauses ne peuvent que renvoyer à une réalité non grecque, puisqu'on ne trouverait pas de parallèle dans le monde hellénique. Mais si, sur ce point. Étrusques et Carthaginois d'une part, Grecs de l'autre, différaient de manière radicale, l'argumentation d'Aristote dans tout le passage (des accords comme des συνθῆκαι, συμβολαί et γραφαὶ περὶ συμμαχίας ne suffisent pas à faire de deux partenaires une seule cité) deviendrait parfaitement sans objet. Bien au contraire, c'est parce que la réalité étrusque et carthaginoise en matière de vie en κοινωνία et en matière de relations extérieures était perçue par les Grecs comme tout à fait semblable à la leur que l'exemple a un sens dans le développement d'Aristote[432]. S'il choisit celui-là, plutôt qu'un autre exemple emprunté aux relations réciproques de deux cités grecques, c'est d'abord pour bien montrer que de tels accords ne peuvent faire de deux κοινωνίαν une seule et même cité, la différence ethnique et l'éloignement géographique existant entre Étrusques et Carthaginois les séparant de manière totale. On peut ajouter aussi que l'ancienneté et l’importance des accords entre Carthage et les Étrusques[433], encore renouvelés peut-être peu de temps avant qu'il n'écrivît la Politique, avaient pu inciter à prendre cet exemple connu de tous : aucun Grec cultivé du ive siècle ne pouvait en effet ignorer l'accord séculaire qui liait Etrusques et Carthaginois. Mais que Carthage, en tant qu'État, soit assimilée dans le raisonnement d'Aristote à une cité grecque, c'est ce qui ressort de la série de passages où sa constitution est décrite, et souvent donnée en exemple : à aucun moment elle n'est rejetée dans la “barbarie”, au point qu'un lecteur non prévenu[434] pourrait croire qu'il est question avec Carthage d'une cité grecque parmi d’autres. Il est vrai que si pour se faire une idée du contenu des accords entre Carthage et le monde étrusque on prend en considération les accords entre Rome et la cité punique (encore qu'il serait abusif de considérer qu'Aristote pensait précisément à Rome, qui n'avait pas alors un rang exceptionnel), on voit certes d'une part que les préoccupations commerciales sont mises sur le même pied que les préoccupations strictement politiques, mais aussi d'autre part qu'il n'est pas question explicitement du commerce de tel ou tel produit, mais de réglementation des transactions[435]. On verra cependant plus loin, avec l’analyse du parallèle qu'on peut mener entre Byzance et Corcyre, comment les préoccupations relatives aux commerçants sont directement liées à celles qui concernent les produits. Notons seulement pour le moment que ce que l'on peut savoir des échanges commerciaux de Carthage au ve s. correspond parfaitement à la notion de complémentarité des échanges telle qu'elle défi nie par Aristote. A la suite de Timée sans aucun doute, Diodore attribue la prospérité d'Agrigente au ve s. à ses exportations d'olives et de vin vers Carthage, la Libye n’étant alors pas encore (οὔπω) plantée en arbres fruitiers. De la sorte, “les habitants du territoire d'Agrigente acquirent en pratiquant l'échange avec la Libye des richesses d'un montant incroyable” (oἱ τὴν ’Aκραγαντίνην νεμόμενοι τον ἐκ τῆς Λιβυής ἀντκφορτιζόμενοι πλοῦτον οὐσίας ἀπίστους τοῖς μεγέθεσιν ἐπέκτηντο)[436].

Quant aux συνθῆκαι περὶ τῶν εἰσαγωγίμων, il n’y a évidemment aucune difficulté à considérer qu'elles pouvaient être incluses dans des traités ou conventions d'alliance. Dans une longue argumentation, Ph. Gauthier voudrait définir de manière stricte les συνθῆκαι comme des traités formels[437]. Il pense apparemment aboutir ainsi à mettre Aristote en contradiction avec lui-même puisque ce dernier parle d'abord de συνθῆκαι περὶ τῶν εἰσαγωγίμων (donc idée d'accords spécifiques sur des produits) et un peu plus loin de συνθῆκαι qui ont pour conséquence de préserver réciproquement de toute injustice les citoyens de la cité partenaire : συνθῆκαι περὶ τῶν εἰσαγωγίμων ne serait donc qu'une formule maladroite qui recouvrirait en fait des accords sur les personnes. En fait, loin d'être sans intérêt comme le voudrait Ph. Gauthier, l'emploi du mot συνθῆκαι par Démosthène dans le C. Leptinès, 37, pour désigner les avantages réciproques concédés et reçus par les Athéniens et le roi du Bosphore permet en réalité de comprendre ce qu'entendait Aristote par συνθῆκαι περὶ τῶν εἰσαγωγίμων : ces “conventions”, ces “contrats”, étaient en fait des “engagements” pas nécessairement bilatéraux dans la forme[438]. Concrètement, ces συνθῆκαι pouvaient prendre les formes les plus diverses : clauses de traités certes, mais aussi concessions unilatérales, comme celles des décrets de cités ou des rescrits royaux accordant telle ou telle dôrea.

Il est vrai cependant que la plupart des accords ou conventions pouvant être mis en relation avec le commerce extérieur concernent le droit des personnes et non les produits. Est-ce à dire pourtant que lorsque deux États concluaient des accords sur le droit des personnes les conséquences que ces accords pouvaient avoir sur l'échange de leurs produits respectifs étaient involontaires – un effet secondaire en quelque sorte ? Ou bien au contraire les conventions relatives aux personnes pouvaient-elles n'être conclues que dans le but de faciliter l'échange des produits, dans le cadre d'une véritable stratégie d'importations et exportations ? La mise en parallèle de deux documents relatifs l'un à Corcyre, l'autre à Byzance, va permettre d'en juger.

Selon Thucydide, un peu avant les premiers engagements qui allaient mettre aux prises Athènes et Corinthe en 433, des envoyés corinthiens s'en prennent à Corcyre devant l'assemblée d'Athènes, pour dissuader les Athéniens de porter secours aux Corcyréens. En particulier, ils accusent ces derniers de ne pas respecter le bon usage de la vie internationale des cités grecques : “Avec cela, la situation de leur cité leur assure l'autarcie et, plutôt que de se lier par des conventions, ils se font juges des torts qu'ils causent à autrui : en effet, ils n'ont pas à prendre la mer pour se rendre chez leurs voisins mais accueillent très volontiers les navires étrangers qui, par nécessité, doivent y faire relâche. Et, dans ces conditions, la belle neutralité[439] qu'ils affichent n'est point due à la crainte de se voir associés aux injustices des autres, mais à la volonté de commettre les leurs tout seuls, d'agir par la violence quand ils sont les plus forts, de prendre leur avantage à l'insu des autres et de ne pas se gêner à s'assurer un profit si l'occasion se présente[440]”. Éliminons tout d'abord un contresens qui pourrait éventuellement surgir à la lecture de ce texte. Thucydide voudrait-il dire que les Corcyréens ne font qu’importer, puisque les commerçants étrangers viennent fréquenter leurs ports alors que les commerçants corcyréens ne fréquentent guère les ports étrangers ? En aucune façon : le discours de l'envoyé de Corinthe veut au contraire montrer l’astuce des Corcyréens. Ce sont les commerçants étrangers qui, forcés de venir dans leurs ports, assurent importation et exportation de leurs productions, sans qu'ils aient eux-mêmes à envoyer des commerçants dans d'autres cités, donc sans être liés par des conventions. On sait en particulier que Corcyre possédait de grands vignobles et que les amphores de Corinthe étaient exportées[441].

Ainsi, l'αὐτάρκεια des Corcyréens correspond manifestement à la définition d'Aristote : c'est la possibilité d'importer les denrées dont on manque, compensée par l’exportation des produits de son propre territoire dont il est possible de disposer. Le rapprochement avec Byzance, cité à propos de laquelle nous avons déjà mentionné le commentaire de Polybe[442], illustre merveilleusement cette proposition, A trois siècles de distance en effet, le commentaire de Polybe est le contrepoint le plus parfait de celui de Thucydide. Comme Corcyre en effet, Byzance est située en un point de passage obligé de tous les navigateurs, sur une route commerciale très fréquentée. Or, nous dit Polybe, les Byzantins peuvent exporter leurs surplus et importer les denrées qui leur manquent dans les meilleures conditions, sans aucune peine et sans aucun risque : ce sont en effet les commerçants étrangers qui viennent chez eux, tout comme pour les Corcyréens. On retrouve là la description de l'αὐτάρκεια d'Aristote. Mais le propos de Polybe, tout comme celui de Thucydide, montre aussi le caractère exceptionnel de l'autarcie de Corcyre et de Byzance. Si les Corcyréens se font eux-mêmes juges des conflits judiciaires avec les étrangers survenant dans leurs ports, sans être liés d'aucune façon par des conventions (συνθῆκαι) d'aucune sorte, ce n'est qu'à leur situation exceptionnelle qu'ils le doivent. S’il en est ainsi, c'est donc que d'ordinaire, pour assurer leurs importations et leurs exportations, les cités doivent au contraire se lier par des συνθῆκαι réglant entre autres le droit des personnes. Or c'est exactement ce que nous dit Aristote dans le passage en cause de la Rhétorique : συνθῆκαι ετ συμβολαί, qu'on conclut avec ceux avec qui cela paraît utile, sont destinés à assurer exportation et importation, par des accords d'ἐξαγωγή et d'εἰσαγωγή, les uns et les autres négociés entre cités qui doivent y trouver réciproquement leur avantage, en évitant les “préjudices” dont seraient victimes leurs commerçants. Le rapprochement s’impose donc encore entre Thucydide et le propos d'Aristote dans la Politique[443], déjà mentionné, à propos de l'accord entre Étrusques et Carthaginois, avec les συνθῆκαι περὶ τῶν εἰσαγωγίμων καὶ σύμβολα περὶ τοῦ μὴ ἀδικεῖν καὶ γραφαὶ περὶ συμμαχίας, et le commentaire d’Aristote selon lequel le seul but de ces conventions est “qu'ils ne puissent se porter préjudice les uns aux autres” : c’est précisément l'ἀδικία envers les étrangers qui est reprochée aux Corcyréens par l'envoyé de Corinthe, car les Corcyréens n’ont pas conclu de συνθῆκαι avec d’autres cités dans la mesure où ils peuvent importer et exporter sans difficulté. On comprend donc aussi qu'Aristote emploie tout naturellement une formule faisant allusion à l'échange des produits (συνθῆκαι περὶ τῶν εἰσαγωγίμων) lorsqu'il traite des rapports entre Carthage et les Étrusques, quel qu'ait été le détail de la rédaction du texte de ces conventions (mention explicite de telle ou telle catégorie de produits ou seulement réglementation des échanges).

Notons enfin que le rapprochement avec Thucydide et l'absence de συνθῆκαι liant les Corcyréens à d’autres cités ne permet plus d'accepter la proposition de Ph. Gauthier de distinguer dans le passage en cause de la Rhétorique entre des συνθῆκαι qui seraient négociées avec des États plus puissants (aspect politique) et des συμβολαί qui le seraient dans un but de profit (aspect judiciaire et commercial). Au reste, le traité entre Amyntas et la Ligue chalcidienne[444], désigné sous le terme de “conventions” (συνθῆκαι) ne comporte-t-il pas précisément des clauses relatives à l'exportation (ἐξαγωγή), l'ensemble étant qualifié de ξυμμαχίη[445] ? La distinction entre συνθῆκαι et συμβολαί n'a ici pas lieu d'être.

Il reste cependant encore deux points à expliciter, dont nous traiterons de manière conjointe : d'une part, savoir si pour de bon, parallèlement avec les σύμβολα et συμβολαί garantissant le droit des personnes, existaient effectivement des accords concernant spécifiquement les produits, des συνθῆκαι ayant valeur d'engagement à long terme et portant sur des objets de commerce ; d'autre part, mettre si possible en évidence l'existence de sources montrant la recherche de partenaires commerciaux non seulement à l'importation, mais aussi à l'exportation.

Pour ce qui est du premier point, notons d'emblée que l'existence d'accords mentionnant des objets de commerce est démontrée par des documents comme le traité entre Amyntas III et la Chalcidique[446] déjà mentionné, avec les clauses spéciales relatives au bois qui, on doit le souligner, s'inscrivent dans un accord plus large sur les exportations et importations mutuelles. Mais c'est déjà de bois (selon toute vraisemblance) et d’avirons qu'il était question dans le décret en faveur d'Archélaos de Macédoine, en 407-406[447] :

[30-31] [χσύλ]α καὶ κοπέας καὶ

[ἄλλα hóσv ἐδέοντο παρ’] αὐτõ ἀγαθά

Naturellement, le dossier – de quelle importance, puisqu’il s'agit de la moitié des importations de blé d'Athènes, le plus gros centre de consommation du monde de l'époque – des relations entre Athènes et le royaume du Bosphore entre parfaitement dans la catégorie des συνθῆκαι περὶ τῶν εἰσαγωγίμων[448]. On sait que des privilèges semblables, mais moins avantageux pour eux, avaient été accordés aux Mytiléniens[449].

Mais, dira-t-on, dans le cas du bois de Macédoine et du blé du Bosphore, il s'agit d'accords d'importation pour “compléter l'autarcie” d'une cité. Ce serait oublier naturellement que pour qu'il y ait importation il faut aussi qu'il y ait exportation : les royaumes de Macédoine et du Bosphore en tiraient de gros bénéfices. On pourrait cependant encore objecter qu'en matière de blé, denrée vitale pour l'alimentation de la population, ou de bois, matériau stratégique par excellence, c'étaient les Athéniens qui étaient demandeurs, et non leurs partenaires.

S'agissant de la Macédoine pendant une très longue période, et à plus forte raison encore du royaume du Bosphore, avec l'atélie et le privilège de priorité à l'embarquement dont jouissaient les Athéniens, on peut aussi se demander quel pouvait être éventuellement l'avantage du vendeur en accordant ces privilèges : il ne s'agissait sans doute pas là seulement d'un pur cadeau désintéressé. Pour ce qui est du ve siècle, il ne faut pas oublier que de toute façon Athènes, puissance impériale, maîtresse des mers, était le partenaire obligé de la Macédoine, et même du Bosphore d'une certaine façon, si ces royaumes voulaient vendre toute leur production (il suffit de songer au propos du Vieil Oligarque évoqué plus haut). Au ive siècle, les conditions avaient changé et les rapports se posaient davantage en termes ordinaires de commerce. Mais les Athéniens n'étaient-ils pas le partenaire commercial idéal, avec leurs achats massifs et leurs paiements réguliers (en nature le plus souvent sans doute[450] ?) Privilège de l'acheteur en gros : il peut acheter au meilleur prix, et on lui assure les quantités qu'il souhaite. Même au ive siècle donc, accorder de tels privilèges d'exportation à une cité comme Athènes ne relevait que de l'intérêt bien compris du vendeur, qui était ainsi assuré de vendre régulièrement toute sa production sans souci d'aucune sorte, assuré donc aussi de rentrées d'argent régulières. On comprend qu'en contrepartie les rois du Bosphore se soient contentés d'avantages qui nous paraissent moins importants.

Pour ce qui est cette fois de recherche effective d'un marché d’exportation, on peut d'abord évoquer le fameux décret de Mégare[451], qui illustre parfaitement le propos du Vieil Oligarque. Exemple limite même, car les Mégariens n'avaient qu'une terre peu fertile, pas de revenus portuaires et pas de mines d'argent, ainsi que le signale Isocrate[452]. Ils vivaient de leur rôle d'intermédiaires pour les cités du Péloponnèse et de l'exportation des produits de leur agriculture vivrière et de leur artisanat[453]. Sans doute, le cas de cités vivant ainsi prioritairement des produits d'une petite agriculture vivrière et de l'artisanat n’était-il pas la norme. De ce point de vue, Mégare n'était pas comparable aux grandes cités du monde grec, même si en fait, dans nombre de petites cités de mer Égée encore plus pauvres qu’elle, on n’avait guère à exporter que la force de ses bras. G. E. M. De Sainte-Croix a cependant voulu démontrer que lorsque Thucydide signalait que le décret de Périclès interdisait l’accès des Mégariens à l'agora attique, il s'agissait de l'agora entendue au sens politique[454]. Le décret n'aurait donc eu aucune portée économique. Mais cette thèse extrême a été rapidement réfutée[455]. Cependant, pour ce qui nous intéresse, et même s'ils sont erronés, les arguments de l'historien britannique donnent à réfléchir.

Pour lui en effet, croire que l'interdiction faite aux citoyens de Mégare d'avoir accès à l'agora attique et aux ports de l'empire pouvait gêner économiquement les Mégariens repose sur l'idée que seuls les Mégariens faisaient le commerce de leurs propres produits : rien n’aurait empêché les Mégariens de confier leurs produits à des intermédiaires quelconques pour tourner le blocus athénien. Selon G. E. M. De Sainte-Croix, l'interdit lancé par Athènes aurait été si facile à tourner qu’il serait impossible que le décret de Périclès ait eu la signification qu'on lui prête habituellement. Une prohibition, en temps de paix, portant sur des importations et des exportations lui paraît étrangère à la mentalité des Grecs de l'Antiquité.

En fait, au contraire, on a vu que les développements de Platon et plus encore ceux d'Aristote, ainsi que de nombreux décrets accordant à telle communauté ou à tel particulier le privilège d'εἰσαγωγή et d'ἐξαγωγή, montrent clairement que le contrôle des échanges extérieurs était consubstantiel à la souveraineté de la cité. Ce n'était pas la “liberté de commerce” qui était la règle en la matière, mais, au moins potentiellement, le contrôle des échanges, comme le montrent les décrets donnant en matière commerciale des privilèges analogues à ceux des citoyens.

Mais, surtout, plusieurs passages des Acharniens montrent de manière irréfutable qu'un contrôle pouvait s'exercer sur les produits importés en fonction de leur provenance. C’est bien leur origine mégarienne que les sycophantes dénoncent dans des produits aussi divers que petits manteaux de laine (la spécialité de Mégare), concombres, levraut, cochon de lait, gousse d'ail et grain de sel[456]. Entrés en contrebande, ces produits étaient aussitôt saisis et vendus aux enchères. Naturellement, Aristophane s'en donne à cœur joie : un concombre de Mégare diffère-t-il d'un concombre attique ? Comment faire la différence ? L'humour a la part belle. Pourtant, il existait bel et bien des modalités pratiques de contrôle de provenance sur les produits importés[457]. Naturellement, à la date où furent représentés les Acharniens (425), ce sont tous les produits des pays ennemis qui sont interdits en Attique, les anguilles béotiennes tout autant que le porcs mégariens. Mais le rappel explicite par Aristophane du décret de Périclès excluant les Mégariens et ses conséquences (les Mégariens sont très vite affamés) montre bien que l'exclusion des Mégariens impliquait ipso facto celle des produits mégariens.

En filigrane de la mesure d'exclusion qui dans la formule de Thucydide frappe les personnes (et n'oublions pas que nous ne possédons pas le texte même du décret), il faut donc voir une mesure de prohibition frappant les produits, les objets de commerce. On rejoint très exactement le propos du Vieil Oligarque et avec le cas des Mégariens on a un cas irréfutable de recherche – désespérée – d'un marché d'exportation par une cité de second rang, ne pouvant aspirer à aucun grand rôle de domination politique et vivant sa vie quotidienne au rythme des productions qu'elle pouvait exporter.

Un document milésien, d'époque hellénistique cette fois, donne un exemple des modalités de recherche d'un marché d'exportation et illustre le propos d'Aristote qui, rappelons-le, faisait référence aux requêtes auprès d'autres États que devait effectuer une cité pour s'ouvrir un marché d'exportation. Il s'agit d'un décret de la cité de Milet pour un citoyen bienfaiteur, Eirénias, fils d'Eirénias[458] :

[II] Ἀντιόχου καὶ παραστησάμενος αὐτὴν εἰς τὸ λαβεῖν παρὰ τοῦ ἀδελφοῦ

βασιλέοις Ἀντιόχου ἀτέλειαν τῶι δήμου πάντων τῶν ἐκ τῆς Μιλησίας εἰσ-

αγομένων γενημάτων εἰς τὴν βασιλείαν, ὥστε διὰ τῆς γεγενημένης

συνχωρήσεως ἔνδοξον μὲν τὴν δωρεὰν εἰς ἅπαντα τὸν χρόνον γεγονέναι

[5] πρὸς ἐπαύξησιν δὲ ἀνήκουσαν τῶν τε τῆς πόλεως καὶ τῶν ἐκάστου τῶν

ἰδιωτῶν προσόδων ....

“(... du roi) Antiochos et qu'il l'a amenée à obtenir du roi Antiochos son frère, en faveur de notre peuple, une exemption de taxes dans son royaume pour toutes les productions du territoire de Milet exportées dans son royaume, de manière que, grâce à cette concession, le cadeau soit illustre pour toujours et qu'il serve à l'accroissement des revenus de la cité comme aussi de chaque particulier...”

Le décret date d'environ 167-160 a.C. L'époque de la concession est à coup sûr celle d'Antiochos IV, qui règne de 175 à 164. Or, à ce moment, depuis la paix d'Apamée, le royaume séleucide a été rejeté au-delà du Taurus : les exportations milésiennes à destination du royaume séleucide sont donc des exportations à grande distance, par voie maritime, et non des transferts vers un territoire voisin. Ce sont les Milésiens qui ont pris l'initiative de la démarche faite auprès d'Antiochos. Il est remarquable que l’atélie concerne explicitement les produits de la chôra milésienne et non les personnes[459]. On doit noter aussi le lien établi de la manière la plus explicite entre la prospérité de la cité et celle de ses citoyens, de même que, vers 205-204, à la suite des ravages subis par leur chôra pendant de longues années du fait des guerres, les Milésiens avaient déploré la baisse concomitante des revenus publics et privés[460].

Recherche de produits à importer pour la trophè et tout ce qui s'y rattache, recherche donc aussi de marchés pour les cités qui vivaient de telle ou telle production. Mais il manque encore deux éléments pour compléter le programme défini par Aristote, négativement cette fois : le contrôle des importations et celui des exportations (les dirigeants doivent connaître les marchandises qu'il faut importer et exporter, mais ils doivent aussi connaître celles dont ils faut prohiber l'importation ou l'exportation en fonction de “la dépense convenable” (δαπάνη ἰκανή).

On a toujours répété que l'absence de souci des Grecs pour le commerce extérieur se manifestait en particulier par leur désinvolture à l'égard de leurs “productions nationales” (concept qui, en soi. mériterait d'être sérieusement revu s'agissant d'une cité grecque), incapables qu'ils étaient de prévoir par exemple des mesures fiscales à l'égard des produits étrangers qui pouvaient menacer leur chôra. Mais on peut se demander s'il n'y a pas là un contresens total. Les remarques que nous avons faites précédemment sur la souveraineté de la cité en matière d'échanges s'appliquent naturellement pleinement aussi au contrôle des importations : la cité se réservait le droit de les interdire puisqu'elle pouvait délivrer des licences d'importation (privilège d'εἰσαγωγή). Sans doute, d'ordinaire, dans des cités qui en réalité avaient un besoin vital d’importations de toutes sortes (on ne trouve par exemple ni fer, ni cuivre, ni lin, ni bois dans les cités des Cyclades, sans parler du blé en quantité insuffisante), on ne devait guère faire la fine bouche sur les denrées importées. Mais qu'un produit devienne gênant et son importation était aussitôt interdite. Thasos, cité productrice de vin, proscrivait l'importation par des navires thasiens de vin étranger sur son territoire (la loi est malheureusement mutilée et nombre de prescriptions nous échappent)[461]. F. Salviat signale opportunément une loi en vigueur à Marseille du xiiie au xviie siècle qui de même proscrivait l'importation de vin dans la ville car cette production constituait une source de revenus essentielle pour ses habitants[462]. Interdire purement et simplement l'importation d'un produit étranger (pour des raisons politiques ou économiques), c'était naturellement frapper beaucoup plus fort qu'avoir recours à des mesures fiscales, alors que de telles mesures fiscales sont envisagées, peu importe que ce soit de manière plaisante, pour inciter à l'importation à Athènes de vin de Lesbos[463].

Quant au contrôle des exportations, il est largement attesté et encore une fois si une exportation (ou une réexportation) apparaissait nuisible, on la prohibait purement et simplement. Le cas est bien attesté à Athènes et dans une série d'autres cités et il est inutile de s'y étendre longuement[464].

On peut maintenant mieux comprendre le sens de la clause finale du passage des Lois évoqué précédemment. Nous la traduirions ainsi : “Quant aux armes et à tous les instruments de guerre, s'il est besoin d'importer à cet usage une technique, une plante, un métal, un cordage, ou un animal, que les hipparques et les stratèges décident de l'importation et de l'exportation (εἰσαγωγῆς τε καὶ ἐξαγωγῆς), que la cité accorde ou reçoive ce droit (διδούσης τε ἄμα καὶ δεχομένης τῆς πόλεως), et les nomophylaques porteront à cet égard les lois appropriées et adaptées”[465]. Ainsi se retrouvent les quatre aspects que nous avons développés précédemment :

Droit ou privilège accordé par la cité :

• Importation : c’est l'autorisation accordée aux commerçants d'importer un produit : il peut y avoir prohibition totale (cas de la loi de Thasos sur le vin), ou au contraire incitation à l'importation (proposition, du moins sur la scène du théâtre, d'instaurer un traitement fiscal de faveur à l'importation du vin de Lesbos).

• Exportation : autorisation accordée (cf. la Macédoine pour le bois, le Bosphore pour le blé) ou refusée d'exporter telle ou telle denrée (cf. les interdictions frappant les exportations de blé).

Droit ou privilège reçu par la cité :

• Exportation : autorisation obtenue d'un État étranger, avec éventuellement traitement de faveur, pour importer des denrées de ce pays (cas des Athéniens recevant l'autorisation d'importer du bois de Macédoine ou du blé du Bosphore).

• Importation : autorisation obtenue d'un État étranger, avec éventuellement traitement de faveur, d'importer sur son territoire des denrées produites par la cité (cas des cités de mer Égée cherchant à avoir accès au marché athénien au Ve siècle ; cas des Milésiens obtenant pour leurs produits l'atélie dans le royaume séleucide au iie siècle).

Dès lors, comment peut-on nier que les cités – ou du moins nombre d'entre elles, qui regardaient vers la mer et étaient ouvertes aux échanges – s'intéressaient très directement, en tant qu'États, au commerce extérieur, et pas seulement pour l'importation de denrées alimentaires ? La trophè était certes un souci essentiel mais ce sujet ne pouvait pas à lui seul tenir lieu de politique de la cité en matière d'échanges extérieurs. En effet, pour pouvoir importer, il fallait aussi exporter et s'en donner les moyens. Aussi les cités devaient-elles rechercher des partenaires commerciaux susceptibles soit de fournir les denrées dont on avait besoin, soit de recevoir celles qu'on pouvait fournir : c'était là une évidence pour Aristote. Certes, une telle constatation pose à son tour une série de problèmes, en particulier quant à l'articulation entre les mesures étatiques et l’activité concrète des commerçants. Il suffira ici de constater du moins que, en tant qu'États, les cités ne pouvaient se désintéresser du commerce extérieur.

Chapitre VII. L’attentat d’Hiéron et le commerce grec

A l’été 340, les heurts entre Philippe et les Athéniens, sans cesse plus violents au cours des années précédentes depuis la paix de 346, débouchent sur la guerre[466]. La chronologie exacte des événements laisse encore quelques zones d’ombre, qui ont donné matière à discussion. La reconstitution la plus vraisemblable est néanmoins la suivante. Philippe vient attaquer Périnthe au mois de juillet 340. Le siège se révèle beaucoup plus difficile que prévu, entre autres parce que la cité reçoit de l’aide de sa voisine Byzance. Après deux mois de siège infructueux, sans abandonner sa première proie. Philippe tente alors de s’emparer de Byzance elle-même, mais là aussi il enregistre un échec devant les murailles de la ville.

Pourtant, peu après, le roi de Macédoine tente et réussit un heureux coup de main. A la mi-septembre, faute de pouvoir gagner Byzance, les navires chargés de blé en provenance du Pont se rassemblent à l’entrée nord du Bosphore, à Hiéron, sur la côte asiatique. Ce poste était le lieu traditionnel de concentration des flottes de commerce se dirigeant vers Athènes et de leur escorte[467]. La petite flotte de Philippe était bien suffisante pour arraisonner tout navire venant du Pont. Pour prévenir cette menace, Athènes avait dès l’année précédente dépêché Charès, à la tête d’une flotte assez importante pour pouvoir tenir tête à celle de Philippe. A l’automne 340, la mission de Charès était de protéger les navires marchands et de les escorter à travers la zone dangereuse que constituaient les Détroits. Si l’on tient compte de la configuration des lieux, c’était là une tâche fort difficile. Le sens tactique de Philippe lui permit d’apercevoir les possibilités qui s’offraient.

Dans le discours Sur la couronne, dix ans après les faits, Démosthène ne nous renseigne que de manière très laconique sur l’événement, qui apparemment était trop connu des contemporains. Il se contente de signaler que Philippe s’est emparé des navires, et que ce fut là ce qui occasionna la rupture de la paix de 346[468]. Fort heureusement, le Commentaire de Démosthène de Didymos nous donne des précisions du plus haut intérêt. Didymos souligne que c’était pour couper la route du blé que Philippe s’en était pris aux cités des Détroits, puis il ajoute[469] :

Ὅτε δὴ καὶ τὸ παρανομώτατον ἔργον διεπράξατο τὰ ἐφ’ Ἱερῶι πλοῖα τῶν έμπόρων καταγαγών, ὡς μὲν ὁ Φιλόχορυς λ’ πρὸς τοῖς διακοσίοις, ὡς δ’ ὁ Θεόπομπος ρπ’, ἀφ’ ὧν ἑπτακόσια τάλαντα ἤθροισε. ταῦτα δὴ [πέρ]υσι διαπέπραχεν ἐπὶ Θεοφράστου τοῦ μετὰ Νικομάχον ἄρχοντος, καθάπερ ἄλλοι τε καὶ Φιλόχορος οὑτωσὶ φησίν · "καὶ Χάρης μὲν ἀπῆρεν εἰς τὸν σύλλογọ[ν] τῶν βασιλικῶν στρατηγῶν, καταλιπὼν ἐφ’ Ἱερῶι ναῦς, ὅπως ἂν τὰ πλοῖα τὰ ἐκ τοῦ Πόντου συναγάγωσι. Φίλιππος δ’ αἰσθόμενος οὐ παρόντα τὸν Χάρητα τὸ μὲν πρῶτον ἐπειρᾶτο πέμψαι τὰς ναῦς τὰ πλοῖα καταγαγεῖν · οὐ δυνάμενος δὲ βιάσασθαι στρατιώτας διεβίβασεν εἰς τὸ πέραν ἐφ’ Ἱερὸν καὶ τῶν πλοίων ἐκυρίευσεν. ἦν δ’ oὐκ ἐλάττω τὰ πάντα διακοσίων καὶ τριάκοντα. καὶ ἐπικρίνων τὰ πολέμια διέλυε καὶ τοῖς ξύλοις ἐχρῆτο πρὸς τὰ μηχανώματα, καὶ σίτου καὶ βύρσων καὶ χρημάτων πολλών ἐγκρατὴς ἐγένετο".

“C’est alors qu’il accomplit son action la plus contraire aux lois en s’emparant à Hiéron des navires de commerçants, 230 selon Philochore, 180 selon Théopompe, dont il tira sept cents talents. Il avait accompli cela l’année précédente, sous l’archontat de Théophrastos, successeur de Nikomachos, affaire sur laquelle Philochore en particulier s’exprime ainsi : ‘Charès partit pour une réunion avec les généraux du roi, laissant des vaisseaux à Hiéron, pour qu’ils rassemblent les navires venant du Pont. Informé de ce que Charès était absent, il essaya d’abord d’envoyer ses vaisseaux arraisonner les navires. Comme il n’y parvint pas, il lit passer en force ses soldats sur l’autre rive et il se rendit maître des navires. En tout, il n’y en avait pas moins de deux cent trente. Et mettant à part les navires ennemis, il se servit de leur bois pour ses machines et disposa du blé, des peaux et d’importantes sommes d’argent’”.

L’interprétation du passage est assez claire. Philippe parvient par surprise à s’emparer du convoi rassemblé à Hiéron. Comme l’a souligné F. Jacoby, la différence entre l’effectif rapporté par Théopompe et celui donné par Philochore s’explique manifestement par le nombre de navires que Philippe ne saisit pas. En effet, la formule ἐπικρίνων τὰ πολέμια, “mettant à part les navires ennemis”, laisse clairement entendre que, des navires saisis, Philippe n’a considéré de bonne prise qu’une partie d’entre eux. A la suite de Diels, la mise au point de F. Jacoby a admis que ces navires ne pouvaient qu’être des navires athéniens et, de même, Hammond présume que les navires relâchés étaient ceux qui étaient possédés par des non-Athéniens[470]. Dans cette flotte venant du Pont, les navires athéniens auraient été au nombre de 180, les non-Athéniens de 50.

Dès qu’on s’y arrête un instant, cette vision des choses n’est pourtant pas satisfaisante. Certes, ce furent bien 180 navires sur 230 qui furent saisis. Mais peut-on considérer que les 180 navires saisis étaient “athéniens” ? Il faudrait supposer que les commerçants athéniens aient eu une part écrasante dans le commerce avec le Pont : si l’information était exacte, elle serait de la plus haute importance pour notre connaissance des échanges commerciaux athéniens au IVe s. Mais le moins qu’on puisse dire est que cette proportion ne correspond pas à ce que l’on sait par ailleurs de la part des étrangers dans le commerce athénien. En outre, si c’étaient seulement les commerçants athéniens qui avaient fait l’objet de saisie, on doit admettre qu’après le contrôle, les navigateurs d’autres nationalités pouvaient tout aussi bien gagner Athènes et ravitailler l’ennemi. Or, comme le rappelle Didymos, l’objectif déclaré de Philippe en attaquant les cités des Détroits était de couper la principale artère du ravitaillement athénien. Le raisonnement n’est donc pas le bon. Certes, il est tout à fait admissible que près de 80 % des navires venant du Pont aient eu pour destination Athènes, le plus grand centre de consommation du monde égéen en cette deuxième moitié du ive s., et c’est là cette fois une information intéressante. Mais rien n’indique que tous ces navires aient été athéniens. Ce sont en fait les navires à destination d’Athènes qui furent saisis[471]. Dès qu’on a énoncé cette proposition, on doit se demander comment un tel contrôle était possible, ce qui pose le problème du contrôle des provenances et des destinations des cargaisons dans le commerce grec.

La provenance des importations

Lorsqu’il évoque les importations en provenance du Bosphore, Démosthène signale que ce sont 400 000 médimnes qui en sont importés, “comme on peut le vérifier dans les registres des sitophylaques”[472]. L’idée d’une telle vérification a autrefois été rejetée par L. Gernet : Démosthène aurait été l’auteur d’une double inexactitude, tout d’abord en sous-estimant la proportion que représentait le chiffre de 400 000 médimnes de blé bosporan, ensuite en renvoyant aux registres des sitophylaques, dont selon lui la tâche ne pouvait être de noter les provenances du blé importé : “Il y avait certainement des registres des sitophylaques. Mais le citoyen qui fût allé consulter avec la prudence qui convenait ces documents officiels y eût perdu la tête avant de trouver sa référence. A quoi devait naturellement renvoyer Démosthène ? Aux registres de ces magistrats qui avaient, c’est vrai, la haute surveillance du commerce des blés mais à l’intérieur ; qui devaient veiller à ce que les négociants et les marchands vendissent honnêtement sur l’agora, mais sans avoir à rechercher – et sans le pouvoir-, si le blé venait de Sicile, d’Égypte ou du Pont ? Pas du tout : Démosthène devait renvoyer aux registres des pentécostologues, des receveurs de la taxe du cinquantième à la douane qui, eux savaient ce qui entrait et sortait et en gardaient l’indication détaillée, par commerçants, par cargaisons”[473]. En fait, les fonctions des sitophylaques n’étaient pas celles que l’on imaginait au moment où L. Gernet écrivait ces lignes et il apparaît que les sitophylaques, en liaison avec les pentécostologues, ont fort bien pu conserver des registres mentionnant des provenances de cargaisons[474].

Si l’on se tourne vers d’autres cités, on voit qu’à Kyparissia comme à Délos les importateurs (et aussi explicitement à Kyparissia les exportateurs) devaient faire une déclaration écrite[475]. Le contenu exact des déclarations devait évidemment varier d’une cité à l’autre. Mais l’identité du commerçant et la nature de sa cargaison étaient des éléments que l’on devait retrouver partout, avec bien souvent aussi la provenance des denrées importées. On ne possède pas pour une cité grecque de registres de douanes et sur ce point on doit se contenter des affirmations de Démosthène dans le C. Leptinès. Cependant, la documentation égyptienne nous aide à imaginer leur contenu. Pour le ve s., l’exceptionnel document araméen de 475 publié par B. Porten et A. Yardeni permet de distinguer les navigateurs grecs, qui apportent des produits de leur pays, amphores de vin et d’huile, or, argent, des navigateurs égyptiens, qui quant à eux rapportent de Phénicie vin, bois de cèdre, fer, laine et étain[476]. A l’époque lagide cette fois, la douane de Péluse nous montre d’ordinaire l’origine des productions importées (vin de Chios ou de Thasos, miel de Théangéla, de Rhodes, d’Attique ou de Lycie, etc.)[477]. Le même document signale aussi “l’estimation que nous avons reçue de Boubalos des denrées importées de Syrie à Péluse pour Apollônios” (τίμησις ἣν ἐλάβομεν παρὰ Βουβάλου τῶν εἰσαχθέντων Ἀπολλωνίωι ἐξ Συρίας εἰς Πηλούσιον)[478]. La provenance des denrées devait être indiquée car elle correspondait à des produits de qualité différente, qui étaient frappés d’une taxe à un taux différent. On doit enfin signaler une déclaration de douane (car, telle est bien la nature du document en question comme l’a montré G. Thür) qui se trouve au dos d’un contrat négocié à Alexandrie et qui porte le détail des denrées importées depuis Mouziris en Inde (milieu du iie s. p.C.)[479].

Ainsi, en tout état de cause, on ne doit pas douter qu’une vérification des provenances des denrées importées ait d’ordinaire été possible. Pourtant, le détail de l’argumentation qui avait été présenté par L. Gernet mérite encore attention. Il se peut en effet que la vérification des provenances n’ait pas été aisée. A fortiori, on ne doit pas supposer que toutes les cités aient pu disposer de bilans rigoureux pour leurs échanges extérieurs. Dans le détail, nous ne savons pas si à Athènes des bilans récapitulatifs annuels par provenance étaient régulièrement rédigés, mais on doit relever que la formulation du C. Leptinès paraît bien le laisser entendre pour les sitophylaques. Et c’est sans doute à des documents de cette nature que songeait Aristote lorsque, dans un développement consacré aux importations et exportations, il signalait que, du moins dans l’idéal, les magistrats devaient connaître “le montant et la nature de la dépense qui convenait à la cité”, pour pouvoir conclure les conventions d’exportation et d’importation qui lui étaient indispensables[480].

La destination des exportations

Si l’on se tourne maintenant vers les exportations, on touche a priori à un domaine plus épineux. On a vu cependant que le règlement de Kyparissia imposait une déclaration des cargaisons exportées comme de celles des denrées importées. En outre, surtout, la grande “inscription des céréales” de Cyrène apporte à cet égard un complément décisif[481]. Rappelons tout d’abord que le texte paraît avoir eu une importance toute particulière aux yeux des Cyrénéens eux-mêmes. En effet, elle est gravée sur la troisième face d’un grand pilier quadrangulaire avec les lois sacrées de la cité de Cyrène gravées à la même époque[482], ce qu’A. Laronde appelle “l’éclatante affirmation des envois de blés de Cyrène sur un cippe qui portait aussi le texte vénérable des lois sacrées”[483]. Les Cyrénéens attachaient donc une importance particulière à ce document qui énumérait les bénéficiaires des largesses des Cyrénéens sous la forme d’envois de blé : les deux reines Olympias et Cléopâtre, la mère et la sœur d’Alexandre, toutes deux résidant en Épire, où Cléopâtre exerçait la régence sur le pays depuis la mort de son époux Alexandre le Molosse en 331-330 et où Olympias était venue la rejoindre, et en outre 43 cités situées sur un axe allant de Rhodes à la Thessalie[484]. Certains chiffres des livraisons effectuées ont disparu. On voit néanmoins qu’elles se montaient au moins à 805 000 médimnes. On peut hésiter sur la nature de ces médimnes :

• Selon G. Oliverio, suivi par A. Laronde, il s’agissait de médimnes laconiens à 52, 5261, l’équivalent de 422 826 hl, soit 32 560 t sur la base d’1 hl de blé à un poids théorique de 77 kg[485]. Cette quantité aurait représenté la nourriture de plus 162 000 personnes pendant un an[486].

• Selon P. Garnsey, il s’agissait de médimnes éginétiques à 77,83 1, l’équivalent de 1 207 500 médimnes attiques, donc 625 698 hl à 51,84 1 le médimne attique, soit encore 48 200 t. Cette quantité aurait représenté la nourriture de près de 250 000 personnes pendant un an.

Cependant, on sait maintenant que cette estimation du poids du médimne de blé était trop élevée : sur la base du chiffre indiqué par la loi attique de 374/373, on doit prendre en compte un médimne attique de grain à c. 31 kg (soit 71 kg l’hl)[487]. On doit donc maintenant tenir compte des chiffres corrigés suivant :

• S’il s’agissait de médimnes laconiens, on aurait donc 422 826 hl à 71 kg l’hl, soit 30 000 t, représentant la nourriture de 150 000 personnes pendant un an.

• S’il s’agissait de médimnes éginétiques, on aurait 625 698 hl à 71 kg l’hl, soit c. 45 000 t, représentant la nourriture de 225 000 personnes pendant un an.

Quoi qu’il en soit, il s’agissait là d’un montant exceptionnellement élevé, qui représentait autant ou plus que le total de la production de la Cyrénaïque avant la colonisation italienne[488], ce qui amène à penser que ces livraisons se sont en fait effectuées sur plusieurs années, entre 330 et 325, et que l’inscription des céréales en est le récapitulatif[489].

Comme l’indique explicitement le texte, on a affaire à un contexte de famine, donc à une situation exceptionnelle. La mention de la 1. 2, σῖτον ἔδωκε ἁ πόλις, doit-elle s’entendre comme la liste des personnages ou des cités auxquelles Cyrène a fait des dons ? La chose paraît peu probable, à moins d’imaginer que la cité de Cyrène n’ait elle-même acheté le blé aux producteurs cyrénéens pour en faire don aux différentes cités. Au reste, le verbe δίδωμι seul, sans ἐν δωρεᾷ ou δωρεάν, n’a pas directement le sens de “faire don de”[490]. Même si l’hypothèse du don ne peut être radicalement exclue (ce qui au demeurant serait sans conséquence dans la perspective qui est ici la nôtre, celle des modalités de contrôle des navigateurs), il vaut mieux considérer ici que Cyrène a dressé la liste des personnages et cités auxquelles elle a “remis du blé”[491], c’est-à-dire de ceux et de celles à qui ont été accordées des licences d’exportation, le privilège d’ἐξαγωγή[492]. Pour notre propos, l’enjeu n’est donc pas de savoir si les Cyrénéens ont fait ces livraisons à titre gratuit. L’exception n’est pas davantage dans la liste elle-même : on peut penser que soit les Cyrénéens dressaient chaque année des listes analogues, soit ils disposaient au moins des documents de base pour le faire, bref de registres analogues à ceux des sitophylaques à Athènes. Le vrai problème est seulement de connaître la raison pour laquelle les Cyrénéens ont tenu exceptionnellement à en faire l’inscription sur pierre. Par cet acte, les Cyrénéens montraient certes leur fidélité à Alexandre. Certaines absences, en premier lieu celle de Sparte, sont significatives : cela signifie que ces cités n’avaient pas eu de licence d’exportation. C’est peut-être sur l’injonction d’Alexandre, en tout cas pour lui complaire, que les Cyrénéens ont accordé ces expéditions de blé, selon des limites géographiques qui, selon nous, leur ont été imposées par le roi et ses agents. Si le Nord de l’Égée n’est pas concerné, c’est sans doute parce que le roi n’avait pas autorisé l’exportation vers ces régions[493]. Nous avons eu l’occasion de montrer que les licences d’importation ou d’exportation étaient un concept clé dans l’organisation du commerce[494]. Mais on reste surtout sur l’impression que Cyrène tire gloire de sa générosité, ce qui ne pourrait être le cas s’il s’agissait d’une exportation ordinaire. Il se peut que la longueur de la liste des licences d’exportation, pour des montants très importants, ait en soi été considérée comme un bienfait à l’égard des cités qui souffraient de la famine. Ainsi, en 169, Rome accorde aux Rhodiens d’exporter 100 000 médimnes de blé sicilien, ce qui, en raison des perturbations que connaissait alors le marché du fait de l’invasion de l’Égypte par Antiochos IV, constituait une faveur particulière[495]. Toutefois, la générosité de la cité se comprendrait mieux si ces licences d’exportation s’étaient accompagnées d’atélie, comme l’avaient voulu les rois du Bosphore pour Athènes[496]. Outre la licence d’exportation elle-même, la générosité cyrénéenne pourrait donc avoir consisté en outre en l’exemption temporaire des taxes habituelles payées par les exportateurs de blé, pour le montant indiqué. Le contexte de la disette, de la σιτοδεία, appelait en effet la générosité financière, pour les particuliers comme pour les cités[497]. Il se pourrait donc que la licence d’exportation accordée ait été une ἐξαγωγὴ ὰτελής, comme la licence d’exportation de bois que le personnage du vantard de Théophraste se flatte d’avoir refusé d’Antipater, sous le fallacieux prétexte que cela aurait pu lui valoir les attaques d’un sycophante[498].

On l’a vu, la liste de Cyrène n’est probablement pas exceptionnelle : ce n’est que la gravure sur pierre qui l’est effectivement. Dans les cités exportatrices, les archives des magistrats chargés du contrôle du trafic du blé (quel que soit leur nom et leurs attributions précises[499]) devaient renfermer de nombreuses listes de cette nature. Cependant, on ne doit pas esquiver une question clé : comment la cité de Cyrène pouvait-elle savoir que les commerçants de diverses provenances qui venaient s’approvisionner chez elle retourneraient bien dans la cité à qui avait été accordée la licence d’exportation ? En outre naturellement, on doit garder en mémoire l’idée que dans la plupart des cas, ce n’étaient pas des commerçants originaires d’une cité donnée qui transportaient effectivement le blé qui leur était destiné, mais qu’ils avaient recours à des commerçants habitués aux itinéraires internationaux, qui pouvaient être de n’importe quelle nationalité. On est ainsi amené à considérer que les magistrats de Cyrène pouvaient identifier les navigateurs qui venaient dans leur cité et qu’avec un degré raisonnable de confiance ils pouvaient penser que, quelle que soit la nationalité du commerçant, le blé serait bien livré dans la cité à qui il était destiné, et dans la quantité prévue[500].

On relèvera encore le cas de Rome qui, au lendemain de la Ière Guerre Punique et après une période où ses marchands ont ravitaillé les mercenaires insurgés, passe un accord avec Carthage dans lequel elle autorise ses marchands à exporter vers cette cité les marchandises dont elle avait un besoin urgent et interdit en revanche de ravitailler ses ennemis[501]. Il s’agit certes d’un contexte de guerre, mais il n’en reste pas moins qu’on se trouve explicitement dans un contexte où la cité entend bien exercer un contrôle sur la destination de ses exportations.

On n’insistera pas ici sur le cas des exportations de blé bosporan à destination d’Athènes, avec les privilèges de préemption et les privilèges fiscaux relatifs à ces exportations[502]. On soulignera cependant son importance, puisqu’au plan quantitatif, avec l’Égypte, il s’agit d’un des principaux marchés de blé du monde grec. On relèvera aussi que les commerçants n’étaient pas nécessairement des Athéniens, et même que, majoritairement, ils ne l’étaient pas[503].

Eléments de droit international

Tout d’abord, on doit souligner que la procédure utilisée par Philippe en 340 trouve aisément des parallèles. Ainsi, en 338, comme le montre le C. Léocratès, 18, de Lycurgue, on voit que les Rhodiens arrêtent les navires qui avaient pour destination Athènes[504] :

Οὕτω δὲ σφόδρα ταῦτ’ ἐπίστευσαν οἱ Ῥόδιοι, ὥστε τριήρεις πληρώσαντες τὰ πλοῖα κατῆγον, καὶ τῶν ἐμπόρων καὶ τῶν ναυκλήρων οἱ παρεσκευασμένοι δεῦρο πλεῖν αὐτοῦ τὸν σῖτον ἐξείλοντο καὶ τἆλλα χρήματα διὰ τοῦτον

“Les Rhodiens le crurent si bien qu’ils armèrent des trières pour conduire dans leur port les navires de passage, et que ceux des marchands et armateurs qui se disposaient à venir ici durent pour cette raison débarquer leur blé et leur cargaison”.

S’agissant de nouveau des Athéniens, on voit qu’en 339-329 ils décident d’intervenir auprès du tyran Dionysios d’Héraclée du Pont, dont la flotte a arraisonné en haute mer le navire marchand d’Hérakleidès de Salamine. A cette fin, ils décident d’envoyer sur place un ambassadeur “pour demander à Dionysios de rendre les voiles d’Hérakleidès et, à l’avenir, de ne pas nuire à ceux qui naviguent vers Athènes”[505]. Deux remarques s’imposent à ce sujet. D’une part, Hérakleidès n’est pas athénien. D’autre part, les Athéniens ne font pas la police des mers et ne demandent pas à Dionysios de ne pas s’en prendre à tous les navires de commerce naviguant dans le Pont (même s’il est vrai qu’il constituent sans doute une majorité des navires se dirigeant vers les Détroits, comme le montre l’affaire de l’attentat d’Hiéron) : c’est aux navires à destination d’Athènes que les Athéniens s’intéressent et c’est pour eux qu’ils demandent une garantie de Dionysios d’Héraclée.

Quant à l’“identité” du navire, l’exemple du C. Lacritos du Ps-Démosthène montre à quel point elle aurait été difficile à établir en fonction de l’origine ethnique des parties impliquées. Les preneurs, deux Phasélitains, vont acheter en Chaleidique, à Mendè ou Skionè, une cargaison de vin qui leur servira d’instrument d’échange au Borysthène, dans le Pont, où ils doivent charger du blé à destination d’Athènes. Les prêteurs sont un Athénien et un Eubéen de Carystos, les propriétaires du navire et l’équipage sont d’Halicarnasse. Ainsi, le navire n’est pas athénien, les marchands-convoyeurs ne le sont pas, les denrées qu’ils convoient ne le sont pas non plus. Mais le contrat précise cependant qu’en aucun cas les commerçants ne doivent débarquer leurs marchandises, ἐξελόμενοι ὅπου μὴ σῦλαι ὦσιν Ἀθηναίοις, “là où il y a, pour les Athéniens, un état de saisie” (trad. B. Bravo)[506]. Le passage a suscité plusieurs commentaires. A. Böckh considérait qu’on attendrait plutôt κατ’ Ἀθηναίων et proposait de voir là un droit de représailles réciproques[507]. L. Gernet traduisait “[les commerçants] débarqueront leurs marchandises en lieu où il n’y a pas de représailles à exercer pour les Athéniens”, mais ajoutait en note qu’on aurait plutôt attendu παρ’ ou κατ’ Ἀθηναίων[508]. Enfin, B. Bravo a fait le rapprochement avec des expressions comme ἔγκλημά ἐστί τινι πρός τινα, “il y a pour quelqu’un état de grief dans ses rapports avec quelqu’un d’autre”, qui peut être employée aussi bien pour dire qu’il y a un grief de X sur Y que de Y sur X, seul le contexte permettant de trancher – d’où la traduction proposée, que nous reprenons à notre compte[509]. Naturellement, il faut ici comprendre que les commerçants ne pourront débarquer leurs marchandises là où elles pourront être saisies à titre de représailles exercées sur les Athéniens. Notons au passage que le texte ne peut se comprendre que si l’on considère que le droit de représailles pouvait s’exercer dans le cadre d’une responsabilité collective de la cité des “offenseurs”, s’étendant à tous leurs biens alors même qu’ils n’étaient pas transportés par des citoyens de cette dernière cité, ce qui, avec une série d’autres éléments, ruine la théorie de B. Bravo selon laquelle seuls les responsables du grief pouvaient faire l’objet d’une saisie : dans le cadre de la théorie de ce dernier savant, le passage du C. Lacritos devient en effet totalement incompréhensible[510]. En tout cas, on voit bien ici que des représailles peuvent être exercées sur les Athéniens sans que les commerçants ou les produits transportés soient athéniens, comme dans l’affaire de l’attentat d’Hiéron.

A cet égard, les contrats de prêts maritime, en particulier ceux qui prévoyaient des voyages aller et retour sur une place donnée, jouaient un rôle très important : c’est ce que montrent aussi bien par exemple le C. Zénothémis (cf. infra) et le C. Phormion (6) que le C. Lacritos (3 et 6) ou le C. Dionysodôros (6) du corpus démosthénien. Le droit attique relatif aux symbolaia, aux contrats d’affaires, était précisément fondé sur cette notion de destination, puisqu’il accordait des actions commerciales sur des contrats conclus à destination et au départ d’Athènes[511]. Mieux même, ces contrats de prêt pouvaient avoir une valeur internationale devant des tribunaux de tierces cités. Il suffit de penser au rôle du tribunal de Céphallénie, qui reconnaît la validité des contrats passés à Athènes : “Sa manœuvre échoua encore : les magistrats de Céphallénie décidèrent que le navire devait retourner à Athènes d’où il était parti (§ 9)... Ainsi, le navire revint ici, quand les magistrats de Céphallénie eurent décidé, malgré les manœuvres de Zénothémis, qu’il devait rentrer au port d’où il était parti. Les créanciers [des Athéniens sans doute] qui avaient prêté de l’argent sur le bâtiment à son départ le saisirent immédiatement... (§ 14)”[512]. En règle générale, du moins si une cité n’avait pas un motif puissant à ne pas respecter les règles du “droit international” qui était en train de se constituer, on doit considérer qu’un tribunal d’une tierce cité non seulement pouvait connaître la destination d’un navire d’après le contrat de prêt qui avait été conclu pour financer le voyage, mais en outre rendre un arrêt enjoignant de respecter la destination prévue[513].

On a souligné depuis longtemps ces éléments de supranationalité dans le droit grec[514]. On doit maintenant souligner que c’est sa destination finale, prévue par le contrat de prêt maritime pour un voyage aller-retour sur une place donnée, Athènes en l’occurrence, qui définit l’“identité” du navire dans le droit international grec (on serait presque tenté de dire la “nationalité” du navire si précisément le terme n’était par trop impropre par ses connotations modernes). C’est ce contrat maritime qui fondait les droits éventuels du commerçant à tel ou tel privilège ou avantage, en particulier les privilèges d’importation ou exportation, avec les exemptions fiscales qui pouvaient leur être liées, les garanties de sécurité sur mer, comme c’est le cas pour les garanties négociées par les Athéniens auprès de Dionysios d’Héraclée, ou même peut-être la protection contre les pirates, comme celle qui est garantie par les Athéniens aux navires venant de l’Adriatique et assurant la sitopompia vers l’emporion des Athéniens[515]. Cette clause et d’autres de cette nature laissent clairement entendre que les Athéniens se désintéressaient de la “police des mers” en général et n avaient d’autre but que d’assurer la sécurité des seuls navires ayant le Pirée pour destination. C’est ainsi que se trouvent justifiées les pressions financières exercées par les stratèges athéniens au ive s. : selon Démosthène, Chios, Érythrées et autres cités d’Asie achètent ainsi en fait aux Athéniens la sécurité de leurs routes maritimes et y trouvent donc avantage puisque la flotte athénienne assure dès lors à leur bénéfice la sécurité sur mer[516]. On notera aussi que le même concept de place de départ des navires et des commerçants apparaît dans une inscription de Cos relative au double sanctuaire d’Aphrodite Pandamos et d’Aphrodite Pontia. Dans la première partie du document, relative au culte d’Aphrodite Pandamos, on prévoit la participation au culte des femmes mariées (c’est l’aspect féminin du culte d’Aphrodite), non seulement des citoyennes mais aussi des nothoi et des paroikoi, mais on ajoute aussi[517] :

“De même et conformément aux dispositions précédentes, que les emporoi et les nauklaroi qui ont notre cité comme point de départ contribuent aux sacrifices”.

C’est cette fois l’aspect marin d’Aphrodite qui est en jeu. Ceux qui sont invités à participer au culte ne sont pas seulement les emporoi et nauklèroi citoyens de Cos, mais bien tous ceux, Coéens et étrangers, qui ont Cos comme port d’attache. Cette catégorie est peut-être plus vaste que celle des gens ayant à proprement parler un contrat pour un voyage aller, retour, ou aller-retour sur Cos mais elle est du moins significative de ce que les commerçants et hommes d’affaires d’une cité se définissaient dans un cercle plus large que celui des nationaux proprement dits.

A l’inverse, c’est cette “identité” pourtant toute provisoire et définie par le contrat commercial prévoyant un voyage aller-retour sur une place donnée qui pouvait être à la source des plus graves ennuis, comme la saisie de la cargaison dans les ports où il pouvait être question de saisie sur les citoyens de la cité où avait été négocié le contrat, ou même la saisie du navire et sa destruction (donc sans récupération possible) comme dans le cas de l’attentat d’Hiéron. Dans la pratique, cela signifie que si l’on imagine par exemple deux emporoi phasélitains, l’un ayant conclu un contrat à Athènes et ayant acheté du blé au Bosphore pour importer du blé dans cette cité, et l’autre ayant conclu un contrat sur une quelconque place considérée comme neutre par la Macédoine, le premier était voué à voir sa cargaison saisie, et avec elle le navire qui la transportait, tandis que le second restait libre de continuer son voyage.

Moyens de contrôle

Mais de quels documents pouvait-on effectivement disposer pour procéder à un tri de la nature de celui qui est effectué par par les hommes de Philippe à Hiéron en 340 ou par les Rhodiens en 338, ou plus prosaïquement, dans un port quelconque, pour connaître le point de départ et la destination d’un commerçant ?

Pour ce qui est des escales du navire, la cargaison offrait bien des moyens de les connaître : ainsi des amphores vinaires, dont bien souvent la forme indiquait l’origine. Mais pour qui voulait faire l’inspection d’un navire, comme dans le cas de l’attentat d’Hiéron ou de l’arraisonnement en haute mer par les Rhodiens des navires à destination d’Athènes, l’examen des “papiers de bord” ne pouvait manquer de trahir la provenance et la destination. Il devrait en effet être clair que les capitaines de navires et les commerçants avaient sur eux une série de documents qui permettaient de les connaître. Tout indique en effet que les marchands pouvaient emporter avec eux, outre documents de route cl portulans[518], nombre d’autres écrits, sur des supports divers : feuilles de plomb, ostraka, tablettes de bois ou papyrus.

— Pour ce qui est des feuilles de plomb, les lettres de Bérézan, d’Ampurias et de Pech Maho ainsi que celles trouvées à Corcyre, toutes de la lin du vie s. ou du début du ve s., attestent de l’emploi courant de ce support à cette époque dans la correspondance commerciale et dans les documents d’affaire[519].

— Les ostraka ont certainement à toute époque été utilisés comme document témoin ou comme support de correspondance commerciale (ainsi en est-il encore a Rhodes a l’époque hellénistique, comme le montrent plusieurs lettres commerciales encore inédites sur des ostnika).

— Les tablettes de bois, ou grammateia, remontent sans doute à un passé lointain. Déjà, à la fin du xive ou au début du xiiie s., le navire qui a sombré au large d’Ulu Burun, transportait des tablettes de bois : la nature de leur contenu (lettre, document d’enregistrement de transactions, document d’identification d’une cargaison, etc.) reste indéterminée, car, dans l’état où elles se trouvent aujourd’hui, on ne peut voir de traces de lettres à leur surface[520]. On relèvera cependant que dans l’usage commercial du monde hittite du iie millénaire, les tablettes de bois servaient couramment à noter le contenu d’une caisse. L’usage prolongé, tout à fait banal, des tablettes de bois et des sceaux dans le monde oriental du Ier millénaire (Babylone, Assyrie) peut laisser penser que l’emploi de ce support, si familier aux Grecs de l’époque classique et hellénistique, remontait chez eux au moins aux Ages sombres et au haut archaïsme[521]. Le φόρτου μνήμων de l’Odyssée, où l’on ne doit pas voir autre chose qu’un scribe de bord, devait écrire sur un support de cette nature[522]. Pour le moment du moins, on n’a pas retrouvé de tablette de bois sur des navires grecs, quand on sait pourtant, du moins pour les périodes récentes, qu’on en emportait effectivement dans les voyages maritimes. Mais les fouilles sous-marines d’épaves de cette époque restent cependant encore en nombre limité[523]. A l’époque classique et hellénistique, les grammateia paraissent avoir été d’un emploi très fréquent comme support des contrats. Parmi bien d’autres exemples possibles, c’est ce que montre le Trapézitique d’Isocrate où le fils de Sôpaios homme de confiance de Satyros Ier du Bosphore confie à un Thessalien, un homme d’affaires sans doute, une tablette portant un contrat qu’il emportera au Bosphore, si nécessaire[524]. A Délos à l’époque hellénistique, c’est encore sur ce genre de tablettes qu’on peut inscrire les contrats[525]. Le Trinummus de Plaute montre de même qu’il était courant d’utiliser des tablettes pour la correspondance lointaine (dans ce cas elles étaient d’ordinaire scellées, mais la douane avait le droit de briser le sceau et de les ouvrir)[526].

— Enfin, on ne saurait évidemment négliger le papyrus, dont on faisait un usage de plus en plus important. A cet égard, un document revêt une importance toute particulière. Dans l’Anabase, Xénophon rapporte que, lorsque l’armée qu’il commandait s’était mise au service du Thrace Seuthès, il eut l’occasion de parcourir la côte du Pont Euxin dans le secteur de Salmydessos. Il signale alors que sur cette côte très dangereuse nombreux étaient les navires qui venaient faire naufrage. Il précise alors[527] :

Ἐνταῦθα ηὑρίσκοντο πολλαὶ μὲν κλῖναι. πολλὰ δὲ κιβώτια, πολλαὶ δὲ βίβλοι γεγραμμέναι, καὶ τἆλλα πολλὰ ὅσα ἐν ξυλίνοις τεύχεσι ναύκληροι ἄγουσιν.

“Là, on trouvait une grande quantité de lits, de coffres, de papiers couverts d’écriture, et de toutes les variétés de choses que les négociants emportent avec eux dans des caisses”.

On a considéré que le passage faisait allusion à un commerce du livre, d’ouvrages destiné aux cités grecques du Pont[528]. Qu’un tel commerce ait dû exister, on ne devrait pas en douter. Mais ce n’est pas ce à quoi fait allusion Xénophon, puisqu’il n’emploie pas le terme qui désigne proprement le livre, soit βυβλίον, mais exactement le terme βύβλος, qui désigne directement le rouleau de papyrus[529]. Cependant, ce n’est pas non plus d’un commerce de papyrus vierge qu’il s’agit, comme le montre la précision βίβλοι γεγραμμέναι. C’est donc bien en fait à des “papiers” divers, comme on en trouve ordinairement sur les bateaux, auquel il est ici fait référence. Une loi de Thasos d’époque romaine montre encore de manière indubitable que βύβλοι désigne des documents écrits (en l’occurrence des documents d’archives publiques qui doivent être mis à la disposition des citoyens) et non pas des livres[530]. L’ensemble de la description de Xénophon laisse assez apparaître que les objets de bois dont il est question et qui parce qu’ils flottent ont été rejetés sur la grève font partie de l’équipement ou du chargement ordinaire d’un navire, puisque c’est ce que l’on pouvait s’attendre à trouver à l’occasion du naufrage de n’importe quel navire grec. Les κλῖναι sont manifestement les châlits et couchettes sommaires de l’équipage et des éventuels passagers, et non pas des éléments de la cargaison[531]. Pour ce qui est des caisses de bois servant d’emballages d’une partie de la cargaison, les restes trouvés sur certaines épaves d’époque romaine nous donnent une idée de leur aspect[532]. Enfin, les κιβώτια, les coffres, sont entre autres ce qui servait à transporter des choses plus précieuses ou plus simplement des papiers comme les documents pouvant servir à la navigation ou des documents de bord. Ces βίβλοι γεγραμμέναι ne peuvent donc être que des “papiers” ou des “documents de bord”, ceux du patron du navire, ou ceux des divers emporoi et nauklèroi qui avaient emprunté le bâtiment.

Au reste, comment peut-on imaginer que des commerçants aient pu se déplacer sans leurs livres de compte, quand dans l’activité privée “terrestre”, depuis le Strepsiade d’Aristophane penché sur ses registres de compte jusqu’aux “archives” de Zénon, tout montre le soin que des particuliers pouvaient mettre dans leurs documents comptables[533] ? Pour ce qui est de la marine de guerre, on sait, par exemple d’après le C. Polyclès du corpus démosthénien, le soin que mettaient les triérarques à tenir une comptabilité à jour. Pour montrer sa bonne foi, un triérarque pouvait ainsi s’exclamer : “J’offrais de lui fournir un compte détaillé, pendant que j’avais auprès de moi, comme témoins des dépenses, les matelots, les soldats et les rameurs, pour faire la preuve immédiatement en cas de contestation de sa part. Car mes livres étaient tenus avec une telle exactitude que non seulement le chiffre des dépenses y figurait, mais leur destination et leur emploi, le prix des objets, la monnaie avec le cours du change : tout cela pour avoir un contrôle assuré, si mon successeur croyait tel article mensonger” (trad. CUF)[534]. Le parallèle suggère que les commercants privés devaient eux aussi tenir une comptabilité très précise. On se souviendra en particulier que nombre d’emporoi n’étaient que les agents de bailleurs de fonds et pouvaient même être des esclaves (cf. infra le cas de Lampis du C. Phormion). Ils devaient donc nécessairement justifier jusque dans le détail l’emploi des sommes qui leur avaient été confiées. Cela seul, sans parler de l’intérêt évident de savoir si tel voyage était ou non bénéficiaire, suffirait à expliquer pourquoi les marchands devaient nécessairement tenir une comptabilité de leurs gains et dépenses et des mouvements de leur cargaison.

On doit donc considérer qu’il était tout à fait banal pour emporoi et naukleroi de transporter avec eux des documents écrits de toute nature qui pouvaient leur être utiles pour leur affaires[535]. Mais on doit encore aller plus loin dans l’enquête. Pour tenter de reconstituer de manière concrète le fonctionnement du système des privilèges consentis aux commerçants sur une place étrangère, on doit en effet tenter de savoir comment ceux qui étaient susceptibles d’y prétendre pouvaient faire reconnaître leurs droits. Quel document pouvait faire foi à l’étranger, qu’il s’agisse, circonstance favorable, de bénéficier d’un privilège pour le ravitaillement d’une place donnée (privilèges des commerçants de toutes origines faisant le commerce du Bosphore pour le compte d’Athènes ou allant à Cyrène pour ravitailler les diverses cités auxquelles les Cyrénéens avaient accordé des privilèges particuliers au début des années 320), ou au contraire, circonstance défavorable, de se voir saisi par une autorité hostile (cas de l’attentat d’Hiéron)[536] ?

Un épisode du C. Zénothémis, 16, montre que les emporoi pouvaient emporter avec eux le contrat écrit (συγγραφή) ou au moins l’un de ses exemplaires, puisque, selon les dires du plaignant, le capitaine du navire, Hègestratos, et le commerçant Zénothémis remettent ce contrat à l’un des passagers avant d’essayer de couler le navire. L’affaire est obscure, le plaignant n’est peut-être pas de bonne foi, mais peu importe ici : le C. Zénothémis montre de manière indubitable un emporos emportant avec lui dans son voyage l’un au moins des exemplaires du ou des contrats maritimes qu’il avait conclus pour l’effectuer. Le C. Zénothémis prouve donc d’une part que l’on pouvait emporter le contrat définissant un voyage sur une place donnée, d’autre part, comme on l’a vu précédemment, que ce contrat pouvait avoir une valeur en droit international. Dès lors et par extension, peut-on penser de la même façon que le contrat privé qui engageait à effectuer un voyage en direction d’une place donnée était suffisant pour profiter des privilèges accordés à une cité, puisque, on l’a vu, le contrat pouvait avoir valeur contraignante, y compris devant le tribunal d’une tierce cité ?

Il peut paraître tentant de répondre par l’affirmative. Cependant, on voit bien quelles pouvaient être les limites d’une trop grande confiance accordée à un contrat privé conclu à l’étranger : n’était-il pas bien facile de faire un faux contrat pour bénéficier indûment des privilèges accordés par un État à autre ? Certes, pour ce qui est des contrats privés, Aristote considérait déjà comme de règle dans une cité bien administrée qu’ils soient enregistrés par la cité où ils étaient conclus[537]. Manifestement, une cité comme Athènes, qui au ive s. encore n’enregistrait pas ses contrats, était plutôt en retard, mais elle n’était pas la seule de son espèce[538]. L’enregistrement paraît néanmoins avoir été général à la basse époque hellénistique et à l’époque romaine[539]. Cependant, comme l’indique explicitement Dion Chrysostome, qui dégage comme la philosophie de la procédure, cet enregistrement était à usage interne et rien n’indique qu’il ait pu avoir une valeur internationale[540].

Pourtant, le problème de la reconnaissance des privilèges consentis se posait bel et bien. On sait par une inscription de Délos que les ateleis formaient une catégorie bien à part, dont le cas était explicitement prévu[541]. Pour des privilèges consentis à titre individuel, on peut admettre que la connaissance directe et éventuellement le témoignage des proxènes pouvait suffire. En revanche, le problème se pose pour la reconnaissance de privilèges d’étrangers a priori anonymes. Certes, on possède des documents qui montrent comment on pouvait identifier des étrangers. Un décret attique du milieu du ive s. prévoit par exemple la confection de symbola (ici au sens matériel de “jeton” de forme particulière et unique) qui permettront de prouver l’identité du messager envoyé par le roi de Sidon[542]. Mais il s’agit en l’occurrence d’envoyés officiels et il n’y a pas apparence que le même système ait été employé pour des personnes ordinaires, commerçants et armateurs par exemple. Une inscription qui jusqu’ici n’a pas été utilisée dans la perspective de la reconnaissance de l’identité montre que pour se faire reconnaître une dette contractée par la communauté de Camiros auprès d’un de leurs ascendants, deux Cyrénéens présentent aux Camiréens des lettres officielles de leur cité d’origine (haute époque hellénistique)[543]. Dans la convention d’isopolitie entre Xanthos et Myra de la deuxième moitié du iie s. a.C., il est prévu que les citoyens de chacune des deux cités peuvent se faire reconnaître le droit à l’isopolitie en apportant une lettre rédigée par les magistrats de leur cité d’origine et destinée aux magistrats de la cité partenaire[544]. Il serait particulièrement intéressant de savoir si une telle procédure était fréquente, voire banale, pour des étrangers qui n’étaient pas déjà connus, ou si elle était seulement rare ou exceptionnelle. De façon générale, l’envoi de lettres scellées émanant d’un État, royaume ou cité, a été d’usage courant à l’époque hellénistique[545].

En période de guerre, selon Énée le Tacticien, aucun citoyen ou métèque ne doit quitter le port sans son symbolon[546]. Ph. Gauthier considère que ce symbolon était une marque matérielle[547]. Il reste que le parallèle que cet auteur établit avec une scène des Oiseaux présentant une situation analogue de ville assiégée paraît mettre en équivalence, dans un passage il est vrai un peu obscur, le cachet (σφραγίς) des gardes et la marque (σύμβολον) du chef de poste[548]. Il n’est donc pas impossible (nous ne serons pas plus affirmatif) que le symbolon d’Énée qu’en période de guerre les commerçants doivent posséder à leur sortie du port pour pouvoir être identifiés à leur retour ait été un document écrit portant le sceau de la cité (au moins tel dut être le cas dans la pratique de l’époque hellénistique)[549]. Un épisode de la lutte entre Carthage et Rome permet également de comprendre de manière très concrète comment pouvait se faire la fouille d’un navire et l’interrogatoire de son équipage ou de ses passagers, avec des méthodes policières qui n’ont rien à envier à celles de périodes plus récentes de l’histoire. L’affaire se situe en 216/215, au moment des périlleuses négociations entre Philippe et Carthage en vue de la conclusion d’une alliance. Après être parvenu, non sans difficulté, à rejoindre Hannibal, l’ambassadeur macédonien Xénophanès retourne auprès de Philippe avec trois ambassadeurs Carthaginois. Mais le navire macédonien qui transporte les envoyés est contrôlé en mer par la flotte romaine au large des côtes de Calabre. Leur aspect physique, leurs vêtements et leur manière médiocre de parler le grec trahissent les Carthaginois ; des pressions sur le reste de l’équipage et en outre la fouille du navire, qui permet de découvrir les lettres d’Hannibal à Philippe, permettent de confondre les Macédoniens, malgré leurs mensonges habiles, ainsi que les envoyés carthaginois[550]. On voit que, bien qu’il s’agisse d’un contexte diplomatique et non pas du contrôle d’un navire marchand, la scène évoque directement l’affaire de “l’attentat d’Hiéron”.

En période de paix et dans un cadre commercial ordinaire, les commerçants étrangers détenteurs d’un privilège sur une place donnée devaient-ils donc être porteurs de lettres officielles, comme les Cyrénéens à Camiros ? Il reste à prouver que de tels documents aient pu être systématiquement réclamés à des commerçants bénéficiant d’un privilège, même si une solution de cet ordre nous paraît néanmoins vraisemblable.

Dans un cas, qui nous est rapporté dans le C. Phormion, on voit un personnage qui est un esclave, Lampis, profiter d’un privilège d’exportation vers Athènes[551] :

Κήρυγμα γὰρ ποιησαμένου Παιρισάδου ἐν Βοσπόρῳ, ἐάν τις βούληται Ἀθήναζε εἱς τὸ Ἀττικὸν ἐμπόριον σιτηγεῖν, ἀτελῆ τὸν σῖτον ἐξάγειν, ἐπιδημῶν ἐν τῷ Βοσπόρῳ ὁ Λάμπις ἔλαβε τὴν ἐξαγωγὴν τοῦ σίτου καὶ τὴν ἀτέλειαν ἐπὶ τῷ τῆς πόλεως ὀνόματι, γεμίσας δὲ ναῦν μεγάλην σίτου ἐκόμισεν εἱς Ἄκανθον κἀκεῖ διέθετο.

“Pairisadès, au Bosphore, fit proclamer par héraut que quiconque voudrait charger du blé vers Athènes à destination de l’emporion attique ferait l’exportation en franchise. Lampis, qui y résidait, bénéficia du privilège d’exportation et de l’exemption de taxe au nom de la cité [Athènes]. Il chargea un grand navire et transporta le blé à Acanthos, où il le vendit”.

Lampis n’est pas citoyen athénien mais esclave, même s’il jouit d’une grande liberté de fait[552]. On ne sait même pas s’il était esclave d’un Athénien. Lampis bénéficie néanmoins des privilèges consentis pour l’exportation vers Athènes. Il est regrettable qu’on ne puisse savoir exactement comment il avait pu se voir reconnaître ce privilège. Il se peut cependant qu’il lui ait suffi d’être déjà bien connu au Bosphore, comme le montrent les divers épisodes du C. Phormion. On voit cependant aussi les limites du pouvoir des autorités du port d’embarquement comme de celles de la destination supposée : car c’est à Acanthos que Lampis va vendre son blé, trompant ainsi aussi bien les magistrats du Bosphore que ceux d’Athènes.

Ainsi, dans la mesure où les pratiques des commerçants, et cela depuis les origines du monde des cités, s’appuyaient sans cesse davantage sur l’écrit, on voit qu’il était aisé pour une autorité civique ou royale de procéder au contrôle d’un navire[553]. Outre les éléments même de la cargaison, les écrits transportés à bord, éléments de comptabilité, éventuellement journal de route[554], correspondance privée ou lettres officielles pouvant identifier l’équipage du navire ou ses passagers y compris naturellement les emporoi, contrats conclus sur une place donnée mentionnant la destination finale, lettres officielles d’une cité certifiant la destination du navire, voire lettres d’autorisation d’exporter accordées sur une place donnée par une autorité souveraine et mentionnant la destination officielle de la cargaison[555], il y avait toute une gamme de documents qui en cas de perquisition ne pouvaient manquer de trahir la destination d’un navire, quelle qu’ait été l’origine réelle d’un commerçant. A fortiori, on peut imaginer que c’est sans grande difficulté que, à Hiéron, les hommes de Philippe II purent faire le tri entre le bon grain et l’ivraie, déterminer (ἐπικρίνειν) les navires qui n’avaient pas Athènes pour destination et ceux qui se rendaient dans la cité ennemie. Quant aux nauklèroi ou emporoi qui dans des cas semblables pouvaient détruire tous leurs documents compromettants mais qui étaient incapables de rien présenter en lieu et place, on peut imaginer assez aisément que la suspicion pesant sur eux leur valait aussi d’être saisis. Les vérifications et contrôles effectués par les autorités portuaires dans un cadre juridique ordinaire, c’est-à-dire en période de paix, ont dû être du même ordre. On a vu ainsi que le Trinummus de Plaute montrait que la douane ne se privait pas d’ouvrir même les lettres privées sous scellés. Lorsqu’il s’agissait de bénéficier d’un privilège, il est en outre vraisemblable que les commerçants prévoyant de ravitailler une place donnée aient dû présenter un document officiel de la cité concernée en donnant attestation.

Le monde des commerçants est un monde fluide, fluctuant, un monde interlope, un monde d’oiseaux migrateurs, un jour ici, le lendemain à cent lieues, comme le marchand du mime d’Hérondas, hier à Abdère, aujourd’hui à Brikindara de Rhodes, demain à Phasélis pourvu qu’il trouve une cargaison[556]. La liberté des commerçants, avec leur volonté d’obtenir des profits aussi élevés que possible, s’opposait à la réglementation des cités. Pourtant, que l’on n’imagine pas l’univers du commerce comme une sorte de jungle, un espace sans règle. Certes, toutes les ruses, au besoin tous les mensonges pouvaient être utilisés, pour maximiser le profit ou pour échapper à un contrôle : le cas de Lampis du C. Phormion est exemplaire a cet égard. Mais, dès l’époque classique, les procédures commerciales, économiques (contrats de prêts) et administratives (les déclarations faites auprès des autorités portuaires), qui reposaient déjà pour l’essentiel sur des procédures écrites, permettaient aussi aux états de contrôler voire de permettre d’orienter les flux commerciaux. C’est dans ce cadre administratif que l’on peut comprendre comment cités et royaumes ont pu mettre en place les procédures d’exagôgè et d’eisugôgê, de licences d’exportation et d’importation, mais aussi que l’on peut rendre compte de manière concrète du déroulement de certains épisodes de la “grande histoire”, comme le fameux attentat d’Hiéron.

Chapitre VIII. L'inscription agoranomique du Pirée et le contrôle des prix de détail en Grèce ancienne

L'inscription agoranomique du Pirée qui a été récemment publiée par G. Steinhauer et qui a fait l'objet d'un commentaire de R. Descat a légitimement suscité l'intérêt[557]. Sur chacune des deux faces contiguës (correspondant aux inscriptions désignées comme A et B par le premier éditeur) d'une même pierre définie (également par le premier éditeur) comme une plinthe[558], on trouve une liste de pièces de triperie : porc, chèvre, brebis (seulement sur la face B) et boeuf, chacune des mentions étant accompagnée de l'indication d'une somme d'argent. G. Steinhauer a donné un riche commentaire du document, entre autres de tout ce qui concerne la définition des viandes. De même, le fait que la liste chiffrée corresponde à des prix et non à des montants de taxe a été clairement démontré. Cette étude n'a donc nullement pour objet de redonner un commentaire complet de cette inscription. Il reste cependant une série de points qui font difficulté et qui obligent à un réexamen d'ensemble du document.

Les textes des faces A et B n'ont pas la même orientation de lecture : avant de graver le second, on a renversé le bloc pour rendre illisible le premier texte. Selon G. Steinhauer, l'inscription A aurait été gravée peu d'années avant l'inscription B. Cette dernière porte en outre en préambule, avant la liste des pièces de triperie, un court texte dont on s'accorde à penser qu'il constitue la clé du document, mais dont la signification a été discutée[559]. En fait, il est capital de tirer au clair la question du rapport entre les deux faces de la pierre et la signification du préambule de la face B, avant de pouvoir aborder la question de la portée du document et plus généralement du contrôle des prix à Athènes.

1. L'inscription du Pirée

Le premier éditeur a présenté les deux faces définies comme A et B dans cet ordre. Pour éviter des confusions, nous continuerons à évoquer les faces A et B, mais nous présenterons cependant les deux textes (ici : I et II) en ordre inverse.

Musée du Pirée, nº 4268. Stèle en marbre, polie sur trois faces, seulement dressée à la pointe à la partie postérieure. Les dimensions sont indiquées en ayant la face B dans le sens de lecture. Dim. (en cm) : haut. 90 ; larg. à la base 48,5, au sommet 47 ; ép. à la base 33, au sommet 30. Tenon fortement mutilé à la partie inférieure, long. 29, larg. c. 20, haut. (conservée) 5. Mortaise carrée décentrée 5 cm de côté, 4 cm de prof. sur la surface supérieure (manifestement polie mais aujourd'hui non visible au Musée du Pirée car le bloc est présenté avec le tenon à la partie supérieure). Révision.

Les chiffres sont en système milésien (ς' vaut pour 6) ; – vaut pour 1 obole, = pour 2 oboles ; χ. abréviation de χ(αλκῶν).

I (face B) : Hauteur des lettres (en cm) : 1. 1-2 : 3,5 ; 3-25 : 1,7 à la partie supérieure tendant à diminuer à 1,5.

Ἐ π ὶ Π α [μ μ] έ ν ο υ

ἄ ρ χ ο ν τ ο ς

Αἰσχύλος Αἰσχύλου Ἕρμειος

[4] ἀγορανομήσας τοὺς λίθους

καὶ τὴν ζυγόστασιν ἀνέθη-

κεν vac. κα[τ’ έ]πι-

ταγὴν τῶν κύκλῳ κατὰ τὸν νόμον

[8] Ύείων

ποδῶν δύο ζ’ χ.

κοιλίας –ζ' χ.

μήτρας ἡ μνᾶ =ζ'χ.

[12] ἡπατίου ἡ μνᾶ [ἰσόκρ]εως

πλευμονίου ἡ μ[νᾶ ἐξ] ἡμίσους

κεφαλῆς τῶ[ν ὀστῶν τὸ τρ]ίτον

ἐνκεφάλου [--]

[16] Αἰγεί[ων ἤ προβ]ατείων

ποδ[ῶν τ]εττάρω[ν] δ' χ.

ἐνκεφάλου γ' χ. κεφαλῆς – γ' χ.

μήτρας ἡ μνᾶ ἰσόκ[ρεως]

[20] ἡπατίου [ἡ μν]ᾶ ἰσόκρεως

ὔθατος ἡ μνᾶ ἰσόκ[ρεως]

πλε[υμονίου ἡ μνᾶ ἐξ ἡμίσους]

Βοείου π[οδός --]

[24] ἡπατίου [καὶ σπληνὸς ἡ μνᾶ ἰσόκρεω[ς]

πλε[ύμονος ἡ μνᾶ ἐξ ἡμίσους]

ἐνκ[εφάλου --]

[Ἡ μνᾶ τῶν χολικίων πάντων ---]

[28] [καὶ τέταρτον --------]

L. 13, 22, 25 : ἐξημίσους S., de ἐξημίσεος qui ne semble pas attesté (pour la mention du prix avec ἐκ, cf. s.v. ἐκ [tot ὀβολῶν, δραχμῶν, κτλ.] LSJ III.9b et pour ἐξ ἡμισείεας, s.v. ἥμισυς LSJ II.2.)

L. 20 : cette ligne n'est pas donnée par S., sans doute abusé par l'ordre des pièces qui n'est pas le même dans le texte II, où le foie apparaît après la μήτρα et l'ὐθάτιον.

L. 25-6 : (24 S.) : ἐνκε[φάλου--ǀ [--------] S., mais 1. 25 on lit distinctement le début du mot πλε[ύμονος, comme sur la face A, et le début de ἐνκ[εφάλου 1. 26 ; on doit donc supposer un parallèle complet entre les deux faces et c’est la raison pour laquelle nous restituons d’après le texte II les 1. 27-28, bien que la pierre soit aujourd’hui illisible à cet endroit (sur ce point, voir aussi infra analyse du rapport entre les deux faces).

II (face A) : Hauteur des lettres (en cm) : 1. 1-29 : 1,8-12,5 ; 30-31 : 0,7.

[Ύείων]

[ποδῶν] δύο [-] χ.

[κοιλί]ας -δ' χ.

[4] [μή]τρας ἡ μνᾶ = δ' χ.

ἡπατίου ἡ μνᾶ ἰσόκ[ρε]-

ως

πλευμονίου ἡ μνᾶ

[8] ἐξ ἡμίσους

κεφαλῆς τῶν ὀσ-

τῶν τὸ τρίτον

ἐνκεφάλου γ' χ.

[12] Αἰγείων

ποδῶν τεττά-

ρων y’ χ.κεφαλῆς -β' χ.

[16] ἐνκεφάλου [--]

μήτρας ἡ μνᾶ -ς' χ.

ὐθατίου ἠ μνᾶ

ἰσόκρεως

[22] πλευμονίου

ἡ μνᾶ ἐξ ἡμίσους

Βοείου ποδός

ἥπατος καὶ σπλη-

[26] νὸς ἡ μνᾶ ἰσόκρεως

πλεύμονος ἡ μνᾶ

ἐξ ἡμίσους

ἐνκεφάλου γ' χ.

[30] Ἡ μνᾶ τῶν [χ]ολικίων πά[ν]των [---]

καὶ τέταρτον Ε[-]Η[---]

L. 8, 23, 28 : ἐξημίσους S., cf. supra app. crit. 1. 13, 22 et 25 texte I.

Selon G. Steinhauer, la paléographie des deux textes (faces A et B) montre qu’ils datent du ier s. a.C. Comme l’a indiqué l'éditeur, on connaît un archonte Pamménès en 83/82[560]. Après avoir souligné ses hésitations et envisagé une période plus tardive, sous Auguste, G. Steinhauer admet cette identification[561]. Le texte daterait donc de la remise en ordre intervenue après la destruction du Pirée sous Sylla. Pour G. Steinhauer, l'identité de l'agoranome nous resterait inconnue. Cependant, un rapprochement proposé par É. Perrin entre l'agoranome Αἰσχύλος Αἰσχύλυ Ἕρμειος et un [Αἰσχύ]λος Αἰσχύλ[ου Ἕ]ρμειος en fonction à Délos comme prêtre ou magistrat vers 42-40 a.C. (ID, 2632, 1. 15-16 ; LGPN II, s.v., nº 23+22) suggère plutôt selon ce dernier que “si une datation basse (époque augustéenne) devait être retenue pour l'inscription du Pirée, on aurait affaire au même personnage”[562]. Considérant que le petit-fils homonyme de Pamménès, personnage connu par toute une série d'inscriptions, aurait pu lui aussi exercer la charge d'archonte éponyme et s'appuyant sur la différence dans la graphie, R. Descat suppose donc que le texte de la face A aurait pu être gravé vers 80 a.C. et que le texte B (et donc la dédicace) daterait des années 30-20 a.C., en admettant que Pamménès II aurait exercé la charge d'archonte plus ou moins au même âge que son grand-père, soit autour de 30 ans[563].

Avant même de s'engager dans l'étude de la signification des premières lignes du texte I, il convient de réexaminer la description et l'analyse de la pierre qui ont été proposées par le premier éditeur. G. Steinhauer définit donc la pierre comme une “plinthe en marbre”[564]. Comme la structure des deux listes est la même, et bien qu'il s'agisse dans les deux cas d'une liste de pièces de triperie, les deux textes sont clairement indépendants l’un de l'autre, ce que confirme pleinement le fait que la pierre a été retournée entre la gravure du premier et celle du second. Pour déterminer celle des deux faces qui fut gravée la première, G. Steinhauer s'appuie essentiellement sur les particularités du support : “[La pierre] porte deux inscriptions (A et B), gravées sur deux faces adjacentes de la pierre. L'inscription du petit côté (A) est antérieure à l’autre. Lors de son remploi pour l'inscription B, la pierre a été retournée et on y a taillé un tenon (0,29 x 0,20, haut. 0,10 m), ce qui détruisit la première ligne de l'inscription antérieure (A). En même temps, sur la nouvelle surface supérieure, on a creusé une mortaise carrée décentrée (de 0,05 m de côté et 0,04 m de profondeur)”[565]. La face A se trouve à droite de la face définie comme face B, lorsqu'on est face à cette dernière et que la pierre est disposée de sorte que la lecture en soit possible. Ainsi, toujours selon le premier éditeur, le premier texte gravé aurait donc été celui de la face étroite (face A). Peu de temps après (car les deux inscriptions seraient à peu d'années près de la même époque), on aurait gravé le texte de la face la plus large (face B).

Fig. 1 : L'inscription agoranomique du Pirée, sens de lecture des deux faces (cl. A. Bresson).

Fig. 2 : L’inscription agoranomique du Pirée, texte I (d'après Steinhauer 1994, 53, fig. 2).

Fig. 3 : L’inscription agoranomique du Pirée, texte II (d’après Steinhauer 1994, 52, fig. 1).

Fig. 4 : L'inscription agoranomique du Pirée, texte II, détail (d’après Steinhauer 1994, 56, fig. 3).

Cette vision des choses ne résiste pas à l’analyse. Il serait bien étrange que l'on ait procédé de la sorte, comme on va entreprendre de le démontrer.

On voit sur la face large (fig. 2, p. 53 St., ici fig. 2) un texte qui a manifestement été gravé avec soin. Les deux premières lignes, celles qui portent le nom de l’archonte, ont une hauteur de 3,5 cm, contre 1,7-1,5 cm ensuite[566]. Le texte est soigneusement aligné sur une marge gauche[567]. Pour faciliter la lecture, il y a aussi sur la pierre un souci de présentation centrée pour mettre en valeur certains éléments du texte : 1. 2 pour le mot ἄρχοντος ; 1. 6 pour la fin de la dédicace (même si la mise en valeur du -'κεν' de ἀνέθηκεν, cf. supra, n'est guère heureuse) ; 1. 8 pour ὑείων, qui marque la première catégorie de viandes de la liste, mais 1. 16 αἰγεί[ων ἤ προβ]ατείων et 1. 22 βοείου π[οδός ---] sont alignées sur la marge gauche. De même, la mise en page du texte joue sur les espaces : avant la première ligne, un espace vide de 5 cm contribue à la mise en valeur du nom de l’archonte Pamménès, membre d’une famille particulièrement en vue dans l’Athènes du ier s. a.C. Après l’en-tête formé par les deux premières lignes, le corps du texte est gravé de manière à ménager un interlignage de c. 0,6 cm pour des lettres d’une hauteur de 1,7-1,5 cm, ce qui donne une présentation aérée et contribue aussi à faciliter la lecture. Les lettres sont dans l’ensemble gravées avec soin. Tel est le cas en particulier pour les premières lignes, celles de l’en-tête et de la dédicace ; ensuite, la liste a manifestement été gravée plus rapidement (les lignes ont tendance à pencher sur la droite). Cependant, la forme des lettres ne présente pas de variation et on ne doit pas douter que ce soit le même lapicide qui ait fait l’inscription de la dédicace et la liste chiffrée. Il y a sur la partie droite, au niveau des lignes 3-6, une légère irrégularité sur la surface du marbre et il se peut qu’elle ait incité le lapicide à ne pas écrire à cet emplacement : d’où peut-être entre autres, 1. 6, le bizarre rejet du 'κεν' de ἀνέθηκεν à la ligne suivante. Perdant ainsi une ligne et sachant qu’il avait un long texte à graver, le lapicide a décidé de commencer la suite du texte à la fin de la même ligne (κα[τ’ ἐ]πι|ταγὴν κτλ.). Au total, on a donc une inscription assez soignée, avec un souci de présentation et de lisibilité, malgré des imperfections certaines.

Sur la face la plus étroite en revanche (fig. 2 p. 52 St., ici fig. 3), comme manifestement on manquait de place, il n’était pas question de présentation centrée. Il est vrai que cela ne signifie pas qu’on n’ait eu aucun souci de mise en page. Pour marquer les différentes catégories de viandes, on a décalé ces mentions d’une lettre sur la gauche, cf. 1. 12 et 24 (et il faut effectivement envisager, comme l’a proposé le premier éditeur, une présentation de ce type 1. 1). Cependant, arrivé à la partie inférieure de la pierre, comme le lapicide manquait de place, il a gravé les lignes 30-31 en caractères de très petite taille (0,7 cm), qui ne s'accordent pas avec ceux des lignes précédentes (1,8-2,5 cm). Une autre caractéristique du texte gravé sur la face étroite est que l'interlignage de 0,5 cm ou moins y est proportionnellement réduit par rapport à celui du texte de la face large, ce qui donne un effet optique radicalement différent. La marge de variation des hauteurs de lettres est plus élevée que celle qui est indiquée par le premier éditeur (2,3-2,5 cm, en fait plutôt 1,8-2,5 cm). L'irrégularité est ici très sensible. Ce n'est pas le souci décoratif qui a primé ici, mais celui d'avoir des lettres bien visibles, en gros caractères. Il faut y voir le style et la main d'un lapicide différent de celui du texte de la face large, mais on dirait aussi qu'il y a là un souci utilitaire, le but recherché étant d’obtenir “de gros caractères faciles à lire” (cf. infra 178 n. 123), quand le souci d’élégance cl de présentation l'emportait sur le texte de la face large.

G. Steinhauer a considéré que le tenon, bien visible à la partie inférieure de la face large, avait été taillé dans un second temps et que c'est ce qui avait endommagé la face étroite. Sur la photo de la fig. 2 p. 53, on voit bien le tenon centré. G. Steinhauer lui attribue une hauteur de 10 cm (en fait 5 cm seulement). En réalité, la taille du tenon n'est nullement venue endommager la face étroite : il y a un gros éclat à la partie supérieure gauche de la face étroite et même la partie droite a été endommagée. Il restait donc un espace, même s'il était restreint, pour graver une première ligne. Lorsqu'on regarde la face étroite, on voit que tout l'angle supérieur gauche de la pierre a disparu et qu'une épaufrure endommage l'angle supérieur droit. C’est sans doute cela qui nous prive de la connaissance de la ligne 1 (ὑείων).

Les lettres des lignes 2 et 3 de la face étroite étaient plus petites que celles des lignes suivantes et il est possible qu'il en ait été de même à la ligne 1. Une autre solution, non moins vraisemblable pour cette face dont l'écriture est globalement peu soignée, est que le mot ὑείων ait été oublié lors de la gravure de la stèle et qu'il ait ensuite été rajouté en caractères de très petite taille c. 0,7 cm, de même hauteur que celle des lettres des lignes 30-31. Sauf si par miracle on retrouvait l'angle supérieur gauche de la face étroite, il est peu probable que l'on connaisse la solution définitive de ce problème, qui cependant ne doit pas faire douter du rapport entre les deux faces de ce bloc.

Il est en effet inutile de supposer que le bloc ait été retaillé au moment où aurait été gravé ce qui serait supposé être la seconde inscription. Il n'y a rien dans la manière dont le bloc se présente à nous qui oblige à admettre que la face étroite ait été gravée avant la face large. Ajoutons encore que si la dédicace de la face large avait été gravée postérieurement à la liste de la face étroite, il serait étonnant qu'on ait laissé subsister le texte (à l'envers) de la face étroite, qui serait venu contredire le soin mis dans la présentation de la dédicace. Dans l'autre hypothèse, au contraire, le caractère manifestement purement utilitaire de la liste de la face étroite ne se trouvait pas gêné par la présence d'un texte à l'envers sur la face adjacente du bloc. La volonté d'inscrire les 1. 30-31 en tout petits caractères suppose aussi en fait qu'on prenait modèle sur le texte de la face large, où en revanche on n'avait eu aucune difficulté à inscrire ces lignes (voir supra app. crit. texte 1).

On est donc conduit à considérer que, comme c'est d'ordinaire le cas, on a d'abord disposé une belle inscription à valeur décorative sur la face large, sur un bloc qui était pourvu d'un tenon à la partie inférieure. Le caractère légèrement pyramidant de la pierre, dont les dimensions sont plus réduites au sommet qu'à la base (voir supra présentation du bloc), montre assez ce qu'on tenait initialement pour base et pour sommet de ce bloc, qu’on préferera donc ici appeler une stèle. Un certain nombre d'années après la gravure sur la face large, le bloc a été renversé et on a gravé une seconde inscription du même type sur la face étroite : il est banal de commencer à utiliser une pierre sur la face large et de réserver la face étroite pour continuer à graver la suite d'un même texte (quand il s'agit d'une liste par exemple) ou y inscrire un autre texte[568]. La question de la mortaise creusée à la partie inférieure de la face étroite (supérieure de la face large) doit également être posée. Le plus probable est que lorsqu'on a retourné ce bloc qui initialement ne servait que de support à l'inscription de la face large, il a fallu creuser une mortaise à la partie inférieure pour pouvoir la fixer au sol sur un tenon ou à l'aide d'un goujon, puisque primitivement la pierre avait été taillée pour être installée en sens inverse.

Le premier éditeur a aussi voulu tirer argument de la différence dans l’état de conservation des deux faces pour justifier sa chronologie relative : la face étroite serait chronologiquement la première des deux, comme le montrerait “l'excellent état de conservation de la première inscription [face étroite] qui, après que la stèle eut été à nouveau dressée, ne devait plus être visible” ; en revanche, “l'usure de la surface de l'inscription B [face large], dont d'important fragments sont écaillés, surtout dans la partie supérieure gauche et dans la partie inférieure, prouve sa longue exposition en plein air” (p. 54). Dans la mesure où, selon l'éditeur lui-même, les deux faces furent gravées à relativement peu d'années d'intervalle, l'argument de la différence d'usure et des multiples cassures paraît faible. Il est plus important de noter que l'inscription fut découverte en remploi comme marche dans une maison du vie s. p.C. : ainsi doit s'expliquer qu’une face (la face étroite) ait été protégée (car elle ne se trouvait pas à l’air libre), tandis que l’autre, du fait du passage, fut fortement usée et endommagée. Bref, l'histoire de ce bloc, dont le détail bien évidemment nous échappe, suffit largement à expliquer les différences d'usure entre les faces, sans qu'on puisse en tirer d'argument chronologique, dans un sens ou dans un autre.

Nous conclurons en tout cas que l'inscription de la face large, celle qui porte la dédicace, est chronologiquement antérieure à celle de la face étroite. Pour éviter toute confusion avec les définitions du premier éditeur, nous évoquerons désormais le texte I (face large, portant la dédicace, “texte B” Steinhauer) et le texte II (face étroite, “texte A” Steinhauer).

Pour ce qui est de l’enjeu et du sens de l’inscription, on se trouve encore face à un problème identique a celui auquel ont été confrontés le premier éditeur et les commentateurs précédents : soit le texte I fait mention de Pamménès I, archonte en 83/82, soit il désigne son petit-fils Pamménès II, archonte dans la deuxième moitié du siècle[569].

— Si l'archonte Pamménès était l'éponyme de 83/82, plutôt que son petit-fils homonyme, la dédicace de l'agoranome Aischylos serait alors à mettre au compte des reconstructions qui ont suivi le sac du Pirée par Sylla en 86, seulement trois années auparavant[570]. C'est en 84/83 que Sylla restaure un gouvernement légal à Athènes[571]. On s’est demandé si c'est dès cette année là qu’eut lieu la reprise d’émission du monnayage d'argent du Nouveau Style[572] ; en fait, il se peut que ce ne soit que quelques années plus tard et qu'à ces années de reconstruction corresponde le bronze lourd aux types des monnaies d'argent du Nouveau Style, qui aurait été émis faute de pouvoir de nouveau émettre l'argent[573]. La liste des prix du Pirée serait à mettre en relation avec cette remise en ordre. Resterait bien entendu la question du rapport entre l'agoranome Aischylos fils d'Aischylos, du dème d'Hermos, et le personnage connu à Délos vers 42/40 a.C. Même si les deux mentions auraient peu de chance de faire référence à la même personne, il faudrait néanmoins admettre un lien de parenté étroit entre les deux personnages, car, sans faire partie des dèmes les plus modestes, le dème d'Hermos n'était manifestement pas un dème important[574]. Dans ce cas, bien que l'identité du nom du père et du fils nous prive d'un recoupement prosopographique, l'hypothèse du lien de parenté s'imposerait avec la force de l'évidence[575]. On aurait donc affaire au père et au fils (plutôt qu'au grand-père et au petit-fils)[576].

— Si l'on avait affaire à Pamménès II (dans le stemma de Geagan 1992), ce document serait une preuve de plus de ce que ce dernier avait exercé la charge d’archonte, ce qui est de toute façon correspond parfaitement à la brillante carrière de ce personnage et à celle des membres de sa famille[577]. Aischylos, fils d’Aischylos, serait ni plus ni moins le personnage connu à Délos c. 42-40 a.C.

Comment trancher ? Pour ce qui est de la paléographie des deux inscriptions, elle confirme une datation au ier s. a.C. Les arguments de R. Descat selon lesquels la graphie du texte II correspondrait à celle du lapicide de IG, II2, 2983 (cf. Tracy 1990, p. 207-208, fig. 35, qui propose une date c. 111/110-98/97), même si certains rapprochements ne sont pas sans valeur (comme celui du nu dont la barre oblique ne s'attache pas à la partie inférieure de la haste droite mais un peu au-dessus) ne sont pas suffisants pour servir d'argument à une chronologie relative des deux textes (au reste, on vient de voir la solution nouvelle que nous proposons) et n’emportent pas la conviction pour la chronologie absolue. Les travaux de S. V. Tracy sur l’épigraphie attique ont confirmé avec la force d'une étude approfondie qu'à une même époque des lapicides différents pouvaient produire des inscriptions fort différentes les unes des autres. La tâche d'ordonnancement chronologique est rendue difficile par le faible nombre de documents datés dans la période qui suit la catastrophe du sac d'Athènes par Sylla et jusqu'au milieu du ier s. a.C. Comme le note G. Steinhauer, l'épigraphie attique du ier s. a.C. ne présente pas de traits d'évolution très sensibles et, sans le bénéfice d'une étude approfondie, il n'est pas aisé de définir des critères[578]. On relèvera cependant que dans le texte I (bien qu'il soit en fait assez mutilé), et de manière plus visible encore dans le texte II, la haste droite des pi touche régulièrement la ligne, ce qui n'était pas le cas dans l'épigraphie attique de la fin du iie s.[579] Le décret relatif au sanctuaire d'Agdistis avait été daté par St. Dow et J. Pouilloux de l'année 83/82, mais on a vu que S. Follet (2000) a montré que le texte devait être rapporté à Pamménès II[580] : dans ce texte, la haste droite du pi adscrit ne touche pas la ligne[581]. Or, à l'époque augustéenne et au-delà, on trouve encore, dans bien des cas, des pi dont la haste droite ne touche pas la ligne[582]. G. Steinhauer proposait également un rapprochement du style de graphie des deux textes avec la liste des archontes d'après Sylla et, en conséquence, préférait retenir la chronologie haute[583]. De fait, de manière globale, les deux fragments de la liste des archontes, en particulier le fragment B, présentent un bon parallèle pour le texte I. Cependant, le fragment B en tout cas correspond à la période 63/62 - 53/52 et St. Dow admettait que la gravure de la stèle avait dû intervenir un peu après 48 a.C. (cette date pouvant éventuellement être un peu plus tardive, car la partie inférieure de la stèle est mutilée)[584]. La graphie de la dédicace des emporoi à l’agoranome Pamménès, datée traditionnellement c. 27 a.C. (entre 35/34 et 18/17 selon S. Follet), bien que d’un style plus orné, paraît aussi être proche de celle du texte I du Pirée[585].

Toutes choses égales, la date tardive et l’attribution à Pamménès II paraissent être la solution la plus problable. S. Follet retient une date possible pour l'archontat de Pamménès II entre c. 35/34 et 18/17[586]. En fonction de la paléographie, il faudrait peut-être alors plutôt songer à une date haute dans ce laps de temps, plus proche de 35/34 que de 18/17.

Si l'on devait en outre donner un argument de vraisemblance, l'identification de l'archonte mentionné à Pamménès II plutôt qu'à son grand-père homonyme, archonte dans les circonstances difficiles des lendemains du sac de Sylla, présente des avantages incontestables. Le souci de détail mis à fixer les prix des “petits plats” s'accorde mieux avec une période moins dramatique, même si elle fut temporairement difficile, que celle qui suivit la catastrophe de 86.

Pour ce qui est de l'objet de la dédicace, G. Steinhauer a supposé que les λίθοι dont il était question étaient les différentes inscriptions que l'agoranome avait dû faire graver, correspondant aux différentes listes de produits autres que la triperie[587]. Dans ce sens, on relèvera que la mention d'une série de pièces de triperie “au même prix que la viande correspondante” (cf. passim ίσόκρεως) suppose peut-être un affichage d'autres prix que ceux de la triperie. Malgré l'intéressant parallèle, du ve s. a.C. il est vrai, proposé par G. Steinhauer[588], R. Descal considère que ce sens serait inhabituel et suggère qu'il faut plutôt voir là “les tables de pierre qui servaient de comptoirs aux autorités du marché et aux marchands”[589]. Il signale comme parallèle archéologique les comptoirs de pierre anépigraphes (“Verkaufstische”) de Priène[590] et comme parallèle épigraphique l'inscription d'OIbia du ive s. a.C. Syll.3, 218, 1. 7-10, selon laquelle l'achat et la vente de l'or et de l'argent monnayé doivent avoir lieu [ἐπὶ] του λίθου τοῦ ἐν τῶι ἐκκλησιασ[τηρίωι]), et rapproche aussi du latin mensae lapidae[591]. Ajoutons aussi qu’à Tralles, à l’époque impériale, un agoranome fait la dédicace des “douze tables de marbre avec leur base au marché aux poissons” ; il est vrai que c'est alors le mot τράπεζα qui est employé (cf. mensa en latin)[592]. On sait que la tâche première de l'agoranome était de veiller à l'équité des échanges, sur la base de mesures établies de manière incontestable[593]. Un décret attique de la fin du iie s. montre le soin extrême qui présidait à l'établissement, à la conservation et à la reproduction de ces mesures légales[594]. Pour les utiliser, les agoranomes disposaient de tables spécialement conçues à cet effet. M. Guarducci et R. Stroud ont rassemblé une série de témoignages (Chios, Thasos, Dréros, Délos, etc.) qui montrent des tables de pierres percées d'orifices correspondant aux mesures légales, les σηκώματα[595]. Ainsi à Thasos, au ier s. a.C., l'agoranome Zôsimos fait la dédicace à la fois d'une table destinée à recevoir les mesures vinaires et d'une autre destinée aux mesures du grain[596]. On remarquera que dans le même secteur que celui dont provient l'inscription du Pirée ont été trouvées deux tables à σηκώματα[597]. Sur l'agora du Pirée. l'agoranome a fait la dédicace de λίθοι. Dans le contexte de l'agora d'Athènes, on relèvera que le mot λίθος renvoie à la pierre des hérauts[598], elle-même peut-être identique au πρατὴρ λίθος utilisé pour la vente des esclaves[599], ou à la pierre d’autel de l’agora sur laquelle prêtaient serment entre autres les archontes[600]. Dans le contexte de l'agora du Pirée, même si l'on doit garder en réserve l'hypothèse de G. Steinhauer, le plus vraisemblable est donc que les λίθοι étaient les tables de pierres, dont certaines étaient peut-être aussi des tables à mesures légales, sur lesquelles se déroulaient les opérations essentielles du marché.

Pour ce qui est ensuite de la ζυγόστασις, R. Descat considère qu'il s'agit de “l’ensemble officiel des poids et mesures, ce qu’on pourrait appeler 'la balance publique'”[601]. Certes, et G. Steinhauer le rappelle opportunément, on connaît une série de dédicaces de poids et mesures effectuées par des agoranomes[602]. On pourrait aussi ajouter que, à l'époque impériale, on possède une série de poids qui peuvent porter le nom de la mesure de référence et des éléments de datation et de garantie[603]. Le lien entre la fonction d'agoranome et les instruments de mesure est bien connu et il est inutile d'y insister. Mais ce n'est pas de la dédicace d'instruments de mesure, de μέτρα, dont il s'agit ici[604]. Sur ce point, on doit préférer le rapprochement effectué par G. Steinhauer avec deux inscriptions de Phrygie et avec le ζυγοστάσιον d'Antioche de Pisidie[605]. Le problème mérite cependant d'être traité au fond. La première question qui se pose est en fait de savoir si le mot ζυγόστασις désignait ou non une réalité différente de celle à laquelle renvoyait celui de ζυγοστάσιον. En fait, on peut répondre affirmativement et considérer qu'il y avait bien équivalence entre ζυγοστάσιον et ζυγόστασις (ce dernier mot étant pour le moment attesté exclusivement à Athènes), comme l'admet implicitement G. Steinhauer. Notons qu'il faut aussi adjoindre au dossier la forme ζυγοστασία (cf. PLond., 301.11, iie s. p.C.) pour laquelle le Révised Supplement du dictionnaire de LSJ donne la même définition que pour les deux mots précédents. Si l'on cherche des parallèles lexicaux pour une telle équivalence, on constate en effet qu’on trouve un triplet similaire avec βουστάσιον / βουστάσὶα / βούστασις, les trois mots ayant une signification identique (“étable”), et de même avec ἱπποστάσιον / ἱπποσταία / ἱππόστασις (“écurie”)[606]. Ces parallèles autorisent donc à supposer qu'il y avait bien de même une équivalence ζυγοστάσιον / ζυγοστασία / ζυγόστασις, ce que vient confirmer la similitude du contexte d'emploi de ces trois mots, qui n’étaient qu'une désignation à peine différente d'une seule et même réalité[607].

La seconde question tient à la nature même de la ζυγόστασις du Pirée. G. Steinhauer considère que revenaient entre autres à l'agoranome “le soin et les frais d'installation de la balance publique et la construction du bâtiment adéquat, le ζυγοστάσιον, où celle-ci était conservée”[608]. Il s'agirait donc d’une sorte de petit local de rangement du matériel. Cependant, G. Steinhauer donne en outre de ζυγόστασις deux autres définitions, explicites ou implicites, mais contradictoires entre elles et avec la précédente[609] : d'une part, il donne comme équivalent à ζυγοστάσιον le latin mensa ponderaria (mais on a vu que cette définition devrait en fait s'appliquer aux λίθοι)[610] ; d'autre part, il renvoie donc, cette fois pleinement à juste titre, au ζυγοστάσιον d'Antioche de Pisidie, qui montre bien que le ζυγοστάσιον n'était nullement un local destiné à ranger du matériel. Pour ce faire, en effet, les agoranomes disposaient d'ordinaire d'un local ad hoc, l'agoranomion. Dans les Lois, Platon mentionne en passant ce bâtiment et l'existence en est attestée dans une série de cités[611]. Sur l'agora du Pirée, et même si la ville eut ensuite à subir bien des vicissitudes, il existait au ive s. a.C. un agoranomion, mentionné dans un décret de 320/319[612]. Mais en ce cas, à quoi servait donc le ζυγοστάσιον ? Malgré le parallèle invoqué auparavant avec βουστάσιον et ἱπποστάσιον (qui était utilisé pour montrer les équivalences de sens entre les différentes formes du mot, pas pour évoquer une réalité architecturale), il ne s'agissait pas d'un local, mais bien d'un “support de balance”. Depuis l'époque archaïque et jusqu'à l'époque romaine, on possède en effet une série de représentations de balances. Avant mais aussi après l'innovation que constitua ce que l'on appelle encore de nos jours la “balance romaine”, la balance de tradition grecque était constituée d'un grand fléau aux extrémités duquel deux plateaux étaient suspendus par de longues lanières[613]. Le fléau de la balance devait être relié par une attache à un support fixe. Un modèle de bronze de support de balance trouvé à Pompéi est décrit de la sorte par E. Michon : “Il consiste en deux pilastres de bronze reposant sur une base à degrés et reliés à leur sommet par une pièce formant arcade dont la partie inférieure porte un anneau”[614]. La balance était donc accrochée sous l'arcade, perpendiculairement à elle, au moyen d'un anneau. Or le modèle de Pompéi trouve un parallèle absolument parfait avec le ζυγοστάσιον d'Antioche de Pisidie, qui lui aussi comporte deux pilastres et une arcade (cf. fig. 5-6)[615]. Un ζυγοστάσιον était donc bien un “support de balance” et, en retour, ce nom doit donc être appliqué aussi au support de balance de Pompéi[616]. On pourra rapprocher le mot μηχανοστάσιον, “support d'une machine d'irrigation” en Égypte, bien qu'il ne soit qu’assez tardivement attesté semble-t-il[617]. Pour le grec d’aujourd'hui, on évoquera aussi le κωδωνοστάσιον, le campanile, qui a pour fonction de suspendre les cloches[618]. C’est au ζυγοστάσιον que devait être suspendue la balance publique de référence sur laquelle on peut imaginer que, en cas de contestation entre client et commerçant, devaient s’effectuer les pesées de contrôle des pesées effectuées sur les balances des commerçants, ainsi que le réglage initial des balances remises aux commerçants par les agoranomes, du moins si l’on admet que l’on doit généraliser cette procédure d'après le parallèle délien de la loi sur le commerce du charbon de bois[619].

Fig. 5 Fig. 6 Fig. 7

Fig. 5-6 : Zygostasion à Antioche de Pisidie (d’après Calder 1912, 87-88, pl. 1).

Fig. 7 : Support de balance de Pompéi, d'après É. Michon, DA, s.v, Libra, III.2, p. 1124 avec fig. 4468.

Ces divers points établis, la crux demeure donc la signification de la formule κα[τ’ἐ]πι|ταγὴν τῶν κύκλιο κατά τòν νόμον[620]. Comme bien souvent, le laconisme du formulaire correspond à une situation qui était fort claire pour les contemporains et qu'il était inutile d'expliciter. Sur ce point, il convient d'abord de rappeler les diverses interprétations qui ont jusqu'ici été proposées :

— Selon G. Steinhauer, επιταγή peut avoir deux sens, celui d'impôt et celui d'ordre. A juste titre, il note que les chiffres mentionnés dans les listes sont trop élevés pour correspondre aux tarifs d'une taxe et qu'on a donc affaire ici à une liste de prix[621]. Il en conclut que le mot επιταγή signifie ici “ordre”, bien que selon lui l’auteur de l'ordre ne soit pas mentionné. L'ordre en question correspondrait aux prix imposés aux “produits du marché” (car tel est le sens qu'il donne à l'expression τῶν κύκλῳ) par une décision de la cité ou pour se conformer à un ordre impérial.

— R. Descat présente une critique détaillée de l'exégèse proposée par G. Steinhauer du mot ἐπιταγή. Il souligne que G. Steinhauer est en difficulté pour justifier ce qui apparaît être comme un double emploi, l'expression κατὰ τον νόμον semblant faire doublet avec l'ἐπιταγή. A juste titre, il repousse l'idée que l'ἐπιταγή puisse en quelque façon faire référence à un ordre impérial[622]. En effet, on ne trouve aucun indice qui puisse justifier ce point de vue, même si la chronologie n'interdit pas absolument qu'il puisse en être question, en admettant que le texte date effectivement du début de l'époque augustéenne[623]. C'est ce qui le conduit à accepter pour ἐπιταγή le sens de taxe sur les produits. Pour ce qui est de τῶν κύκλῳ, il donne en effet le commentaire suivant : “Je ne vois pas à qui peut faire allusion cette expression elliptique qui ne convient pas aux habitudes administratives où les titres des magistrats sont soigneusement mentionnés”[624]. En revanche, à la suite de G. Steinhauer et en s'appuyant en particulier sur une glose d’Aristophane qui donne à κύκλος le sens de marché aux produits alimentaires, il considère que le sens de produits du marché est inévitable[625]. Deux traductions sont alors successivement proposées. La première donne à ἐπιταγή le sens de taxe avec κατά dans un sens final : “Sous l’archontat de Pamménès, Aischylos fils d'Aischylos du dème d'Hermos, agoranome, a consacré les tables et les poids et mesures en vue de la taxe des produits du marché selon la loi”. Mais comme R. Descat admet lui-même que la traduction d'ἐπιταγή par “taxe de marché” a contre elle d'être un hapax, il propose ensuite une seconde traduction, qui donne à ἐπιταγή le sens de “prescription”, “règlement d'une loi” : “[Aischylos] a consacré les tables et les poids et mesures selon la réglementation sur les produits du marché selon la loi”. Selon lui, de toute façon, les deux traductions donnent un sens peu différent, le contrôle et la taxation des produits étant au cœur du travail de l'agoranome.

Pour ingénieuses qu'elles soient, ces interprétations et traductions soulèvent cependant bien des questions. Notons aussi qu'il convient de mener une analyse sans a priori, c'est-à-dire sans supposer que la dédicace donne la clé de la signification de la liste des prix. Les objets ou constructions qui sont l'objet de la dédicace, tables de pierre et support de la balance agoranomique, sont certes à mettre directement en relation avec l'activité du magistrat. Cependant, à moins qu'on puisse en faire la démonstration, la dédicace n'implique pas en soi un lien avec la liste de pièces de triperie. Le texte de la dédicace est en disposition centrée. Le dernier mot, ἀνέθη|κεν, est coupé et -κεν est disposé au milieu de la ligne 6. Vient ensuite l'indication κα[τ’ ἐ]πι|ταγὴν τῶν κύκλω κατὰ τòν νόμον. Vu la disposition de cette formule, dont le début se situe à droite du -κεν de ἀνέθη|κεν, le problème doit être posé de savoir si la formule se rapporte à la dédicace qui précède ou à la liste qui suit. Or, le rattachement de la formule κατ’ ἐπιταγήν κτλ, au membre de phrase qui précède pourrait paraître conforté par son emploi particulièrement fréquent dans les dédicaces[626]. En effet, κατ’ ἐπιταγήν peut y apparaître seul ou bien y être employé avec le génitif de l'agent qui a donné l'ordre de faire la dédicace, qui d'ordinaire est la divinité : d'où la multitude de dédicaces avec la formule κατ’ ἐπιταγήν τοῦ θεοῦ[627]. De là, on pourrait songer à se demander si l’on ne se trouve pas en présence d'un cas où l'auteur de la dédicace aurait demandé et obtenu l'autorisation des autorités du lieu avant de procéder à l'érection de la stèle[628]. Pour κατὰ τον νόμον, on pourrait même trouver un parallèle, bien que ce soit dans une dédicace un peu particulière, dans un acte d'affranchissement de Chéronée de Béotie, au iie S. a.C., le dédicataire précise qu'il opère τὴν ἀνάθεσιν ποιούμενος | διὰ τοῦ συνεδρίου κατὰ τòν νόμον Χαι|ρωνέων[629]. On voit pourtant le défaut de cette solution, qui suppose une αἴτησις non attestée de la part d'Aischylos.

Un autre parallèle peut cependant être invoqué, qui invite cette fois à rattacher la formule à la liste de pièces de triperie qui suit. On le trouve dans le règlement douanier de Coptos, qui date du règne de Domitien. Avant la liste des montants qui doivent être payés par les différentes catégories de personnes en transit est indiqué[630] : Ἐξ ἐπιταγῆς Μ[ετ]τίου [Ῥούφου, ἐπάρ|χου Αίγυπτου], ὅσα δεῖ τοὺς μισθω|τὰς τοῦ ἐν Κόπτωι ὑποπείπτον|4τος τῆι ἀραβαρχίᾳ ἀποστολίου πράσ|σειν κατὰ τòν γνώμονα τῇδε τῇ | στήληι ἐνκεχάρακται διὰ Λουκίου | Ἀντιστίου Ἀσιατικοῦ, ἐπαρχου|8 ὄρους Ḃερενείκης “Par ordre de Mettius Rufus, préfet d'Égypte, ce que les fermiers de l'impôt doivent réclamer pour le droit de passage à Coptos, payables à l'administration des douanes, selon le tarif, a été gravé sur cette stèle par les soins de Lucius Antistius Asiaticus, préfet de la montagne de Bérénice”[631].

’Εξ ἐπιταγῆς équivaut à κατ’ ἐπιταγήν et la clause κατὰ τὸν γνώμονα fournit un parallèle à κατὰ τòν νόμον[632]. Le règlement de Coptos est plus explicite et il nous livre la signification de la liste qui suit, soit un tarif douanier. Dans l'inscription d'Athènes, toutefois, il ne s'agit pas de taxe mais de prix[633]. Reste à élucider définitivement la signification de la formule κατ’ ἐπιταγήν κτλ.

Le sens général d’ἐπιταγή est clair et ne souffre pas discussion : “ordre”, “ordonnance”, “mandement”, “mandat”, d'où également le sens d'“exigence” (par exemple d'exigence des lois) ou bien d’“imposition” de taxe (mais pas en soi de “taxe” ou de “réglementation”)[634]. Pour ce qui est de τῶν κύκλῳ, G. Steinhauer (suivi par R. Descat) considère que l’expression, équivalent de τῶν πέριξ, renverrait en fin de compte au sens de κύκλος comme secteur de l'agora[635]. Certes, les κύκλοι de l’agora peuvent correspondre aux différents secteurs de l'agora, spécialisés dans différents produits, mais on ne voit pas comment τὰ κύκλῳ pourrait signifier “les produits du marché”. On peut supposer que l'on aurait plutôt τὰ τού κύκλου, ou autre formulation semblable. La traduction de τῶν κύκλῳ par “les produits du marché” est donc suspecte. L’usage du datif oriente oriente vers une tout autre signification. Employé comme adverbe ou comme préposition, κύκλῳ se rencontre des milliers de fois dans la littérature grecque ancienne[636]. Le mot désigne ce qui se trouve “autour”, au sens propre ou métaphorique. Cependant, une formule avec κύκλῳ autorise les associations les plus variées[637]. Au demeurant, R. Descat évoque au passage une scholie d'Aristophane, lequel dans une description des aménagements du port d'Athènes signale : ὁ Κανθάρου λιμήν, ἐν ᾧ τὰ νεώρια εξήκοντα εἶτα Ἀφροδίσιον εἶτα κύκλωι τοῦ λιμένος στοαὶ πέντε[638]. Dans cette occurrence, le mot κύκλῳ est à l'évidence employé ici comme une préposition (les cinq portiques se trouvent exactement “autour du port”). Le contexte commercial ou portuaire n'a rien à voir avec l'emploi banal du datif κύκλῳ. Mais il reste à connaître le genre de l'article-démonstratif τῶν. A-t-on affaire ici à τὰ κύκλῳ ου à οἱ κύκλῳ ?

— L'expression τὰ κύκλῳ apparaît chez Aristote avec le sens de “circonstances”[639]. Expliquant dans la Rhétorique que le panégyrique (ἐγκώμιον) est un genre de discours qui porte sur les actes, le Stagirite ajoute que τὰ δὲ κύκλῳ εἰς πίστιν, οἷον εὐγένεια και παιδεία· εἰκòς γὰρ ἐξ ἀγαθῶν ἀγαθοὺς καὶ τòν οὕτω τραφέντα τοιοῦτον εἶναι, “les circonstances concourent à la persuasion ; par exemple, la noblesse et l'éducation : il est vraisemblable que de parents bons naissent des enfants bons et que le caractère réponde à l’éducation reçue”[640]. Dans l'Éthique à Nicomaque, il explique que le courage ne va pas sans devoir supporter des épreuves difficiles : οὐ μὴν ἀλλὰ δόξειεν ἄν εἶναι τὸ κατά τὴν ἀνδρείαν τέλος ἡδύ, ὑπò τῶν κύκλῳ δ’ἀφανίζεσθαι, οἷον κἀν τοῖς γυμνικοῖς ἀγῶσι γίνεται “il pourrait cependant sembler que bien que le courage ait un but agréable, il soit terni par les circonstances qui accompagnent ses manifestations, comme cela est le cas lors des concours gymniques”, dans la mesure où, par exemple, la gloire escomptée par le pugiliste peut sembler n'être qu'une maigre compensation pour les coups qu’il reçoit[641]. Dans l’inscription du Pirée, τὰ κύκλῳ serait-il l’équivalent d'un susbstantif comme περίστασις, qui a le sens de “circonstances”, “situation”, et en particulier de “circonstances difficiles” ? Cependant, l'ἐπιταγή appelle d'ordinaire un agent animé : c'est le cas aussi dans le règlement de Coptos. Certes, l'ἐπιταγή peut également émaner d'une autorité abstraite, comme les lois chez Diodore : ἀλλ’ ἦν ἄπαντα τεταγμένα νόμων ἐπιταγαῖς pour le contrôle des lois sur l'activité des rois égyptiens[642]. Faudrait-il songer à “l'exigence des circonstances” qui aurait amené l'agoranome Aischylos à dresser cette liste de prix ? En fait, un sens bien meilleur peut être proposé avec οἱ κύκλῳ.

— La formule οἱ κύκλῳ n'est pas rare. Elle peut ainsi désigner “les gens du lieu”, comme dans la description que donne Strabon du sanctuaire de Zeus Labraundeus, à Labraunda, à l'écart de la ville de Mylasa, sur la route d'Alabanda[643]. On pourrait donc supposer que οἱ κύκλο) désigne ici “les gens du lieu”, “les gens fréquentant les lieux”, i.e. l'agora, qui seraient venus demander à Aischylos d'intervenir sur les prix. Mais dans ce cas ces derniers ne sauraient à proprement parler avoir “donné un ordre”, “exigé” quelque chose du magistrat. Or, c'est bien d'une ἐπιταγή dont il est question, pas d'une αἴτησις, ce qui exclut que ce soient les “gens fréquentant les lieux” qui puissent être désignés ici. Le parallèle de l'inscription de Coptos impose l'idée d'une autorité, correspondant à une ou plusieurs personnes physiques. S'agirait-il des démotes du Pirée ? Ce serait là apparemment une bonne hypothèse, mais demeurait cependant la question de savoir pourquoi ils n'auraient pas été désignés comme tels. La solution est donc ailleurs : il s'agit ici du collège qui formait l'“entourage” de l'agoranome Aischylos, qui étaient κύκλῳ (Αἰσχύλου), ou éventuellement (Αἰσχύλον), selon qu'on sous-entend une construction avec génitif ou accusatif. Car si c’était Aischylos qui avait fait la dédicace, ce devait être en revanche le collège des agoranomes dont il faisait partie qui avait pris la décision de fixer la liste des prix. Ce collège était de la sorte désigné par une formule qui nous paraît énigmatique, mais qui dans le contexte devait avoir une signification transparente pour le lecteur[644]. On voit ainsi que la loi agoranomique donnait aux agoranomes le droit de fixer les prix et c'est ce que vient rappeler la formule κατὰ τòν νόμον, qui ne faisait donc nullement doublon avec κα’ ἐπιταγήν, le parallèle avec l'inscription de Coptos précédemment évoquée étant donc total.

Il était certes tentant de dater le texte I du Pirée de 83/82, le contexte paraissant expliquer que l'agoranome de 82/82 ait dû tout à la fois faire la dédicace des équipements de base de l'agora, les tables de pierre et le support de la balance agoranomique, qui avaient pu être renversées et détruites dans la tourmente du sac du Pirée par les troupes romaines, et en même temps procéder à une taxation des pièces de triperie. Il est vrai cependant aussi que, tout au long des guerres civiles romaines, Athènes choisit toujours le mauvais parti[645] : celui de Pompée, qui occasionna un siège prolongé et éprouvant de la part des Césariens en 48, celui des tyrannicides Brutus et Cassius, enfin celui d'Antoine. Ensuite, quelles qu'en soient les raisons, elle n'eut guère la faveur d'Auguste, qui la priva d'Égine et d'Érétrie dont elle tirait revenu et lui interdit de vendre le droit de cité athénienne[646]. Athènes a donc connu d'autres situations difficiles au cours du ier s. a.C., même si elles furent moins dramatiques que la catastrophe syllanienne[647]. Comme on l’a vu, une datation entre 35/34 et 18/17 est la plus probable et donc, selon toute vraisemblance, ces deux inscriptions furent gravées dans des circonstances des plus ordinaires. En tout état de cause, le texte peut maintenant être traduit comme suit :

Texte I

“Sous l'archontat de Pamménès, Aischylos fils d'Aischylos, qui a exercé la charge d'agoranome, a fait la dédicace des 'pierres' et du support de balance.

Sur injonction du collège auquel il appartient, selon la loi :

Porc : deux pieds, 7 ch. ; panse, 1 ob. 7 ch. ; matrice, la mine, 2 ob. 6 ch. ; foie, la mine, au prix de la viande ; mou, la mine, à moitié de ce prix ; os de la tête, au tiers de ce prix ; cervelle,---

Chèvre ou mouton : 4 pieds, 4 ch. ; cervelle, 3 ch. ; tête, 1 ob. 3 ch. ; matrice, la mine,--- ; foie, la mine, au prix de la viande ; mamelle, la mine, au prix de la viande ; mou, la mine, à moitié ce de prix.

Bœuf : pied,--- ; foie et rate, la mine, au prix de la viande ; mou, à moitié de ce prix ; cervelle,---

La mine de tous les intestins --- et à quart de prix ( ?) ---”

Texte IIPorc : deux pieds, [-] ch. ; panse, 1 ob. 4 ch. ; matrice, la mine, 2 ob. 4 ch. ; foie, la mine, au prix de la viande ; mou, la mine, à moitié de ce prix ; os de la tête, au tiers de ce prix ; cervelle, 3 ch.

Chèvre : 4 pieds, 3 ch. ; tête, 1 ob. 2 ch. ; cervelle [---] ; matrice, la mine, 1 ob. 6 ch. ; mamelle, la mine, au prix de la viande ; mou, la mine, à moitié de ce prix.

Bœuf : pied, 1 ob. ; foie et rate, la mine, au prix de la viande ; mou, à moitié de ce prix ; cervelle, 3 ch.

La mine de tous les intestins --- et à quart de prix ( ?) ---”

2. Listes de prix et contrôle des magistrats

G. Steinhauer a parfaitement montré que la liste était une liste de prix, non de montants de taxe, sans quoi on aurait affaire à des prix de vente beaucoup trop élevés[648]. Ajoutons que si l’on suivait l'hypothèse que les indications de prix mentionnées avaient eu pour but de servir à l'établissement d’une taxe alors que les prix effectifs auraient pu être différents[649], plus hauts ou plus bas, on se trouverait dans une alternative sans issue : si les prix réels avaient été plus bas que ceux qui étaient indiqués, la cité aurait lésé les consommateurs en engrangeant des sommes trop importantes ; s'ils avaient été plus élevés, c'est la cité qui aurait été lésée. Mais il y a plus : à Athènes, du moins à la fin du ve s. a.C„ la taxe sur les ventes (ἐπώνιον) était établie non ad valorem mais par palliers[650], ce qui, selon toute vraisemblance, rend caduque l’hypothèse de l'ἐπιταγή comme “imposition de taxe”, du moins si le système était encore en place au ier s. a.C. Le texte du Pirée apporte ainsi un élément de réflexion intéressant à la question de savoir en quelles circonstances les agoranomes pouvaient fixer des prix. Les sources relatives à la fixation de prix par les agoranomes ont été récemment rassemblées par L. Migeotte[651]. Quelques points méritent cependant d'être précisés.

Dans le Miles gloriosus de Plaute, l'un des personnages regrette que les dieux n'aient pas mieux réglé la vie des hommes, à la manière dont procède un agoranome :

Sicut merci pretium statuit qui est probus agoranomus :

quae probast <mers pretium ei statuit>, prouirtute ut ueneat

quae inprobast, pro mercis uitio dominum pretio pauperet

“Comment procède un bon agoranome pour fixer les prix ? Les bonnes marchandises, il en règle le tarif de manière qu'elles soient vendues pour ce qu’elles valent ; et les mauvaises, pour qu'elles appauvrissent leur propriétaire à proportion des défauts qu'elles présentent[652] Faut-il conclure soit que l'agoranome pouvait fixer tous les prix à sa convenance, soit au contraire que le texte doit être rejeté comme sans valeur[653] ? Choisir la deuxième solution n'est pas acceptable, car pour que la comparaison ait un sens pour un public grec, il fallait au contraire que la pratique de l'agoranome soit parfaitement familière à tout un chacun. Mais la première solution n'est pas davantage recevable. En réalité, comme le montrent le contexte et la référence à la virtus humaine, le texte fait clairement allusion à la qualité des produits : on rejoint là ce qui est le rôle premier de l'agoranome : veiller à l'équité dans l’échange marchand, de manière à faire en sorte que en fonction de la qualité le client ne soit pas lésé[654]. La mésaventure plaisante de Lucius à Hypata de Thessalie, telle qu'elle nous est narrée par Apulée (le texte est aussi mentionné par L. Migeotte), permet précisément de sortir de ce dilemme[655]. Pour 20 deniers contre 25 demandés par le vendeur, Lucius négocie sur le marché des poissons de la meilleure qualité. Pour faire montre de son autorité d'édile (i.e. d'agoranome), Pythias, l'ami de Lucius, fait piétiner le poisson acheté devant le vendeur pour humilier et “punir” ce dernier, en fait privant ainsi Lucius de son dîner. Le magistrat reproche au vendeur des prix trop élevés pour la qualité, supposée misérable, des produits offerts. On voit donc bien deux phases distinctes : d'abord une libre négociation entre acheteur et vendeur ; ensuite une intervention du magistrat, qui peut intervenir sur un prix jugé excessif compte tenu de la qualité du produit. C'est l'allégation de tromperie qui donne au magistrat le droit d’intervenir. Cela ne signifie donc nullement qu'en règle générale le magistrat pouvait fixer les prix, mais le texte montre cependant qu'en matière de prix il avait un droit potentiel de correction des abus[656].

Mais plusieurs inscriptions portent témoignage de ce que les agoranomes, ou la cité, pouvaient effectivement fixer des prix[657]. On trouve ainsi à Delphes, au iiie s. a.C., une liste de prix de différents poissons[658] et à Akraiphia en Béotie, à la fin du iiie s. a.C., une liste de prix de poissons de mer et de lac, inscrite par les agônarques (le nom béotien des agoranomes) sur décision de la cité[659] ; à Andania en Messénie en 92 a.C., un règlement des mystères présente entre autres une clause relative à l'agora de la panégyrie, laquelle enjoint aux agoranomes de veiller à la qualité des produits vendus et à la conformité des poids et mesures, mais leur interdit de fixer les prix[660] ; à Oinoanda de Lycie, en 124 p.C., la clause du règlement de la fête des Dèmostheneia relative à l'agora de la panégyrie donne aux trois panégyriarques “le pouvoir d’afficher un tarif des prix des approvisionnements mis en vente”[661] tout en veillant à leur qualité et en ayant soin de leur répartition ; la lettre d'Hadrien à Pergame relative aux banquiers publics fait allusion à “l'estimation qui est faite par les agoranomes des poissons vendus au détail au poids”[662] Une série d’inscriptions d'Ephèse des iie et iiie s. p.C. montre le souci de fixer le prix du pain, soit lors des fêtes principales (avec les foires qu’elles attiraient), soit sans doute dans des situations de pénurie[663].

Plusieurs conclusions nous paraissent s'imposer. La première est qu'il n'y a nulle raison de limiter aux agoranomes de panégyries le rôle potentiel de fixation des prix. On remarquera tout d’abord que les deux témoignages sur l'activité des agoranomes lors d'une panégyrie, ceux d'Andania et d'Oinoanda, n’apportent pas une information univoque. Dans le premier cas, la cité interdit à l'agoranome de fixer les prix ; la clause peut certes s'interpréter en supposant qu'il était courant qu'une cité accorde à un agoranome de panégyrie le pouvoir de fixer les prix de certaines catégories de produits, mais elle peut aussi laisser penser que dans un cadre ordinaire, hors panégyrie, les agoranomes d'Andania pouvaient jouir de cette prérogative — au demeurant, les deux explications ne sont pas exclusives l'une de l'autre. En outre, les agoras de panégyrie devaient dans bien des cas traiter des volumes d'échange importants[664] En conséquence, il paraît difficile de réduire à une sorte de situation marginale, sans grande signification sur les volumes d'échange puisque liées à des fêles religieuses, les limitations de prix effectuées lors des panégyries[665]. En outre, les textes d'Athènes et de Pergame ne correspondent pas à des panégyries et rien ne prouve que les textes de Delphes ou d'Akraiphia correspondent à des circonstances de fête : à Akraiphia, la désignation de l'agoranome comme agônarque est un trait dialectal et nullement une indication qui suppose que l'action de ce magistrat ait été limitée au cadre d'une panégyrie[666]. A Cyzique, en 38 p.C., la cité dut faire effectuer de grands travaux et l'afflux de main d’œuvre l’amena à limiter les prix à l'ἐνεστώση τιμή fixée par les agoranomes, qui suivaient eux-mêmes les indications d’une généreuse bienfaitrice[667].Le cas d’Éphèse montre une situation où les interventions sont autant liées aux périodes de fête qu’aux périodes de pénurie liées à des difficultés d'approvisionnement. Quelles que soient les causes d’un déséquilibre potentiel des prix (lié ou non à une fête religieuse), ce serait donc le souci d’y remédier qui pourrait expliquer bon nombre d’interventions des magistrats du marché. Mais il faut en outre relever que le grand souci de détail dans les variétés de poisson à Delphes et à Akraiphia trouve un parallèle dans la liste des pièces de triperie de l'agora du Pirée : or, dans ce dernier cas, le tarif vise manifestement autre chose chose qu'une période limitée dans le temps, comme c’est le cas en revanche pour une panégyrie, pour une période de famine, ou pour tel autre déséquilibre (augmentation temporaire de la demande du fait d’un afflux de main d’œuvre à Cyzique). Les principes réglant l'activité des agoranomes étaient donc certainement les mêmes dans le cadre civique ordinaire ou lors des panégyries. Ce qui ne signifie pas que les pouvoirs et principes d'action des agoranomes étaient toujours identiques.

Car une seconde conclusion qui s'impose est que les pouvoirs accordés aux agoranomes pouvaient varier sensiblement d'une cité à l'autre et selon les occasions. Pour la fête des mystères à Andania, l'agoranonte n’avait pas le pouvoir de fixer des prix, quand ce droit est explicitement accordé aux panégyriarques dans le règlement des Dèmostheneia d'Oinoanda. A Athènes, comme le montre le règlement du Pirée, ce pouvoir leur était accordé par la loi. Cependant, cela ne signifie sans doute pas que les agoranomes devaient en permanence fixer les prix. On peut imaginer qu'une contestation sur des prix jugés insupportables par les consommateurs ou une spéculation manifeste pouvait légitimement déclencher l'action de l'agoranome, qui en temps normal devait laisser agir la loi de l'offre et de la demande.

Plus généralement, les autorités du marché avaient le choix entre deux politiques. L’absence de contrôle des prix à Andania devait permettre aux vendeurs d'atteindre les prix élevés dont Dion Chrysostome[668] nous dit pour Apamée, centre d'un conventus judiciaire attirant une foule de plaideurs, que tous ceux qui avaient quelque chose à vendre tiraient profit du fait qu'ils pouvaient exiger des prix élevés. Il s'agissait donc d'un moyen d'attirer les vendeurs par l’attrait du gain qu'ils pouvaient espérer, avec le risque de détourner une fréquentation potentielle de la fête par des prix trop élevés, mais en comptant sur la loi de l'offre et de la demande pour rétablir un équilibre. Un autre moyen d'assurer l'abondance était l'atélie accordée aux commerçants, comme l'a montré De Ligt[669]. En revanche, le contrôle des prix devait augmenter la fréquentation, avec le risque d'intimider les marchands, qui étaient toutefois assurés d'une clientèle importante et qui, connaissant les prix, pouvaient tabler sur un revenu assuré. En d'autre termes, les autorités du marché disposaient d'armes contradictoires : elles pouvaient faire une politique favorisant soit l'offre — donc ce qu’on appellerait aujourd'hui une “attitude libérale”, en laissant jouer le marché pour l’établissement des prix–, soit la demande, en intervenant pour fixer les prix. Sans doute, suivant les circonstances, pouvaient-elles choisir soit une politique, soit l’autre. Ce sont là des choix de base de gestion d’un marché, auxquels, toutes proportions gardées, les autorités économiques contemporaines se trouvent aussi confrontées et qu’il est intéressant de retrouver dans l’économie antique, même si c’est sous la forme limitée, simplifiée et, comparativement, embryonnaire, du marché d’une ville antique, a fortiori sans que cela soit théorisé dans le cadre d’une théorie économique[670].

On remarquera en outre que, à trois reprises (Delphes, Andania, Pergame), il est question de poisson, une fois de pièces de triperie (au Pirée), et il faut encore ajouter à cette série la lettre d’Hadrien relative à la vente du poisson à Éleusis, qui n’a pas pour objet de fixer les prix mais qui prévoit cependant que les pêcheurs eux-mêmes ou les premiers acheteurs feront les ventes car l’intervention de revendeurs intervenant en troisième rang (cf. τρίτους ὠνητάς, 1. 10-11) aurait pour conséquence de faire monter les prix[671]. Il s'agit de denrées produites pour l'essentiel dans un cadre local par les pêcheurs ou les éleveurs de la cité[672] et qui en outre ne pouvait pas être stockées (donc sur lesquelles la spéculation était impossible) : dans ce cas, l’offre était prisonnière de la demande et les prix étaient davantage susceptibles d'être effectivement contrôlés par les autorités de la cité. Manifestement aussi, le statut social des pêcheurs et des marchands de poissons était médiocre et la cité n’avait pas à avoir pour eux d’égard particuliers. Certes, si le poisson était une denrée de base de l’alimentation et on soulignera ainsi à la suite de M. Feyel que le poisson représentait une partie importante de l'ὄψον, la part non céréalière de l'alimentation[673] Mais à l’évidence il n’avait pas le caractère vital du blé. Les multiples récriminations contre les marchands de poissons qu'on trouve dans la comédie attique, avec les exagérations de rigueur[674] dont Athénée se fait très largement l'écho, témoignent de cette tension entre vendeurs et consommateurs, qui trouvaient toujours les prix trop élevés[675]. Ainsi, une loi attique de la fin du ive s. dont l’auteur était le riche Aristonikos interdisait aux marchands de poisson de baisser le prix initialement fixé, de sorte qu’ils risquaient de voir leur marchandise rester sans acheteur, donc se perdre, s’ils avaient d’abord fixé un prix trop élevé[676] : pour lutter contre la spéculation, le législateur disposait donc d’autres moyens que la fixation autoritaire des prix. Dans un contexte de contrôle potentiel de l’offre, même si la liberté des prix était donc la règle comme le montre aussi bien la loi d’Aristonikos que le Miles gloriosus de Plaute déjà évoqué, certaines cités, dans certaines circonstances, pouvaient être tentées de fixer autoritaitement les prix de ces denrées. Relevons encore que, en particulier pour les poissons, il s'agit de produits d'une très grande variété dont la hiérarchie des valeurs devait être clairement établie pour éviter toute contestation. Pour le blé en revanche, dont l'approvisionnement dépendait des marchés extérieurs, il ne pouvait être question de procéder de manière autoritaire et il fallait s'en remettre à la puissance de πειθώ, la persuasion, pour obtenir des importateurs qu'ils consentent des prix modérés[677].

Dans son analyse sur les “foires et marchés”, L. de Ligt (p. 231-232) considère que l'action sur les prix était exceptionnelle, car elle aurait été contreproductive pour assurer l’abondance des produits sur le marché, la règle étant plutôt d'attirer les commerçants par le biais de l’atélie. Certes, face à ledit du Maximum (301), le refus des vendeurs de se soumettre à la taxation eut pour conséquence le retrait général des marchandises et une nouvelle augmentation des prix, comme le souligne Lactance[678] Mais, même s’il entrait en fait surtout dans le cadre d’une politique fiscale, l’édit du Maximum avait une portée générale et ne visait pas des catégories de producteurs “captifs” d'un marché local, qui devaient bon an mal an se soumettre à la réglementation. Or, dans le cadre de la cité grecque, le souci du “juste prix” n'était pas moins grand que celui de l'abondance (sur lequel au reste L. de Ligt insiste à juste titre). L'inscription d'Andania et la nécessité de préciser l'interdiction de limiter les prix tendrait à laisser penser que, sans être de règle, la pratique de limitation autoritaire des prix était cependant moins exceptionnelle que ne le pense L. de Ligt.

Cependant, si y compris à Athènes la fixation autoritaire des prix à l'agora était bien loin d'être universelle, mais n’était pas non plus ni une chose juridiquement impossible ni un fait rarissime, on peut malgré tout s'étonner aussi que les attestations épigraphiques de listes de prix ne soient pas plus nombreuses. Il y a à cela, nous semble-t-il, une raison toute simple. Comme de nos jours, les prix étaient par essence variables. Même si dans une cité les agoranomes avaient, temporairement ou en permanence, le droit de fixer le prix de certaines catégories de denrées, ces listes n'étaient pas faites pour durer longtemps, elles n'étaient pas un κτῆμα ἐς αἰεί. D'ordinaire, elles devaient sans doute plutôt être dressées sur quelque tablette blanchie, un λεύκωμα, et non gravées sur pierre[679]. Il était sans doute assez rare qu'on procédât à l'inscription sur pierre, chaque cas pouvant avoir une explication propre. Au Pirée, des circonstances particulières peuvent avoir motivé le souci de donner à la liste une tournure plus solennelle, mais, de manière plus prosaïque, le plus vraisemblable est que, disposant du champ épigraphique laissé libre au bas de sa dédicace, l'agoranome Aischylos jugea commode de graver cette liste à la partie inférieure de la stèle. Néanmoins, on se trouva assez vite devant une situation où la liste fut frappée d'obsolescence. Même si l'on ne peut fixer avec précision le laps de temps écoulé entre la gravure de la liste I et celle de la liste II, il est clair en effet qu'il ne fut pas très important puisque les deux textes ont la même structure. On tient là ainsi la raison pour laquelle la liste de prix du texte I (et avec elle la dédicace de l'agoranome Aischylos, mais ce n'est pas elle qui était la cible de cette censure) fut rendue si rapidement illisible, la solution la plus radicale (et la plus économique) consistant à retourner le bloc[680] Lorsqu'il fut décidé de modifier la liste des maxima de prix affichée, il fallut se débarrasser de la première liste, pace la dédicace d'Aischylos pourrait-on dire. Comme on disposait d'un champ épigraphique libre sur la face étroite, on en profita pour y inscrire une nouvelle liste, au caractère tout aussi provisoire peut-être. Nous avons souligné le souci de lisibilité, mais aussi le caractère assez négligé de l'inscription II, qui n'était purement et simplement qu'un tableau d'affichage, inscrit sans souci décoratif. Cl. Vatin a aussi noté que le tarif des poissons de Delphes était inscrit sans beaucoup de soin (mais était même cette fois à la limite de la lisibilité[681] L'explication paraît simple : si l'on avait à inscrire de telles listes, on le faisait d'ordinaire de manière rapide et peu coûteuse sur un λεύκωμα : c'est ce style négligé qu'on retrouve sur les rares tarifs sur pierre que nous possédons.

On remarquera aussi que si l'analyse de la séquence des deux listes de l'inscription du Pirée présentée ici est correcte, l'évolution des prix s'est faite non à la hausse comme le pensait G. Steinhauer, mais à la baisse. Sur l'agora du Pirée, les premiers prix inscrits avaient été jugés trop élevés, d'où la baisse enregistrée sur la nouvelle face inscrite. Si l'on avait repris la chronologie haute de G. Steinhauer (on a vu précédemment les arguments en présence) et si la liste I avait pu être datée de 83/82, soit peu de temps après les violences, destructions et pillages qui accompagnèrent la prise du Pirée et d'Athènes par les troupes de Sylla, on aurait pu comprendre que quelques années plus tard, dans une situation devenue plus normale, les prix aient enregistré une baisse assez sensible, de l'ordre de 10 à 30 %[682] Mais l'inscription I date en fait vraisemblablement de l'année archontale de Pamménès Il et l'évolution des prix est donc sans doute à mettre en rapport avec des fluctuations plus ordinaires, sans lien avec une conjoncture politique particulière.

Les prix mentionnés se comptent en oboles et en chalques, des sommes qui a priori peuvent paraître dérisoires. En réalité, ce serait un contresens que de le croire et c'est ce qui justifie pleinement que les indications chiffrées correspondent à des prix et non à des montants de taxe, comme l'a à juste litre conjecturé G. Steinhauer, lequel a noté qu'ils paraissaient être de l'ordre de ceux que l'on voit pratiqués à l’époque classique[683]. En effet, dans les deux textes du Pirée, les prix, exprimés en oboles et en chalques, sont de l'ordre de ceux que l'on trouve exprimés dans l'inscription de Delphes ou dans celle d'Akraiphia[684].

La confirmation que les chiffres mentionnés dans l'inscription du Pirée sont bien des prix et non des montants de taxes, qui porteraient les prix à des valeurs beaucoup plus élevées (selon le montant que l'on retiendrait pour l'ἐπώνιον), se trouve aussi dans la mise en rapport de ces chiffres avec ce que l'on peut savoir des revenus à la basse époque hellénistique. Polybe indique que, au iie s., les légionnaires romains recevaient une solde journalière de deux oboles (= 16 chalques), les centurions quatre oboles et les cavaliers une drachme[685]. Selon P. Marchetti, la solde, qui représentait 4 as à l'époque de la 2e Guerre Punique, serait passée à 5 as à l'époque de Marius[686]. César doubla la solde, qui passe donc théoriquement à 10 as[687]. Ce chiffre est précisément celui qui est, évoqué par des légionnaires séditieux au début du règne de Tibère (à cette époque, seuls les prétoriens ont droit à une solde de deux deniers)[688]. Cl. Nicolet admet que les deux oboles de Polybe étaient l'équivalent d'un sesterce, ou 4 as[689]. Pour résumer, le légionnaire de l’époque marienne aurait donc reçu c. 113 deniers par an, celui de l'époque césarienne et augustéenne 225[690]. A Rome, à l'époque de Cicéron, un esclave manœuvre touchait 12 as par jour (c'était sans doute un chiffre maximum)[691]. La drachme attique et le denier étaient manifestement tenus pour équivalents[692]. Même si les pillages ou les distributions des généraux pouvaient permettre de recevoir en une seule fois des biens ou des sommes d'argent pour une valeur bien plus considérable, on voit que la solde ordinaire du légionnaire ou le salaire de l'esclave étaient tout à fait en rapport avec les prix mentionnés dans l'inscription du Pirée. Il faudrait naturellement avoir des parallèles de salaires journaliers à Athènes et au ier s. a.C. cette fois, mais il est peu douteux qu'ils aient été de l'ordre de ceux que l'on voit apparaître pour les légionnaires ou les esclaves à Rome (et même sans doute inférieurs, mais c'est là une autre question).

Une anecdote de Plutarque se rapportant à Socrate pose l'éternelle question de la valeur relative des biens en fonction des moyens dont on dispose[693] : “Quand Socrate entendit l'un de ses amis noter combien Athènes était chère, disant ‘Le vin de Chios coûte une mine, une robe de pourpre trois mines, un cotyle [1/4 l] de miel cinq drachmes’, il le prit par la main et l'amena au marché au grain : ‘Un hémihekton [4,32 1] de grain pour une obole’ ; puis au marché aux olives : ‘Une choenice [1,08 1] d'olives pour deux chalques’ ; ensuite au marché aux vêtements : ‘Une tunique pour dix drachmes’. La ville est bon marché !”. En fait, pour qui avait une fortune qui se comptait en talents, une somme de quelques chalques était dérisoire. Mais pour la grande majorité, qui avait bien moins d'une drachme par jour pour vivre, même une dépense de quelques chalques pouvait être difficile à solder. La société de la Grèce classique et hellénistique était un monde où la fortune était concentrée entre les mains d’une minorité qui pouvait compter sa fortune en talents d’argent, par opposition avec une masse de citoyens qui restait dans le monde de la nécessité et qui ne connaissait guère que la monnaie de bronze, comme l'a souligné encore récemment M. Vickers[694]. Les prix de pièces de triperie sur l'agora du Pirée apparaissent maintenant sous un autre jour : pour le menu peuple, ils étaient même sans doute relativement élevés. A l'agora, à l'époque de Démosthène ou de Théophraste comme à celle de l'archonte Pamménès, on est dans le monde de la monnaie de bronze, de la nécessité quotidienne, des petites gens ou des gens ordinaires, à qui même des sommes de quelques chalques paraissent importantes. Théophraste avait pu stigmatiser le profiteur qui exigeait de ses esclaves, payés en monnaie de bronze, le montant du change en monnaie d'argent (car malgré sa valeur déclarée le bronze était dans la pratique toujours dévalué)[695]. On songe aussi, dans l'Évangile, à la parabole de la femme qui, ayant perdu l'une des dix drachmes d'argent qui faisaient sa fortune, allume la lampe et balaie avec soin pour la retrouver et qui, lorsqu'elle y est parvenue, convoque amies et voisines pour leur annoncer la bonne nouvelle[696]. Les prix de la triperie sur l'agora du Pirée se comptaient en chalques et en oboles, mais il n'en était pas moins important de procéder à leur contrôle[697].

On aperçoit également l'intérêt de l'inscription agoranomique du Pirée comme indicateur du niveau des prix à Athènes au ier siècle a.C., et plus particulièrement dans sa deuxième moitié. On retrouve à Athènes à la fin de l'époque hellénistique et au début de l’époque impériale des niveaux de prix qui sont de l'ordre de ceux de l'époque classique. L'histoire monétaire d'Athènes au ier s. est chaotique et la cessation des émissions d'argent dans les années 40 de ce siècle n'en est qu'une illustration parmi d'autres[698]. Cependant, alors que l'argent restait encore le métal de référence et que dans la pratique le bronze était plus que jamais l'instrument d'échange courant à Athènes pour la vie quotidienne[699], les prix nominaux restaient fort bas. Sur ce point, l'inscription du Pirée apporte donc une information nouvelle très importante, comparable à celle qu’on trouve de manière ordinaire sur les papyri provenant d’Égypte, mais qui fait si cruellement défaut ailleurs[700]. Si, pour l'empire, on a pu évoquer la question de l'inflation et des “dévaluations”, on voit que c'est en fait une histoire de la “déflation” de la monnaie d’argent en Grèce hellénistique qui reste à écrire[701]

Chapitre IX. Prix officiels et commerce de gros à Athènes

A Athènes, deux sources littéraires et une inscription font référence à une καθεστηκυῖα τιμή. Pour ce qui est des mentions littéraires, il s'agit de deux plaidoyers du corpus démosthénien, C. Phormion, 39 et C. Dionysodoros, 8 et 10. Or, l’expression a reçu des explications fort différentes, comme l’a récemment souligné L. Migeotte[702]. Böckh y avait vu un “prix habituel”, un “prix d’usage”, par opposition aux prix démesurés que la spéculation pouvait faire naître, et au contraire Fränkel un “prix effectif”, de fait un prix du marché[703]. L. Gernet et A. Jardé se rejoignaient pour y voir un prix fixé par la loi de l’offre et de la demande sur le marché international[704]. W. Dittenberger et H. Francotte préféraient y voir un prix ordinaire du marché, en dehors des périodes de hausse ou de baisse excessive[705]. G. Reger a considéré qu’il s’agissait d’un “prix au dessous du prix du marché établi par la loi ou fortement recommandé par les magistrats de la cité”, ce prix étant lui-même défini en fonction des prix habituellement en vigueur au lendemain des récoltes[706]. Enfin, revenant à une explication autrefois proposée par Ad. Wilhelm, L. Migeotte y a vu le prix de certaines ventes publiques de grain[707].

Les justifications proposées sont donc tout à fait exclusives les unes des autres. On a vu en particulier que dans les explications traditionnelles (antérieures à celles de G. Reger et L. Migeotte), on avait une opposition radicale entre les tenants d’un “prix du marché défini par la loi de l’offre et de la demande” et les partisans d’un “prix normal, hors les fluctuations au jour le jour”. En fait, cette contradiction trouve son origine dans deux plaidoyers du corpus démosthénien, le C. Dionysodoros paraissant conforter la première thèse, le C. Phormion la deuxième. C’est cette contradiction qu’il faut tenter de résoudre. La question est d’intérêt central puisque le problème concerne la fixation du prix du grain à Athènes, cité qui à l’époque classique était de loin le principal centre d’importation du grain dans le monde égéen. Or, un réexamen du dossier permet d’aboutir à des conclusions fort différentes de celles qui ont été proposées jusqu’ici.

Dans le C. Phormion, le bailleur de fonds Chrysippos, un étranger, accuse Phormion, un autre étranger, de l'avoir lésé dans une affaire de prêt maritime. Pour s'attirer la sympathie des juges, il rappelle qu'il a bien servi les intérêts du peuple athénien, dont en revanche son adversaire aurait fait fi en ne respectant pas les lois de la cité, ce qui serait revenu à mettre en péril la réputation de la place d'Athènes et donc à compromettre le ravitaillement du peuple (cf. explicitement les § 50-52). Il signale ainsi (§ 38-39) qu'à trois reprises il s'est rendu utile au peuple : la première fois à l'époque où Alexandre marchait sur Thèbes en faisant don à la cité d'un talent d'argent ; la seconde et la troisième dans des affaires liées à l'approvisionnement en grain dans une période de disette et de hausse des prix. Ce sont les actes d’évergésie liés au commerce du grain qui méritent de retenir l'attention.

Ils sont mentionnés de la manière suivante (§ 39) : ὅτε δ’ ὁ σῖτος ἐπετιμήθη πρότερον καὶ ἐγένετο ἐκκαίδεκα δραχμῶν, εἰσαγαγόντες πλείους ἢ μυρίους μεδίμνους πυρῶν διεμετρήσαμεν ὑμῖν τῆς καθεστηκυίας τιμῆς πέντε δραχμῶν τòν μέδιμνον καὶ ταῦτα πάντες ἴστε ἐν τῷ Πομπείῳ διαμετρούμενοι. πέρυσι δὲ εἰς τὴν σιτωνίαν τὴν ὑπὲρ τοῦ δήμου τάλαντον ὑμῖν ἐπεδώκαμεν ἐγώ τε καὶ ὁ ἀδελφός, καὶ μοι ἀνάγνωθι τούτων τὰς μαρτυρίας. Le texte a subi diverses tentatives de correction, en particulier une adjonction de [ἀντί] avant καθεστηκυίας τιμῆς, ce qui voudrait dire que Chrysippos aurait fait la vente “non pas au cours du grain, mais à cinq drachmes le médimne”[708]. Bien que violente, cette correction paraissait indispensable si l'on voulait attribuer à καθεστηκυῖα τιμή le sens de “cours du moment”, fonction de la loi de l'offre et de la demande. En revanche elle était inutile si l'on considérait que la καθεστηκυῖα τιμή était quelque chose comme le “prix normal”. De fait, si l'on considère qu’apporter des additions à un texte qui par ailleurs est bien conservé constitue une solution extrême (Ad. Wilhelm se refusait déjà à corriger le texte[709],) on doit donc plutôt comprendre le texte de la manière suivante : “Puis, lorsque le grain vit son cours augmenter une première fois et atteindre seize drachmes le médimne, nous avons importé plus de dix mille médimnes de froment et nous en avons assuré la distribution à la kathestèkuia timè de cinq drachmes le médimne et cela vous le savez tous pour avoir bénéficié de cette distribution dans le Pompéion ; et, l'an dernier, au bénéfice du peuple, mon frère et moi avons contribué pour un talent à l'achat de grain destiné au peuple ; lis moi les témoignages à ce sujet”[710].

Reste que si l'on admet que le C. Phormion faisait bien allusion à une kathestèkuia timè de cinq drachmes, la question demeure de savoir si cette expression désignait vraiment le “prix normal” (et même éventuellement le “cours du moment”, au prix de la correction indiquée précédemment). L. Migeotte, qui a accordé une attention toute particulière à ce plaidoyer, s’est directement fondé sur l’explication donnée il y a plus d'un siècle par Ad. Wilhelm, lequel s'appuyait lui-même sur une suggestion de Wilamowitz[711]. Ad. Wilhelm est parti de l'idée que, dans ces années de crise du début des années 320, les Athéniens ont à plusieurs reprises acheté du grain aux frais de l'État pour le revendre ou le distribuer gratuitement aux citoyens. Or en ce cas, comme le confirment plusieurs inscriptions, le prix de vente du grain - donc s'il y avait vente, et non distribution gratuite –, était fixé par la cité. Ad. Wilhelm, suivi par L. Migeotte, considère donc que la kathestèkuia timè n’était autre que le prix fixé par la cité pour ses propres ventes. Une inscription de l’époque de la guerre de Chrémonidès, un décret du dème de Rhamnonte en faveur du stratège Épieharès, paraît conforter ce sens : le stratège “a fait venir 500 médimnes de froment et 500 médimnes d’orge en avançant lui-même à ses frais le montant à payer et en a assuré la fourniture aux citoyens et aux soldats à la kathestèkeia timè[712]. Ad. Wilhelm a enfin proposé (tout à fait ajuste litre pour ce qui est de la restitution) de retrouver, avec le même sens, l’expression [τῆς καθισταμ]ένης τιμ[ῆ]ς dans une inscription des environs de 320, de nouveau pour un importateur de grain qui a manifestement accepté de vendre les céréales importées à un cours favorable[713]. Pour L. Migeotte, il existait donc deux prix de détail du grain : “D’une part celui du commerce privé sur lequel veillaient les sitophylaques, d’autre part celui des ventes publiques, qui était établi par la cité” ; il ajoute enfin : “On comprend mieux dès lors la différence entre τάττειν et κσθιστάναι : évoquant clairement un ordre, le premier verbe s’appliquait au prix imposé à l’ensemble du marché ou aux ventes régulières de la cité, tandis que le second désignait le prix établi pour les ventes publiques occasionnelles. Plus bas que le prix libre – puisque telle était sa raison d’être, la cité vendant sans profit et même à perte dans certains cas –, ce prix qu’on pourrait dire 'officiel' n'était évidemment pas sans influence sur le premier, car les achats publics de grain (et d'huile) créaient une dynamique particulière”[714].

Cette notion de “prix des ventes publiques occasionnelles” nous paraît devoir être réexaminée, même si, comme on va le voir, il faut néanmoins effectivement considérer la kathestèkuia timè comme un “prix officiel”, fixé par la cité, et donc prendre comme point de départ l'explication d'Ad. Wilhelm et L. Migeotte.

Sauf erreur de notre part, on n’a pas noté jusqu'ici que les sources papyrologiques Ptolémaïques du iiie s. venaient en effet offrir un étroit parallèle aux mentions de kathestèkuia timè et de kathestimenè timè que l’on rencontre à Athènes aux ive et iiie s. : or, ces dernières montrent indubitablement que ces expressions correspondent à un prix fixé par l’État.

Le PTeb, 703. 1. 176. de la fin du iiie s. a.C., contient les instructions que le diœcète, super-intendant des finances du royaume lagide, donnait aux économes de nome à leur entrée en fonction. Outre les instructions relatives à la surveillance des semailles, des récoltes, des ateliers, etc., une attention non moins soutenue était accordée aux ventes (1.174-182) : μελέτω δέ σοι καὶ [ἵ]να τὰ [ὤ]|νια μη πλείονος πωλῆται τῶν διαγεγραμ|[μ]ένων τιμῶν ὅσα δ’ ἄν ἦι τιμὰς οὐχ ἑστη|[κ]υίας ἔχοντα, ἐπὶ δὲ τοῖς ἐργαζομένοις | [ἐσ]τὶν τ[άσ]σειν ἄς ἅν βο[ύ]λωται, ἐξεταζέσ|[θ]ω καὶ τοῦτο μὴ παρέργως, καὶ τò σύμ|μετρον ἐπιγένημα [τα] τάξας τῶν πω|[λ]ουμένων φορτίων συνανάγκαζε τοὺς |. [.].. κου[..]. ς τὰς διαθέσεις ποιεῖσθα[ι] “Veille à ce que les produits offerts ne soient pas vendus à des prix plus élevés que ceux qui sont fixés par ordonnance ; pour ce qui est des produits qui n'ont pas d'hestèkuia timè, dont il appartient à ceux qui les vendent de les fixer au prix qu'ils veulent, ne veille pas non plus à cela de manière superficielle, mais, après avoir fixé le profit raisonnable sur les marchandises vendues, contrains les [---] à en faire la vente”[715]. Le texte distinguait donc les produits dont le prix était fixé par l'autorité (αἱ διαγεγραμμέναι τιμαί, et l’on sait que les διαγραφαί étaient les ordonnances de la monarchie lagide), de ceux qui n'avaient pas d’hestèkuia timè, les prix “libres” (en réalité pas si libres que cela, puisque la “marge raisonnable” était fixée par l'économe du nome)[716]. Le texte établit donc clairement une équivalence entre prix fixé par ordonnance et hestèkuia timè. On pourra tenir pour négligeable la différence entre hestèkuia et kathestèkuia, cela d'autant plus que la kathestimenè timè, où à la suite d'Ad. Wilhelm et L. Migeotte on a vu qu'il fallait voir l'équivalent de la kathestèkuia timè, apparaît elle-même en Égypte comme l’équivalent d'hestèkuia timè.

C’est ce que montre en effet le fameux PRevLaws organisant le monopole royal de la fabrication et de la vente de l'huile dans l'Égypte lagide, datant de la 27e année de Ptolémée II, soit 259 a.C. (donc antérieur d'environ un demi-siècle au PTeb., 703), mais procédant exactement du même esprit[717]. Un sort particulier est fait aux temples, eux-mêmes gros consommateurs d'huile. Le roi leur accorde le privilège, sous strict contrôle royal, de produire leur propre huile de sésame, qu'il n'auront donc pas à acheter. En revanche, le même privilège ne leur est pas accordé pour l'huile de ricin (col. 51, 18-19) : τò δ[ὲ κ]ίκι τὸ ἀνηλισκόμενο[ν λ]αμβανέτωσ[α]ν παρὰ | τῶν [τ]ὴν ὠνὴν ἐχóντων τῆ[ς κ]αθισταμένη[ς τ]ιμῆς “Quant à l'huile de ricin qu'ils utilisent, qu'ils la reçoivent des fermiers à la kathestimenè timè”, c'est-à-dire au prix auquel la paient les simples particuliers, fixé par l'autorité royale (le tarif est donné au début du PRevLaws, col. 40, 9-16 : 48 dr. de cuivre le métrète d'huile de sésame ou de carthame, 30 dr. le métrète d'huile de ricin, de coloquinte et de lampe ; mais 48 dr. à Alexandrie et en Libye pour l'huile de sésame et de ricin).

Le parallèle égyptien, même s'il doit être précisé et nuancé, amène donc à conclure de manière certaine qu'Ad. Wilhelm et L. Migeotle ont eu raison de voir en la kathestèkuia timè d'Athènes un prix déterminé par la cité, un “prix établi”, un “prix officiel” (nous préférerons cette dernière traduction, qui appartient au français usuel), et non pas un “prix du marché au jour le jour” (i.e. directement déterminé par la loi de l’offre et de la demande). En revanche, même si naturellement il doit être resitué dans le fonctionnement d'une économie d'État bien différent de celui d’une cité grecque[718] et si pris isolément l’argument ne peut avoir de valeur dirimante contre la théorie d’Ad. Wilhelm et L. Migeotte, on voit tout de même que l'usage égyptien ne s'accorde guère avec le concept de “prix des ventes publiques", dans la mesure où, en Égypte, ce “prix officiel” avait de manière potentielle ou effective une portée générale et ne s'appliquait pas seulement à tel mode de vente d'un produit donné dans des circonstances particulières, comme cela aurait été le cas à Athènes pour les ventes de grain à bas prix par l'État, entre autres (mais pas seulement) en cas de disette.

Si le parallèle égyptien conduit logiquement à considérer que la kathestèkuia timè était bien un prix fixé par la cité, il vient donc aussi apporter une mise en garde face au concept de “prix des ventes occasionnelles”. Or, ce dernier se révèle incompatible avec les autres occurrences de la kathestèkuia timè dans le corpus démosthénien. Car si les commentateurs ont tant hésité sur la signification à accorder à cette expression et, de manière générale, y ont vu tout autre chose qu’Ad. Wilhelm, c'est que les mentions du C. Dionysodoros ne paraissaient guère susceptibles d'être expliquées de cette manière. Dans ce dernier plaidoyer, Dionysodôros et son associé Parmeniskos sont explicitement accusés par le plaignant d'avoir participé à la spéculation organisée par Cléomène de Naucratis, qu'Alexandre avait mis à la tête de la satrapie d’Égypte[719]. Cléomène faisait artificiellement monter les prix du grain en Égypte[720]. En outre, il soutenait activement la spéculation sur le prix du grain à l’exportation. Le mécanisme en était le suivant : οἱ μὲν γὰρ αὐτῶν ἀπέστελλον ἐκ τῆς Αἰγύπτου τὰ χρήματα, οἱ δ’ ἐπέπλεον ταῖς ἐμπορίαις, οἱ δ’ ἐνθάδε μένοντες διετίθεντο τὰ ἀποστελλόμενα εἶτα πρὸς τὰς καθεστηκυίας τιμάς ἔπεμπον γράμματα οἱ ἐπιδημοῦντες τοῖς ἀποδημοῦσιν, ἵνα ἐὰν μὲν παρ’ ὑμῖν τίμιος ᾖ ὁ σῖτος, δεῦρο αὐτòν κομίσωσιν, ἐάν δ’ εὐωνότερος γένηται, εἰς ἄλλο τι καταπλεύσωσιν ἐμπόριον[721] “Les uns expédiaient d'Égypte les denrées, d'autres faisaient le voyage avec les marchandises, d'autres enfin demeurant ici en assuraient l'écoulement[722]. Ensuite, en fonction des kathestèkuiai timai, ces derniers envoyaient des lettres à ceux qui se déplaçaient, de sorte que si chez vous le grain était cher, on en faisait livrer ; si son prix devenait meilleur marché, on le dirigeait vers une autre place de commerce”. C’était là une manœuvre spéculative classique à laquelle faisait déjà allusion dans l’Économique le Socrate de Xénophon[723]. Telle fut, selon le plaignant, la manœuvre de Parmeniskos et Dionysodôros. Ils avaient un contrat de voyage commercial vers l'Égypte avec clause de retour à Athènes à un moment où le prix du grain y était élevé. Mais, par la suite, l'arrivage de grain de Sicile avait fait baisser les cours à Athènes. Aussitôt Dionysodôros avait envoyé un message à Rhodes où, au cours de son voyage de retour, Parmeniskos devait faire escale[724]. La manœuvre avait pleinement réussi : πέρας δ’ οὖν, λαβὼν γὰρ ὁ Παρμενίσκος ὁ τουτουὶ κοινωνòς τὰ γράμματα τὰ παρὰ τούτου ἀποσταλέντα, καὶ πυθόμενος τὰς τιμὰς τὰς ἐνθάδε [τοῦ σίτου] καθεστηκυίας, ἐξαιρεῖται τòν σῖτον ἐν τῇ Ῥόδῳ κἀκεῖ ἀποδίδοται[725]. “Finalement donc. Parmeniskos son associé, ayant reçu la lettre envoyée par Dionysodôros et appris les kathestèkuiai (timai) sur notre place, décharge son grain à Rhodes et l'y vend.”

On comprend mieux cette fois le problème posé par la kathestèkuia timè et la tentation qui a été celle des commentateurs d'envisager qu'il s'agissait d'un “cours du moment”, fonction de la loi de l'offre et de la demande. Une chose est certaine néanmoins : les kathestèkuiai timai (l'emploi du pluriel est significatif) étaient susceptibles de variations, et même de variations importantes, que nécessairement il faut mettre en relation avec les quantités disponibles et donc, sinon directement du moins indirectement, avec le cours du marché libre. On voit aussi à quel point il est a priori difficile d'admettre sans autre explication que la kathestèkuia timè ait été le cours des ventes publiques, occasionnelles ou pas. Un commerçant venu du bout de la Méditerranée n’avait cure du prix des ventes publiques : il n’y a que le cours de référence de la place qui pouvait l’intéresser. C’est ce que montre le dialogue entre le Dikèopolis d’Aristophane et le Mégarien dans les Acharniens (758-759) : ΔΙ. Τί δ’ ἄλλο Μεγαροῖ ; Πῶς ὁ σῖτος ὤνιος ; ΜΕ. Πὰρ ἁμὲ πολυτίματος ᾇπερ τοὶ θεοί. “Dikèopolis : — Sinon quoi de neuf à Mégare ? A combien y achète-t-on le grain ? Le Mégarien : — Chez nous, il est très estimé, autant que les dieux”. Le blocus athénien avait dû faire monter le cours du grain importé à Mégare de manière vertigineuse comme le souligne plaisamment le jeu de mot sur πολυτίματος, où τιμή fait allusion à la fois au prix du grain et au respect dû aux dieux.

La kathestèkuia timè des “ventes publiques occasionnelles” devrait-elle donc être distinguée de celle qui apparaît dans le C. Dionysodoros qui, quant à elle, signifierait “cours du marché” ? C’était là, il faut y insister, le postulat de départ admis par Ad. Wilhelm, qui ne justifia pas son point de vue[726]. S’il fallait admettre cette supposition, on voit en tout cas qu’il faudrait accorder un sens faible au participe parfait actif kathestèkuia[727]. Cependant, même si ce sens faible est attesté dans de nombreux autres contextes, on voit mal comment, s’agissant du grain, sur la place d’Athènes, dans des contextes identiques et strictement à la même époque, on aurait pu employer deux fois la même expression en lui accordant un sens totalement autre. Faute d'une explication qui rende compte d'une telle différence (Ad. Wilhelm n’en a proposée aucune), on voit que cette piste n’a guère de chance de pouvoir être suivie et c’est donc certainement de “prix fixé” par la cité qu’il s’agit dans les différentes occurrences de la formule[728].

L. Migeotte a quant à lui accepté l’idée que la kathestèkuia timè à laquelle il était fait référence était bien une réalité identique dans ses divers contextes d’emploi. Dans le cadre de l’explication qu'il propose pour rendre compte de la notion de kathestèkuia timè, considérée comme le prix fixé par la cité pour ses propres ventes, il a aussi posé la question de savoir quelles pouvaient être les répercussions sur le commerce privé de la fixation des prix des ventes publiques. On a vu que, pour lui, la fixation d'un “prix officiel” du grain aurait eu par contamination un effet sur le prix du marché libre[729]. Il est clair néanmoins que, même si L. Migeotte a été sensible au problème, cette tentative d’explication est loin de pouvoir rendre compte de l’apparente contradiction entre les occurrences du C. Phormion (prix des ventes effectuées par la cité dans l’hypothèse d’Ad. Wilhelm et L. Migeotte) et celles du C. Dionysodoros, qui correspondent manifestement aux cours pratiqués sur la place d’Athènes.

Comment réconcilier la notion de “prix fixé” avec celle de “prix de référence sur la place d'Athènes” ? On se trouve devant une aporie que l’on ne peut résoudre que si l’on revient sur les explications jusqu’ici proposées pour rendre compte de la kathestèkuia timè[730].

Le postulat de départ sera que la kathestèkuia timè du C. Phormion était bien la même que celle à laquelle il était fait allusion dans le C. Dionysodoros. Il convient aussi de rappeler brièvement ce qu’était le processus de vente du grain à Athènes. Ce processus a été reconstitué dans une étude fondamentale de Ph. Gauthier, dont nous sommes ici directement tributaire[731]. A Athènes, étant donné l’importance décisive du grain dans l’alimentation de la population, une législation spéciale s'appliquait au commerce des céréales. Outre la loi interdisant la négociation de contrats de transport de grain ayant une autre destination qu'Athènes, la loi prévoyait que les commerçants importateurs débarquant leur grain au Pirée devaient en transporter un tiers à l'agora du Pirée, les deux tiers à l’agora de la ville d'Athènes, distante de c. 7,5 km de l'emporion du Pirée. Ainsi, alors que l'agora du Pirée était toute proche de l'emporion et ne nécessitait un transport que sur quelques centaines de mètres, il fallait prévoir un train de mules pour transporter le grain à Athènes. La charge en revenait aux importateurs eux-mêmes, qui devaient donc payer des muletiers locaux pour effectuer ce travail. C’était le rôle des épimélètes du port de les y contraindre. A l’entrée des agoras, celle du Pirée comme celle de la ville d'Athènes, cette fois sous le contrôle des sitophylaques qui tenaient un registre des entrées, avec la provenance du grain, les importateurs pouvaient vendre leur grain aux revendeurs locaux, les sitopôlai (marchands de grain), qui ne pouvaient acheter à la fois plus de cinquante charges (phormoi, i.e. les paniers à grain transportés par les mules)[732] et qui voyaient leur marge bénéficiaire réglementée par les sitophylaques[733]. La loi attique de 374/373 sur la taxe du grain de Lemnos, Imbros et Skyros enjoint également que les fermiers de la taxe du grain non seulement assurent à leurs risques et périls le transport au Pirée depuis le lieu de production, mais aussi le transfert vers la ville, et cela à leurs propres frais (1. 12-13 : ἀνακομι[ε]|ῖ εἰς τò ἄστυ τὸν σῖτον τέλεσιν τοῖς α[ὑ]|τō)[734]. Cette clause confirme que la question du coût de transport du grain du Pirée à Athènes n’était pas négligeable et devait effectivement être prise en compte.

Le décret pour Hèrakleidès de Salamine, qui date de la même période que le C. Phormion et qui fait allusion aux mêmes faits, permet de comprendre dans la pratique comment et dans quel but un “prix officiel” pouvait être établi (IIB 1. 6-13) : ἐπειδ|ὴ Ἡρακλείδης Σαλαμίνιος διατελεῖ φιλοτιμούμ|ενος πρὸς τὸν δῆμον τòν Ἀθηναίων καὶ ποιῶν ὅτι δ|ύναται ἀγαθòν, καὶ πρότερόν τε ἐπέδωκεν ἐν τῆι σ|πανοσιτίαι XXX μεδίμνους πυρῶν Γ δράχμου|ς πρῶτος τῶν καταπλευσάντων ἐνπόρων· καἰ πάλιν | ὅτε αἱ ἐπιδόσεις ἦσαν ἐπέδωκε XXX δραχμὰς εἰ|ς σιτωνίαν κτλ.[735] “Étant donné qu’Hèrakleidès de Salamine ne cesse de se montrer dévoué envers le peuple d'Athènes en faisant tout le bien qu’il peut, et qu’une première fois lors de la disette de grain il a contribué pour 3 000 médimnes de froment à cinq drachmes, le premier parmi les marchands débarquant chez nous, et que de nouveau lorsque des donations volontaires ont été organisées il a contribué pour 3 000 drachmes à l’achat de grain, etc.” Comme on l’a vu depuis longtemps[736], le parallèle entre les bienfaits de Chrysippos dans le C. Phormion et ceux d’Hèrakleidès de Salamine dans le décret en son honneur est si étroit (vente de grain à 5 drachmes, don au fonds d'achat de grain), cela presque jusqu’au détail de la formulation, qu’on ne peut douter que le décret pour Hèrakleidès fasse allusion aux mêmes événements, et certainement aux mêmes années (330/329 pour la vente à 5 drachmes le médimne[737], 328/327 pour les dons en vue de l’achat de grain[738].) Le prix du grain était d’abord monté à un prix très élevé de 16 drachmes le médimne. Ce prix, sur lequel le plaidoyer ne donne aucun détail, a toute chance d’avoir été le prix sur le marché libre, à l'agora d'Athènes, c’est-à-dire compte tenu de la marge prise par les revendeurs. Mais de nouveaux arrivages durent commencer à diminuer sensiblement la tension sur les prix. Profitant de ce mouvement à la baisse, les sitophylaques athéniens durent alors proposer aux marchands arrivant au Pirée de vendre à un cours plus faible[739]. C’est le rôle de “persuasion” des magistrats du port ou de l’agora, qu’on voit si souvent mentionné[740]. Apparemment, un certain nombre de marchands dut d’abord refuser. Mais, “le premier” – c’est la raison pour laquelle il fut récompensé par les Athéniens puisque de la sorte il faisait baisser les cours et donnait un exemple que les autres marchands allaient suivre –, Hèrakleidès accepta de vendre au cours de référence proposé par les magistrats, désormais suivi entre autres par le Chrysippos du C. Phormion et naturellement par les autres commerçants importateurs. On connaît par le Ps-Aristote cette pression collective, “la honte et la crainte” qui faisaient que des particuliers se déclaraient prêts à verser une somme lors d'un appel à un versement de contribution au profit de la cité, au point qu'il avait suffi à Mausole de susciter de pseudo-contributeurs pour mettre en mouvement le processus, comme on amorce une pompe[741]. Il en allait de même dans les procédures d’acceptation de la kathestèkuia timè proposée par la cité. C’est l’aspect “irrationnel” – il vaudrait mieux dire la rationalité impliquant une collectivité, qui est d'une autre nature que le calcul individuel – des processus de marché qu’on voit déjà ici à l’œuvre.

De la sorte, les magistrats avaient réussi à ramener le prix du grain à un niveau acceptable par tous, commerçants comme consommateurs athéniens. La kathestèkuia timè, qui était donc le “prix établi” par les magistrats athéniens, le “prix officiel” de la place d’Athènes, que tous les marchands fréquentant les places égéennes devaient apprendre après quelques jours, s’établissait désormais à cinq drachmes. On voit que ce prix ne pouvait être fixé arbitrairement par l’autorité publique. Il n’en reste pas moins que ces interventions volontaires ne pouvaient qu’accompagner une tendance générale qui, quant à elle, était effectivement directement fonction de l’offre et de la demande. La demande étant grosso modo stable dans une période donnée, c’étaient les variations de l’offre – par suite de bonnes ou de mauvaises récoltes, des périodes de paix ou de guerre qui favorisaient ou perturbaient les approvisionnements, sans négliger les pratiques spéculatives comme celles de Cléomène de Naucratis – qui, au plan conjoncturel, étaient le facteur clé dans l’établissement du niveau des prix. Définir un “prix officiel” revenait donc à avoir une attitude volontariste mais tenant compte du marché, dans le but de stabiliser les prix et d’éviter les oscillations erratiques et trop fréquentes, sources de spéculation et de profits injustifiés. Le système avait pour but de faire évoluer les prix de gros par paliers successifs et non en dents de scie, en de multiples variations au jour le jour.

Revenons maintenant au C. Phormion, 39. La vente du grain dont il est question, identique à celle du décret pour Hèrakleidès, est de nature partiellement différente de celle qui intervenait sur les agoras d'Athènes et du Pirée, décrite par Aristote. En effet, le plaignant Chrysippos rappelle qu’il a effectué une vente au bénéfice du peuple – c’est le sens à la fois de la mention d’une distribution par rations (cf. l’emploi du verbe διαμετρέω) et du rappel “vous le savez tous pour avoir bénéficié de cette distribution dans le Pompéion”, qui fait clairement allusion non à une vente ouverte à tout le monde, au marché “libre”, sur l’agora, mais bien à la fourniture de rations à prix fixe dans un lieu distinct, le Pompéion, un bâtiment fermé, ce qui facilitait les contrôles, de sorte que seuls les citoyens puissent effectivement avoir accès à ce grain qui leur était réservé[742]. Pour prouver ses bonnes intentions et gagner sa cause devant le tribunal, Chrysippos réveille la mémoire des membres du jury, ce qui suppose qu'il était sans doute lui-même présent au moment de la fourniture des 10 000 médimnes (5 170 hl), soit c. 310 tonnes[743], une quantité que sans doute peu de marchands étaient capables de mettre sur le marché (elle représentait le tiers ou le quart de ce qu’avait été la donation du prince égypto-libyen Psammétique en 445/444[744].) Vu la quantité mise en vente, la taille du bâtiment (qui ne pouvait certainement pas contenir les 310 tonnes à la fois) et le nombre de personnes admises à la distribution, il est probable que la vente s'était étalée sur plusieurs jours[745]. On voit donc la différence entre le processus normal de vente et le processus de vente réservée aux citoyens tel qu’il est décrit dans le C. Phormion. Elle ne consiste pas dans le transport du grain depuis l'emporion du Pirée dans la ville d’Athènes, puisque même en temps normal les importateurs devaient l’effectuer de toute façon, mais dans le fait que l’importateur assurait lui-même la distribution aux ayants droit, donc les frais du salaire des employés ou de l’entretien des esclaves préposés à cet effet, avec la perte de temps supplémentaire qu’elle entraînait, au lieu que d’ordinaire l’importateur se contentait de vendre son grain aux marchands de grain à l’entrée de l’agora.

De la sorte, on comprend mieux l’inscription de Rhamnonte en l’honneur du stratège Épicharès. Ce dernier avait fait venir du grain à ses frais et en avait assuré la distribution. Il s’agit donc de l’initiative personnelle d’un magistrat, non d’une distribution opérée par la cité, même si le fait que la distribution concerne “les citoyens et les soldats” (διέδοικεν τοῖς τε πολίταις καὶ τοῖς σιρατιώταις) apparente cette vente à celles qui pouvaient être effectuées par la cité. Les étrangers résidants qui n’étaient pas soldats en étaient donc en principe exclus. Cette vente réservée était analogue à celles qui pouvaient être organisées à Athènes au bénéfice des citoyens. Or, ce magistrat fait la distribution à la kathestèkeia timè. Si, comme le pense L. Migeotte, ce prix avait été le “prix des ventes publiques occasionnelles”, rien ne l’aurait obligé à le faire. Tout au plus aurait-on ici l’indication que le stratège avait voulu aligner le prix de la vente dont il avait pris l’initiative sur le prix des dites ventes publiques. Mais même cette explication se heurte d’emblée à une sérieuse objection. Supposons que le prix auquel Épicharès avait lui-même acheté le grain ait été supérieur à la kathestèkeia timè : faut-il admettre qu’il aurait vendu le grain à un prix inférieur au prix d’achat ? Un tel acte de générosité eût été immanquablement signalé par le décret. Certes, la supposition initiale d’un prix d’achat supérieur au prix de vente peut ne pas avoir correspondu à la réalité, mais la contradiction n’en demeure pas moins et montre la faiblesse de l’explication par le simple alignement sur le “prix des ventes publiques occasionnelles”. Au contraire, si l’on comprend qu’Épicharès a vendu froment et orge aux citoyens et aux soldats aux prix auxquels il les avait achetés, i.e. à la kathestèkeia timè fixée par la cité, on comprend bien mieux en quoi a consisté son acte de générosité. Bien qu’il ne soit pas lui-même importateur de métier, Épicharès a joué auprès des citoyens résidant à Rhamnonte et des soldats (y compris les mercenaires) qui y étaient en garnison le même rôle qu’un Hèrakleidès ou qu’un Chrysippos à Athènes lors de la disette de 330/329. Telle est la raison pour laquelle, outre les remerciements pour l'initiative qu’il avait prise et pour les frais engagés, les auteurs du décret font l’éloge d’Hèrakleidès pour avoir revendu le grain à la kathestèkeia timè. c’est-à-dire au “prix officiel” auquel il l’avait lui-même acheté, donc à prix coûtant, sans prélever de bénéfice sur la vente au détail, comme il aurait pu être en droit de le faire, ne serait-ce que pour rentrer dans les frais annexes qu’il avait sans doute été amené à engager dans l’opération. Citoyens et soldats de Rhamnonte avaient eu accès à ce grain qui leur était réservé au prix de gros, sans avoir à payer la marge réservée au détaillant[746].

Notons au passage que la notion de prix coûtant introduite ici ne recoupe pas celle du ‘Kostenpreis’ auquel A. Böckh (supra n. 2) faisait référence pour essayer de rendre compte de la notion de kathestèkuia timè. Pour Böckh, en effet, Chrysippos aurait vendu au prix auquel il aurait lui-même acheté, donc nécessairement à un prix inférieur à celui du marché d’Athènes. Mais ce n’est pas de cela non plus dont il est question. Rien n’interdit de penser que Chrysippos a bien fait un bénéfice en vendant du grain aux Athéniens à la kathestèkuia timè. En revanche, le parallèle invoqué par Böckh, celui d’Andocide, Sur son retour. 1 1, est intéressant en ce qu’il permet de mieux comprendre encore ce qu’avait été l’attitude du stratège de Rhamnonte évoquée précédemment. Andocide se flatte en effet d’avoir vendu des rames à l’armée de Samos. Le prix unitaire normal était de 5 drachmes. Or, Andocide pouvait se procurer autant de bois qu’il en voulait chez un de ses hôtes : il n’avait manifestement à prendre en charge que les frais de coupe et de transport, et c’est donc bien “à prix coûtant” qu’il avait vendu ses rames aux Athéniens. Andocide signale en outre qu’il avait aussi fourni du grain et du bronze aux Athéniens. L’acte de générosité consistait donc non pas à avoir perdu de l’argent, mais à ne pas avoir pris le bénéfice qu’il aurait pu paraître légitime de prendre.

On peut encore s’interroger sur l’intérêt d’un importateur comme le Chrysippos du C. Phormion ou Hèrakleidès de Salamine à accepter les conditions de la cité. S’agissant d’Hèrakleidès, premier à accorder ces avantages aux Athéniens, il s’agissait d’avantages honorifiques, mais, aussi, d’autres marques d’intérêt tangibles de la part du peuple athénien. Les cités s’efforçaient en effet d’entretenir une émulation entre leurs bienfaiteurs potentiels, qu’ils soient citoyens (magistrats ou simples particuliers) ou étrangers[747]. Athènes avait donc sans aucun doute promis une récompense au premier commerçant qui accepterait la kathestèkuia timè de cinq drachmes. Au reste, l’émulation que la cité entretenait entre ses évergètes potentiels est expressément rappelée dans les décrets en sa faveur[748]. C’est ainsi qu’Hèrakleidès avait fait l’objet d’un premier décret honorifique prévoyant de lui accorder l’éloge public et une couronne d’or de 500 drachmes[749]. Pour ses autres bienfaits, dont la participation aux contributions volontaires pour l’achat de grain, il avait de nouveau reçu les mêmes honneurs, plus tard enfin, en 325/324, outre le renouvellement de ces mêmes honneurs, le titre de proxène et de bienfaiteur pour lui-même et ses enfants, le droit de posséder terre et maison (enktèsis)[750], enfin le droit de faire campagne et de payer l’impôt avec les Athéniens, ce qui le menait aux portes de la citoyenneté athénienne[751]. L’aspect honorifique des choses n’était donc pas à négliger. Cette “carrière des honneurs”[752] s’accompagnait cependant en outre d’avantages concrets : lorsqu’en 330/329 Hèrakleidès vit ses voiles saisies par les Héracléotes, l’empêchant ainsi de poursuivre sa route vers Le Pirée, la cité envoya un ambassadeur dans cette cité pour faire en sorte qu’elles lui soient restituées[753]. Athènes montrait ainsi qu’elle se souciait de ses bienfaiteurs, même si bien évidemment de la sorte elle servait directement ses propres intérêts.

Il reste aussi à analyser la question de l’acceptation de la kathestèkuia timè sous l’angle économique, pour Hèrakleidès lui-même, mais aussi pour tous les commerçants qui après lui avaient fait de même, sans pour autant recevoir les mêmes avantages : tel était le principe de la “compétition” et, au demeurant il n’y a pas apparence que Chrysippos ait reçu des privilèges identiques à ceux d'Hèrakleidès (si tel avait été le cas. il n’eût pas manqué de la signaler devant les juges). Pour ce qui est de l’acceptation d’une kathestèkuia timè de cinq drachmes par les commerçants débarquant leur cargaison au Pirée à la suite d’Hèrakleidès, on ne saurait imaginer qu’ils aient de la sorte enregistré une perte. Telle est pourtant l’opinion de G. Marasco, qui considère qu’avec une différence sur le prix du marché de 1 1 dr. le médimne (vendu 5 dr. au lieu de 16). Chrysippos aurait fait don de 18 T et 2 000 dr. à la cité (et Hèrakleidès de 5 T 3 000 dr.)[754]. Par rapport à cette somme, le don de un talent pour la sitônia fait par Chrysippos et son frère en 328/327 (3 000 dr. pour Hèrakleidès) paraît bien modeste et G. Marasco en conclut que la famine était infiniment plus sévère en 330/329 qu’en 328/327. Certes, G. Marasco admet la gravité de la situation de 328/327, dont le C. Phormion donne un tableau saisissant : “C’était le moment où les gens de la ville recevaient des rations de farine d’orge à l’Odéon, où ceux du Pirée achetaient leurs pains une obole à l’arsenal et s’écrasaient au grand portique pour obtenir des rations d’un demi-setier de farine d’orge[755]. Pour lui cependant, l’absence du mot spanositia serait la preuve que la crise n’était après tout pas si grave et que les arrivages du Bosphore mentionnés dans le même passage (§36) auraient suffi à modérer la crise[756]. En fait, la crise de 328/327 était elle aussi une crise grave et la comparaison entre les chiffres évoqués n’est pas recevable[757].

Car ces commerçants en grain n’étaient pas des philanthropes : si Hèrakleidès et tous ceux qui avaient suivi sa démarche, dont Chrysippos et son frère, avaient vraiment perdu de l’argent sur cette vente ou sur d’autres, et surtout pour des sommes aussi élevées (jusqu’à 18 T 2 000 dr. pour Chrysippos et son frère), leur affaire aurait périclité et disparu à brève échéance. Il faut seulement songer qu’ils ont accepté de limiter leur profit. Pour les 10 000 médimnes mis en vente par Chysippos, une différence d’une drachme par médimne représente I T 4 000 dr., bien plus que la contribution versée pour la σιτωνία qu’il faut sans doute dater de 328/327. On doit considérer que, si quelque temps plus tôt, tel marchand avait réussi à vendre au prix de gros à 10 dr. le médimne, il aurait donc empoché en sus pour la même quantité 8 T 2 000 dr. Il est cependant plus raisonnable de penser qu’au moment où Hèrakleidès accepta la kathestèkuia timè de 5 dr. le médimne, la négociation portait sur une différence d'une drachme ou deux, pas davantage : on ne saurait douter qu’épimélètes de l’emporion et sitophylaques, bien au courant des arrivages, ne s’en laissaient pas compter par les marchands, et réciproquement. Si notre schéma est juste, on ne saurait davantage douter qu’avec 5 drachmes le médimne les marchands faisaient encore un profit confortable.

Certes, il est vrai que le C. Phainippos (§ 20) fait allusion à un prix de l’orge de 18 dr. et à un prix du vin de 12 dr. le métrète. On a rapporté ces prix au contexte de famine de 330/329[758]. Il se pourrait que le contexte polémique de cette allusion puisse avoir conduit à une certaine exagération des prix effectivement pratiqués. Toutefois, Cléomène (Ps-Aristote, Économique, 2.33e) vendait alors le grain à l'exportation (sitos – il faut peut-être cependant penser alors au froment) au prix record de 32 drachmes, ce qui serait l’équivalent de 40 drachmes le médimne si l’unité de référence était effectivement l’artabe égyptienne – mais G. Le Rider préfère voir dans ce prix plutôt une référence au médimne[759]. Le but était explicitement de maximiser les bénéfices tout en vendant des quantités de grain aussi faibles que possible – car à ce prix là, il faut penser qu'il ne devait guère y avoir d'acheteurs. L’Egypte connaissait elle-même en effet une crise de la production de grain, même si elle était plus modérée qu'ailleurs, et Cléomène se devait d'en tenir compte en limitant les exportations. Néanmoins, en établissant un monopole à l’exportation, il pouvait se permettre de tirer un bénéfice important même en exportant des quantités faibles. Ces prix exceptionnellement élevés furent donc effectivement pratiqués, mais seulement pendant une période limitée d'extrême tension sur le prix et ne concernèrent en définitive que les quantités fort réduites alors effectivement disponibles. Bien qu’on ne puisse nullement établir un “prix standard du grain”[760], les prix en étaient d'ordinaire à des niveaux (variables) beaucoup plus bas.

Il faut relever qu’au début du iiie s., en 282, le prix du médimne de froment à Délos évolue entre 4 dr. 3 ob. et 10 dr. sur les neuf premiers mois de l'année (et sans doute davantage à la fin de l’année, mais les chiffres manquent pour les trois derniers mois, où en lieu et place on distribue de l'orge)[761]. En Égypte, au iie s., le prix courant du froment était de 2 dr.[762] A Gazôros, en Macédoine, au début du iiie s., un bienfaiteur assure un prix du froment de 2 dr. 4 ob. le médimne et un prix de l’orge de 1 dr. 4 ob.[763] Aussi, pour peu que les commerçants aient pu eux-mêmes s’approvisionner sur des marchés où les prix étaient restés bas (Sicile, Pont, Cyrénaïque[764],) avec 5 dr. pour la kathestèkuia timè d'Athènes en 330/329 on était encore certainement à des prix qui ménageaient une marge intéressante (mais non plus spéculative) aux importateurs, prix d'achat et coût du transport compris. On pourra rapprocher ce prix de la vente à 6 dr. le médimne du produit de l'aparchè d'Éleusis en 329/328[765]. C'est sans doute un peu au dessous de 6 dr. que, vers 300, les agoranomes d'Éphèse persuadent le Rhodien Agathoklès de vendre sa cargaison[766]. En outre, les fluctuations des prix déliens de 282, donc dans la même année, fournissent le meilleur parallèle à la situation d'Athènes en 330/329 : lorsque Chrysippos évoquait habilement la montée des prix jusqu'à 16 dr. (i.e. certainement compte tenu des profits des détaillants, donc à un prix sensiblement plus élevé que ce qu’avait été la kathestèkuia timè du moment, qui, quant à elle, correspondait aux prix de gros), puis rappelait qu'il avait vendu le grain à la kathestèkuia timè de 5 dr., il induisait un effet psychologique sur ses auditeurs (et jusque dans l'esprit des critiques modernes) pour mieux montrer ce qu'avait été sa générosité dans un climat général de disette. Les deux prix ne sont donc pas comparables, cela pour deux raisons : d’une part le décalage entre un prix de détail et un prix de gros, d’autre part une période de pic du marché et un période où le prix tendait à revenir à une valeur ordinaire. Notre hypothèse du décalage chronologique entre les deux prix invoqués par Chrysippos nous paraît rendue certaine par le décret pour Hérakleidès, puisque l'on sait donc que Chrysippos n’avait pas été le premier à vendre au prix de 5 dr., mais seulement un de ceux qui avaient imité Hérakleidès, dont le fait qu’il puisse de flatter d’être le premier à avoir accepté ce prix suffit à montrer qu'il avait eu nombre d’émules. Ces derniers en revanche (dont Chrysippos, qui ne fait mention de rien de tel) n’avaient pas reçu les honneurs dont Hérakleidès avait pu bénéficier. Les termes de la vente n'impliquent nullement que Chrysippos ait en aucune façon vendu à perte et qu’il ait existé simultanément un prix du grain à 5 dr. le médimne et un autre à 16 dr. En revanche, du moins en période de crise aiguë, il y avait bien deux prix de détail, d’une part celui des ventes organisées par les marchands à la kathestèkuia timè, d’autre part celui du marché libre, mais la différence entre eux était sans doute bien moindre que les 11 dr. que Chrysippos n’invoque que pour mieux capter la faveur de son auditoire.

Notons encore que dans le cas de l'inscription IG, II2, 903[767], le commerçant qui acceptait de vendre à la cité l'huile qu’il destinait au marché libre faisait peut-être une perte sur la taxe trop élevée qu’il avait déjà acquittée mais ne faisait pas pour autant une perte sur la vente, car tout indique qu’il avait seulement accepté de diminuer sa marge, et non à proprement parler de “vendre à perte”[768], ce qui aurait été le cas s'il n'était même pas rentré dans les fonds qu'il avait engagés (prix d’achat et coût du transport). Mais, de nouveau, la vente de toute la cargaison en une seule fois, avec le gain de temps que cela représentait par rapport à une vente à une série de détaillants, peut avoir suffi à emporter la décision : l’acheteur en gros se voit toujours accorder un rabais par rapport à celui qui achète en plus petites quantités. La défense des marchands de grain accusés par le client de Lysias reposait précisément sur l'idée qu’en effectuant un achat collectif auprès des importateurs ils faisaient pression sur les prix[769]. C'est aussi ce que souligne le Ps-Aristote à propos des achats massifs de grain, huile, vin et autres denrées effectués par les gens d'Héraclée du Pont (ils revendirent ensuite eux-mêmes ces denrées à leurs soldats pendant la campagne menée contre les tyrans du Bosphore)[770] : Τοῖς δὲ δὴ ἐμπόροις καλῶς εἶχε μὴ κοτυλίζειν, ἀλλ’ ἁθρόα τὰ φορτία πεπρᾶσθαι. “(Ceci) faisait l’affaire des marchands, qui préféraient avoir vendu leur cargaison en gros plutôt qu’en détail”. En outre, pour revenir à l'inscription d’Athènes, l'espoir de quelque récompense consentie de la part des Athéniens (espoir qui ne fut pas déçu puisqu'Hérakleidès bénéficia effectivement d'un décret honorifique) peut également avoir contribué à justifier l'acceptation de la proposition faite par les magistrats.

La distinction établie entre τάττειν et καθιστάναι, le premier terme s'appliquant “au prix imposé à l'ensemble du marché ou aux ventes régulières de la cité”, et le second désignant “le prix établi pour les ventes publiques occasionnelles” ne paraît donc pas pertinente[771]. En fait, les deux verbes font référence à des actions qui ne se situent pas au même niveau. La différence véritable tiendrait plutôt au fait que, dans un cas, il s'agit d'une allusion à une action ponctuelle (l'acte de fixation d'un niveau de prix), dans le second à l’installation d'un état permanent après qu'une action ponctuelle a modifié un état antérieur (la détermination d'un prix permanent, d’un prix de référence). La démonstration précédente a en outre montré que la différence entre les deux types de prix était mal adaptée à la description précise des divers processus de vente auxquels nos sources font référence : la différence n'est pas entre des ventes qui auraient été “régulières” et d'autres qui n'auraient été qu’“occasionnelles”, mais entre des ventes de grain appartenant à la cité et des ventes à prix coûtant effectuées par des commerçants privés.

Le prix des ventes directes aux citoyens assurées par les importateurs n'était donc pas un prix spécial à ce type de vente. Lorsque Chrysippos signale qu'il a importé plus de dix mille médimnes de froment et en a assuré la distribution au Pompéion à la kathestèkuia timè de cinq drachmes, il combine ainsi deux “actes de bienfaisance” auprès du peuple athénien : d’une part l'importation de grain au prix souhaité par la cité, d’autre part la prise en charge de la distribution de ce grain aux citoyens au prix de gros. Si le prix de la vente directe aux citoyens se trouve donc être le prix de gros, cela ne signifie pas que le prix de référence, la kathestèkuia timè, ait été fixé pour être le prix de ces seules ventes encadrées par la cité.

La kathestèkuia timè n’était pas davantage un prix fixé arbitrairement par l'autorité publique et déconnecté des prix du marché international. Au reste, on ne voit guère comment cela aurait été possible : si le prix imposé par la cité d’Athènes avait été notoirement trop bas, on ne voit pas ce qui aurait obligé les commerçants à vendre leur grain à Athènes. A coup sûr, cette mesure aurait même été totalement contre productive, détournant les commerçants de la place d'Athènes et provoquant de la sorte une nouvelle hausse du prix du grain. En fait, l'objectif réel de l’organisation de la vente réservée aux citoyens était double : 1) Ces ventes leur assuraient un droit de préemption au détriment des autres catégories de la population, métèques ou affranchis et étrangers de passage, qui quant à eux devaient s’approvisionner au marché libre, sur l’agora, donc avec les quantités “restantes” des importateurs (on remarquera que, s’agissant d'Hèrakleidès, le texte précise qu’il a “importé du grain” [σῖτον ἄγων, IB 1. 55-56 et IIA 1. 68] et qu’il a “contribué” à l’alimentation du peuple pour 3 000 médimnes, soit la cargaison d'un navire de tonnage moyen, ce qui ne signifie pas nécessairement qu’il avait vendu tout le grain qu'il avait importé cette année-là sous forme de vente directe aux citoyens). En outre, tandis que les citoyens pouvaient toujours s’approvisionner au marché libre s'ils jugeaient que les quantités mises à leur disposition par la vente réservée étaient insuffisantes pour leurs besoins, les autres catégories de la population n’avaient accès quant à elles qu’au seul marché de l'agora. 2) L'autre intérêt était d’assurer aux citoyens une vente au prix de gros, tandis que, sur l’agora, le prix était majoré du bénéfice des revendeurs au détail, que la cité essayait de limiter, mais dont le plaidoyer de Lysias Contre les marchands de blé de 386 suffit à montrer combien la tâche était difficile[772].

On voit aussi la différence entre les ventes assurées aux citoyens à la charge des marchands importateurs et celles qui étaient effectuées au moyen de grain appartenant directement à la cité. Dans les ventes réservées aux citoyens du type de celles qui apparaissent dans le C. Phormion, c’étaient les importateurs eux-mêmes qui assuraient la distribution. Il n'en allait pas de même dans le cas où la cité vendait son propre grain. La loi athénienne de 374/373 précise qu’une partie du grain produit à Lemnos, Imbros et Skyros devait être livrée à Athènes à titre de taxe et vendue sur l'agora, le prix étant fixé par l'assemblée[773] : ὁ δὲ δῆμος ταξάτω τὴν τ[ι]|μὴν τῶν πύρων καὶ τῶν κριθῶν ὁπόσου χ[ρ]|ὴ πωλεν τοὺς αἱρεθέντας, “que le peuple fixe le prix du froment et de l'orge auquel les commissaires doivent en faire la vente”. Ces commissaires désignés ἐξ άπάντων τῶν ἐν τῆι [ἐκ]|κλησίαι (1. 37-38) étaient donc des citoyens athéniens spécialement nommés à cet effet[774]. Pour ce qui est du niveau des prix, dans le cas où la cité vendait son propre grain, elle pouvait en fixer elle-même le montant[775]. Dans le cas de la loi attique de 374/373, R. S. Stroud souligne à juste titre que, au sein de la cité, il existait nécessairement des intérêts contradictoires, les pauvres devant souhaiter un prix à leur portée, les plus aisés pouvant au contraire souhaiter financer à bon compte la caisse des stratiôtika[776] : on doit donc imaginer que. pour que l'acquisition de ce grain public soit attractive, la cité devait sans doute vendre son grain à un cours légèrement inférieur à celui du marché, soit au prix courant sur l’agora, soit au montant de la kathestèkuia timè définie pour les prix de gros sur l'emporion – et en tout cas ne dépassant pas cette kathestèkuia timè si, en période de crise, avaient lieu parallèlement des ventes effectuées par les importateurs au “prix officiel” comme lors de la vente à laquelle fait allusion le C. Phormion.

On voit qu’on ne saurait donc suivre l'idée selon laquelle les prix des “ventes publiques occasionnelles” (en réalité les ventes effectuées par des commerçants privés, mais encadrées par la cité et à prix fixé par elle), auraient créé une dynamique particulière et auraient à leur tour influencé les prix sur l’agora[777]. En fait, la vraie question paraît être celle de la portée même de la kathestèkuia timè définie pour le grain. S’appliquait-elle seulement aux ventes effectuées par des commerçants privés mais encadrées par la cité, du type de celles effectuées par Hèrakleidès ou Chrysippos et son frère, ou bien concernait-elle aussi le grain vendu aux détaillants à l’entrée de l’agora ? L. Migeotte a démontré que les ventes et distributions publiques effectuées directement par la cité ne jouaient qu'un rôle secondaire dans la consommation des citoyens[778]. Il s'agissait là plutôt d’un élément d'appoint, sans doute toujours précieux comme le sont toutes les “primes”, mais en aucun cas le pain quotidien des citoyens. En revanche, les ventes de grain effectuées par des commerçants privés mais encadrées par la cité étaient certainement beaucoup plus importantes. Les chiffres qui sont conservés dans les inscriptions – 3 000 médimnes pour Hèrakleidès, 10 000 pour Chrysippos et son frère, mais aussi 8 000 puis 4 000 médimnes vers 320 par un commerçant dont le nom est perdu[779] – sont déjà révélateurs de quantités massives. En outre, comme on l’a vu. l'inscription en l'honneur d'Hèrakleidès montre qu'il n’était que le premier d’une longue série de marchands qui, à sa suite, livrèrent leur grain au prix fixé de 5 drachmes. On se saurait douter qu’en ces périodes de difficulté c’était peut-être la majorité du grain parvenant au Pirée qui de la sorte était détournée du marché libre pour faire l'objet des distributions à prix fixe. Dès lors, il y a peu de chances pour que le prix de gros du grain vendu à Athènes ait été double, l’un étant le prix destiné aux ventes aux citoyens, l’autre (plus élevé) celui qui était consenti aux détaillants à l’entrée des agoras. Il faut bien plutôt considérer que le prix négocié par les magistrats valait aussi pour les ventes aux détaillants. Vu les processus parfaitement identiques du transport du grain (ce n’est que le lieu de vente finale du grain qui changeait, selon qu'il était destiné soit aux seuls oikoi citoyens, soit ouvert à tout le monde à l’agora), il y a tout lieu de penser que le prix fixé pour les ventes encadrées par la cité valait aussi pour les ventes aux sitopôlai. Le prix qui était négocié par les magistrats était en fait un prix global à l'importation : d'où les formulations du C. Dionysodôros, et les allusions aux kathestimenai timai sur la place d’Athènes. L’inscription de Rhamonte montre un processus de revente sans bénéfice, mais de grain manifestement acheté à la kathestimenè timè, comme aurait pu le faire n’importe quel détaillant auprès d'un importateur : qu’il s’agisse d’un stratège ne change rien à l’affaire. C'est la raison pour laquelle tous les marchands en gros savaient que s’ils venaient à Athènes ils vendraient à tel niveau de prix – et non pas selon deux échelles de prix différentes, pour le grain vendu au peuple et pour le grain vendu sur l’agora au marché libre.

Si la kathestèkuia timè concernait donc en fait certainement tous les prix de gros, la négociation en vue de la vente directe de grain aux citoyens au prix de gros n'en constituait pas moins un élément clé dans le dispositif visant à établir les prix à un niveau raisonnable, bref à faire baisser le niveau des prix officiels. En se comportant comme un acheteur collectif, i.e. en organisant des ventes encadrées par la cité et destinées aux seuls citoyens, la cité pesait aussi sur le cours du grain (ou de l'huile) puisque les commerçants étaient tentés d’abaisser leurs prix dans la certitude où ils étaient de vendre rapidement et d’un seul coup toute leur cargaison. C’est certainement aussi entre autres pour faire pression sur les prix dans les périodes difficiles de la lin de l'hiver et du printemps que la cité avait institué un fonds de grain approvisionné par les taxes sur les productions de Lemnos, Imbros et Skyros, comme le montre la loi de 374/373. Dans la mesure où le “prix officiel” négocié valait aussi pour les ventes aux détaillants (les sitophylaques veillant en outre sur la marge prise par les détaillants à la revente), c'était donc l’ensemble des prix des denrées de base dont on essayait de la sorte d’empêcher la hausse excessive et spéculative, autant que faire se pouvait en fonction des arrivages extérieurs. En fait, le comportement de Cléomène était donc symétrique de celui d'Athènes, puisque, quant à lui, il avait établi un prix unique du grain à l’exportation, cette fois dans le but d’obtenir un prix aussi élevé que possible.

La manière dont, vers 386/385, le plaideur du C. les marchands de blé de Lysias évoque les achats des marchands locaux auprès des importateurs peut laisser penser qu'il n'existait à cette date aucune fixation de prix officiels du grain en gros. Il est vrai cependant qu'un fragment du même Lysias fait sans doute allusion à un prix taxé : οὔτε τιμῆς τεταγμένης πωλοῦσιν, ἀλλ’ ὡς δύνωνται πλειστηριάσαντες πλείστου ἀπέδοντο “Ils ne vendent pas davantage au prix fixé mais ont vendu très cher après avoir fait monté le prix au plus haut niveau qu'ils l'ont pu”[780]. Malheureusement, comme l’a noté L. Migeotte, on ne peut tirer de conclusions fermes de ce fragment isolé[781].

On peut donc maintenant affirmer que, au moins dans la deuxième moitié du ive s. et la première moitié du iiie s. (avant et après cette période aucune source ne nous informe de manière non équivoque), la cité d'Athènes fixait donc un prix officiel de la denrée de première nécessité qu’était le grain. Il n'y a nulle raison de penser que l’établissement d'un prix officiel de cette denrée soit intervenu seulement lors des périodes de crise – à moins de ne considérer que chaque année pouvait voir naître une période de crise. Les différentes dates auxquelles il est fait mention de kathestèkuia ou kathestimenè timè ne paraissent nullement obliger à conclure que ce ne soit que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que l'on ait eu recours à cette procédure. 330/329 (Syll. 3, 304 et C. Phormion) ; vers 320 (IG, II2, 400) ; 302/301 (IG, II2, 499, restitution très vraisemblable) ; époque de la guerre de Chrémonidès (Bielman 1994, nº 24) : la répétition est manifestement l'indice d'une pratique habituelle, qui apparaît dans nos sources surtout (mais peut-être pas exclusivement) dans les périodes de crise frumentaire tout simplement parce qu’alors plaidoyers ou inscriptions mettent en évidence des pratiques dont la perte des archives des cités nous prive de la connaissance en temps ordinaire.

Deux questions se posent alors : Qu’en était-il à Athènes pour d'autres denrées importées en gros comme le vin ou l’huile ? Les cités autres qu'Athènes pratiquaient-elles elles aussi un système de prix officiel ? A ces deux questions, pour les mêmes raisons de manque de sources archivistiques déjà évoquées, il n’est pas aisé de répondre avec précision, mais quelques éléments de réponse peuvent cependant être avancés. Dans l’état actuel des choses, ce n'est que pour le grain, denrée vitale pour la survie de la cité, qu'un prix officiel est attesté à Athènes, même si l'on a vu que, pour l'huile, les magistrats pouvaient être amenés à pratiquer des interventions directes sur les marchés : toutefois, dans l’inscription IG, II2, 903, de c. 175-170, la cité achète elle-même l'huile au marchand, tandis que, comme on y a insisté, pour les ventes encadrées de 330/329 la cité se contentait de contraindre les marchands à vendre eux-mêmes aux citoyens au prix de gros. La différence trouve sa justification dans la nature des produits en question. La tâche pouvait être plus aisée dans une petite cité mais, du moins à Athènes, la collectivité avait tout intérêt à laisser les importateurs transporter eux-mêmes puis vendre les énormes quantités de grain destinées à l'alimentation d'une grande cité. La cité d'Athènes assurait certes occasionnellement des ventes directes (ainsi, ce sont des commissaires nommés par la cité qui organisent la vente du grain des îles dans la loi de 374/373, mais alors aussi le transport est laissé à la charge d'un fermier). Cependant, même en cas de disette, elle préférait laisser l’ordinaire des ventes de grain entre les mains des commerçants privés. Pour l'huile, produit de plus grande valeur, consommé dans des quantités qui, en volume, étaient considérablement plus limitées, aussi d'une manipulation beaucoup plus aisée (donc moins onéreux en temps de manutention et en volume de stockage), la cité pouvait plus facilement être tentée de prendre en charge elle-même la vente[782].

Quant à la question de savoir si d'autres cités pratiquaient le système des “prix officiels” de la même manière qu’à Athènes, on a vu que le C. Dionysodoros incitait à penser que la notion de “prix de référence” sur une place donnée était chose courante. Mais y avait-il pour autant un “prix officiel institutionnalisé” comme à Athènes ? Nos sources, pour le moment, inciteraient à répondre de manière négative, ce qui, comme on le sait, ne veut pas dire que leurs agoranomes ou autres magistrats commerciaux n'intervenaient pas auprès des commerçants pour obtenir des importateurs des prix plus favorables. Au demeurant, il était toujours possible d'avoir recours à des procédures autoritaires de réquisition. On songe ainsi aux livraisons de grain obligatoires et à prix fixe auxquelles, sans doute au ive s., la cité de Sélymbria contraignit les particuliers[783] : ἐψηφίσαντο τῇ πόλει παραδοῦναι τοὺς ἰδιώτας τὸν σῖτον τῆς τεταγμένης τιμῆς, ὑπολειπόμενον ἕκαστον ἐνιαυτοῦ τροφήν εἶτα ἐξαγωγὴν ἔδωκαν τῷ βουλομένῳ, τάξαντες τιμὴν ἣν ἐδόκει καλῶς ἔχειν αὐτοῖς “Ils décrétèrent que les particuliers livreraient leur grain à la cité au prix fixé, chacun ne gardant chez soi que la nourriture d’une année. De ce grain, il donnèrent ensuite licence d’exportation à qui en faisait la demande, après avoir fixé le prix qui leur paraissait convenable”. On remarquera que la τεταγμένη τιμή du grain fixée par la cité de Sélymbria n’est pas sans évoquer la καθεστηκυῖα τιμή d'Athènes pour la même denrée. Cependant, il semble qu'il y ait bien là une différence : pour autant qu'on puisse en juger du fait du laconisme de notre source, le prix fixé à Sélymbria ne l'était, semble-t-il, que de manière ponctuelle et limitée dans le temps, pour une opération spécifique, ce qui n’était évidemment pas le cas à Athènes où le prix était fixé en permanence. En outre, à Sélymbria, le prix fixe concernait ce dont la cité pouvait avoir la maîtrise, i.e. les livraisons obligatoires effectuées par les particuliers ou les exportations[784]. Il en allait autrement à Athènes où ce prix concernait les importations de grain, donc un prix négocié avec les emporoi.

La différence entre Athènes et les autres cités donne à réfléchir. On a jusqu'ici insisté sur le fait que tendanciellement c'était l’offre, i.e. les importateurs, qui étaient dans une position plus favorable, tandis que la demande, soit la population des cités pour qui l'approvisionnement en grain était une question de survie pure et simple, était dans une position désavantageuse. Situées sur un passage obligé des routes de navigation. Byzance ou Chalcédoine pouvaient prendre des mesures de réquisition à l’égard des emporoi, ainsi que le montrent deux épisodes rapportés par le Ps-Aristote[785]. Pour les mêmes raisons, Lampsaque pouvait s’autoriser à fixer autoritairement le prix de vente des principales denrées et lever ainsi une taxe ad valorem de 50 %[786]. En revanche, semblable en cela à n’importe quelle autre cité, l’Athènes du ive s. ne pouvait se permettre de se brouiller avec les importateurs de grain, comme le montre le ton obséquieux du plaidoyer de Lysias C. les marchands de blé, qui diffère radicalement du ton employé à l’égard des revendeurs locaux, contre lesquels le plaideur réclame la peine de mort pour accaparement[787]. Toutes choses égales cependant, Athènes était dans une position bien plus favorable que les autres cités, d’abord parce qu’elle représentait de très loin le plus gros marché de consommation, celui où les commerçants étaient donc à peu près toujours assurés de pouvoir vendre leur cargaison, et parce que la richesse de la cité faisait que c’était là que l’on pouvait escompter trouver une demande solvable. En outre, pour un commerçant, Athènes présentait l'avantage d’offrir une grande variété de marchandises à réexporter, ou sinon d’offrir la possibilité d’emporter un numéraire accepté partout : c’était déjà l'un des thèmes des Poroi de Xénophon[788]. Telle est sans doute la raison pour laquelle la cité put mettre en place d’une part une réglementation aussi contraignante pour les importateurs que celle qui est décrite par Aristote (Ath. pol., 51.4) pour le transport du grain sur les agoras du Pirée et de la ville d’Athènes, d’autre part le système des prix officiels, qui représentait aussi une forme de pression sur les prix pour les importateurs. Avec un arrière-plan identique, la spécificité d’Athènes, qu’il faut lier à sa taille et à sa richesse, apparaît encore une fois de la manière la plus nette.

On pourra cependant encore légitimement s’interroger sur la validité du parallèle développé précédemment entre Athènes et l'Égypte. Il y a là une interrogation possible à laquelle il convient de donner une réponse. Comment en effet concilier l'aspect contraignant et normatif que l’on sait être celui du royaume lagide avec le cadre d'une cité comme Athènes ? On a vu que dans le cadre de la cité comme dans le monde de l'économie royale administrée de l'Égypte lagide, on retrouve une distinction entre d'une part des “prix officiels” (fixés), d'autre part des prix “libres”. La différence est néanmoins bien réelle. 1) Pour ce qui est des “prix officiels” dans le cadre des cités, où les acteurs, bien souvent étrangers à la place où les ventes s'opéraient, étaient libres de leurs actes et de leurs transactions, la kathestèkuia timé n'était en fait qu'un prix de référence, qui en outre s'appliquait aux prix de gros, même si naturellement les prix de la vente au détail étaient étroitement dépendants de ces derniers. En revanche dans le cadre clos et autoritaire du royaume lagide, les “prix officiels”, pour le gros ou le détail, avaient valeur contraignante et les habitants de la chôra devaient s'y soumettre rigoureusement. 2) Pour ce qui est des prix “libres”, on peut établir un parallèle entre, d'une part, l'agoranome d'une cité – et aussi, de manière encore plus éclairante, les sitophylaques athéniens – et, d’autre part, l'économe de nome (avec son subordonné l'agoranome du nome), à condition de souligner aussi les différences dans leurs responsabilités. En dehors des cas où un tarif était autoritairement fixé par la cité (et dans ce cas on ne doit pas douter que le prix fixé avait valeur contraignante), l'agoranome d’une cité n'avait ordinairement pour fonction que de veiller aux majorations de prix “excessives” dont les commerçants pouvaient se rendre responsables (ce qui suppose tout de même une notion implicite de “juste prix”). En revanche, le parallèle avec le rôle des sitophylaques athéniens, tel qu’il nous est décrit par Aristote, se révèle plus étroit[789] : οὗτοι δ’ ἐπιμελοῦνται, πρῶτον μὲν ὅπως ὁ ἐν ἀγορᾷ σῖτος ἀργὸς ὤνιος ἔσται δικαίως, ἔπειθ’ ὅπως οἵ τε μυλωθροὶ πρὸς τὰς τιμὰς τῶν κριθῶν τὰ ἄλφιτα πωλήσουσιν, καὶ οἱ ἀρτοπῶλαι πρὸς τὰς τιμὰς τῶν πυρῶν τοὺς ἄρτους, καὶ τὸν σταθμόν ἄγοντας ὄσον ἄν οὗτοι τάξωσιν. ὁ γὰρ νόμος τούτους κελεύει τάττειν “(Les sitophylaques) veillent d'abord à ce que le grain brut mis en vente sur l’agora se vende au juste prix, ensuite à ce que les meuniers vendent les farines en fonction du prix de l’orge et les boulangers les pains en fonction du prix du froment, des pains qui auront le poids qu’ils auront eux-mêmes fixé ; en effet, la loi leur enjoint de procéder de la sorte”. La procédure de détermination de la marge prévue par la loi athénienne correspond étroitement au pouvoir contraignant des économes de nome de fixer par avance la marge dont pourraient bénéficier les commerçants vendant les produits sur le marché “libre” – on relèvera aussi jusque dans le détail du vocabulaire employé le parallèle entre la Constitution des Athéniens (51.3-4) et le PRevLaws (col. 50, 18-19) : respectivement τάττειν et ἀναγκάζειν (pour les épimélètes du port, 51.4) et τάσσειν et συναγκάζειν (pour les économes de nomes).

En Égypte, la différence entre les hestèkuiai timai et les prix libres tenait en fait à ce que les premiers étaient fixés par ordonnance de l'autorité centrale et étaient les mêmes pour toute l'Égypte (avec éventuellement une réserve faite pour Alexandrie et la Libye, comme on l’a vu pour l'huile), tandis que les “prix libres” avaient pour caractéristique d’une part que leur prix de gros n'était pas fixé autoritairement, d'autre part que la marge que les commerçants pouvaient prendre était certes fixée par l'autorité, mais au niveau du nome, par l'économe, ce qui laissait à ce dernier une marge d'appréciation pour tenir compte des conditions locales et sans doute aussi un certain espace de négociation aux producteurs et commerçants locaux (le même espace de négociation existait sans doute entre revendeurs de grain et sitophylaques sur les agoras d’Athènes et du Pirée). A Athènes, on retrouve une différence entre kathestèkuiai timai et “prix libres” qui étaient en réalité aussi sous surveillance, mais le mode de détermination et la valeur des “prix officiels” n’étaient pas les mêmes qu’en Égypte. Bien que le vocabulaire employé soit interchangeable (kathestèkuia/ hestèkuia timè, kathestimenè timé), la différence entre la liberté du monde des cités et la contrainte de la chôra lagide apparaît nettement : des mots identiques renvoient à des réalités en partie semblables (fixation d'un prix par l'autorité publique), en partie différentes (s’agissant de la kathestèkuia timè, valeur contraignante ou seulement indicative d'un optimum souhaité).

Conclusion

Dans les cités grecques autres qu’Athènes, les demandes répétées des agoranomes auprès des commerçants importateurs de grain visaient à persuader ces derniers de vendre leurs denrées au prix qui paraissait être le “juste prix”, i.e. un prix qui était acceptable par la population et qui en même temps réservait une marge raisonnable aux marchands. A Athènes, dans la deuxième moitié du ive s. et la première moitié du iiie s., la fixation du cours du grain importé obéissait à une procédure plus formelle, celle de l’établissement d’une kathestèkuia timè, un “prix officiel” du grain à l'importation. Ce prix était réajusté périodiquement en fonction de la loi de l’offre et de la demande, mais la procédure permettait de faire pression sur les prix puisque c’est la cité, par l'intermédiaire de ses magistrats, qui négociait globalement les prix. C'est ainsi, nous semble-t-il, qu’il est possible de rendre compte au plus près des sources, en reprenant la piste ouverte par Ad. Wilhelm et L. Migeotte (prix fixé par la cité et non pas résultante simple de la loi de l'offre et de la demande, “cours au jour le jour”), mais en donnant à l'opération de fixation du prix par la cité un sens et une portée profondément différents. Le prix fixé n’était pas celui de “ventes publiques occasionnelles” (ce concept doit être remplacé par celui de “ventes par des marchands privés, encadrées par la cité”) : il correspondait au prix de gros à l’importation sur la place d’Athènes.

Tendanciellement, la kathestèkuia timè négociée par la cité variait à la hausse ou à la baisse en fonction des quantités offertes sur le marché. C’est toute la différence entre l'hestèkuia timè stable de l'Égypte lagide et la kathestèkuia timè variable d’Athènes : en Egypte, l’autorité royale avait une maîtrise totale de l’offre, puisqu’elle contrôlait les cultivateurs de la chôra. Rien de tel bien sûr pour la cité d’Athènes, qui, s’agissant du grain, n’avait aucun moyen de contrôle sur la plus grande partie de l’offre[790]. Bien que les agents économiques soient des hommes libres et des citoyens, et non des paysans soumis à la contrainte comme c’était en revanche le cas en Égypte, le contraste avec ce que l'on voit pour des productions locales, comme le poisson ou la boucherie, où la cité était susceptible de contrôler étroitement les prix, est déjà à cet égard tout à fait éloquent[791]. Cela ne signifie pas que, à Athènes, la kathestèkuia timè suivait au jour le jour les modifications du rapport de l'offre et de la demande. Elle était établie de manière volontariste par la cité dans le sens de ses intérêts, tout en tenant compte globalement de la loi de l'offre et de la demande. Concrètement, cela signifie que si les cours sur le marché libre étaient exagérément montés mais qu’on savait que le marché pouvait se rétablir à des niveaux sensiblement plus bas en fonction d'arrivages attendus ou qu'on était allé volontairement solliciter, la cité pouvait anticiper sur l’évolution des prix et établir une kathestèkuia timè à des niveaux plus bas que les cours de vente précédents et il revenait aux magistrats du port de persuader les importateurs d'accepter ce nouveau cours. L’intérêt de l’établissement d’une kathestèkuia timè était aussi que le niveau des prix de gros évoluait par paliers successifs, et non pas au jour le jour.

On osera enfin une comparaison avec le marché du pétrole de le fin du xxe s„ qui nous paraît pleinement justifiée vu le parallèle entre les situations de rapports de force entre acheteurs et vendeurs et leurs renversements en raison des fluctuations des quantités offertes sur le marché. L'Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP, en anglais : OPEC) définit ce que l'on appelle un “prix affiché”, qu'elle demande aux états producteurs de respecter dans leurs ventes sur le marché libre. Ces “prix affichés”, dits aussi “prix postés” ou “prix officiels”, correspondent aux prix établis pour des contrats à long terme[792]. Avec l’émergence de l'ΟΡΕΡ dans les années 1970, la hausse de ces prix officiels devint l'arme du cartel des pays producteurs membres de l'OPEP pour augmenter leurs revenus, qui connurent alors une hausse considérable[793]. Le retournement des rapports de force en faveur des pays consommateurs dans les années 1980 a privilégié les prix du marché libre (dits prix “spot”), qui correspondent à des contrats à court terme et suivent étroitement la loi de l'offre et de la demande[794]. Depuis lors, bien qu'ils aient pourtant varié à la baisse puis à la hausse, les prix officiels de l'OPEP restent d'ordinaire trop élevés par rapport au marché et ne sont plus respectés par la plupart des pays producteurs, qui consentent chacun des rabais importants sur le “prix affiché” et ne limitent pas leur production comme il le leur est demandé par l'organisation à laquelle pourtant ils appartiennent[795].

Si l'on inverse la perspective et si l’on considère que vu les conditions de la production du grain dans l'antiquité, c’étaient tendanciellement bien plutôt les vendeurs de grain que les acheteurs qui se trouvaient en position de force, on comprend mieux ce que pouvait être, cette fois du côté des acheteurs, l'intérêt d’établir un “prix officiel”, que la rupture des approvisionnements pouvait rendre caduc (le “prix officiel” était alors inéluctablement entraîné à la hausse), mais que l'on s’efforçait de ramener à des niveaux raisonnables dès que l'horizon commençait à s'éclaircir et que des quantités plus importantes étaient susceptibles d'être livrées. Même s’il ne faut pas pousser le parallèle trop loin, cette notion de “prix officiel” n'est donc pas si éloignée de ce que l'on peut trouver dans certaines pratiques commerciales contemporaines où un État, ou un groupement d’états, s’efforce de contrecarrer, sans vraiment y parvenir durablement, les oscillations du marché.

Annexes APPENDICE A PROPOS DE LA LOI ATTIQUE SUR LA TAXE DU GRAIN DE LEMNOS, IMBROS ET SKYROS

Ce texte magistralement publié par R. S. Stroud (1998) montre que, dès 374/373 au moins Athènes, pouvait prendre des mesures de gestion particulièrement soigneuses en matière de stockage et de vente du grain[796]. Sur tous les points, l'éditeur a fourni un ample commentaire, tout en invitant dans sa conclusion à prolonger le débat. C’est dans dans cet esprit que nous voudrions faire quelques remarques suggérées par ce beau document.

Les taxes de la loi attique de 374/373

La loi attique de 374/373 περὶ τῆς δωδεκάτης τοῦ σίτου τῶν νήσων (1. 3-4) prévoyait : ὅπως ἂν τῶι δήμωι σῖ[το]|ς ἦι ἐν τῶι κοινῶι, τὴν δωδεκάτην πωλ[εῖ]|ν τὴν ἐν Λήμνωι καὶ Ἴμβρωι καὶ Σκύρω[ι κ]|αὶ τὴν πεντηκοστὴν σίτο (1. 6-8). La dôdekatè, le “douzième” correspondait à un taux de 8 1/3 %, la pentèkostè sitou à un taux de 2 %. Selon R. S. Stroud, ces taxes devaient être payées en nature et collectées dans les îles[797].

Revenant sur ces questions, E. M. Harris[798] considère cependant, certainement à juste titre, que la pentèkostè sitou du texte était tout simplement l'habituelle taxe du cinquantième, payée en argent sur les denrées entrant au Pirée. Il est vrai que la formule initiale “afin que le peuple ait du grain sur le marché public” paraît certes bien s'appliquer au premier terme, le grain des îles, mais plus mal au second, la taxe du cinquantième. Mais il s'agit d'une formule à caractère très général et la vente de la ferme de la pentèkostè du grain – le grain importé en général, pas seulement le grain des îles – trouvait naturellement sa place dans une loi dont l'essentiel était consacré à la vente de la ferme du grain des îles. La pentèkostè sitou était donc la taxe en argent connue sous le nom de “cinquantième du grain”, et non “the 2 % tax in tenus of grain”, comme l'aurait voulu R. S. Stroud (trad. p. 9 et comm. p. 38-39).

Mais, pour ce qui est de la dôdekatè, E. M. Harris l'identifie avec une taxe (en argent également) qui aurait été exigée par les Athéniens sur les cargaisons en transit dans les îles, ce qui aurait encouragé les marchands à approvisionner le marché local, puisqu'ils auraient fait un bénéfice en payant seulement la pentèkostè au lieu de la dôdekatè. Cette notion de “taxe de transit” et ce raisonnement sur un différentiel de taux de taxe paraissent cette fois difficiles à soutenir. Le but des Athéniens était d'approvisionner les marchés d'Athènes et du Pirée, celui des îles étant de tout façon a priori largement excédentaire. En outre rien n'indique que le blé en provenance des îles à clérouques ait pu légalement avoir une autre destination à l'exportation que le marché athénien. En fait, cette vision des choses enlève toute cohérence au texte. Même si les sources athéniennes d’époque classique évoquent quant à elles des rentes en nature,[799] il faut apparemment remonter à l’époque archaïque pour trouver mention de taxes en nature (ainsi, selon Philomnestos, qui explique ainsi l'origine du mot sycophante, les amendes et les impôts étaient originellement payés en nature, en figues, vin et huile[800]. On relèvera cependant qu'à Abydos, selon le Ps-Aristote, la cité promit après une guerre civile un remboursement direct, nécessairement en nature, aux métèques qui prêteraient aux cultivateurs en difficulté un capital pour les aider à reprendre leurs activités[801]. Surtout, E. M. Harris n'a pas connu le parallèle de la la loi samienne sur le “vingtième” du grain d’Anaia, qui fournit le parallèle souhaité, aussi bien pour la procédure que pour le formulaire[802]. Pour ce qui est de la dôdekatè sur le grain des îles, il faut donc revenir intégralement à l’analyse de R. S. Stroud.

Le grain de la loi de 374/373 et le grain de Leukôn

Le grain des îles devait être vendu à un prix fixé par la cité (cf. 1. 44-46), qui devait tenir compte des intérêts contradictoires des citoyens considérés d'une part en tant que consommateurs et d’autre part comme destinataire collectif des sommes qui seraient versées dans le fonds des stratiôtika[803]. Pour ce qui est des quantités produites par les taxes, les prudentes estimations de Stroud aboutissent aux chiffres de (au moins) 6 200 médimnes de froment et 24 800 d’orge[804]. Pour ce qui est des sommes que pouvait représenter le produit de la vente, R. S. Stroud prend comme base les prix de l'aparchè d'Éleusis de 329/328, soit 6 dr. pour le froment, 3 pour l’orge[805]. Il aboutit aux chiffres de 6 200 x 6 = 37 200 dr. + 24 800 x 3 = 74 400 dr., soit un total de 111 600 dr. ou 18 talents et 1/2[806].

Cependant, les prix de 329/328 sont sans doute un peu trop élevés pour être pris comme base d’estimation. Il ne saurait être question d’entrer ici dans une discussion détaillée sur le niveau des prix qui ne pourrait trouver place que dans une étude spéciale. On a vu que, au début des années 320, le prix du froment dans la partie inférieure de la courbe d'un cycle annuel était de 5 dr. le médimne. En tendance cependant, il s’agissait certainement d’une période de prix déjà élevés (si l'on songe à l’effet inflationniste provoqué par la mise en circulation des trésors de Delphes par les Phocidiens, aux grandes frappes macédoniennes et au premier contrecoup de la monétisation des trésors sur lesquels Alexandre avait mis la main). Pour donner un ordre de grandeur du profit effectué par les Athéniens, nous préférerions donc suggérer un prix de 3 dr. le médimne pour le froment, et. pour l’orge, soit 1 dr. et 3 ob., soit 2 dr.[807] On aurait donc des rentrées respectivement de 18 600 dr. (froment) et 37 200 ou 49 600 dr. (orge), avec un total soit de 55 800 dr. ou 9 talents et 1 800 dr., soit de 68 200 dr. ou 11 talents et 2 200 dr. On pourra retenir un rapport plutôt autour de 10 talents dans les années 370, le chiffre pouvant varier d’année en année en fonction des arrivages, des prix, etc., et n’atteignant un montant de l’ordre de 18 talents que dans les années 320, si les taxes furent maintenues jusqu’à cette date.

Ce chiffre de l’ordre de 10 talents doit alors être rapproché du gain de 15 talents que, selon Démosthène C. Leptinès, 33, les Athéniens auraient fait sur la vente du grain offert par Leukôn dans une année difficile, en 357[808]. L’interprétation du passage mérite qu’on s'y arrête car, semble-t-il, on n'a pas perçu de manière exacte le propos de Démosthène. Dans la série des bienfaits de Leukôn, l’archonte du Bosphore, est en effet signalé entre autres : ἀλλὰ πρωπέρυσιν σιτοδείας παρὰ πᾶσιν ἀνθρώποις γενομένης οὐ μόνον ὑμῖν ἱκανὸν σῖτον ἀπέστειλεν, ἀλλὰ τοσοῦτον ὥστε πεντεκαίδεκ’ ἀργυρίου τάλαντα, ἃ Καλλισθένης διῴκησε, προσπεριγενέσθαι “Mais il y a deux ans, lorsque survint cette disette qui frappa tout le monde, non seulement il vous expédia une quantité de grain considérable, mais en une quantité qui vous permis de tirer de surcroît un bénéfice de quinze talents, dont Callisthénès eut la gestion.” Cette traduction, et l’interprétation qui lui est liée, est différente de celles qui ont été proposées jusqu’ici. Tout d’abord, on doit tenir pour certain que ἀποστέλλω correspond bien à un don spécifique expédié par Leukôn, distinct des privilèges qu’il avait consentis jusqu’alors aux Athéniens (privilège de préemption, exemption de droit de douane à l’exportation du grain, accès non seulement à Bosporos mais aussi au nouvel emporion de Théodosia[809].) En outre, on a compris jusqu’ici qu’Athènes aurait reçu de Leukôn du grain en quantité non seulement “suffisante” (c’est le sens attribué à ἰκανός) pour satisfaire les besoins de la cité, mais avec un “excédent” dont la vente aurait permis de rapporter quinze talents[810]. Cependant, le sens courant de “important”, “considérable” (cf. dict. LSJ II.1) de l'adjectif ἰκανός est mieux adapté dans le contexte.

En tout état de cause en effet, on ne doit pas considérer que le grain reçu aurait été divisé en deux parts, l’une qui aurait “suffi” aux besoins des Athéniens, l'autre dont ils auraient pu disposer librement, et qu’ils auraient même pu réexporter. Le présupposé implicite qui est sous-jacent à cette vision des choses est nécessairement que la partie qui aurait été “suffisante” aurait été distribuée gratuitement, tandis que l'autre aurait été vendue, et dans cette hypothèse on est donc conduit à songer à une réexpédition en dehors d’Athènes, puisqu’on a posé au départ que les besoins des Athéniens avaient été satisfaits. En fait, la rhétorique de Démosthène ne consistait pas à opposer deux utilisations différentes qui auraient été faites du grain de Leukôn mais à insister sur le fait que non seulement les Athéniens avaient pu disposer d'un approvisionnement dans une période de disette, mais qu'en plus le grain de Leukôn qui ne leur avait rien coûté leur avait rapporté de l’argent. C'était là un excellent argument dans un plaidoyer où il s’agissait de s’opposer à la ladrerie de ceux qui, sous prétexte de faire gagner de l’argent à la cité, voulaient supprimer les privilèges qu'elle avait consentis à des bienfaiteurs comme Leukôn, l'archonte du Bosphore.

Pour le don de Leukôn, la meilleure comparaison est celle que l’on peut faire avec le grain de la taxe de Lemnos, Imbros et Skyros. On a vu que, sur lu base de 31 000 médimnes de froment et d'orge, on pouvait raisonnablement penser à un profit sur la vente d'environ 10 talents. Sur des bases analogues – même si le calcul a évidemment une large part d’arbitraire puisqu’on ne sait pas à quel prix fut effectivement vendu le grain de Leukôn –, on voit que ce seraient alors environ 45 000 médimnes, soit la cargaison de 15 navires transportant chacun 3 000 médimnes, qui auraient été envoyés par Leukôn. Ce don considérable, représentant hypothétiquement une fois et demi le produit de la taxe en nature des trois îles athéniennes, ne peut cependant à lui seul avoir rassasié les Athéniens si l'on était en période de disette. On voit aussi pourquoi l’hypothèse selon laquelle les 15 talents (et les 45 000 médimnes que nous avons supposés) ne correspondraient qu’au “grain excédentaire” est irréaliste : elle présupposerait que Leukôn aurait expédié gratuitement des centaines de milliers de médimnes, alors que Démosthène signale (C. Leptinès, 32) que la quantité de grain du Bosphore arrivant habituellement à Athènes (il s'agissait naturellement de grain acheté par des commerçants privés) était de 400 000 médimnes. Il faudrait donc supposer que, l’année de disette à laquelle il est fait allusion, tout le grain reçu du Bosphore l’aurait été sous forme de don, ce qui n’est manifestement pas le propos de Démosthène. On comprend mieux le sens du plaidoyer si l’on admet que, à l’instar de ce que prévoyait la loi de 374/373, le grain envoyé par Leukôn fit l’objet d'une vente, et à un prix raisonnable.

On remarquera enfin que le don de froment fait par Psammétique aux Athéniens en 445/444 se montait à 30 000 médimnes (selon Philochore[811]) ou 40 000 médimnes (selon Plutarque[812].) Le montant des taxes en nature sur la production des îles de Lemnos, Imbros et Skyros (sans doute c. 31 000 médimnes de froment et d’orge) était donc de l’ordre du montant des dons exceptionnels qui marquèrent la mémoire collective des Athéniens, celui de Psammétique au ve s. (30 000 ou 40 000 médimnes de froment), celui de Leukôn au ive s. (peut-être c. 45 000 médimnes de froment et d'orge). On notera qu'en 299/298, les Athéniens ne reçurent que 10 000 médimnes de froment du roi Lysimaque (il est vrai suivi d’un don de 130 talents d’argent en 285), et, en 281, de Ptolémée II, 20 000 médimnes de froment mais aussi une somme de 50 talents[813]. En mettant en place ces taxes sur le grain des îles, les Athéniens prévoyaient donc de se faire chaque année à eux-mêmes un cadeau du niveau de ceux qu'il ne leur arrivait que de manière exceptionnelle de recevoir de la main de certains princes étrangers. Le processus de revente, attesté pour le grain des îles et, du moins, pour le grain de Leukôn, montre au demeurant que les procédures institutionnelles de mise à disposition du grain étaient de même nature.

Chapitre X. Unités de pesée et poids des offrandes dans les sanctuaires grecs

Le poids des phiales répertoriées dans un inventaire d’Amos (Pérée rhodienne) du milieu de l'époque hellénistique n’est pas donné en chiffres ronds. Ce fait qui pourrait être une curiosité d'intérêt purement anecdotique soulève pourtant de redoutables problèmes dès qu’on s’aventure à vouloir en rendre raison. C'est ainsi qu'on vient récemment de tenter de l’expliquer, comme on l'avait fait ailleurs pour des documents posant des problèmes similaires, par la thèse du recours à des monnaies comme instrument de pesée. Une analyse détaillée des questions soulevées non seulement par l’inventaire d’Amos mais aussi par ceux d’Athènes, Délos et Didymes conduit à une vision des choses bien différente. Pour asseoir de nouvelles conclusions, ce sont en fait aussi bien les modalités de fabrication des offrandes que certaines spécificités du formulaire et du mode de rédaction des inventaires qu’il faut dégager. Au-delà, sans qu'il soit pourtant nécessaire d’avoir recours en quoi ce soit aux théories modernistes, ce sont encore les dangers d'une approche primitiviste de la cité grecque qui apparaissent au grand jour.

L’inventaire D’amos

Le point de départ de la discussion est donc un inventaire provenant du dème rhodien d’Amos, dans la partie est de la Chersonnèse, qui faisait partie de la “Pérée intégrée” de Rhodes. L’inscription date du milieu de l’époque hellénistique[814]. La stèle qui la porte est mutilée et le texte est de lecture difficile. Cependant plusieurs chiffres peuvent se lire de manière partielle ou complète.

Peraea, 11a, sans illustr. (SEG, 14, 1956, 687a ; Pérée, 48) ; IK, 38-Rhodische Peraia, 355, sans illustr.

Cf. J. Pouilloux, AC, 24, 1955, p. 239 (corr. 1. 34) ; J. et L. Robert, Bull. ép., 1955, 214 ; P. Debord, Aspects sociaux et économiques de la vie religieuse dans l'Anatolie grécoromaine, Leyde, 1982, p. 223 et n. 105 p. 424.

--- | [φιάλαν ἄν ἀνέθηκαν--- ---]|κλεῦς [---] | Ἀριστογέν[--- ---] |4 Σ[...]νος Ἀπ[--- ---] | [.]ε[.]ης Δαμοσ[---] | ‘Ạγελόχου Τιμο[--- ---]|τευς, ἄγουσαν Γ[---] |8 φιάλαν ἃν ἀνέθηκαν Δαμο[---] | Δαμαινέτου, Ἁγησικλῆς [---]|σάνδρου, Σωκράτης Σωκρα[τίδα], | ἄγουσαν ΓΔΔΔΔ[..]├ |12 φιάλαν [ἃν] ἀνέθηκαν Ἐμφάνης | Θευφ[ά]νευς, Ἁγέλοχος Παγκρ[ά]|τευς, Πραξίχαρις Πασικράτευς, | ἄγουσαν ΓΔΔΔΔ[---] |16 φιάλαν ἃν ἀνέθηκαν Πάνταινος | Τιμαῖος Ἀλεξίων, ἄγουσ[αν] | ΓΔΔΔ | φιάλ[α]ν ἂν ἀνέβηκαν Ἐμφάνης |20 Θευφάνευς, Ἁγίας Ἁγεστράτου, | Τιμαῖος Σωσιθέου, Τιμόκριτος | Φαιναγόρα, Σ[.......] Διογέ|νευς, Εὐάρατọς Ἐπαγάθου |24 [..]ακ[...]τος ’Ạλ[κ]εσιδάμου, | ἄγουσαν ΓΔΔΔΔΓ├├├ | φιάλαν ἄν ἀνέθηκαν Χαιρήμων | Χάρμιος, Σῖμος Ἀκέστορος, |28 Ἁγησίδωρος Ἀριστοδάμ[ου], | Θαλ[ήτα]ς Ἀριστοδάμου, | Ξεναγόρας Λεωνίδας, Ἐπικρ[---], | ἄγουσαν ΗΔΔΔΔΓΕ├├ |32 φιάλαν ἃν ἀνέθηκαν Χαιριππίδα[ς] | Διογένευς, Διότιμος Ἁγεστ[---], | Παγκλείδας Πασικράτευ[ς], | [Ἐ]πίχαρμος Ἁ[....ά]νακτο[ς,---]|36πος Ν[ικ]αίου, Α[....]κρατίδα[ς ---]- | [.]ο[.], Ξενόκριτος, ἄγουσαν | ΓΔΔΔΔΓ├├|||| | [φι]άλαν [ἃ]ν ἀνέθηκαν Ἀνταγ[όρας] |40 Ἀντι[γέν]ευς, Κριτίας Δαμ[---], | Τιμακλῆς Σωπάτρου, [---] | α[..]ικλου, Ἀριστόβο[υλος ---], | Καλλίμαχος [---], |44 [---] | ---

Comme l'avaient bien vu J. et L. Robert, un collège de magistrats d’Amos, à sa sortie de charge, devait rituellement consacrer une phiale[815]. L'état de la stèle ne permet pas de lire le montant de tous les poids. On peut néanmoins reconnaître :

L. 7 : Plus de 50 dr.

L. 11 : 90 + x dr., avec x compris entre 2 et 9 : le parallèle des 1. 25, 31 et 37 suggérant un chiffre supérieur à 95, en restituant au moins | dans la lacune.

L. 15 : 90 + x dr., mêmes remarques que précédemment.

L. 18 : 80 dr. mais toutes les lettres sont de lecture difficile.

L. 25 : 98 dr.

L. 31 : 147 dr.

L. 37 : 97 dr. 4 ob.

Sauf pour le chiffre de 80 dr. de la 1. 15, mais qui pose sans doute des problèmes particuliers[816], on constate un déficit en poids par rapport aux chiffres ronds qu'on aurait pu s’attendre à trouver, soit manifestement à quatre reprises 100 dr. (1. 11, 15, 25, 37) et une fois 150 dr. (1. 31). Comment en rendre raison ?

P. Debord avait proposé de voir dans cette différence le salaire de Partisan. Sans avoir argumenté de nouveau la question, nous nous étions rallié à ce point de vue dans notre Pérée (ad loc.), mais avec une légère réserve (nous indiquions seulement d’une phrase qu'il s’agissait “apparemment” de la bonne solution).

Dans une étude d’ensemble des problèmes posés par ce document, M.-Chr. Marcellesi fait justice d’une analyse malheureuse de M. Vickers[817]. Est repoussée aussi, à juste titre, l’hypothèse d’une usure des phiales. En outre, tout en acceptant notre point de vue sur l’origine des drachmes mentionnées, qui ne sauraient être que des drachmes rhodiennes, M.-Chr. Marcellesi critique également l’hypothèse du salaire de l'artisan : selon elle, on voit mal pourquoi ce salaire, qui aurait été prélevé sur la somme fournie par les magistrats ou prêtres sortant de charge, aurait varié d’une coupe à l’autre – argument incontestablement tout à fait recevable ; au demeurant, on n’aurait aucune idée de ce que pouvait être le salaire d'un artisan pour un travail de ce type.

M.-Chr. Marcellesi propose donc une autre explication, dont elle considère qu'elle serait corroborée par les inscriptions de Didymes et de Délos. Selon elle, la solution résiderait dans le fait que, faute de disposer de poids de petites dimensions permettant une pesée de précision, on aurait tout simplement utilisé des pièces (en fait, des pièces à fleur de coin) pour opérer la pesée des offrandes : “Le bon état des monnaies pourrait s’expliquer par le fait qu'Amos, petite localité de Carie, n’est pas un lieu d’échanges très intenses et que les monnaies frappées récemment à Rhodes arrivent rapidement dans les caisses publiques ou sacrées, vraisemblablement parce qu'elles sont peu utilisées dans les échanges quotidiens. Il est possible aussi que les trésoriers du sanctuaire aient pris soin de réserver à la pesée des offrandes des monnaies à fleur de coin”[818]. D’où apparemment la diversité des poids relevés.

La thèse de la “pesée par les monnaies”

La pesée d'offrandes au moyen de pièces de monnaies – dans un plateau de la balance les offrandes, dans l’autre des pièces servant comme instrument de mesure –, est une idée qui a cours depuis longtemps et qui a déjà été soutenue à propos des inventaires soit de Délos, soit de Didymes, soit des deux sanctuaires, par Th. Homolle[819], J. Coupry[820], C. H. Grayson[821] (et à sa suite par D. M. Lewis, M. Vickers et T. Linders[822],) L. Migeotte[823] et O. Picard[824].

Disons d’emblée que cette hypothèse d'une pesée à l'aide de pièces de monnaies ne peut être tenue pour satisfaisante. On sait en effet que les cités considéraient comme indispensable d'avoir des mesures étalons pour les produits de l'agora, liquides ou solides, huile, blé, noix ou autre, mais aussi pour les amphores ou pour les tuiles[825] ; qu'à Athènes on jugeait nécessaire d'avoir des magistrats spécialisés, les métronomes, pour contrôler les poids et mesures[826], la charge incombant ailleurs à d’autres magistrats du marché, en général les agoranomes[827] (et aussi, surtout à l’époque impériale et byzantine, aux ζυγοστάται[828],) qu'enfin on prenait un soin particulier à vérifer les pesées sur l’agora, comme le prouvent les grandes quantités de poids retrouvées sur tous les sites où on se livrait à des transactions[829]. Dans ces conditions, comment admettre que, s'agissant de métaux précieux, donc de produits d'une valeur bien plus considérable, on ait laissé régner flou et approximation, comme s'il s'était agi de questions sans importance ? Quand on sait que dans les sanctuaires – et aussi à Amos – on pouvait tenir des comptabilités allant jusqu’à l’obole ou à la fraction d'obole, il paraît difficile de croire que la pesée des objets précieux ait fait l'objet d'un traitement aussi négligent. Comment aurait-on pu être si rigoureux sur l'agora au profit de l’acheteur d'une mesure de blé, pour prévenir une éventuelle fraude représentant une valeur de quelques fractions d’oboles, et si laxiste dans les sanctuaires quand il s'agissait de peser des métaux précieux, argent ou or, pour servir les intérêts de la divinité, et pour des sommes pouvant aller jusqu'à plusieurs drachmes ou plusieurs dizaines de drachmes ?

En effet, le commun des mortels ne pouvait ignorer que toutes les pièces n'étaient pas exactement du même poids[830]. A fortiori, les manieurs d'argent et les spécialistes des finances devaient avoir l'expérience des légères différences entre les pièces. Pour cela, le calcul du poids exact de la pièce n'était même pas nécessaire. Il suffisait de peser deux pièces l'une par rapport à l'autre pour constater que les deux plateaux de la balance ne s'équilibraient pas : le fait que, dans l'usage quotidien, on ait non pas pesé mais compté les pièces[831] ne signifie pas qu'on n'ait pas perçu cette donnée élémentaire. Or, les spécialistes des comptes ne pouvaient ignorer qu'utiliser des poids de référence inférieurs à la norme aurait conduit à gonfler artificiellement le montant des sommes calculées : pour un objet pesant autour de 100 drachmes, comme c'est le cas pour la majorité des phiales d'Amos, qui étaient en argent, l'erreur aurait très vite atteint plusieurs drachmes[832]. Pour le même objet mais cette fois en or, la même erreur de quelques drachmes sur le poids se serait soldée par une erreur de plusieurs dizaines de drachmes en équivalent argent[833]. Une erreur d'une telle ampleur ne laisserait pas d'étonner et, au minimum, nécessiterait quelque justification supplémentaire.

Il est vrai que, selon certains auteurs, les Grecs auraient été incapables de pesées ayant une quelconque précision et d'ordinaire n'auraient même pas fait usage de poids[834]. Cette thèse est totalement démentie par les témoignages épigraphiques et archéologiques. Ainsi, la loi délienne sur le commerce du charbon de bois indique explicitement que l’une des tâches des agoranomes était de remettre aux commerçants qui étaient en règle de leur déclaration de prix la balance et les poids et mesures dont ils devraient se servir dans les échanges[835] ; de même, le décret athénien sur les poids et mesures de la fin du iie s. enjoint explicitement aux magistrats responsables[836] de fabriquer des copies des poids-étalons pouries remettre aux commerçants et interdit l’usage de tout autre poids ou mesure[837]. On ne doit pas douter qu’il en allait plus ou moins de même partout et que c'est la raison pour laquelle, à Athènes ou à Olympie par exemple, on a retrouvé des centaines de poids commerciaux, qui étaient remis aux utilisateurs par les magistrats.

Sans aller aussi loin[838], M.-Chr. Marcellesi considère qu'alors que, par la pesée à l'aide de monnaies, “les subdivisions de la drachme permettaient d'obtenir une grande précision... au contraire, les poids que l'on a pu retrouver, sur l'agora d'Athènes ou à Olympie par exemple, sont rarement inférieurs à 100 ou 200g”. Et d'ajouter : “Cette rareté des poids légers est-elle duc seulement aux aléas de l'archéologie ?”[839] Ce dernier facteur a pourtant sans doute eu un rôle non négligeable : de bronze ou de plomb, des poids de module élevé ont bien plus de chance de s'être conservés – et d'avoir été identités – que des poids pesant quelques grammes, a fortiori s'il s’agit de poids pesant moins d'un gramme[840]. Mais on concédera volontiers que d'ordinaire, sur l'agora, les marchands avaient bien davantage besoin de poids de plusieurs dizaines et centaines de grammes ou davantage (la mine et ses subdivisions ou ses multiples), plutôt que de poids d'une drachme ou moins, dont l'usage ne pouvait intéresser que des spécialistes de produits de valeur (pierres ou métaux précieux en particulier). A Athènes, il existait en fait une série de modules allant de 100 à 1 dr., en particulier entre 10 dr. et 1 dr., chaque module étant connu par un nombre suffisant d'exemplaires pour qu’on ne puisse douter que de tels poids étaient non seulement connus mais d'usage courant[841]. En outre, il existait même des poids de 4, 3, 2 et 1 obole, comme le montrait déjà le catalogue de Pernice en 1894[842].

Module (en ob.) No Pernice Symbole Poids (g) Poids rapporté à 1 dr. att. (4,366 g théor.)
4 556-557 556 : T 2,85 - 2,72 4,28 - 4,08
3 558-559 558-559 : ||| 2,07 - 2,04 4,14 - 4,08
2 560 560 :.· 1,55 4,65
1 561-562 561 : | 0,665 - 0,65 3,99 - 3.90

On voit que l'ajustement de ces poids n'est pas parfait, l'écart par rapport au poids standard oscillant entre 2 % (pour un poids rapporté à la drachme de 4,28 g, nº 556) rapporté à une drachme et près de 11 % (pour 3,90 g, nº 561). Cependant, s'agissant de faibles modules et pour des poids de bronze ou de plomb, il est hors de doute que l'erreur liée aux conditions de conservation de l'objet (usure ou oxydation) a joué un rôle significatif pour le niveau des poids que nous pouvons observer, en proportion plus important que pour des poids de grand module, d’autant que la variation de poids porte sur quelques dixièmes de gramme seulement : par comparaison avec des pièces de métal inaltérable, or ou argent, c'est un facteur dont on doit absolument tenir compte dans l'évaluation des poids que l'on peut observer aujourd'hui. Il est vrai cependant aussi que le degré de précision que l'on pouvait atteindre pour les poids officiels de petit module reste un problème qui mériterait un nouvel examen. On se gardera néanmoins de conclure qu'en la matière régnaient amateurisme et imprécision et il paraît plus réaliste de considérer que, au moins pour les pesées de précision, les magistrats disposaient effectivement de poids convenablement réglés, avec une variation par rapport au poids défini inférieure à 1 %. Au reste, c'est précisément à Rhodes en ces années de la fin du iiie et du début du iie s., que l’on voit comment la cité pouvait jouer sur la valeur de l'unité monétaire, produisant d’abord des drachmes à c. 3,2 g, puis des drachmes légères à c. 2,70 g, puis établissant le niveau des drachmes plinthophores à c. 3 g ou un peu plus[843]. Il n'y a donc aucun doute que, au moins dans les ateliers monétaires, il existait des spécialistes et des instruments capables de faire des pesées d’une précision de l'ordre du dixième de gramme ou moins[844]. De la sorte, au ve s., on trouve dans certaines cités des pièces d’argent, subdivisions de l'obole, qui ne pèsent pas plus de c. 0,20 g (et parfois moins), ce qui prouve que l'on savait parfaitement établir des modules sur des subdivisions de l'obole[845]. La pharmacie grecque, d'époque romaine il est vrai, connaissait aussi des poids allant jusqu'à la subdivision de l'obole[846].

Certes, l'imprécision jouait lorsqu'il s'agissait de produire en série des dizaines ou des centaines de milliers de pièces fixées à un même module[847] – et c'est précisément la raison pour laquelle la pesée à l'aide de monnaies n'aurait pu être que fort imprécise –, l'erreur relative devenant d'autant plus importante que le module était faible. En revanche, pour la fixation de l'étalon de référence lui-même, il ne devrait pas faire de doute que la technologie des Grecs leur permettait de fixer avec une précision satisfaisante des modules inférieurs à la drachme, et même à l'obole. Plus généralement, même s'il ne peut être question de s'étendre sur le sujet, affirmer que, même pour les métaux précieux, les Grecs auraient disposé de techniques de mesure trop imprécises pour qu'ils aient pu tenir compte de poids de l'ordre de la dizaine de grammes ou du gramme, et même du dixième de gramme, relève donc à coup sûr d'une conception erronée. Dans l'antiquité comme de nos jours, toutes les pesées ne se faisaient pas avec le même souci de précision : l’épicier n’a pas à atteindre le même degré de précision que le bijoutier. En outre, s’agissant des pesées de précision, on doit veiller à ne pas confondre deux niveaux : 1) La réalité, c'est-à-dire des pesées dont l’exactitude devait au reste être variable, avec des erreurs relatives qui selon les cas devaient fréquemment être de l'ordre du 1/100 (i.e. 1/100 ou plus), mais parfois atteindre un degré de précision supérieur à 1/100 – 2) La conscience qu’on avait de cette réalité, c'est-à-dire du degré d'exactitude ou d’inexactitude de ces pesées[848]. Lorsqu'on pesait des objets précieux, on avait le souci d'atteindre un degré de précision jusqu'à l'obole, c'est-à-dire jusqu'à moins d'un gramme (une obole attique d'époque classique pèse théoriquement 0,722 g. une obole rhodienne du iiie s. c. 0,56 g) : c'est ce que montrent les chiffres des inventaires d'Athènes, de Délos, de Didymes, d'Amos ou d'ailleurs. Il est vraisemblable que pour des objets de plusieurs centaines de grammes un degré de précision de l'ordre du dixième de gramme était rarement atteint. En revanche, affirmer qu'on ne recherchait pas cette précision serait une profonde erreur. Ainsi, à Délos, on voit qu'on a le souci d'utiliser une “petite balance” – on dirait aujourd'hui une balance de précision – pour certaines pesées d'objets en argent[849]. En outre, on a trouvé à Délos une série de fragments de balances, à deux plateaux ou du type “balance romaine” avec fléau gradué, ainsi que de nombreux poids de pierre ou de métal[850]. On est pour le moment plus mal renseigné sur Rhodes hellénistique, mais, à Lindos, les couches archaïques et classiques du sanctuaire d’Athéna sur l’acropole ont livré plusieurs exemplaires de poids de bronze ou de plomb, ainsi que des plateaux de balance de petit diamètre (6,5 cm), munis de trois petits trous de suspension[851]. Nul doute donc que, dans une cité donnée, l'usage de la même balance et de poids officiels (et non pas de pièces de monnaie) permettait de limiter les erreurs de pesée[852].

Ajoutons encore qu'il semble bien que ce soit un personnel spécialisé qui accomplissait ces pesées ; ainsi, dans le sanctuaire d'Artémis à Éphèse, c'était un ζυγοστάτης esclave sacré de la déesse qui tout à la fois accomplissait ces pesées et manifestement en était responsable, avec toutes les sanctions que pouvait encourir un esclave en cas de manquement[853].

Il n’est donc pas vraisemblable que non seulement à Amos (qui n'était nullement un obscur village arriéré, comme il est souligné ci-après), mais aussi à Athènes ou à Délos par exemple on n'ait pas disposé d'instruments de mesure satisfaisants (balance et poids) pour peser des offrandes d’or ou d'argent. Admettons cependant par hypothèse que, par exemple par commodité, l'on ait opéré ces pesées à l’aide de monnaies. On doit aussi se poser la question de la portée, de la raison, de la signification de ces pesées dont le résultat était soigneusement relevé : on sait qu'il s'agissait d'évaluer la richesse du “propriétaire” du dépôt, d'ordinaire une divinité, sous forme d'un bilan à conserver dans les archives mais souvent en outre gravé sur pierre pour le mettre à la vue de tous[854]. Autant que faire se pouvait, on avait donc intérêt à disposer de chiffres établis sur une base aussi incontestable que possible. L'imprécision liée à l'usage des monnaies, dont on savait qu’elles étaient de poids variable, n'aurait guère permis d’obtenir ce résultat.

Admettons encore néanmoins que l'hypothèse de la pesée à l'aide de pièces soit la bonne et suivons maintenant dans le détail le raisonnement qui nous est proposé : “Pour une phiale de 430 g, si la pesée est faite avec des monnaies attiques à fleur de coin de 4,3 g en moyenne, le poids indiqué sera de 100 drachmes. Si la pesée est faite avec des monnaies usées, de 4,25 g en moyenne, le poids obtenu sera supérieur à 101 drachmes. A Amos, les poids étant le plus souvent inférieurs à un chiffre rond, on peut en déduire que les monnaies utilisées pour la pesée sont des monnaies à fleur de coin. Il y en aurait donc eu, dans la caisse des trésoriers, au moins 150 drachmes ou l’équivalent, par exemple 75 didrachmes, en bon état, ayant peu circulé”[855]. Comme, toujours selon cette hypothèse, Amos aurait été un endroit où les échanges auraient été peu intenses et la circulation monétaire faible, il ne serait pas étonnant qu'on ait conservé de telles monnaies à fleur de coin dans les réserves du sanctuaire. On constate en effet que les chiffres donnés dans les inventaires d’Amos sont tous (sauf le poids de “80 drachmes” sur lequel on verra le commentaire proposé ci-après) inférieurs à un chiffre rond, 100 (4 occurrences certaines, peut-être – vraisemblablement – davantage) ou 150 drachmes (1 occurrence certaine et pas davantage). Dans l'hypothèse qui nous est proposée, à supposer qu'une phiale ait pour de bon pesé 100 drachmes, pour parvenir à des chiffres inférieurs à 100 drachmes il faudrait donc admettre que les pièces ayant servi à la pesée aient été non seulement a fleur de coin, mais que, prises ensemble, les 100 pièces de 1 drachme, 50 didrachmes ou 25 tétradrachmes aient eu en moyenne un poids supérieur au poids standard. Il est bien peu probable qu’il en ait été ainsi. Il semble que le détail du raisonnement ne vaille pas d’être poursuivi (si l'on admet que c'étaient les pièces qui avaient exactement le poids voulu, comment expliquer le déficit présenté par les phiales ?). Telle est l'impasse à laquelle on se condamne si l'on n'admet pas au départ une pesée avec un étalon de référence : on ne saurait peser l'un par rapport à l'autre deux éléments dont le poids de l'un n'a pas été préalablement défini et ne peut servir d'étalon.

Un point de détail vient ajouter à la difficulté que l'on ressent à accepter l’hypothèse de la pesée à l’aide de monnaies. L’un des chiffres de l’inventaire d’Amos comporte la mention de 4 oboles. Or, selon M.-Chr. Marcellesi, à la fin du iiie s. ou au début du iie s. Rhodes ne possédait pas de monnaies d'argent de valeur inférieure à l'hémidrachme. Comment aurait-on donc pu calculer cette valeur d'une obole d'argent ? M.-Chr. Marcellesi considère que les monnaies de bronze avaient un poids trop fluctuant pour qu’on puisse les utiliser comme instrument de pesée et elle suppose que le texte de l'inscription doit être corrigé : il faudrait lire 3 oboles et non 4. Mais ces arguments sont désespérés. Tout d'abord, on doit relever qu'il existait bien à Rhodes des dioboles d’argent, et cela du ive au iie s. a.C. Ensuite, s’agissant des monnaies de bronze, ce n'est pas leur poids fluctuant qui aurait interdit d'utiliser des monnaies dans des pesées, mais tout simplement le fait que, leur métal ayant une valeur plus faible que celui des monnaies d'argent, elles avaient un poids qui les faisait entrer dans une autre série de modules pondéraux que les monnaies d'argent : déterminer le poids d’une obole d'argent à c. 0,55 g (en admettant qu’il s'agissait de l'étalon du iiie s. à c. 3,375 g) à l'aide de pièces de bronze pesant plusieurs grammes est une opération qui n'a pas de sens[856]. Cette simple mention d'un chiffre de 4 oboles, que rien n’invite à corriger, suffit à faire douter de l'hypothèse qui nous est présentée.

Contre la théorie de la “pesée par les monnaies”, ajoutons encore qu’utiliser des pièces comme instrument de référence aurait inévitablement conduit à une surévaluation systématique des pesées. A la fin du iiie s., les tétradrachmes rhodiens avaient un poids de c. 13,5 g, et les didrachmes un poids moyen de 6,60-6,65 g, tout proche de leur poids nominal de 6,75 g (déviation de 2 % par rapport à la moitié du tétradrachme). Le poids des drachmes de la même époque paraît cependant avoir été réglé autour de 3,2 g, donc avec une déviation supérieure (plus de 5 % par rapport au quart du tétradrachme). On a rappelé plus haut que la plage de variation des pièces – y compris des pièces neuves – était importante : ainsi, les didrachmes rhodiens, qui étaient la pièce la plus répandue au iiie s., avaient un poids qui en général pouvait varier entre c. 6,20 et 6,89 g[857]. Que par malchance, sans le savoir, on ait utilisé pour les pesées une série de pièces de module sensiblement inférieur à la norme, par exemple une série de didrachmes autour de 6,3 g, et l’on aurait d’emblée atteint une déviation de 6 % par rapport au poids canonique attendu de 6,75 g, et encore une déviation de 5 % en utilisant des drachmes qui en moyenne auraient eu leur poids standard de 3,2 g. On aurait eu là une source d’erreurs de pesée (surestimation des poids) qui aurait été insupportable.

La fabrication des phiales

La question du déficit du poids effectif des offrandes par rapport à leur poids nominal est en réalité un problème classique[858]. Pour D. M. Lewis, faire la dédicace d’une couronne d’or de 500 drachmes (d’argent) signifiait qu'on avait dépensé 500 drachmes, et non pas que la couronne devait peser 500 drachmes d’or[859]. C’est ce principe qu’il a appliqué aux offrandes en or des inventaires athéniens pour calculer le rapport or/argent à Athènes aux ve et ive s. Il est vrai que, quelles que soient les déductions à faire à la somme libellée en argent (dans son article de 1968 D. M. Lewis ne signalait lui-même que le salaire de l'artisan), elles s’appliqueraient uniformément à la série d’objets considérés et ne modifieraient donc pas la courbe d’évolution du rapport/argent[860]. Valable en ce qu’il souligne qu’il s'agit bien d'une dépense de 500 dr. (d'argent) et non d'un poids en or, le principe selon lequel une offrande d’un poids de x drachmes correspondait à une dépense de x drachmes ne peut cependant être accepté à la lettre, comme le cas des phiales d’Amos le montre de manière éloquente. Si l'on l’appliquait aux “phiales de 100 drachmes” d’Amos (qui en réalité pouvaient peser par exemple 97 dr. 4 ob., 1. 37, ou 98 dr., 1. 25), on devrait considérer que la dépense des dédicants aurait été de 100 dr. seulement. Or trois éléments, dont deux ont été mis en évidence par D. M. Lewis lui-même, montrent qu'il ne peut en avoir été ainsi.

• Le premier point est celui du salaire de l'artisan. Malgré M.-Chr. Marcellesi, on doit relever qu'il n'est pas exact d'affirmer que l'on n'ait aucune idée du salaire des artisans orfèvres. Pour Athènes, avec beaucoup de prudence il est vrai, D. M. Lewis a retenu des coûts de fabrication à c. 6-7 % de la valeur de l'objet[861]. A Délos, l’inventaire IG, XI.2, 161A (279 a.C.) évoque directement des salaires d'artisan, comme l'a bien vu M. Vickers[862]. L'orfèvre Aristarchos est payé 2 dr. pour fixer une anse d'un cratère d'argent qui s'était détachée[863], 1 dr. 1 ob. 1/2 pour réparer des coupes[864], enfin 1 dr. pour réparer le pied d'un côthôn de bronze (une grande coupe à boire)[865]. Certes, on ne connaît pas le niveau des prix et des salaires à Rhodes à la fin du iiie s. ou au début du iie s. et rien ne dit qu’ils aient été les mêmes qu'à Délos au début du iiie s. Cependant, toutes choses égales, on peut tout de même estimer que s'il fallait 2 dr. pour réparer une anse, en y ajoutant en outre les quelques oboles du charbon de bois nécessaire à l’opération comme le montrent les parallèles déliens[866], même à Rhodes au début du iie s. le coût de la fabrication d’une phiale devait nécessairement dépasser les deux drachmes. Pour une phiale de 100 dr., un coût de fabrication de c. 6-8 dr., compte tenu des fournitures annexes, paraît donc une estimation raisonnable.

• Le second point est celui de la perte à la fonte et au travail de l'objet. Même avec des techniques modernes, il semble qu'on ne puisse aujourd'hui tomber en dessous de 1 %, ne serait-ce que par sublimation du métal. Dans un cas de refonte à Athènes, on constate une perte de l'ordre de 10 %[867], dans un autre de 6 %[868]. Il est impossible de connaître avec exactitude le coefficient de perte à la fonte et au travail à Rhodes, mais on ne voit guère comment il aurait pu être inférieur à c. 4-5 %.

• Un troisième point, négligé cette fois par D. M. Lewis, doit encore être évoqué : celui du poids effectif des monnaies. Comme on l’a vu précédemment, ces monnaies n'avaient pas toutes le poids qu'elles auraient dû avoir. Même s'il est vrai qu'à Rhodes la divergence d'avec le poids nominal paraît avoir été moins grande que dans d’autres cités, elle ne contredit pas la règle, qui vaudrait seulement ailleurs avec plus de force, selon laquelle les didrachmes et les drachmes des cités hellénistiques étaient frappés à moins de la moitié ou du quart du tétradrachme[869]. Ensuite, leur circulation plus ou moins longue leur faisait perdre une fraction supplémentaire, même très faible, de leur poids standard (c’est la question du frai des monnaies[870].)

On peut maintenant tenter de reconstituer le processus de fabrication et le coût d'une phiale d'Amos, qui devait peser “environ 100 dr.”, et non pas correspondre à une dépense de 100 dr. pour les dédicants, comme le montre par exemple un décret attique du dème d’Acharncs qui signale qu'un magistrat a fait fabriquer une phiale “pesant une mine d'argent, selon la loi” ([φ]ιάλην πεπόηται μ[ν]ᾶν ἄγουσα|ν ἀργυρίου [κ]ατὰ [τὸν νόμον], Steinhauer 1992, 1. 7-8). Il fallait d'abord réserver 6 à 8 dr. comme salaire de l’artisan. Ensuite, on devait tenir compte de la perte à la fonte et du poids nécessairement mal ajusté des monnaies. On peut imaginer que les dédicants faisaient peser, pour un poids convenu, les pièces qu’ils remettaient – ils avaient donc intérêt à remettre des tétradrachmes, d'un poids mieux ajusté que celui des didrachmes et des drachmes, limitant ainsi la perte en valeur monétaire à 1 ou 2 dr. peut-être[871]. Le poids de métal convenu avec l'artisan était nécessairement supérieur au poids-objectif de 100 dr., peut-être majoré forfaitairement de 5 dr., à charge pour l’artisan de contenir la perte à la fonte dans des limites qui vraisemblablement étaient fixées par avance dans le contrat de fabrication, sous peine de pénalité, cela pour éviter la fraude : une pesée de contrôle lors de la remise de la phiale par l’artisan devait permettre d'en apporter la preuve. Au total, pour une “phiale de 100 dr.”, la dépense effective ne peut guère avoir été inférieure à c. 113-115 dr.

Ainsi s’explique au mieux la différence entre poids nominal et poids effectif. Les “phiales de 100 dr.” d’Amos, Didymes, Myonte, Bargylia, Mylasa, etc., relèvent du même processus de fabrication, de même que plus généralement, dans toutes les cités, toutes les offrandes dont le poids était rituellement fixé à l’avance[872]. Le poids effectif était en général légèrement inférieur au poids-objectif. Mais ce n'était pas toujours le cas. C’est ainsi qu’on peut expliquer comment, à Athènes au ive s., sur les vingt premières hydries d'argent du sanctuaire d’Athéna d’un poids nominal de 1 000 dr., 18 aient un poids légèrement inférieur au poids-objectif, mais deux d’entre elles aient un poids supérieur à celui-ci[873]. Cette donnée resterait tout à fait inexplicable en dehors de la théorie du “poids-objectif” précédemment exposée[874].

On voit qu’on n’a nul besoin d’avoir recours à la thèse de la “pesée par les monnaies” pour expliquer le déficit pondéral des offrandes par rapport à leur poids nominal. Malgré tout, dans la mesure où l’on a pensé pouvoir s'appuyer sur certains formulaires des inscriptions de Délos et de Didymes pour justifier cette thèse, il convient donc encore de lever ces objections censées avoir une valeur décisive, la première étant la mention de pesées πρὸς ἀργύριον à Délos, la seconde celle de mentions d'objets sans précision d'ολκῆς καὶ νομίσματος dans les inscriptions de Didymes.

ΠΡΟΣ ΑΡΓΥΡIOΝ DANS LES SOURCES LITTÉRAIRES ET LES PAPYRI

Le sens de la formule πρὸς ἀργύριον, qu’on trouve à de nombreuses reprises dans la littérature, les incriptions et les papyri, mérite d’être examiné en détail. Lorsqu’elle n'indique pas qu'une action est accomplie “dans le but” d’obtenir de l’argent (sens du dictionnaire LSJ, III.3)[875], elle signale d’ordinaire une “estimation de valeur en argent” (LSJ, III.4), donc, par elle-même, elle n'implique en aucune façon le recours physique à des pièces pesées ou comptées. Retenons quelques exemples significatifs. Ainsi. Isocrate rappelle que les hommes du temps passé, ceux de la génération des Guerres Médiques, “ne mesuraient par leur bonheur à l’argent” (οὐδὲ πρὸς ἀργύριον τὴν εὐδαιμονίαν ἔκρινον)[876]. De même, Denys d'Halicarnasse signale que le roi de Rome Servius Tullius “ayant pris ces dispositions, ordonna que tous les Romains fassent la déclaration de leurs biens et leur estimation en argent, après avoir prêté le serment légal” (ταῦτα καταστησάμενος ἐκέλευσεν ἅπαντας Ῥωμαίους ἀπογράφεσθαί τε καὶ τιμᾶσθαι τὰς οὐσίας πρὸς ἀργύριον ὀμόσαντας τὸν νόμιμον ὅρκον)[877]. On s'approche encore davantage du concret avec Théophraste qui, de deux variétés de “baume de la Mecque”, signale que “l'une était vendue pure à deux fois son poids d'argent, l'autre en proportion du mélange” (πωλεῖσθαι δὲ τὸ μὲν ἄκρατον δὶς πρὸς ἀργύριον τὸ δ’ ἄλλο κατὰ λόγον τῆς μίξεως)[878]. Plutarque mentionne que, au moment de la campagne d'Antoine contre les Parthes, “on dit que le boisseau attique de blé se vendait cinquante drachmes et que les pains d’orge se vendaient leur pesant d’argent” (λέγεται δὲ χοῖνιξ Ἀττικὴ πυρῶν πεντήκοντα δραχμῶν ὤνιος γενέσθαι, τοὺς δὲ κριθίνους ἄρτους πρὸς ἀργύριον ἰστάντες ἀπεδίδοντο)[879]. A supposer qu'il ne s’agisse pas seulement d'une image (ce qui est en réalité le plus probable), on voit que même dans le cas où il faudrait prendre ces formules en un sens littéral, il est clair que rien n'obligerait à admettre une pesée au moyen de monnaies.

Sur les dizaines de mentions de l’expression πρὸς ἀργύριον qui toutes entrent dans l'une des deux catégories précitées, il ne reste à notre connaissance qu'un seul cas qui puisse faire directement allusion à une pesée de monnaies. Il s'agit d'une pratique cultuelle qui nous ramène en Égypte. Hérodote (2.65) signale : “Les habitants de ces villes s'acquittent chacun de leurs vœux en priant le dieu auquel l'animal est consacré ; pour cela, ils rasent la tête de leurs entants, soit en totalité, soit à moitié, soit au tiers, et ils pèsent les cheveux au poids de l’argent ; l'argent pesé, ils le donnent à la gardienne des animaux, qui en échange de cet argent, fournit à ses bêtes des poissons coupés par ses soins. Telle est la nourriture qu'il reçoivent” (οἱ δὲ ἐν τῇσι πόλισι ἕκαστοι εὐχὰς τάσδε σφι ἀποτελέουσι εὐχόμενοι τῷ θεῷ τοῦ ἂν ᾖ τὸ θηρίον ξυροῦντες τῶν παιδίων ἢ πᾶσαν τὴν κεφαλἠν ἢ τὸ ἥμισυ ἢ τὸ τρίτον μέρος τῆς κεφαλῆς, ἱστᾶσι σταθμῷ πρὸς ἀργύριον τὰς τρίχας· τὸ δ’ ἂν ἑλκύσῃ, τοῦτο τῇ μελεδωνῷ τῶν θηρίων διδοῖ · ἡ δ’ ἀντ’ αὐτοῦ τάμνουσα ἰχθῦς παρέχει βορὴν τοῖσι θηρίοισι. Τροφὴ μὲν δὴ αὐτοῖσι τοιαύτη ἀποδέδεκται)[880]. Cette fois-ci, il ne fait aucun doute qu’on a bien affaire à une pesée d'argent. A l’époque d’Hérodote, il ne s’agit probablement pas encore d’argent monnayé, même si les Grecs l’introduisirent en Égypte depuis le tournant du vie et du ve s. En l’occurrence, l'argent servait à acheter du poisson et servait donc indubitablement d'instrument d’échange.

C'est à la même pratique que fait allusion Diodore (1.83.2) et le changement dans le détail de l’expression mérite d'être relevé : “Les habitants de l'Égypte font des vœux aux divinités pour leurs enfants sauvés de maladie. Après leur avoir rasé les cheveux et pesé leur poids d’argent ou d’or, ils donnent le montant du numéraire aux gardiens des animaux précédemment évoqués” (ποιοῦνται δὲ καὶ θεοῖς τισιν εὐχὰς ὑπὲρ τῶν παίδων οἱ κατ’ Αἴγυπτον τῶν ἐκ τῆς νόσου σωθέντων· ξυρήσαντες γὰρ τὰς τρίχας καὶ πρὸς ἀργύριον ἢ χρυσίον στήσαντες διδόασι τὸ νόμισμα τοῖς ἐπιμελομένοις τῶν προειρημένων ζῴων)[881]. Cette fois-ci, la monnaie étant devenu d'usage courant en Égypte, il est normal que Diodore évoque le νόμισμα, qui est ici sans aucun doute possible du numéraire. Pour autant, s’agit-il de “pesée par les monnaies” ? En aucune façon : en effet, on voit que ce n’est pas le poids des cheveux qui est déterminé par le montant en numéraire, mais bien le poids du numéraire qui est déterminé par le poids des cheveux, ce qui est radicalement l’inverse d’une “pesée par les monnaies”. En d’autres termes, on ne se soucie pas de peser les cheveux : pour cela, on n'aurait nullement eu besoin de pièces de monnaies. Il s’agit en tait, dans le cadre d’une procédure rituelle, et non pas d'une procédure technique, de “rendre” au dieu en argent autant que ce qu'il a accordé à l’enfant en le sauvant de la maladie. On remarquera que, en la circonstance, par la procédure de la pesée, le numéraire est traité comme du métal non monnayé, même si pour le destinataire final. i.e. le gardien des animaux sacrés, il y avait naturellement avantage à recevoir un poids donné d'argent sous forme de numéraire plutôt que sous forme de métal non monnayé. Or, on sait que c’était une pratique courante, dans la tradition égyptienne et orientale, de peser le métal précieux[882].

Relevons enfin que dans les papyrus égyptiens d'époque ptolémaïque on trouve à de nombreuses reprises (plusieurs dizaines de fois) l’expression πρὸς ἀργύριον pour signaler que des sommes doivent être comptées “selon l’étalon d’argent”. En effet, après l’introduction de la monnaie de bronze, un agio de c. 10 % devait être payé en sus si la somme était versée en monnaie de bronze et non en argent, comme le précise un document de 245 a.C.[883] Ainsi, pour le paiement d’une taxe, on mentionne χαλκοῦ πρὸς ἀργύριον (δραχμὰς) πέντε[884]. L’expression signifie donc alors clairement “selon l’étalon d’argent, sans qu’il soit en aucune façon jamais question de pesée[885].

La conclusion préliminaire qui se dégage de l’analyse de l’emploi de la formule πρὸς ἀργύριον est donc qu’on ne saurait nullement considérer a priori que son emploi doive nécessairement renvoyer à une pesée à l’aide de monnaies, même s’il est vrai que, dans le cas des inventaires de sanctuaire, la formule mérite de recevoir une jutification détaillée. En fait, le mot ἀργύριον signifie certes “argent” (donc peut renvoyer à de l'argent monnayé), mais tout aussi bien “étalon”[886].

ΠΡΟΣ ΑΡΓΥΡΙΟΝ DANS LES DOCUMENTS ATHÉNIENS

On commencera ici volontairement par le document chronologiquement le plus tardif. Il s'agit d'un passage du décret sur les poids et mesures datant du dernier quart du iie s. a.C. Ce document fait apparaître la formule προς άργύριον dans un contexte de pesée[887] : § 4, 1. 29-33 ἀγέτω δὲ καὶ ἠ μνᾶ ὴ ἐμπορική στε[φανηφ|όρου δραχ|μὰς ἐκατὸν τριάκοντα κ[αὶ] ὀκτὼ πρò[ς] τὰ στάθμια τὰ ἐν τῶι ἀργυροκοπίωι [κ]αὶ | [ῥοπ]ὴν σ[τε]φανηφóρου δραχμὰς δεκαδύο, καὶ πωλε[ίτ]ωσαν πάντες τἆλλα πάντα ταύ|[τηι] τῆι μνᾶι πλὴν ὅσα πρòς ἀργύριον διαρρήδην εἴρηται πωλεῖν, ἱστάντες τòν πῆχυν τοῦ ζυγ[οῦ | ἰσόρ]ροπον ἄγοντα τὰς ἐκατὸν πεντήκοντα δραχ[μὰ]ς τοῦ σ[τεφανηφ]όρου. On donnera de ce passage la traduction suivante : “Que la mine commerciale pèse cent trente huit drachmes portant une couronne en fonction des poids de l’atelier monétaire, avec un supplément de douze drachmes portant une couronne, et que tout le monde vende toutes les denrées sur la base de cette mine (sauf pour ce dont il est précisé expressément que la vente doit se taire selon l'unité de poids de l'argent) en plaçant le fléau horizontalement pour l'équivalent de cent cinquante drachmes portant une couronne.” Remarquons au passage, si besoin était, que bien que l'on définisse la mine commerciale par référence à la mine monétaire, il est parfaitement clair dans le passage cité qu’on utilise des poids, στάθμια, pour effectuer la pesée : les στεφανηφόρου δραχμαί dont il est question ici ne sont pas des pièces, mais bien un étalon, celui qui est utilisé aussi bien pour les pièces du Nouveau Style que pour les poids de l’atelier monétaire (où bien évidemment on ne pesait pas les monnaies avec des monnaies mais avec des poids étalonnés). Surtout, M. Lang a clairement expliqué la signification de ces lignes. A Athènes, on distinguait étalon de poids et étalon monétaire. Solon avait fixé la mine commerciale à 105 drachmes monétaires[888]. J. H. Kroll a ainsi publié deux poids attiques (qu’il date du ive s.) en bronze et pouvant donc servir de référence (car moins susceptibles de variations que les poids “ordinaires” en plomb des commerçants), portant la légende δημό(σιυν) et la contremarque officielle de la cité (chouette dressée de face entre deux branches d’olivier, avec les lettres [Θ]ΑΕ) : or, ces deux poids sont respectivement marqués “26 dr. 1 1/2 ob.” et “13 dr. 3/4 ob.”, et correspondent donc à un quart et à un huitième d’une mine commerciale solonienne à 105 dr. d’argent[889]. Plus tard, la mine commerciale évolue encore, pour passer à 110 drachmes[890], puis à 138 drachmes monétaires, avant de connaître une nouvelle mutation (décret de la fin du iie s. a.C.) pour peser 150 drachmes monétaires[891]. Le décret distingue donc le commun des marchandises, qui devait être pesé selon l'étalon de la mine commerciale[892], et une liste fixée de marchandises (or et argent naturellement, mais aussi vaisemblablement liste limitée d'autres marchandises précieuses ou semi-précieuses), qui, elles, devaient être pesées selon l'étalon de l'argent, d’où la traduction de πρὸς ἀργύριον proposée : “selon l'unité de poids de l'argent”, i.e. selon “l'étalon de l'argent”. On voit combien il était important de préciser selon quelle unité se faisait la pesée.

Deux autres documents athéniens, chronologiquement antérieurs au décret de la fin du iie s., font mention de pesée πρòς ἀργύριον. L'inventaire du sanctuaire d'Athéna IG, II2, 1407+1414. 1. 6-7 (385/384 a.C.). dans un contexte malheureusement très mutilé, signale que des objets (travaillés ?) d'ivoire (à la différence d’autres produits comme le bronze) avaient été pesés selon l'étalon de l’argent. Le passage a reçu une intéressante proposition de restitution de A. M. Woodward (ces dernières ici en italiques) : ---] χαλκῆν τὴν ἐν τῷι Παρθενῶνι [ὁμ]ολογόμενον [τό χρυσίον καὶ τòν] | ἐλέφαντα παρέδομεν πρὸς ἀργύριον τὰ στα[θμία ἀντιστήσαντες][893]. Pour A. Μ. Woodward, il s agissait d’une allusion au processus de pesée des différentes parties de la statue chryséléphantine d’Athéna Parthénos[894].

Le second document est un inventaire de l'Asclépiéion. IG, II2, 1534A, réédité par S. Aleshire[895], nº IV, 1. 121, daté par elle de 274/273 a.C. Cet inventaire fait le bilan des offrandes du sanctuaire, en indiquant éventuellement le poids des offrandes vérifié après pesée (parfois en précisant entre les mains de qui se trouvaient les objets manquant), avec si nécessaire les différences d'avec le poids d'un inventaire précédent que les contrôleurs avaient en effet manifestement sous les yeux et qui leur permettait de faire des contrôles et des pesées de vérification[896]. Aux 1. 120-121, l'inventaire nº IV indique donc : [κ]ανοῦν, σταθμὸν : Н НННΔΔΔΔΓ├ : ἀπó τούτου ἐλλείπ ει : ’Ονήτωρ τò ἀνθέμιον : σταθμὸν Δ[.] | [-- c. 15 --] σ[ταθμ]òν πρòς ἀργύριον ἀπήγαγεν : ΓІІІ κτλ. Pour la lacune du début de la ligne 121, dans son apparat critique mais pas dans son texte, S. Aleshire a proposé de restituer [ἀντιστήσαντος τò] σ|ταθμ]òν ?[897] en se fondant, sur la restitution précitée de Woodward pour IG. II2. 1407+1414. 1. 7, et a traduit : “Sacrificial basket, weight 945 dr. ; from this is missing the floral ornament : weight 10+ ( ?) dr. ; Onetor (has it)[898]. There is a déficit in weight. [when *counterweighed] against silver, of 5 dr. 3 ob.” S. Aleshire ne tenait donc pas pour certaine la restitution ἀντιστήσαντος. Même si naturellement le verbe ἀνθίστημι convient à un contexte de pesée[899], il reste qu’il est sans parallèle dans les inventaires d'Asclépios, et surtout peut-être inutile puisqu'ici comme ailleurs il est d’emblée évident qu’on a affaire à une pesée de contrôle. Néanmoins, le parallèle avec l’inventaire athénien reste très instructif en ce qu’il invite à se poser la question de la matière dont était laite la corbeille sacrificielle – ou la partie de la corbeille, en distinguant peut-être le corps de la corbeille de la décoration florale – à laquelle il devait être fait allusion dans la lacune et qui pesait le poids assez considérable de 945 dr.[900] Souvent, de telles corbeilles étaient confectionnées avec l’argent des offrandes qu’on pouvait périodiquement refondre[901]. Mais l’inventaire d’Athéna IG, II2, 1407+1414. 1.21 mentionne un [κα]νοῦν χρυσοῦν ὑπóχαλκον, par quoi il faut sans doute entendre “une corbeille de bronze doré”, comme l’étaient sans doute les στέφανοι ὑπόχαλκοι de l’inventaire d’Asclépios nº III (IG, II2, 1533), 1. 28, de S. Aleshire[902]. En revanche, on relèvera aussi qu’on connaît à Délos des corbeilles en or, mais qui là encore aussi peuvent être composites[903]. Dans l’inventaire de l'Asclépiéion, vu la structure de la phrase, en tenant compte du fait que les autres offrandes peuvent être dans les matières les plus diverses (or, argent, bronze, fer, chalcédoine, cristal) et avec le parallèle de l'inventaire d’Athéna du siècle précédent, plutôt qu’ἀvτιστήσαvoς, on attendrait sans doute davantage la mention d’une autre matière que l’argent dont il fallait préciser qu’elle avait été pesée πρòς ἀργύριον.

Reste à comprendre dans ce contexte le sens de la formule πρòς ἀργύριον, qui n’était pas commenté par A. M. Woodward et S. Aleshire. Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées pour en rendre raison : 1) Qu'on ait pratiqué une opération de pesée particulière dans les cas mentionnés, et uniquement dans ceux-là – 2) Que l’on ait pratiqué toujours une certaine opération de pesée qui, au contraire, aurait été mentionnée uniquement dans ces deux cas – 3) Qu’il s'agisse d'une simple mention aléatoire, d'un ajout correspondant seulement à une variante de formulaire justifiée par un contexte particulier. Les deux premières hypothèses tombent d'elles-mêmes : la première parce qu'on ne voit pas ce qui dans les deux offrandes mentionnées aurait mérité un traitement spécial, et la seconde parce que l'usage de poids est trop bien attesté pour qu’on puisse sérieusement affirmer qu’en Grèce ancienne on ait fait un usage universel des monnaies comme instrument de pesée. Cette mention était donc une simple mention marginale, apparaissant de manière aléatoire lorsqu’on pesait des matières autres que l’argent : on rappelait ainsi qu’elles étaient pesées “selon l’étalon d’argent”, i.e. pas selon l’étalon de la mine commerciale, et qu’on avait donc affaire a des drachmes-poids d’un métal autre que l’argent, mais ici assimilé à l’argent pour le mode de pesée. Les inventaires de Délos confirment ce point de vue et permettent de le justifier de manière complète.

ΠΡΟΣ ΑΡΓΥΡΙΟΝ DANS LES INVENTAIRES DÉLIENS

Dans les inventaires de Délos, la mention de pesée πρòς ἀργύριον ou πρòς ἀργύριον Ἀττικòν ὁλοσχερές a de même paru être un argument incontournable en faveur de la thèse de la “pesée par les monnaies”[904]. On peut pourtant montrer que tel n'est pas le cas.

— Dans les inventaires de l'époque classique, on voit apparaître la mention τάδε πρὸς ἀργύριον ἐστάθη pour indiquer une pesée selon l’étalon d’argent d’objets dont soit la matière est manifestement composite (or et argent, par exemple des statuettes faites d’or et d’argent)[905], soit n’est pas explicitement indiquée mais dont en conséquence on peut aussi supposer qu’elle était tout aussi composite[906]. On soulignait ainsi que ce n’était pas la valeur de l’objet qui était en cause, mais seulement le poids, compté selon l’étalon d’argent.

— Dans des inventaires de l’indépendance où sont mentionnés des objets précieux de nature diverse, en particulier des objets d’or et d’or blanc, la formule προς ἀργύριον apparaît manifestement pour signaler que les objets apparaissant dans la suite du texte sont en argent ou sont assimilés à de l’argent, cf. ID, 298, 1. 161 (240 a.C.), et par la suite pour la même série ID, 314B, 1. 144, restitution (après 235-234).

— Dans un contexte particulier, celui de la mention du poids de couronnes d'or dont le poids est donné en drachmes, apparaît également la formule πρὸς ἀργύριον. Il s'agit de l'inventaire de l'indépendance ID, 442B, 1. 89-91 (179 a.C) : ἄλλος στέ|φανος χρυσοῦς, ὃν ἀνέθηκεν Αεύκιος Κορνήλιος Σκιπίων στρατηγὸς Ῥωμαίων· ὀλ(κὴ) πρòς ἀργύριον ├ Η· ἅλλος στέ|φανος χρυσοῦς ἐλαίας, ὃν ἀνέθηκαν Δηλιάδες χορεῖα στεφανωθεῖσαι ὑπò Λευκίου | Κορνηλίου Σκιπίωνος στρατηγοῦ Ῥωμαίων ὀλ(κὴ) πρὸς ἀργύριον ├ ΔΔΔΔ | || κτλ.[907] Le poids des objets d'or est ordinairement donné en chrysoi (de deux drachmes), mais aussi en drachmes. Bien souvent, y compris pour des objets d'or, on se contente d'indiquer le poids en drachmes. Ainsi, parmi une multitude d'exemples possibles, dans un inventaire de 235 ou 234 : στέφανος χρυσοῦς δάφνης Ξενοφάντου, ὁλκὴ δ[ρα]χμαὶ Δ├├ [├ |] ||[908], et surtout dans le même inventaire ID, 442B, on trouve à des dizaines d'exemplaires un formulaire identique, ainsi par exemple, sous l'archontat de Xénôn, 1. 86 : ἄλλος στέφανος χρυσοῦς δάφνης. Гαίου Λιβίου Ῥωμαίου ἀνάθεμα ὁλ(κὴ) ├ Η. On voit que le poids des phiales d'or des magistrats romains, régulièrement de 100 drachmes (110 pour Titus Quinctius Flamininus ID, 442B, 1. 86, archontat de Xénôn), se retrouve aussi dans les deux entrées en question.

La seule différence d'avec les autres entrées, pour le reste en tous points semblables, tient donc à la mention πρòς ἀργύριον. En revanche, on constate que les deux offrandes ont en commun d'être en or et de se succéder l'une à l'autre dans le groupe des entrées enregistrées sous le même archonte, après une curieuse entrée qui fait mention d'une première couronne d'or, στέφανος χρυσοῦς, ὄν ἀνέθηκεν Τίτος Ῥωμαῖος ὁλ(κὴ) ὀβολοὶ ||. On a vu précédemment que, sous l’archontat de Xénôn, avait été répertoriée la dédicace de Flamininus d'une couronne d'or de 110 dr. Le poids de deux oboles pour la couronne, qui à notre connaissance n’a pas été commenté, est évidemment absurde : il faut supposer que le chiffre principal, libellé en drachmes ou peut-être en chrysoi, a été omis par erreur. Pour les deuxième et troisième couronnes, il s'agissait peut-être seulement de marquer explicitement le retour au système qui prévalait pour les autres offrandes en rappelant que le chiffre indiqué pour le poids des deux couronnes correspondait bien à des drachmes-poids : comme en fait ces drachmes comptabilisaient un poids d'or, on pouvait éventuellement le préciser en utilisant la formule πρὸς ἀργύριον, “selon l'étalon des drachmes d'argent”.

On voit donc que, comme pour les sanctuaires d'Athènes, les arguments en faveur d’une simple mention aléatoire sont les seuls que l’on puisse retenir pour en justifier l’emploi dans les inventaires de Délos. On doit d’abord souligner que, compte tenu des répétitions de formulaires au fil des inventaires pour des objets identiques, la formule apparaît rarement (en fait, compte tenu des répétitions d’un inventaire à l'autre, seulement à trois reprises). Or, Délos a longtemps été sous le contrôle d’Athènes. Sauf entre 404 et 394 et dans les premières années qui ont suivi la Paix du Roi de 386, Athènes a exercé une domination continue sur Délos depuis l’époque de Pisistrate jusqu’à 314. On doit ainsi rappeler qu’au ve s. Athènes avait pris un décret pour imposer aux cités de son empire l’usage des monnaies, mais aussi des poids et mesures attiques[909]. Il paraît donc au moins vraisemblable que, comme Athènes, Délos ait elle aussi connu une distinction entre mine commerciale et mine-argent. On sait en tout cas que ce n’est pas seulement le poids des objets d'or et d'argent qui apparaît dans les comptes et inventaires déliens, mais aussi celui d'une série d'autres denrées ou matières de nature différente : fer, étain, bronze, plomb, bois et charbon de bois, pierre, mais aussi ivoire brut, cire, résine, ocre, blanc de céruse, gomme, pourpre ou bitume[910]. Le décret délien sur le commerce du charbon de bois fait allusion à des σταθμὰ ξυληρά (1. 2) ou à des μέτρα ἀνθρακηρά (1. 40), ce qui montre l'usage d'un système de mesure particulier - mais il est vrai que le bois était un produit tout à fait spécifique[911]. Il est donc probable que, comme à Athènes dans les inventaires d’Athéna et d'Asclépios, c'était pour rappeler la distinction entre mine argent et mine commerciale qu’on mentionnait parfois pour des matières autres que l’argent qu'on avait pratiqué une pesée πρòς ἀργύριον.

— Reste le cas particulier de l’inventaire de 250 a.C., IG, X1.2, 287B, 1. 142-143, qui mentionne à propos d’une liste d'offrandes : ταῦτα ἐστήσαμεν ἐν τῶι ζυγῶι τῶι ἐλάττονι τῶι ἐν τῶι ἀγορανο|μίωι πρòς ἀργύριον Ἀττικòν ὁλοσχερές. On a d’abord expliqué la formule πρòς ἀργύριον Ἀττικòν ὀλοσχερές par référence à une pesée au moyen de monnaies qui soit n’auraient pas subi de frai, soit n’auraient subi aucun rognage ou autre altération volontaire[912]. O. Picard est revenu sur ce point et a montré de manière convaincante qu’ὀλοσχερές renvoyait en l’occurrence à l’étalon attique plein, par rapport à l’étalon réduit que la cité pouvait utiliser dans l'usage ordinaire[913]. Mais il a encore conservé l’idée que la pesée se faisait au moyen de pièces, d’étalon attique plein en l’occurrence. Il faut en fait aller jusqu’au bout du raisonnement et se débarrasser totalement de l’hypothèse de la “pesée par les monnaies”. En réalité, l'expression a ici valeur de précision comptable et indique tout simplement qu’on avait utilisé comme référence de pesée l’étalon attique plein, et non l’étalon réduit auquel on était habitué localement. Cette mention ne prouve donc pas l'existence d'un système pondéral distinct du système monétaire, mais montre en revanche l'existence de deux systèmes d'étalon, un étalon attique réduit et un étalon attique plein.

Pesées et unités de compte

Pour répondre à toutes les objections en faveur de la thèse de la “pesée par les monnaies”, on doit encore rendre compte de l'existence à Olyntpie d'un poids d'argent d'époque classique, aujourd'hui mutilé et pesant 27 g (originellement sans doute c. 31,5 g)[914]. Ce poids est un unicum. Pour justifier de son existence, K. Hitzl évoque le décret IG. II2, 1013, 1. 29-33, et la pesée προς ἀργύριον dont il fait mention. L'existence de ce poids est ainsi justifiée de la sorte : “Es gab offensichtlich immer eine Reihe von kostbaren Waren, die nur in kleinen Mengen mit silbenen Gewichten gewogen werden durften”[915]. Le recours à un poids en argent est justifié par l'idée que, faits de ce métal, les poids pouvaient ainsi être plus exacts que les poids de bronze ou de plomb. Pour justifier de l'existence de ce poids exceptionnel, K. Hitzl donne certes une explication rationnelle : le souci de la précision. En tout état de cause, on voit qu'on est bien loin de l'à peu près de la supposée “pesée par les monnaies”. Cependant, s'il est astucieux, le parallèle avec la formule πρὸς ἀργύριον du décret attique IG, II2, 1013, ne peut emporter la conviction. Les raisons déjà évoquées sur le sens de la formule πρὸς ἀργύριον dans le décret IG, II2, 1013, qui fait allusion à un étalon et non pas, concrètement, à un recours à un poids d'argent, excluent qu'il puisse en être ainsi. Sinon, il faudrait admettre qu'en la circonstance la formule aurait eu deux significations à la fois : recours à l'étalon de l'argent et non pas à celui de la mine commerciale ; utilisation de poids d'argent dans l'opération de pesée. On voit que rien n’invite à admettre cette solution qui aurait rendu la formule plus qu'ambiguë. Au-delà de la question de l'inaltérabilité à très long terme, on voit mal également pourquoi un poids en argent aurait été plus précis qu'un poids en bronze. Reste cependant à justifier de l'existence de ce poids. On pourrait songer à une mesure étalon déposée dans un sanctuaire : le fait que ce poids soit mis sous la protection de la divinité pourrait avoir justifié qu'il soit en argent, métal précieux, donc digne d'un dieu ; en outre, comme le montre le décret IG, II2, 1013, on sait aussi qu’à Athènes existait un système de mesures-étalon, désignées sous le vocable de σύμβολα (1. 7-8), déposées à la Skias (la tholos des prytanes de l’agora), au Pirée, à Éleusis et sur l’acropole (1. 1-2 et 56-57) – mais, il est vrai, rien n’indique que ces mesures-étalon aient été en métal précieux. Sans être nullement exclusive de la précédente, une autre explication peut également être avancée : celle d’une dédicace à Zeus faite par un magistrat (ou un collège) responsable des poids et mesures, qui aurait consacré un poids en argent, montrant sa piété envers la divinité en même temps qu’il accomplissait sa tâche de fabrication de poids de référence[916]. On voit qu’il n’est nul besoin d’avoir recours à une “pesée par les monnaies” pour rendre compte de l’existence de ce poids exceptionnel.

Contre la thèse de la “pesée par les monnaies”, on doit encore évoquer la mention de chrysoi dans les relevés de poids, par exemple, entre autres, à Délos ou à Delphes. Certes, les chrysoi pouvaient être des pièces, des statères didrachmes, mais manifestement, dans les inventaires, ils n’intervenaient que comme référence comptable, de même que pour des unités supérieures on aurait compté en mines ou en talents : c’était un moyen d’écrire un poids sous une forme simplifiée et significative, cela ne signifie nullement qu’on ait opéré une pesée à l'aide de chrysoi. Ainsi, à Délos, le poids de couronnes d’or offertes par la reine Stratonikè est exprimé soit en statères d’or, ὁλκὴ χρυσοί ΔΔΔ├ soit en drachmes ὁλκὴ ├ Δ|||[917] : dans les deux cas, il s’agit d’unité de compte, à moins de supposer que dans le premier cas on aurait effectué une pesée à l’aide de pièces d’or, dans le second de drachmes d’argent, mais apparemment personne n’est allé jusqu’à faire une telle suggestion. Dans les comptes de Delphes, on dénombre les pièces en talents, mines, statères et drachmes, ainsi que dans les unités inférieures à l’obole jusqu’à l’hémiobole : or, on doit relever qu’on le fait non seulement pour les monnaies comptées mais aussi pour l’apousia, elle aussi calculée en mines et statères[918]. Ici. les statères interviennent donc indubitablement comme unité de compte, comme monnaie virtuelle, non comme pièces effectivement comptées, et cela pour indiquer le poids calculé de l’apousia[919]. Nulle difficulté donc à considérer que l’on a pu indifféremment donner le poids d’une couronne soit en chrysoi, l’unité de compte habituelle des pièces d'or du fait de l’existence des pièces correspondantes, soit en drachmes correspondant à un poids d’or, la différence entre les deux chiffres (31 chrysoi = 62 drachmes, quand le montant en drachmes est de 63) pouvant s’expliquer par la plus grande précision que l’on pouvait atteindre par un compte en drachmes. En tout état de cause, ce serait supposer un comportement étrangement primitif de la part des Grecs de l’antiquité que de penser qu’ils n’avaient pas le degré d’abstraction suffisant pour concevoir qu’il n’était pas nécessaire d’avoir de l’or (en l’occurrence sous forme de pièces) pour peser de l'or, de l’argent pour peser de l’argent, etc. ; avec les chiffres données en chrysoi pour les objets d'or, il s’agit bien évidemment du recours à une unité de compte habituelle pour l’or, pas de pesées à l’aide de chrysoi.

On objectera encore cependant qu'il arrive aussi que dans certains comptes des objets pesés plusieurs fois n’aient pas le même poids[920]. Faut-il en conclure, comme on l’a fait, que ces différences tiennent à l’imprécision de la pesée par les monnaies ? En réalité, d’une pesée à l’autre, on sait que les objets pouvaient éventuellement se détériorer, donc que leur poids pouvait diminuer[921]. Lorsqu’on constate en revanche une série de hausses dans le poids de certains objets, comme c'est le cas pour une série de huit couronnes qui avaient été consacrées bien longtemps auparavant à l'époque classique et qui subirent une pesée de contrôle en 279 a.C. (cf. IG, XI.2. 161 B. 1. 107-115), il est clair que cette explication n’est pas tenable. J. Tréheux a supposé que seules furent mentionnées les couronnes dont le poids différait de celui porté sur l'étiquette d’accompagnement[922] ; pour ce qui est de l’augmentation de poids, il a cherché une raison circonstancielle : lors du contrôle effectué en 279, on aurait pesé en même temps l’étiquette d’identification, d’où l’augmentation de poids[923]. On voit aisément que les deux arguments sont contradictoires : si l'on avait effectué les pesées au ive s. sans et, en 279, avec les étiquettes, il resterait à savoir pourquoi seules huit couronnes verraient leur poids augmenter. En outre, même pris séparément, aucun des deux arguments précédents ne peut être suivi.

Tout d’abord, rien ne prouve que le poids de toutes les couronnes ait été vérifié : sinon comment justifier que sur plus de vingt couronnes[924], malgré les détériorations inévitablement intervenues sur des éléments aussi fragiles et avec l’imprécision liée à toute pesée, on soit parvenu exactement au même chiffre, à l’obole près, pour la majorité d’entre elles ? A propos des vingt-sept hydries du trésor d’Athéna d’Athènes dont le poids était rigoureusement identique pendant près de soixante ans, J. Tréheux admettait lui-même qu’une telle absence de changement tenait tout simplement au fait que le poids en était régulièrement reproduit d’année en année, sans nouvelle pesée[925] : pourquoi n’en irait-il pas de même a fortiori pour les couronnes déliennes, subissant une pesée de contrôle des dizaines d'années après avoir été consacrées[926] ? Tout indique donc que seules les huit couronnes en question subirent effectivement une pesée de contrôle, et que pour les autres on se contenta de copier le poids porté sur l’étiquette, comme on l’avait déjà fait si souvent et comme on continuera de le faire par la suite, pour des raisons dont la sécheresse des inventaires ne nous permet pas de prendre connaissance, mais dont on peut penser que la crainte de les détériorer fut l’élément décisif[927].

Ensuite, c’est encore une fois prêter beaucoup d’amateurisme aux préposés aux inventaires que de penser qu’ils ne se rendaient pas compte qu’en pesant la tablette de bois appendue à la couronne, ils ne pouvaient retrouver le chiffre porté sur “l’étiquette”[928]. On sait aussi que, d’ordinaire, on essayait d’éviter de peser ensemble métal précieux et éléments annexes[929]. L’explication par la pesée avec la tablette de bois ne peut non plus rendre compte du fait que les poids du compte de 279 sont variables, alors que si l’on avait pesé des tablettes de poids plus ou moins standard on se serait attendu à trouver des différences uniformes.

Ce problème a suscité une légitime perplexité[930] Plus généralement, en une conception typiquement primitiviste, on a ainsi voulu expliquer les incohérences des pesées, réelles ou supposées, des inventaires déliens par la médiocrité des balances grecques antiques, supposées toujours défectueuses, et par l’usage d’un instrument de mesure aussi médiocre que les pièces de monnaies[931]. On proposera ici aux spécialistes des inventaires une esquisse d’interprétation, en sachant que ce sont en fait toutes les variations de poids d’offrandes qu’il faudrait prendre en compte. Pour les couronnes, les données simplifiées sont les suivantes[932] :

No de la couronne

Poids inscrit

(époque classique)

Poids en 279

(indépendance)

Poids inscrit

/ poids de 279. En %

5

113 dr. 3 ob.

118 dr. 3 ob.

0,958

10

92 dr. 3 ob.

96 dr.

0,963

6

63 dr.

65 dr.

0,969

15

82 dr. 2 ob.

84 dr. 3 ob.

0.974

1 1

66 dr. 4 ob.

68 dr.

0,980

20

100 dr.

101 dr. 3 ob.

0,985

13

82 dr. 5 ob.

83 dr. 3 ob.

0,992

19

82 dr. 2 ob.

82 dr. 3 ob.

0,997

Il est vrai que Délos indépendante utilisait toujours l'étalon attique, comme l'a souligné à juste titre J. Tréheux[933]. Mais on sait que, avec des variantes à la fois locales et chronologiques, l’étalon attique a connu un fléchissement au cours de l'époque hellénistique, comme le montrent entre autres les émissions d’alexandres ou autres monnaies d’étalon attique postérieures au ive s. : pas avant 173/172 pour les tétradrachmes séleucides, à la fin du iiie s. pour les monnaies attalides[934], dès les années 275 manifestement pour les alexandres du Pont comme le montre entre autres le cas des monnaies de Mesembria[935]. Cet étalon attique réduit semble avoir été fondé sur une drachme à c. 4,20 g, et non plus c. 4,366 g, soit c. 0,96 % de la drachme attique “classique”. Si l’on suppose que, à Délos au iiie s., on a utilisé une drachme attique réduite, il faut s'attendre à ce que les objets qui avaient été pesés un siècle auparavant se trouvent réévalués. Or, la convergence des chiffres est tout à fait surprenante et on peut même justifier en détail le poids de ces couronnes.

On ne doit pas négliger que les couronnes ne conservaient pas nécessairement un poids immuable : objets d'une exceptionnelle fragilité, elles étaient par essence sujettes à des pertes de poids, variables de l’une à l’autre. En fait, celles dont le “poids de l’indépendance” est le plus proche de celui du “poids de l’époque classique” sont celles qui avaient le plus perdu de poids, tandis que celles dont le poids a le plus “augmenté” sont en réalité celles dont le poids est resté le plus stable : pour une couronne qui, par hypothèse, aurait gardé son poids de 100 drachmes du ive s., il faudrait s’attendre à trouver un poids de 104 dr. 2 ob. avec l’étalon attique réduit. Les trois couronnes nº 5, 6 et 10, dont le poids de l’époque classique ne représente que c. 0,96 % de celui de l’indépendance, sont donc celles dont le poids ne s’est pas altéré, tandis que les autres, dans des proportions variables, ont en réalité vu leur poids se détériorer. On ne peut qu’être frappé du fait que l’on retrouve le chiffre de 0,96 % de l’étalon ancien, qui était celui qui avait été posé comme hypothèse de départ (correspondant à une pesée avec une drachme à c. 4.20 g). Relevons au passage que cette affaire des huit couronnes déliennes illustrerait parfaitement la question du changement des résultats des pesées quand on modifie l’étalon de référence[936]. On peut enfin observer que l’usage à Délos d'un étalon attique réduit paraît se trouver conforté par l’inventaire de 250 a.C. IG, XI.2, 287B, 1. 143, déjà évoqué, qui à propos d’une liste d’offrandes mentionnait qu’elles avaient été pesées πρòς ἀργύριον Ἀττικòν ὁλοσχερές, “selon l’étalon attique plein”. Il semble donc qu’il existait à Délos un étalon (monétaire) attique réduit, celui précisément qui avait été utilisé pour les couronnes de l’inventaire de 279, distinct d’un étalon (monétaire) attique plein, celui des couronnes de 250.

Pour le reste, le coefficient d’erreur lié à toute pesée peut suffire à expliquer de légères variations aléatoires pour les autres objets pesés à plusieurs reprises[937], sans qu’il soit besoin d’aller chercher l’argument du recours à des monnaies comme instrument de mesure. Mais les autorités des cités ou des sanctuaires n’auraient guère eu intérêt à introduire un coefficient d’erreur incontrôlable venant s’ajouter à l’inévitable coefficient d’erreur des pesées. Enfin, en dehors du cas particulier du monnayage amphictionique émis à Delphes et pendant une courte durée, l’idée que la pesée à l’aide de pièces de monnaies aurait pu avoir pour but de permettre de savoir de combien de pièces on aurait disposé en cas de refonte paraît encore moins défendable dans le cas d’un inventaire de sanctuaire[938] : les autorités monétaires d’une cité pouvaient en avoir le souci (mais alors, précisément, elles n’auraient pas opéré une pesée à l’aide de pièces), pas les autorités d'un sanctuaire.

Ajoutons aussi au passage que, dans les comptes delphiques, le processus de calcul de l'apousia des pièces destinées à la refonte pour fabriquer le nouveau monnayage amphictionique à partir de 336/335 suppose bien évidemment qu'on ait utilisé un étalon incontestable pour peser les pièces anciennes[939]. Et on ne saurait davantage avancer l'argument selon lequel, dans les sanctuaires, on aurait utilisé pour les pesées d’offrandes des pièces réservées à cet effet[940]. En avançant cet argument, en effet, on ne fait que repousser le problème, car il resterait à savoir comment on aurait pu faire pour déterminer quelle pièce avait le poids convenable, et quelle pièce ne l'avait pas.

Pour conclure, on voit qu'il est possible de donner une interprétation synthétique des différents emplois de la formule πρὸς ἀργύριον, qui unifie le sens de ses occurrences dans les sources littéraires, les papyri et les inscriptions. S'appliquant à un objet ou une matière qui n'était pas en argent, ou seulement partiellement, la formule πρὸς ἀργύριον signifie 1) Employée dans un contexte de vente : “au poids de l'argent” (donc selon la valeur de l'argent correspondant à ce poids) – 2) Employée dans un contexte monétaire : “en équivalent selon l'étalon d'argent” (pour des monnaies de bronze) – 3) Employée dans un contexte de pesée : “compté selon l'unité de poids de l'argent”, i.e. comptabilisé à un poids qui serait celui de l'objet ou de la matière si il ou elle était en argent. En d'autres termes, la formule πρòς ἀργύριον signifie toujours “au poids de l'argent”, mais cette formule prend une signification spécifique à son contexte d'utilisation, “en argent compté” (1) ou “en compte d’argent” (2 et 3), selon que l’on mettra au premier plan le métal-argent et sa valeur ou l’unité de référence (monétaire ou métrique) utilisée pour établir la quantité de métal. Pour ce qui est de la formule délienne plus technique πρòς ἀργύριον Ἀττικòν ὁλοσχερές, elle signifie “compté selon l'unité de poids d'argent attique complète”, i.e. “selon l'étalon attique plein”. On voit encore une fois que la thèse de la “pesée par les monnaies” ne peut trouver aucun argument dans l'emploi de la formule πρὸς ἀργύριον.

Les comptes de Didymes : ολκhσ και νομiσματοσ

Il reste encore à justifier la formule des inventaires de Didymes selon laquelle certaines offrandes portaient la mention ἀνεπίγραφος ὁλκῆς καὶ νομίσματος. On a voulu y voir la preuve que les objets en question étaient pesés à l'aide de monnaies[941]. Cette présentation des choses ne résiste pas à l'analyse. L'étude de B. Haussoullier sur Milet et le Didymeion, publiée en 1902, donnait pourtant déjà la clé du problème[942]. Il est regrettable que son interprétation n'ait pas été suivie, ou prise en compte, par ceux qui ont traité plus récemment de cette question. C'est donc en nous plaçant directement dans la ligne du propos d'Haussoullier qu'on présentera ici brièvement une nouvelle argumentation de la question, en tenant compte des travaux intervenus depuis la publication de ses Études, qui restent toujours d'une lumineuse clarté.

Soulignons d'emblée qu'en soi la formule n'indique nullement que l'on ait effectué une pesée à l'aide de monnaies. Les deux génitifs, ὁλκῆς καὶ νομίσματος, donnent deux indications de nature différente, même si évidemment on ne peut que considérer que ces deux indications étaient étroitement liées entre elles. S'agissait-il d’indiquer d’une part un poids, d'autre part une valeur en numéraire, en supposant que les inscriptions portaient deux chiffres différents ? Telle n’est certainement pas la bonne solution.

Si l’on observe les indications des inventaires de Didymes, on voit que les textes des iiie-Ier s. font mention d’une part d’un chiffre indiquant le poids, d’autre part de l’unité de référence, drachmes d’Alexandre le plus souvent, mais aussi drachmes rhodiennes ou drachmes locales de Miletl[943].

Les monnaies milésiennes de type local du iiie et de la première moitié du iie S. a.C. étaient émises selon un étalon particulier, dit “persique”, de c. 5,2 g pour la période IV. c. 5 g pour les périodes V et VI[944]. On ne pouvait donc les confondre avec les drachmes d'Alexandre (à c. 4,33 ou 4.20 g selon la période[945]) ou avec les drachmes rhodiennes (d’un poids théorique de 3,35 g, avec plus tard au début du iiie s., des drachmes réduites à c. 2,75 g, enfin des drachmes plinthophores à c. 3 g ou un peu plus)[946]. Les occurrences sont les suivantes (les numéros renvoient au corpus d'A. Rehm, Didymci, II) :

• Ἀλεξάνδρειαι (dr.) : 426, 1. 2, 3, 6. 12. 14, 15 ; 427, 1. 11 et 13 ; 428, 1. 8 : 430, 1. 2 ; 431. 1. 8 ; 432, 1. 8, 10, 13, 16 : 433, 1. 5. 8, 9, 13 et 18 ; 436, 1. 5 et 7 ; 438, 1. 1-6 ; 441, 1. 2-5 ; 442, 1. 13 ; 444, 1. 3-5 ; 445, 1. 3 et 9 ; 446, I. 7, 9 et 1 1 ; 447, 1. 9 ; 450, 1. 7 ; 452, 1. 4. 5 et 7 ; 457, 1. 3 et 6 ; 461, 1. 6 ; 463,1. 12, 16, 17, 21,23 ; 464,1. 8, 9, 14 ; 467,1. 2, 3, 5, 8, 10, 11, 14, 15, 17, 19,21 ; 468, 1. 9 ; 471, 1. 8 ; 473, 1. 6 ; 475, 1. 8-14, 16-21, 32. 34, 42 ; 475. 1. 28, 31,40 ; 477. 1. 3 ; 478, 1. 3 et 6.

• Ῥόδιαι (dr.) : 431, 1. 6 ; 463, 1. 34 ; 464, 1, 12.

• Μιλήσιαι (dr.) : 441, 1. 7 : 444. 1. 7 et 12 ; 446, 1. 12 ; 448, 1. 3 et 7 ; 449. 1. 10 : 451, 1. 3 ; 456, 1. 4 ; 457, 1. 14 ; 463, 1. 19 ; 477, 1. 7 ; έπιχώριοα : 471, 1. 7.

A Milet, cette diversité des unités de référence pour l'argent, à la différence de ce que l’on constate à Athènes ou à Rhodes, obligeait en fait à une telle mention complémentaire[947] : la seule indication du poids n’aurait pas été suffisante, ou aurait introduit une dangereuse incertitude, dans la mesure où coexistaient plusieurs systèmes de références[948]. Mais naturellement, il s'agit bien ici de drachmes-poids et non pas de monnaies[949]. On remarquera que chez Aristophane, Thesmophories, 347-350, dans une parodie de décret avec imprécation prononcée par une femme, le mot νόμισμα conservait pleinement sa valeur d’unité de mesure : “Si un débitant ou une débitante trompe sur la mesure légale du conge ou des cotyles (κεἴ τις κάπηλος ἤ καπηλὶς τοῦ χοῶς | ἢ τῶν κοτυλῶν τò νόμισμα διαλυμαίνεται, 347-348) souhaitez qu’ils périssent misérablement, eux et leur famille”[950]. Dans le cas de Milet, il est vrai que le problème est plus complexe car, comme on va le voir, rédacteurs et lecteurs de ces inscriptions avaient nécessairement en tête les systèmes pondéraux qui étaient ceux des monnaies : la distinction n’aurait pas eu d'objet pour eux, puisque, du moins pour les métaux précieux, il ne semble pas qu’il ait existé un étalon de poids distinct de celui des monnaies. Il n’en reste pas moins que l’on peut traduire au plus juste l’expression ὁλκῆς καὶ νομίσματος par “poids et unité de référence”[951]. A Didymes comme ailleurs, on savait évidemment le cas échéant utiliser des poids pour effectuer des pesées[952]. Quant la formule ὁλκῆς καὶ νομίσματος dans les inventaires, elle n'a donc rien à voir avec une pesée effectuée à l'aide de monnaies.

S'agissant des inventaires de Didymes, un point mérite cependant encore d'être expliqué. Les inventaires font apparaître des poids d'offrandes soit avec une précision allant jusqu’à l’obole voire à la fraction d’obole, soit en chiffres ronds, cela bien souvent dans le même inventaire[953]. Ceci oblige à réfléchir à la nature réelle de ces inventaires. La présence de nombreux chiffres ronds au côté de chiffres précis invite à considérer qu’on a affaire à des chiffres qui ne correspondent pas à des pesées effectives au moment de l'inventaire mais à des chiffres qui avaient été lus sur l'objet par le préposé du sanctuaire, et reproduits tels quels. C’est en fait la procédure d’établissement du texte des inventaires de Didymes qu’il convient de rappeler.

— Le document 424 illustre la procédure par laquelle les offrandes entraient dans le trésor du sanctuaire[954]. Il s'agit d'une lettre du roi Séleucos ier et de son fils Antiochos, le futur Antiochos ier, datée de 288/287, qui indique 1. 1 1-16 : “Nous avons envoyé Polianthès apporter au sanctuaire d'Apollon de Didymes, pour en faire la dédicace aux dieux sauveurs, le grand chandelier et des vases d'or et d'argent, portant des inscriptions” (ἀφεστάλκαμεν εἰς | τὸ ἱερὸν τοῦ Ἀπόλλωνος τοῦ ἐν Διδύμοις | τήν τε λυχνίαν τὴν μεγάλην καὶ ποτήρια | χρυσᾶ καὶ ἀργυρᾶ εἰς ἀνάθεσιν τοῖς θεοῖς | τοῖς Σωτῆρσι κομίζοντα Πολιάνθην ἐπι|γραφὰς ἔχοντα)[955]. La lettre précise un peu plus loin. 1. 25-29 : “J'ai dressé pour vous la liste des objets d'or et d'argent qui ont été envoyés au sanctuaire, pour que vous puissiez connaître la nature et le poids de chacun d'entre eux” (τῶν δὲ ἀφεσ|ταλμένων χρυσωμάτων καὶ ἀργυρωμάτ|ων εἰς τò ἱερὸν ὑπογέγραφα ὑμῖν τὴν γραφήν, | ἵνα εἰδῆτε καὶ τὰ γένη καὶ τòν σταθμὸν | ἑκάστου). La liste est donnée en annexe de la lettre, annoncée par un titre, 1. 30 : γραφὴ χρυσωμάτων τῶν ἀφεσσταλμένων κτλ. Elle indique le poids des objets, à l'obole près : ces objets ont donc été soigneusement pesés avant d'être envoyés. L'unité de référence n’est pas indiquée, mais il s'agit évidemment de la drachme attique, qui était l'unité de référence dans le royaume séleucide. La liste envoyée par le roi a donc été reproduite telle quelle, sans doute après une simple pesée de contrôle pour authentifier les objets et vérifier leur poids. Il est bien clair que les autres offrandes, celles des cités étrangères mais aussi celles des particuliers et même celles de la cité de Milet, entraient dans le trésor du santuaire par une procédure analogue. D'ordinaire, cependant, on ne reproduisait pas le document d'accompagnement, puisque la source n'en était pas aussi prestigieuse et que la valeur de l'offrande était moins importante : on se contentait de noter dans l'inventaire des entrées de l’année le poids mentionné sur la lettre d'accompagnement et inscrit sur l'objet. On remarque que les offrandes de Séleucos ont des poids qui ne correspondent pas à des chiffres ronds : ces poids étaient fonction de la forme complexe de l'objet offert. En revanche, les offrandes de cités ou de particulier correspondent souvent à des chiffres ronds : en ce cas, on avait décidé d'offrir par exemple une phiale de “90” ou “100” drachmes, et le poids de l'objet s'en trouvait ipso facto défini, sans avoir nécessairement été vérifié par une pesée à l'obole près avant son expédition vers le sanctuaire puis à son arrivée.

— Même sans le document précité, d’autres éléments auraient permis de reconstruire la procédure qu’on vient de décrire. Dans certains cas, les offrandes portent en effet la mention ἀνεπίγραφος (467,1. 20), ou ἀνεπίγραφος ὁλκῆς καὶ νομίσματος (467,1.12 ; 468, 1. 6 et 8 ; 13 ; 469, 1. 7) ou encore ὁλκὴν ἀνεπίγραφον (433, 1. 20). Or, dans ce cas, le poids n'est pas indiqué : preuve que les préposés du sanctuaire ne pesaient pas effectivement les offrandes qu'ils enregistraient. Dans d’autres cas apparaît la mention “portant une inscription”[956], mais qui semble ne devoir être entendue que comme une précision supplémentaire. Dans la majorité des occurrences, en effet, on a certes seulement l’indication de poids et d’unité, sans plus de précision : néanmoins, ces offrandes devaient elles aussi porter une inscription, tout comme celles pour lesquelles cette indication nous est donnée de manière explicite. Le poids de nombre de ces occurrences correspondant à des chiffres ronds, on peut conclure que dans ces cas-là du moins, mais certainement aussi dans les autres (montants à l'obole près) tout simplement parce que les inventaires mélangent souvent les deux types de données, on n’avait pas fait de pesée et on s’était contenté de lire le chiffre indiqué sur l’offrande.

— Relevons enfin que les poids libellés en drachmes rhodiennes émanent d’Iasos (464, 1. 11-13, date : 177/176 Rehm), d’un dédicant dont le nom ne peut être déterminé du fait des aléas de la lecture de la pierre (463.1. 34, date : 178/177 Rehm) ; enfin d’une seconde dédicace d’Iasos (464, 1. 12, date : 177/176 Rehm). C’est tout simplement parce qu’Iasos était une cité de Carie méridionale, certes toute proche de Milet, mais proche également de la zone d’obédience rhodienne et dont l’histoire est liée à celle de Rhodes, que cette cité pouvait utiliser l’étalon rhodien (mais le nº 464 montre que l’offrande avait aussi été ensuite évaluée selon l’étalon attique)[957]. Ces objets n’avaient donc pas été pesés à Milet, mais bien à Iasos, car on ne voit pas pourquoi, à un siècle de distance, les autorités du sanctuaire auraient pris soin d’utiliser l’étalon rhodien pour peser les offrandes d'Iasos et non pas leur étalon local “persique” ou l’étalon attique (universellement connu).

A Didyntes, dans la plupart des cas certainement, les préposés du sanctuaire se contentaient manifestement d’un simplement enregistrement du “poids officiel” de l’offrande, par lecture du bordereau d’accompagnement et de l’inscription portée sur l’objet lui-même, sans contrôle effectif par une pesée qu’ils auraient eux-mêmes effectuée. L’existence d’inscriptions portant le poids de l’objet sur un certain nombre vases précieux atteste de l'existence de cette pratique[958], confirmée abondamment par les textes des inventaires, de Didymes, de Délos et d'ailleurs[959]. En fait, dans les textes qui nous sont conservés, il s'agissait plutôt, année après année, d'enregistrer l'entrée des objets pour pouvoir ensuite les identifier, en se fiant donc à ce qui était écrit sur l'objet, à tort ou à raison selon les cas.

A Amos en revanche, comme en général dans le sanctuaire d’Apollon à Délos et dans les sanctuaires d’Asclépios et d’Athéna à Athènes (mais où on a aussi il est vrai des registres d’entrée), on a un document qui correspond à une pesée de contrôle effectuée sur les offrandes d'une série d'années successives (et dont au demeurant seule une partie nous a été conservée puisque la stèle est mutilée). Les inventaires de Didymes et l'inventaire d'Amos ne sont donc pas en réalité des documents exactement de même nature[960].

S’il est possible, on s'éloigne donc encore un peu plus de la théorie de la “pesée par les monnaies”, puisqu'à l'évidence les offrandes de Didymes qui présentent des chiffres ronds n'avaient même pas été effectivement pesées par les préposés du sanctuaire.

On voit que notre analyse ne contredit en rien la thèse fondamentale d’O. Picard, qui a montré que dans l’usage ordinaire on comptait les pièces de monnaie et qu'on ne les pesait pas[961]. En revanche, pour ce qui est de l’hypothèse selon laquelle on se serait servi des monnaies comme instrument de pesée, à Amos, à Délos, à Didymes ou ailleurs, il est clair qu’il faut la rejeter catégoriquement.

Retour a amos

Pour finir, trois remarques nous paraissent encore s’imposer. La première concerne le module des offrandes. A la ligne 18, les chiffres sont très difficiles à lire. Dans l’édition de W. Blümel, ils sont même tous pointés. A vrai dire, le poids total de 80 dr. nous paraît suspect. C’est le seul chiffre rond de la série, quand aucun des autres ne l’est. En fait, le plus probable est qu’on a affaire ici aussi à un chiffre dans les 90 drachmes et tout proche de 100, dont la fin est devenue totalement illisible du fait de l'usure de la pierre. Il nous paraît probable qu’en fait seuls deux modules de phiales apparaissaient dans la partie de l'inventaire qui nous est conservée : 100 drachmes et 150 drachmes. C’était déjà la conclusion implicite que nous donnions dans Pérée et qu'il nous est donné ici de développer.

La deuxième concerne la date de l’inscription. M.-Chr Marcellesi considère qu’il ne faut pas tenir compte du rapport avec la monnaie attique pour analyser la fixation du poids des offrandes (à 100 drachmes le plus souvent). Admettons ce principe : à l’intérieur du territoire rhodien, pour l’argent, on ne pouvait compter qu'en drachmes rhodiennes et c’est cette règle que nous avions d’emblée admise pour considérer que les drachmes en question étaient à l’évidence des drachmes rhodiennes. Pourtant, auparavant, c’est sur la base de la conversion supposée plus facile des drachmes légères avec la monnaie attique qu’est fondé le raisonnement de M.-Chr. Marcellesi relatif à la date de l’inscription (“80”, 100 et 150 drachmes rhodiennes à c. 2,5 – 2,8 g correspondraient respectivement à 50, 66 et 100 drachmes attiques)l[962]. L’inventaire serait donc postérieur aux drachmes d’ancien style mais antérieur à l’introduction des plinthophores. Mais si la conversion en monnaie attique n'a aucun sens pour l’établissement des modules d’offrandes, comment et pourquoi admettre que ce serait précisément cette même contrevaleur en drachmes attiques qui serait la preuve que l’inscription daterait de l’époque des drachmes légères ? Il y a là une contradiction qui nous paraît insurmontable. En réalité, seuls d’autres critères (graphie et éventuellement prosopographie) peuvent permettre de faire avancer la question de la datation de cette inscription.

Disons enfin d’un mot (car ce n’est pas le lieu de faire un exposé d’ensemble) que la présentation d’Amos comme une somnolente “petite localité de Carie” où les monnaies ne circulaient que lentement est rien moins que satisfaisante. Amos était certes une petite localité, mais elle était en fait le centre d’un dème prospère de la Pérée rhodienne intégrée, sur la route maritime joignant le port de Rhodes au port de Physkos (autre centre d'un dème rhodien de la Pérée intégrée), et aussi une possible escale pour les navigateurs se rendant de l’Égée en Orient ou inversement. Installé sur un promontoire dominant la mer, la bourgade avait été dotée d'une imposante fortification[963]. On y trouve aussi un théâtre[964] ce qui montre si besoin était que ce n’était guère là un village supposé arriéré de Carie intérieure. Le nombre non négligeable d’inscriptions qu’on y a découvert (9 au total) atteste aussi de la vitalité du centre du dème des Amioi : vie locale donc, mais nullement vie obscure et ralentie.

L’hypothèse d’une pesée d’objets précieux au moyen de monnaies n’a donc aucun fondement solide. Pour ce qui est du poids des offrandes, presque toujours légèrement inférieur à ce qui était manifestement leur poids standard, il faut donc considérer qu’en vue de les confectionner, les magistrats devaient déposer une somme supérieure au poids-objectif, tenant compte du déficit inévitable des pièces par rapport à leur valeur déclarée, du salaire de l’artisan, ainsi que des pertes à la fonte et lors de la fabrication. Comme l’a bien pressenti M-Chr. Marcellesi, et même si nous donnons une solution radicalement différente au problème qu’elle a soulevé, le modeste inventaire d’Amos donne ainsi l’une des clés qui permettent de résoudre des problèmes se posant dans des termes identiques dans les plus grands sanctuaires du monde grec. On voit alors qu’il faut faire rentrer dans les limbes la vieille théorie de la “pesée par les monnaies”. En fait, cette hypothèse s'inscrit pleinement dans une vision typiquement primitiviste du fonctionnement des cités grecques. Une analyse plus objective des modes de pesée oblige à conclure que cette vision des choses doit être abandonnée.

Chapitre XI. Prosodoi publics, prosodoi privés : le paradoxe de l'économie civique

On annonce périodiquement que le débat autour de la nature de l’économie antique est définitivement clos. Et, curieusement, c'est d'ordinaire au moment même où l’on vient de prononcer cet arrêt que le débat repart de plus belle, comme un feu mal éteint couvant sous la cendre se rallume à l'improviste. Il y a là un paradoxe qui semble mériter de retenir l'attention.

Les termes du debat

On connaît si bien les termes du débat qu'il paraît superflu de les rappeler ici en détail[965]. Les travaux de Μ. I. Finley et de son école, qui s'inscrivaient eux-mêmes dans la lignée de ceux de Johannes Hasebroek et Karl Polanyi, ont voulu montrer que l'économie n'existait pas en tant que réalité autonome dans le monde antique, tant au plan des processus réels, car les conditions de fonctionnement d'un grand marché n'étaient pas réunies, que secondairement au plan conceptuel, car l'absence d'une économie de marché empêchait l’émergence d’une quelconque forme de science économique. Certes, selon Μ. I. Finley, on pouvait bien acheter, vendre, souhaiter acquérir plus de biens, sans que pour autant existât un véritable marché. On pouvait aussi disposer de connaissances empiriques comme celle qui veut que la rareté d'une denrée entraîne l'augmentation de son prix tandis que c'est l'inverse qui se produit en cas d’abondance, mais tout cela ne constituerait même pas l'embryon d'une science économique. Pour Μ. I. Finley, un trait caractéristique de l'absence de développement d'une véritable économie se trouve dans le désintérêt de l'État à son égard, dans une équation qui n'a rien à voir avec une théorie du laisser faire. Si l'État s'intéressait à quelque chose, c'était à ses besoins propres : ainsi des émissions monétaires, liées invariablement à des guerres et non aux nécessités du commerce ou de la production.

On doit reconnaître que, contesté sur certains points, le modèle garde encore une forte cohérence d'ensemble, et en tout cas une grande autorité. Le péché mortel, de nos jours, c'est le “modernisme”, accusation qui ne manque pas d'être lancée dès lors qu'on soupçonne la projection des concepts économiques modernes sur l'économie antique. Il est vrai que l'attitude moderniste n’a pas encore totalement disparu et que certaines études en restent profondément imprégnées[966]. Malgré quelques exceptions, il n'en reste pas moins que les thèses de ce qu’on a pu appeler la “Nouvelle Orthodoxie” se sont en général imposées. Certes, les thèses de fond de la Nouvelle Orthodoxie mériteraient d'être passées au crible de la critique, pour examiner ce que les recherches récentes ont pu confirmer ou infirmer. Mais il n'y a là rien que de très normal dans la démarche scientifique. On relèvera aussi les différences très importantes entre le modèle wébérien, qui admettait l'existence d'un véritable capitalisme marchand dans l'antiquité, et le modèle néo-primitiviste de Hasebroek et Finley. Il serait ici hors de propos de procéder à un réexamen point par point de ce modèle. Pour faire avancer le débat, il vaut mieux se situer sur un autre plan et essayer d'examiner sous un angle particulier, celui des “rapports entre l'État et l'économie” (ces guillemets seront justifiés plus loin), la manière dont était structuré le champ de l'économie antique[967]. On sait que Μ. I. Finley a mis en garde contre ce que l'économie antique n'était pas, qu’il a combattu la vision simpliste qui consistait à projeter dans l'antiquité les concepts modernes, celui “d'intervention de l'État” par exemple[968]. En revanche il n’a pas montré comment le champ de l'économie était structuré : la raison en est simple. Pour lui en effet, l'économie ne s'était pas dégagée des besoins et des contraintes immédiates de la société grecque, elle restait “embedded”, immergée dans le social, ce qui supposait du même coup une absence d'autonomie.

Telle est la justification du modèle d'“économie par défaut” que propose Μ. I. Finley. Or, la réalité paraît susceptible d'être analysée d’un point de vue différent. Non qu’on prétende ici apporter des éléments radicalement nouveaux dans le détail. La méthode consiste à pousser certaines analyses jusqu'à leurs conséquences ultimes dans le but de redéfinir les spécificités du champ de l'économie antique et montrer comment la notion d'économie immergée dans le social ne peut plus être considérée comme satisfaisante. Au point de départ, deux points semblent avoir une importance particulière : la définition que l'on donne de l'État et de l'économie. En effet, le système conceptuel qui sous-tend les théories de la Nouvelle Orthodoxie se fonde sur l’existence d’une nature intemporelle de la notion d’État et d’économie : d’où le modèle d'“économie par défaut” auquel on aboutit[969].

S'agissant de l’État, on entend d'ordinaire avant tout son rôle de régulateur et de législateur, naturellement son pouvoir de contrainte, ses droits régaliens aussi : celui de lever l'impôt, de battre monnaie, toutes attributions que l'on s'accorde à retrouver dans un État moderne. S'interrogeant récemment sur les rapports entre l'État et le commerce à l'époque romaine, tel spécialiste commençait aussi par admettre, il est vrai avec quelque regret mais néanmoins de manière très ferme, que la définition ordinaire de l'État pouvait permettre de traiter la question de manière satisfaisante[970].

Que présuppose-t-on lorsque l'on évoque des faits économiques “immergés dans le social” ? L'économie, c'est alors par exemple la production et la vente, en vue de dégager un bénéfice. Comme ce bénéfice peut ensuite être dépensé pour acheter des biens de luxe ou pour pouvoir exercer une liturgie, et non pas “réinvesti”, on décide que l'économie est “immergée dans le social”, dans la mesure où l'emploi des fonds ne correspond pas à un investissement dans une production, fabrication ou autre activité commerciale. On voit qu'il n'est pas sûr que l'on ait affaire ici à un trait significatif d’un fonctionnement original des sociétés antiques. Les formes de consommation varient d'une société à l'autre et à ce compte toute forme d'organisation économique peut être dite “immergée dans le social”, y compris dans notre propre société. Malgré ses défauts, retenons néanmoins la notion d’économie “concrète” définie par la production et l’échange des biens consommés.

Selon ce découpage, on se trouve donc implicitement devant une “économie concrète” qui relève de la sphère de l'activité privée, tandis que l'État, quant à lui, s'occupe des affaires publiques, qui. par essence, sont situées en dehors de la sphère de l’économie. Cette opposition nous est familière, puisqu'elle est ni plus ni moins celle qui est la nôtre à l'époque contemporaine. A la question de savoir si le modèle économique contemporain permettait d’expliquer le fonctionnement de l’économie antique, les modernistes ont implicitement donné une réponse positive. Les tenants de la Nouvelle Orthodoxie ont, quant à eux, répondu par la négative et en ont conclu que l’économie n’avait aucune forme d’existence dans les sociétés anciennes. Dans un cas comme dans l’autre, ce sont les catégories de l’économie politique contemporaine qui ont servi de référence. Telle est la vision des choses qu’il est nécessaire de remettre en question, en montrant que la division des rôles entre l’État et l’activité des particuliers n'était manifestement pas celle qui prévalait, sinon à Rome – on laissera cette question à d'autres –, du moins dans la Grèce des cités.

L'état-polis : définitions générales

La définition de l'État-cité en Grèce ancienne est un immense sujet. Si l'on examine la littérature récente sur la question, on voit que deux positions se dégagent :

• Pour les uns, c'est une erreur de vouloir opposer “une fusion de l'État et de la société dans l'antique cité-État à leur séparation dans l'État moderne”. La réalité serait radicalement inverse, dans la mesure où aujourd'hui l'État régnerait sur tout tandis que, dans l'Athènes classique par exemple, “la polis, communauté politique des citoyens, et la société, prise comme un ensemble réunissant tous les groupes, étaient deux concepts clairement distincts”[971].

• Pour les autres, au contraire, ce n'est que de manière abusive que l'on peut assimiler la cité grecque antique à un État au sens moderne du terme. Solidarité égalitaire et communauté d'intérêts étaient le ciment de la communauté[972]. On a même pu aller jusqu'à nier l'existence de l'État dans la Grèce des cités : “Il y avait un État à Rome ; il n'y en avait point dans les démocraties grecques”. Dans une cité comme Athènes, la seule autorité était celle de la loi et non celle d'un corps constitué autonome : “Le citoyen n'avait pas en face de lui un État, mais une foule d'autres lui-même”[973].

Dans ce débat, la première position paraît intenable. En effet, le fond du problème n'est pas dans les attributions plus ou moins nombreuses de l'État – prise en charge de l'éducation, de la santé, des moyens de communication, etc. Il réside en fait dans les formes d'organisation et d'autorité qu'il pouvait revêtir. A cet égard, les différences apparaissent de manière trop nette pour qu'il soit utile d'y insister. Comme on le sait, l'absence d'agents spécialisés distincts du corps civique est une différence essentielle avec l'Etat moderne : l'armée, la justice, les magistratures diverses sont d'ordinaire directement entre les mains des citoyens, leur émanation même, non une structure distincte pouvant au besoin s'opposer directement à la grande majorité du peuple. Au reste, rien n’identifiait mieux une cité que la mention de la collectivité formée par ses citoyens : “les Athéniens”, “les Rhodiens”, etc. La deuxième position est donc plus proche de la vérité que la première, mais cela ne veut pas dire qu'elle doive être prise à la lettre. Les formes très particulières d'exercice du pouvoir d'État ne doivent tout de même pas faire oublier l'existence d'une autorité propre de l'État.

Ces remarques sont d'autant plus importantes que, peut-être plus qu'aucune autre forme d'État, la polis grecque doit être envisagée dans son développement historique, et non pas in abstracto. La définition même des structures civiques revêt à cet égard une importance particulière : ainsi de l'ensemble des structures dites ordinairement “groupes de sociabilité” (hétairies, banquets communs, structures d'apprentissage de la jeunesse, etc.). Deux visions différentes ont été proposées. La première a voulu voir un modèle inchangé depuis les origines homériques jusqu'à la fin de l'existence de la cité-État. le modèle implicite étant la soumission des “groupes de sociabilité” à l'autorité de l'État[974]. L'autre insiste au contraire sur l'évolution et la différence entre l'époque archaïque et l'époque classique : d'abord éléments à part entière de la définition du citoyen, ces structures, tout en continuant à exister, auraient ensuite perdu cette caractéristique et auraient été soumises à l'autorité de l'assemblée et des organes civiques supérieurs[975]. Il serait aisé d'observer que, dans le cadre athénien et manifestement dans bien d'autres cités, la phratrie conserve le rôle si important de faire le partage entre ceux qui ont droit d'appartenir à la communauté civique et ceux qui en sont exclus. Mais, en même temps, on sait que les phratries n'ont pas (plus) dans l'Athènes classique de rôle propre dans la pyramide des institutions civiques. On pourrait faire la même observation au sujet des fonctions de l'État et de son autorité. Ainsi de ce qu'on a pu appeler le rôle “disciplinaire”, régulateur du pouvoir d'État qui se constitue peu à peu[976]. A cet égard, dans l'évolution de l'Athènes archaïque, il est clair que la période solonienne a été une période très importante. Quelle que soit l'interprétation exacte des lois de Solon, encore en discussion, on a sans aucun doute affaire à une évolution dans le sens d’un rôle nouveau ou plus affirmé de régulation de la vie collective et des échanges, au sein de la communauté civique et avec l'extérieur.

On doit donc retenir l'idée d'une évolution, le principe d'un État-polis en train de se faire, dont les structures ont pu se modifier considérablement entre l'époque archaïque et l'époque hellénistique. La polis de l’époque hellénistique est un système institutionnel beaucoup plus complexe que celle du haut archaïsme : la chose est trop évidente pour qu’il soit utile d’y insister. Restent néanmoins à déterminer, s’ils existent, les invariants qui font de la polis une forme d'État tout à fait spécifique et distincte des autres formations historiques de l'État. On voit combien il faut être prudent s'agissant de l'État-cité de la Grèce ancienne. Ses formes d'existence et son autorité doivent faire l'objet d'un examen détaillé. Toute projection automatique des concepts modernes sur l'État-polis doit être bannie, même si la position voulant nier son existence paraît excessive.

L'état-polis et l’οικονομία

Notre point de départ sera le livre II de l'Économique du Ps-Aristote. Comme on le sait, l'ouvrage a été rédigé à la haute époque hellénistique. Le Ps-Aristote commence par dresser la liste des quatre oikonomiai qui lui paraissent devoir être distinguées : celle du roi, celle du satrape, celle d'une cité et celle d'un particulier (βασιλική, σατραπική, πολιτική, ιδιωτική)[977]. Il donne ensuite une définition de chacune de ces subdivisions[978]. Ainsi, l'économie royale devra définir la date, la quantité et la valeur des émissions monétaires, la gestion des contributions satrapiques et la nature des dépenses. L'économie satrapique gère les différents impôts, directs et indirects, et les revenus tirés des mines. L'économie de la cité gère les revenus fiscaux tirés des produits du pays, ceux qui sont tirés des ports et voies de passage, enfin ceux qui proviennent des redevances périodiques. La quatrième et dernière, l'économie des particuliers, est définie comme la gestion des revenus tirés de la terre, puis de ceux qui sont tirés des “activités périodiques” (commerce et artisanat apparemment[979]), enfin de ceux qui correspondent à l'intérêt des prêts, étant entendu que, pour les particuliers, les dépenses ne doivent pas être supérieures aux recettes. Dans les quatre subdivisions ainsi définies se retrouve explicitement la même idée de base : la gestion des prosodoi et celle des dépenses. Une telle mise en série, depuis la gestion royale jusqu'à celle du simple particulier, a pour le moins de quoi surprendre.

Que faut-il entendre par le mot οἰκονομεῖν ? Pour B. A. Van Groningen, “bien que le terme ne soit pas défini scientifiquement (-) la suite de l'ouvrage montre dans quel sens il doit être pris, à savoir celui d'administration financière”[980]. En fait, ces principes d'oὶκovoµία correspondent exactement à la manière de gérer les entrées et sorties d'argent. Banalité, pure ratiocination sur des évidences ? A quoi correspondait véritablement le genre du λόγος οἰκονομικός, qui fleurit à la fin du ve siècle et au ive s ? En fait, il semble bien qu'il ne s'agisse pas d'un genre traditionnel, illustrant des pratiques routinières, mais, au contraire, d'un discours de type nouveau, introduisant une forme de rationalité rompant avec l'idéologie traditionnelle[981]. C'est ainsi qu'apparaît par exemple la définition d'une οἰκονομία Ἀττική mettant au premier plan l’achat et la vente, au détriment des pratiques anciennes d'autoconsommation[982]. Périclès avait déjà lui-même adopté cette pratique consistant à vendre sa récolte en une seule fois, pour ensuite acheter au marché tout le nécessaire, simplifiant ainsi de manière radicale la gestion comptable[983].

Ces λόγοι οἰκονομικοί ont pourtant paru à Μ. I. Finley être la preuve même de l'absence de notion d’économie pour les Grecs[984]. Comment en effet ne pas sourire des propos de l'Ischomaque de l'Économique de Xénophon et de son exposé à la jeune épouse sur la nécessité de ranger les marmites[985] ? Le livre I de l'Économique du Ps-Aristote est lui aussi tout entier consacré à l'économie domestique. On pourra certes en tirer toutes les conclusions sur le caractère primitif de la pensée économique en Grèce ancienne par rapport à ce qu'est aujourd'hui la science économique. Mais est-ce la bonne leçon ? Ne faut-il pas au contraire prendre au sérieux le Ps-Aristote ? Le point important n'est-il pas de saisir que la gestion de l'État, qu'il s’agisse d'un royaume ou d'une cité, est assimilée à celle d'un oikos ? Or, comme on l'a vu, c'est la recherche des prosodoi qui définit aussi bien la gestion de l'oikos que celle de l'État. Les formes d'acquisition peuvent varier – un particulier ne lève pas d'impôt foncier ou de taxe - mais fondamentalement le principe reste toujours identique : engranger des prosodoi, qui seront utilisés au profit du détenteur du “bien”, le roi pour le royaume, les citoyens pour la cité, le chef de famille pour l'oikos. Cela signifie par exemple que le droit de lever des taxes n'est pas conçu de manière différente de celui du particulier qui va exiger un fermage s’il met un champ en location. Et que le produit de ces taxes comme les revenus tirés de la ferme doivent revenir respectivement aux citoyens et au propriétaire de l'exploitation agricole. Ce qui nous paraît donc incongru, à savoir mettre sur le même plan et dans le même ouvrage des conseils pour la gestion d'une ferme et des artifices pour trouver de nouvelles recettes fiscales dans la cité, ne l'était pas aux yeux des Grecs : car pour eux les deux domaines n'étaient pas de nature différente, du moins au plan de la gestion financière.

Comment une telle “erreur” était-elle concevable ? Notre conception de l'État le fait apparaître exclusivement dans un rôle de maintien de l'ordre et de régulation. Or tel n'était manifestement pas le cas dans le monde des cités de la Grèce ancienne. On doit pour cela remonter à Homère. Ce n’était pas seulement pour venger l'outrage fait à Ménélas que les Grecs s'étaient rassemblés devant Troie. Ce conflit est le type même de l'expédition de pillage qui doit rapporter à ses participants des prises intéressantes. Faut-il rappeler le point de départ de l'Iliade et le conflit qui oppose Achille à Agamemnon, ce dernier arrachant au fils de Pélée la belle Briséis[986] ? Ou encore le partage des prises faites sur les Épéens rapporté par Nestor dans l'Iliade[987] ? Le modèle héroïque du butin partagé entre les guerriers ne disparaîtra jamais de l'imaginaire de la cité, jusqu'à l'époque hellénistique incluse. Au point de départ, l'État apparaît donc davantage comme un organe de répartition de profits faits collectivement que dans un rôle d'autorité abstraite ou une fonction de régulation et de législation. Certes, il prendra au cours du temps nombre de ces caractéristiques, mais elles n'occulteront jamais tout à fait la fonction première de répartition entre les mains de chacun des profits faits collectivement. Naturellement, l’appropriation collective de nouvelles terres, le but premier et traditionnel de la guerre en Grèce ancienne, procède directement de cette orientation : on se partage les terres conquises en y installant de nouveaux colons, qui travailleront eux-mêmes la terre ou qui la feront travailler par les populations soumises. C’est également par l'attrait de l’or et de l’argent, ainsi que par la richesse des terres de l’Asie. qu’Aristagoras essaie d’attirer les Lacédémoniens dans une guerre contre la Perse et s’il n’y parvient pas c’est uniquement parce que l’immensité de la tâche effraie Cléomène et les dirigeants de Sparte[988].

La guerre comme moyen de profit était un principe de base de la “société des cités”. L'asservissement des prisonniers, y compris des Grecs a toujours été largement pratiqué[989]. Surtout, les traités entre cités prévoyaient souvent de manière explicite la répartition des dépenses de guerre et de même les partages de butin qui devaient être effectués après la victoire[990]. Sur certains points particuliers, la société grecque a même poussé plus loin que d'autres le souci de profit financier : il n'est pas rare, lors du siège d'une ville, de voir assiégés et assiégeants passer des conventions en vue du rachat mutuel de leurs prisonniers. Ainsi en est-il du rachat mutuel des prisonniers de guerre entre les forces de Démétrios Poliorcète et les Rhodiens lors du siège de 305-304[991]. Le livre II de l'Économique du PsAristote renferme de nombreuses allusions aux profits de guerre mais l'une des plus significatives est l'anecdote relative à Timothée : “Pendant qu'il assiégeait Samos, il vendait aux habitants les produits de leurs récoltes et tout ce qu'ils avaient encore sur leurs terres : il eut ainsi de l'argent en abondance pour payer la solde de ses troupes”[992]. La guerre rapportait collectivement des profits, mais ces profits devaient être équitablement répartis, et d'abord entre les combattants : à l'époque classique et hellénistique, citoyens mais encore plus alliés et mercenaires attendent d'être payés. Avant même le partage du butin, le premier profit de guerre, c'est la solde. On a souligné ajuste titre le lien direct entre émissions monétaires et campagnes militaires[993]. Naturellement, on ne doit pas ramener toutes les guerres à des expéditions de pillage. Mais même des guerres ayant à l'origine un caractère défensif pouvaient avoir comme conséquence la perception d’avantages tout à fait matériels. C'est de cette manière que les Athéniens purent établir leur domination sur l’espace égéen au lendemain des Guerres Médiques et prélever le phoros qui lit leur fortune et permit entre autres de payer les misthoi des soldats, magistrats, et juges. Le système ne tarde pas à se remettre en place au ive siècle, malgré les promesses solennelles qui avaient été faites aux alliés en 377. Au reste, les Athéniens n'agissaient pas autrement que n'importe quelle autre cité, grande ou petite, qui pouvait établir une zone de domination à sa mesure dans son espace géographique. Le fait nouveau, dans cette période, et a fortiori après la sécession des plus riches cités de l’empire en 355, c'est que les eisphorai permettant d'équiper des trières ne rapportent plus ce qu'on pouvait en espérer. C'est ce que constate Xénophon dans le traité des Poroi : “Quand ils acquittent une eisphora, les Athéniens savent bien une chose, c'est qu'il n’y aura jamais de remboursement des contributions, ni de dividendes à espérer”[994], traduit Ph. Gauthier qui commente justement : en payant les eisphorai, “comme les membres d'un club, [les citoyens] constituaient une ‘masse’, c'est-à-dire une somme d'argent à ‘jouer’ le plus habilement possible. L'idéal était donc que cette contribution pût être remboursée bientôt, ou qu'elle rapportât des bénéfices”[995]. C’est cette conception que l’on retrouve par exemple en arrière-plan du discours des Rhodiens venus se plaindre devant le Sénat de la situation engendrée par la perte de la Carie et de la Lycie en 166. Astymédès est prêt à admettre le bien fondé de cet état de fait, bien que la cité perde ainsi des revenus (prosodoi) de montant élevé et alors qu'elle avait consenti des dépenses de guerre importantes pour les conserver[996]. Il admet cependant que le châtiment puisse être justifié par l’attitude de ses concitoyens, qui au reste n’avaient reçu ces régions que par la faveur de Rome. En revanche, il lui est plus difficile d’admettre que Rhodes soit en outre privée de Stratonicée et de Caunos[997]. En effet, la cité avait reçu Stratonicée en don du fils d’Antiochos III et avait acheté Caunos pour deux cents talents : Astymédès souligne alors qu’en cédant aux injonctions de Rome Rhodes perdait ainsi les cent vingt talents de prosodoi que lui rapportaient chaque année ces deux cités. On voit donc que pour les Rhodiens, le contrôle sur la Carie et la Lycie ou sur Stratonicée et Caunos s’exprimait d’abord en termes financiers. En considérant que les Rhodiens avaient été injustement privés d’un placement légitime, Astymédès trahit la conception d’un État opérant un placement comme pouvait le faire un particulier, et en l’occurrence un placement qui avait produit des dividendes très élevés, ce qui était une manière de souligner l’ampleur du dommage subi.

Cette conception de la citoyenneté comme participation à un club distribuant des dividendes est donc présente dans la guerre et autres opérations de politique internationale. Mais elle l'est aussi dans la paix. L’exploitation des mines et des carrières, les impôts de toute nature et en particulier les taxes sur les échanges, sur lesquelles l’État veillait jalousement, apportaient à l’État des ressources considérables[998]. Il est même significatif de l’évolution des temps que dès le ive s. on puisse voir apparaître chez Xénophon, dans les Poroi, le souhait d’un mode d’enrichissement collectif qui ne soit pas fondé sur un préjudice infligé aux autres cités[999]. Au fond, les Poroi visent à montrer comment la cité peut augmenter ses prosodoi sans avoir besoin d’exploiter un empire. Selon Polybe, le Rhodien Thrasycratès peut présenter en 207 dans un discours devant l’assemblée étolienne une nouvelle forme de conception de l’enrichissement, qui condamne la guerre et qui est implicitement fondée sur la paix et l’enrichissement pacifique des cités[1000]. Il est vrai que lorsque les Rhodiens sont victorieux dans les guerres contre Philippe V et Antiochos, ils s’empressent de constituer un “empire” à leur mesure pour en tirer les plus grands profits. Mais la chose prouve seulement que l’exploitation par l’État de ces moyens ordinaires n’était pas exclusive, si la possibilité en était donnée, du recours à la guerre pour mettre la main sur de nouvelles sources de prosodoi.

Lorsque l’utilisation des revenus n'était pas liée aux expéditions militaires, elle devait se faire directement au bénéfice des citoyens. Bien entendu, dès que la polis eut atteint un certain degré de développement, les ressources purent faire l’objet d’une consommation collective, c’est-à-dire qu’elles purent être employées à satisfaire des besoins qui ne pouvaient l’être de manière individuelle : construction de fortifications, de systèmes d’adduction d’eau et de fontaines, de sanctuaires en l’honneur des dieux, etc. C’était là naturellement le principal chapitre des dépenses. Mais, et c’est là un point très révélateur, ces ressources pouvaient aussi éventuellement être distribuées directement aux citoyens, selon le système classique de l’affectation d’un chapitre des recettes à un poste de dépense particulier. C’est ainsi que, selon Hérodote, au vie s., les Siphniens se répartissaient chaque année entre eux les revenus des mines d'argent, qui faisaient de leur petite cité l'une des plus prospères de la mer Égée[1001]. On a pu suggérer que les Thasiens opéraient de la même manière avec les revenus de leurs mines d'or et d'argent[1002]. Il est possible que jusqu'à la veille de la iie Guerre Médique, les Athéniens aient eu l'habitude de faire de même avec le produit des mines du Laurion[1003]. Selon Hérodote en tout cas, les Athéniens allaient percevoir dix drachmes chacun lorsque Thémistocle les persuada d'utiliser ces fonds à la construction d'une flotte de deux cent trières (à l'origine, pour faire la guerre contre Égine)[1004]. De Lycurgue, on a voulu dresser un portrait de financier impitoyable sur les dépenses inutiles, par opposition au laxisme d'Eubule et de son fonds des theorika. Et on s'est donc étonné de le voir distribuer au peuple, à raison de 50 drachmes par tête, le produit de la confiscation des biens du riche Diphilos, fermier des mines du Laurion[1005]. Peut-on vraiment considérer que cela revenait à “flatter chez le peuple le goût trop naturel du gain facilement acquis, l'intéresser au dénouement des procès”[1006] ? En réalité, Lycurgue ne faisait que s'inscrire dans une longue tradition qui voulait que la polis restât un État redistribuant l'argent des bonnes fortunes sur lesquelles il avait pu mettre la main. Comme l'a montré Cl. Mossé, Lycurgue était un bon gestionnaire parce que dans sa fonction de ταμίας τῆς κοινῆς προσόδου il avait su montrer une rigueur nouvelle, utilisant de manière systématique l'écrit dans sa comptabilité et ses bilans, ce qui était exactement s'inscrire dans la perspective de l'οἰκονομία πολιτική telle que devait la définir un peu plus tard le Ps-Aristote[1007].

Il est vrai que ces distributions pouvaient être l’objet de débats, ainsi en particulier de cette question qui hante les écrits des penseurs et philosophes des ve et ive s. : les revenus de l’État peuvent-ils ou non faire l’objet de distribution sous forme de misthoi pour services rendus à l’État ? On trouve un exposé des positions traditionalistes entre autres dans l’Aréopagitique d’Isocrate : ce dernier regrette le passé et l’époque où l’on n’attendait aucune rétribution d’un service rendu à la collectivité, une époque où l’on prenait soin de ses affaires privées pour ne pas avoir à vivre aux crochets de l'État[1008]. On comprend bien la logique du raisonnement d'Isocrate : elle consiste à montrer qu’on ne doit pas introduire de confusion entre la gestion des finances de l’État et celle des particuliers, que l’on doit avoir une fortune stable pour pouvoir contribuer au koinon et non pas négliger ses affaires privées pour se trouver ensuite dans la situation d’avoir à essayer d’utiliser la fortune publique pour redresser sa situation financière privée[1009]. On sait pourtant que la cité démocratique a pris une orientation inverse. A Athènes, dès le ve s., l’exercice de certaines magistratures a valu à leurs détenteurs l’octroi d’un misthos[1010]. Au ive s., les misthoi ont été distribués aux citoyens qui assistaient aux délibérations de l’assemblée (ou du moins à certains d’entre eux), système que reprendront un certain nombre de cités à l’époque hellénistique[1011]. Mais d’autres indemnités, comme le theôrikon, permettaient aussi de percevoir une indemnité les jours de fête[1012]. La distribution de misthoi voulue par les démocrates provoquait donc l’ire des conservateurs, mais d’une certaine manière elle était parfaitement conforme au mode de fonctionnement traditionnel de la polis. C’est de la même manière que l’on peut rendre compte des salaires distribués aux ouvriers des chantiers de l'acropole, cette fois avec la médiation du travail, qui ne constituent donc nullement l’anachronisme qu’on a voulu y voir[1013]. Qu'était au fond l'indemnité du théorique, instituée au milieu du ive s. et au départ officiellement une indemnité de spectacle, sinon un moyen de donner aux plus pauvres d'entre les citoyens un minimum vital les jours où ils ne pouvaient percevoir un misthos[1014] ?

Dans la paix comme dans la guerre, l'État restait donc avant tout une machine à collecter et à redistribuer les prosodoi : l'ambition normale de tout bon citoyen était de voir sa cité plus riche, comme le Socrate des Mémorables le fait dire au jeune Glaukôn, le moyen étant d'augmenter les sources de revenus et de supprimer les dépenses inutiles[1015]. Au reste, ce n'était pas seulement l'État qui avait ce genre de pratiques, mais aussi toutes les associations intermédiaires qui pouvaient disposer de sources de revenus : ainsi à Athènes par exemple, les tribus, les dèmes, les phratries et les associations religieuses, pouvaient louer les terres, bâtiments ou carrières dont ils disposaient, et cela naturellement au bénéfice de leurs membres, non seulement pour les revenus qui en étaient tirés, mais aussi et d'abord pour les locations elles-mêmes, qui leur étaient réservées[1016]. C'était certainement le cas aussi ailleurs avec des modalités peu différentes[1017]. Il y avait ainsi tout une série de niveaux entre l’État[1018] et le particulier : mais à chacun d’eux on gérait des prosodoi de la manière la plus rentable possible. A cet égard. l'État n'avait donc pas de spécificité particulière.

Il est vrai que s'agissant des “dépenses”, comme on l’a vu, plusieurs modalités pouvaient s'offrir. Plutôt que tout simplement distribuer des sommes d'argent à tout le monde, Aristote suggérait de “faire une masse commune des recettes publiques (τὰ μὲν ἀπò τῶν προσόδων γινόμενα) et la répartir en totalité entre les pauvres, avant tout pour l'achat individuel d'un petit domaine, si la somme réunie est suffisante, et, sinon, comme mise de fonds pour un commerce ou une exploitation rurale (πρòς ἀφορμὴν ἐμπορίας καὶ γεωργίας)”[1019]. Notons au passage qu'il est remarquable que le terme ἀφορμή soit exactement celui qu'emploie Xénophon dans les Paroi pour désigner la mise de fonds initiale qui serait nécessaire à la mise en œuvre de son projet[1020]. C'est donc le même vocabulaire qui décrit le fonctionnement de la machine financière d'un particulier et celle de l'État. La mesure préconisée par Aristote paraît avoir été effectivement appliquée, même si ce fut avec des modalités adaptées et dans des circonstances particulières. Ainsi, selon le Ps-Aristote, les gens d'Abydos en difficulté à la suite d'une guerre civile promettent un remboursement direct sur une part de la récolte future aux métèques qui prêteraient de l'argent aux cultivateurs pour les aider et les encourager à remettre leurs terres en culture : en d'autres termes, le produit d’une taxe sur les récoltes devait permettre de rembourser les bailleurs de fonds[1021]. A Héraclée du Pont, vers 345, le tyran Timothée annule les dettes et prête à intérêt à ceux qui étaient en difficulté, pour faire du commerce ou pratiquer une quelconque autre activité[1022]. S'agissait-il “d'investir dans l'économie” ? D'une certaine façon oui, à nos yeux. Mais la logique de fonctionnement de l'économie de la Grèce des cités était différente : il s'agissait en fait de mettre temporairement les moyens de l'État au service des particuliers (citoyens) pour les aider à reprendre le cours normal de leurs activités : au fond, même si la dépense de l'État prenait une autre forme que celle qui consistait à distribuer également l'argent à tout le monde, le principe général du fonctionnement de l'État-cité au bénéfice de ses membres restait le même.

Les Poroi de Xénophon et la loi de Samos sur le blé

Pour illustrer le point de vue défendu ici, on prendra un exemple en mettant en parallèle le traité des Sources de revenus (Paroi) de Xénophon et la “loi de Samos sur le blé”. On y trouve en effet la meilleure illustration de ce principe d'État redistributeur. Ce traité a fait l’objet d’un débat fort instructif. A une spécialiste italienne qui voulait voir dans cet opuscule la marque d'une volonté de relance de l'économie athénienne au milieu du ive s., on a pu opposer un modèle radicalement différent, de type fiscal, où l'on a montré que le programme manifestait une volonté de favoriser la croissance des recettes de l'État et non celle de l'économie privée, comme l'on dirait aujourd'hui[1023]. L'objectif de Xénophon aurait donc été, sans recourir à l'impérialisme, de restaurer les finances de la cité et de faire fonctionner harmonieusement la démocratie (Ph. Gauthier) ou bien de soulager la pauvreté de la masse sans frapper lourdement les riches (E. Schütrumpf). Un point important est néanmoins demeuré en débat. Il s'agit de la nature de la trophè offerte aux Athéniens : misthos en rétribution d'une fonction civique (du moins dans un premier temps) pour Ph. Gauthier, distribution régulière pour E. Schütrumpf. On montrera que la loi de Samos illustre parfaitement le propos de Xénophon, parfois jusque dans le détail de l'organisation du système financier, et que les deux textes s'inscrivent pleinement dans la perspective ancienne de l'époque classique et de la haute époque hellénistique, et non dans celle des distributions larges de la basse époque hellénistique.

Pour ce qui est de la “loi de Samos sur le blé”, on sait que son objet tourne autour de la distribution de rations de blé à tous les citoyens[1024]. Un point important tout d'abord. Ce document était jusqu'ici couramment daté du iie s. En fait, il ne peut guère être situé à une date plus basse que les environs de 200 a.C. et il faut peut-être le remonter sensiblement plus haut, jusqu'à c. 260[1025]. On doit aussi souligner que les distributions de blé prévues par la loi sont distribuées à tous les citoyens, et à eux seuls, alors que celles des grands évergètes de la basse époque hellénistique concernent tout le monde, les citoyens, mais aussi les étrangers et même les esclaves : un tel système aurait été impensable deux ou trois siècles plus tôt, en tout cas pour des distributions publiques, puisque l'État, qui était évidemment aux mains des citoyens, fonctionnait à leur seul bénéfice.

Pour D. J. Gargola cependant, le point important n'était pas les distributions de blé. Le véritable but de la loi était selon lui de transformer en argent les revenus en nature du vingtième de l'Anaïtide et les mesures prises avaient pour but de simplifier la gestion financière du temple d'Héra. Insister sur la conversion en argent des revenus en nature est bien venu, car ce point de vue a jusqu'ici été négligé. Mais parler de simplification est pour le moins difficile à admettre, car, pour disposer d'argent liquide, il y aurait eu des moyens infiniment plus simples à mettre en œuvre. Tout lecteur de cette loi comprend immédiatement qu’elle prévoit une procédure a priori étrange et en tout cas fort complexe.

Reprenons les choses au point de départ. Le temple d'Héra, et en fait derrière lui la cité de Samos, disposait du vingtième des productions de l'Anaïtide, c'est-à-dire du territoire de la pérée samienne. Que pouvait-il en faire ? On pensera spontanément à deux utilisations possibles :

• Les citoyens aurairent pu se partager ce grain. C’était apparemment la solution la plus simple. Dans ce cas cependant, la déesse, à qui appartenait le blé, aurait été lésée. Il n'était donc pas possible de procéder de cette manière. Le scrupule religieux rendait la chose impraticable, au moins en temps ordinaire.

• Le blé aurait pu être vendu au plus offrant et au meilleur moment, au besoin à l'étranger. Les caisses de la déesse aurairent été remplies de manière optimale. Dans ce cas, ce sont les citoyens de Samos qui auraient été lésés, eux dont l'effort collectif avait permis de conquérir l'Anaïtide et de maintenir sur cette région une domination sans cesse remise en question. Pour des raisons inverses de la précédente, cette solution était donc également exclue. On a vu que, dans un génos ou dans un dème, c'étaient toujours les membres de ce génos ou de ce dème qui étaient bénéficiaires des contrats d'affermage. Il était impensable qu’une denrée aussi précieuse que le blé, dont Samos ne devait guère avoir d'excédent, échappât ainsi massivement à la consommation des citoyens.

Effectivement, c'est à un système beaucoup plus sophistiqué qu'eurent recours les Samiens : 1) Constitution d'un fonds public pour l'achat de blé, servant exclusivement à cette fin. 2) Prêts annuels des sommes ainsi rassemblées, dont les intérêts étaient destinés d’une part à racheter à la déesse le blé de l'Anaïtide, et aussi d'autre part, secondairement, à acheter un complément de quantité de blé, à Anaia ou ailleurs. Détail supplémentaire, les intérêts de l'argent pouvaient eux-mêmes faire l'objet d'un prêt à intérêt pendant la période où ils se trouvaient inemployés. 3) Quant au blé acheté, à la déesse ou à un autre vendeur, il faisait l'objet d'une distribution strictement égalitaire entre les citoyens.

On voit qu'en matière de simplification, il était possible de faire mieux. Une série de traits sont particulièrement significatifs. Pourquoi un système aussi complexe ? Que ferait un Etat moderne dans un cas similaire ? Plaçons-nous dans la situation qui consiste à exclure par avance la distribution pure et simple d’une rente (comme celle que les Samiens tiraient de l'Anaïtide). Le recours à l’impôt ou à une quelconque autre forme de prélèvement annuel et obligatoire permet, par le biais d’un transfert, de financer des opérations de secours ou d'assistance mutuelle. Mais tel n'était pas le principe de fonctionnement dans une cité grecque. En effet, l'idée de base est toujours et avant tout, si possible, d'éviter l'impôt et de trouver les prosodoi nécessaires par un autre moyen, par exemple en faisant fructifier une certaine somme d'argent. Telle est exactement la méthode que l'on retrouve dans le décret de Samos. En fait, le système employé a trois avantages :

Constitution, entre les mains de la déesse, d'une réserve de numéraire qui pourra être bien utile en cas de nécessité impérieuse et imprévue.

La constitution d’un tel fonds trouve de nombreux parallèles. Naturellement, s'il le faut, l'argent redevient disponible, à charge pour la cité de rembourser ce qu'elle a “emprunté” : c'est ce que se promettent les Athéniens à la fin de la Guerre du Péloponnèse lorsqu'ils doivent aller jusqu'à fondre les nikai d'or de l’Acropole et que trois-quarts de siècle plus tard Lycurgue s'efforce encore de réaliser. Si le fonds de réserve d'une cité est d'ordinaire remis à la caisse d'une divinité, c'est précisément parce que la sacralité vient garantir la fonction de dépôt. Le métal thésaurisé peut éventuellement être à son tour prêté, ou bien il peut faire l'objet d'une thésaurisation improductive, comme c'était le cas pour les réserves d'or et d'argent de l'acropole d'Athènes au ve siècle.

Distribution du blé effectivement produit sur une terre dépendant de la cité, au bénéfice de ses citoyens.

La terre d'Anaia est le bien collectif des Samiens. puisque ce sont leurs efforts de guerre qui leur ont permis de conquérir ce territoire et d’y maintenir leur domination, depuis l’époque archaïque jusqu’à l’aube de l’époque romaine[1026]. L'importance de telles distributions est sans doute toute relative. Ainsi, à Samos. le blé distribué ne représentait qu'une part minime de la quantité effectivement consommée par la population citoyenne (sans doute guère plus de cinq à six rations journalières sur une année)[1027]. Cependant, on aurait tort de considérer cet apport comme négligeable. S'ajoutant aux parts de sacrifice des jours de fêtes de la cité ou des organisations civiques intermédiaires, il devait au contraire être fort attendu dans nombre de familles citoyennes pauvres : d’où le souci extrême de réglementation qui entoure tout le processus. On ne peut s’empêcher de penser aux distributions de blé effectuées à Athènes et à cette scholie des Guêpes, 718, qui évoque la mise à l’écart de 4 760 personnes considérées comme n’ayant pas droit aux distributions de blé organisées par la cité en 445-444. Le blé occasionnellement distribué par les cités n’était donc pas une chose négligeable, y compris au plan alimentaire.

Mise à la disposition des citoyens d'une niasse d'argent à emprunter.

Or. précisément, on sait que les citoyens ont besoin d'argent, pour satisfaire toutes sortes de besoins. On connaît le débat qui entoure la nature des prêts, productifs ou non, dans la société grecque antique[1028]. La réponse est sans doute que la destination des prêts était variable mais la question n’a pas à être traitée ici. Ce qu’on doit retenir, c’est cette faim d’argent dans les cités, qui permet par exemple de rendre compte des prêts de faible montant, comme ceux dont bénéficiaient les Athéniens de Rhamnonte grâce au sanctuaire de Némésis[1029]. A une autre échelle, c’est pour la même raison que l’on peut comprendre que les Priéniens aient accepté le dépôt de quatre cents talents d'argent effectué par Oropherne de Cappadoce : en effet, un dépôt pouvait être pour celui à qui il était confié un moyen de faire fructifier de l'argent[1030]. Isocrate savait bien que le mouvement des prêts dépendait de la confiance que pouvaient avoir les prêteurs dans le remboursement, avec intérêt, des sommes qu’ils avaient avancées[1031].

Ce sont donc ces trois objectifs qui sont atteints grâce au système de gestion mis en place par les Samiens. Insister sur le premier d'entre eux est une chose certes importante. Mais vouloir tout ramener à ce seul point, c'est oublier qu'on aurait pu atteindre ce but par d'autres procédés. Le mécanisme mis en place par les Samiens était fort complexe, mais pleinement dans la lignée des mesures prises par les cités grecques dans des circonstances analogues et dont le Ps-Aristote nous donne de bons exemples. Pour que le système pût fonctionner, il fallait trois conditions : d'abord l'existence d'une rentrée de blé permanente (le vingtième d'Anaia) ; ensuite l'existence d'un capital de départ qui permettait de racheter le blé parvenant annuellement ; enfin une organisation d'ensemble rigoureuse avec en particulier un système de prêt contraignant.

On doit souligner que le fait que les responsables de la gestion soient des commissaires et non pas des gestionnaires professionnels, comme ce serait le cas aujourd'hui permettait à la fois de limiter les frais de gestion et aussi de responsabiliser et d'intéresser directement les participants à la gestion : c'était le bien collectif de la cité qui était en jeu. donc indirectement le leur propre ; mais aussi le fait que leur responsabilité personnelle ait été engagée dans le maniement des fonds faisait qu'ils avaient tout intérêt à ce que les opérations soient menées à terme avec succès. De même, dans la mesure où les prêts non seulement devaient être offerts mais aussi devaient trouver preneurs, la responsabilité collective étendue à l'ensemble du peuple et répartie entre ses diverses subdivisions, les chiliastyes, faisait que le contrôle le plus étroit devait être assuré. Notons précisément que dans des cas similaires Aristote recommandait de laisser aux tribus le rôle de gestion des fonds, et que le Xénophon des Paroi ne proposait pas autre chose[1032].

Car, à tous égards, le système de Samos fait directement penser au traité des Paroi. Constitution d'une mise de fonds initiale, à Athènes par l'impôt, à Samos par une epidosis. Gestion financière au plus près des fonds rassemblés. Distribution au bénéfice des ayants droit, c'est-à-dire des citoyens. Avec le décret samien, on est au cœur d’un système qui doit rendre aux citoyens tous les services possibles, de même que tout le projet des Paroi n’a d’autre but que d’assurer la trophè des citoyens, et non pas la prospérité d’un État abstrait qui serait totalement distinct des individus sous son contrôle[1033].

Prosodoi publics et prosodoi privés

Lorsque Polybe dresse le tableau de l'extraordinaire montée de la puissance romaine, il met sur le même plan l'augmentation des fortunes privées et la fortune collective de la cité. C'est ce qu'il fait à propos de la nouvelle puissance de Rhodes, pour laquelle il signale la surprise qui se manifeste lorsqu'on voit à quel point la fortune des particuliers et celle de la cité ont pu s'accroître en peu d'années (λίαν θαυμάζειν ὡς βραχεῖ χρόνῳ μεγάλην ἐπίδοσιν εἴληφε περί τε τοὺς κατ’ ἰδίαν βίους καὶ τὰ κοινὰ τῆς πόλεως)[1034]. A Milet. deux inscriptions mentionnent explicitement le lien entre les difficultés ou au contraire l'augmentation des fortunes des particuliers et de celle de l'État. Il en est ainsi d'une inscription de 21 1/210 qui signale le mauvais état des revenus publics et des revenus individuels des particuliers (διὰ τὸ πεπονηκέναι τάς τε κοινὰς καὶ ἰδίας ἑκάστου προσόδους)[1035]. Les koinai prosodoi sont évidemment les revenus publics[1036]. Un peu plus tard, c'est cette fois le notable Eirénias qui obtient du roi séleucide une exemption de taxes pour tous les produits exportés depuis le territoire de Milet vers celui du roi, de sorte qu’il serve “à l'accroissement des revenus de la cité comme à ceux de chaque particulier” (πρὸς ἐπαύξησιν δὲ ἀνήκουσαν τῶν τε τῆς πόλεως καὶ τῶν έκάστου τῶν ἰδιωτῶν προσόδων)[1037].

Cette concomitance des prosodoi publics et des prosodoi privés signifie-t-elle la prise de conscience d'un lien hiérarchique entre les deux domaines ? Il faut répondre par la négative : il y a parallélisme, et non pas lien de causalité établi entre une politique de l'État prise dans sa globalité, au-delà d'une mesure particulière comme l'obtention d'un privilège par Eirénias au profit des Milésiens. C'est la raison pour laquelle on ne peut par exemple accepter telle quelle l'idée que dans le traité des Poroi “Xenophon offers a sériés of observations and recommendations about restoring the city's economy following the disasters of the Social War” ou que “in the economic recovery program designed after the Social War, Eubulus seems to have adopted a number of Xenophon's recommendations, and to good effect”[1038]. L'idée que la politique menée à cette époque correspondait à un “disembedding” progressif de l’économie grecque antique n'est pas davantage acceptable. Ce n’est pas en ces termes qu’il faut poser le problème : c’est en elle-même la notion d’économie immergée dans le social qu’il faut remettre en cause.

A ce compte, en effet, on pourrait tout aussi bien dire que c'est l'État-polis qui est immergé dans l'économie. Le vrai problème est ailleurs. En tendant à tout moment à se comporter en rentier collectif à multiples facettes, l'État-polis ne laissait pas de place à l’opposition constitutive de la rationalité économique classique (contemporaine) entre la sphère de l’État et celle de l’économie, qui nous est si familière. La rationalité économique moderne suppose que dans un espace donné l'État assure le maintien de l'ordre. Il permet ainsi le développement d'un marché libre et concurrentiel, en se gardant par dessus tout de “faire des affaires” et même d'intervenir en une quelconque façon dans le libre jeu de l’offre et de la demande entre particuliers. Ces derniers en revanche ont toute liberté pour mener à bien la mise en œuvre de leurs intérêts, à charge pour eux, en tant que personnes privées ou personnes morales, de respecter les lois veillant à assurer la liberté de chacun et donc la bonne marche du système. C'est ainsi, par la séparation d'avec l'État, que se constitue la sphère de l'économie[1039]. Dans le système de l'économie libérale classique, qui, à l'époque moderne et contemporaine, a trouvé sa forme la plus achevée dans les pays anglo-saxons, l'État est en principe extérieur à l'économie. Et c'est précisément cette extériorité qui est constitutive de l'autonomie de l'économie, en tant que réalité concrète, et aussi, au plan conceptuel, dans les exposés des économistes classiques. On voit qu'il n'y a pas de hasard : d'Adam Smith à l'École de Chicago, l'orthodoxie libérale est à la fois le produit et l'idéologie d'un monde où l'État est tenu à l'écart mais où il est en même temps l'horizon de référence qui, en négatif, permet de définir le champ d'action des acteurs économiques.

Telle est la raison pour laquelle il nous a toujours paru insuffisant de chercher les manquements de la cité grecque antique par rapport aux normes qui sont, en principe, celles de l'État libéral moderne. En fait, cette “analyse par défaut” projette dans le passé les règles et surtout le champ conceptuel de l'économie classique au moment même où elle croit s'en débarasser. En ne retrouvant pas les traits qui sont ceux de l'économie moderne, on conclut trop vite que les anciens Grecs “n'avaient pas d'économie” et que c'était la politique qui tenait lieu de tout. Telle quelle, la thèse de l'homo politicus opposé à l'homo œconomicus de l'époque médiévale ne nous paraît pas acceptable[1040]. Il paraît plus important de relever que toute l'organisation sociale et le champ conceptuel de la cité étaient construits de manière totalement différents des nôtres, que triompher en ne voyant nulle part d’organisation semblable à celle de l'économie contemporaine dans la société grecque antique n'est qu'une victoire à la Pyrrhus. Naturellement, il n'aurait pas suffi d'un coup de baguette magique, de la “découverte” que l'État pouvait avoir un fonctionnement de type complètement différent, pour que “l'économie” apparaisse soudain toute armée dans le monde de la polis grecque. La structure poliade était un tout. On n'aurait pu changer l'État sans changer tout le reste. C'est en ce sens, et en ce sens seulement, que l'on peut dire que le système économique de la polis était “embedded” dans la société. Mais il est vrai qu'à ce niveau de rationalité, l’affirmation vaut pour toutes les sociétés et n’est donc qu’un truisme.

Si au contraire on saisit que la recherche des prosodoi et en contrepartie la satisfaction directe des besoins des “acteurs-sociétaires” (qu'il s'agisse des citoyens ou des particuliers) sont toujours restées l'un des pivots du système civique comme du système de l'oikos, on comprend que l'économie – entendons l'économie des Grecs – ait au contraire été omniprésente. La cité n'a jamais été un État semblable à l’État contemporain. Au bout du compte, même si par exemple la cité constitue une réserve de numéraire ou bien assure des fonctions régaliennes de maintien de l'ordre, comme entre autres la justice des transactions, ce qui apparemment constitue des fonctions autonomes de l'État au sens où nous l'entendons, le système dans lequel s'insèrent ces pratiques fait qu'elles sont bien vite détournées de leur but apparent. Le fonds de réserve pourra servir à équiper une flotte, mais une flotte qui permettra à son tour d’engranger des prosodoi. Quant aux transactions, la bonne marche des affaires et la réputation de la place de commerce servent directement les intérêts de l'État parce qu'ils permettent à leur tour d’engranger des prosodoi importants sous forme de taxes sur les échanges.

S’agissant de ce que nous appelons économie, le partage entre le public et le privé était différent dans l'antiquité. Dans le système libéral contemporain, le public, c'est l'État, le privé l'économie. Mais cette distinction n'existait pas dans le monde de la cité, même s'il existait un large jeu de possibilités de la réalisation de la forme polis, comme le montre bien Aristote dans la Politique. C'est la catégorie des prosodoi qui est décisive, qu'on peut acquérir à titre privé, comme idiôtès, ou à titre public, comme politès. Pour employer une métaphore spatiale, la conception moderne présuppose l’existence d'une séparation horizontale : au-dessus l'État, en dessous l'économie. Dans le monde de la polis, seuls comptent les prosodoi qu'un particulier va obtenir par son activité à titre privé ou dont il va bénéficier à titre public par sa participation à la communauté-État. Quant à cette dernière, elle cherchait avant tout à obtenir des prosodoi, avec des moyens qui étaient différents de ceux d’un particulier mais qui restaient fondamentalement de même principe. Ce qui était condamné était l'utilisation des koina de la cité pour acquérir une fortune à titre privé, mais c'est là tout autre chose. Selon le Xénophon des Paroi en tout cas, la cité devait même envisager de louer des navires de commerce ou des esclaves publics pour le travail dans les mines[1041]. En d’autres termes, l’État devait se comporter exactement comme un particulier. L’originalité tient au fait que Xénophon proposait cette fois de recourir à des moyens qui d’ordinaire ne relevaient pas de la sphère de l’État mais de celle des particuliers. Comme on le sait, ces propositions n’eurent pas de suite. Mais on conçoit très bien par quelle logique l’auteur des Paroi en arriva à faire ces propositions : elles étaient pleinement dans la ligne de la mise en parallèle de l’action de l’État et de celle des particuliers, qui tous deux visaient à obtenir des prosodoi d’un montant aussi élevé que possible.

C'est enfin une autre distinction qui ne pouvait exister, celle qui prévaut aujourd'hui entre macro-et microéconomie. Dans la mesure où l'État-polis n’était pas autre chose qu'une machine à prosodoi, que sur ce plan-là au moins il ne se comportait pas différemment d'un propriétaire privé, il n'y avait pas de place dans ce système pour ce que nous appelons macroéconomie. Même les revenus de l'État-polis étaient rapportés à ce qu’on appellerait aujourd’hui une perspective microéconomique. D'où, de notre point de vue, l'incapacité à globaliser, à avoir une conception claire des relations de hiérarchie entre par exemple l'action de l'État et ses effets sur l’activité économique des particuliers. Les décrets milésiens, tout comme Polybe, montrent que l'on avait conscience du parallélisme entre la situation de la fortune de l'État et celle des particuliers. Au coup par coup, le lien entre telle mesure législative et ses effets heureux ou malheureux sur l'activité privée était parfaitement clair. En revanche, le fait que l'État (donc assez directement aussi les citoyens) puisse être bénéficiaire d'une mesure fiscale donnée n’autorisait pas la mise en œuvre d’une “politique économique”, liée à la conscience d'un lien économique au sens où nous l'entendons entre l’action de l’État et l’activité privée, tout simplement parce que l’État lui-même était un “acteur économique”. Ainsi des taxes qui frappaient les marchandises à l'entrée et à la sortie, ce paradoxe qui avait le don de faire bondir Μ. I. Finley : l'intérêt immédiat de l'État rentier collectif masquait l'intérêt d'une politique fiscale favorisant les exportations et au contraire frappant lourdement les importations. Cela ne signifie nullement que la cité se soit désintéressée du commerce. Ainsi, si elles pouvaient se révéler gênantes pour les productions locales, les importations pouvaient éventuellement être totalement interdites, ce qui était une manière radicale de traiter le problème[1042]. Plus fondamentalement, les cités ne pouvaient se désintéresser de l'activité économique, et ainsi en particulier du commerce. La chose se comprend d'autant mieux que les bailleurs de fonds et nombre d’acteurs directs de l’activité commerciale étaient eux-mêmes citoyens. Les cités, ou du moins celles qui avaient des intérêts commerciaux à défendre, n’avaient donc nulle répulsion à l’égard du commerce, bien loin de là : c’est de cette manière qu’il est possible de rendre compte de l’intervention de neuf cités d’Asie Mineure, en tant que telles, pour régler le fonctionnement de l’emporion de Naucratis ou la place dévolue aux commerçants des cités de Maronée, Apollonia et Thasos dans la Thrace du ive s.[1043] En revanche, dans la définition de cette politique, des contradictions pouvaient survenir entre l’action de l’État et les activités des particuliers, mais c’est là un autre sujet.

Conclusion

Bien entendu, si la place de l’économie n’était pas la même que celle qui lui est dévolue dans la société contemporaine, ce n’est pas seulement parce que le rapport entre la chose publique et les intérêts privés n’était pas le même qu’aujourd’hui. En envisageant les choses sous un autre angle, on trouverait que les circuits de production étaient infiniment plus courts que les nôtres et que la rente jouait un rôle décisif dans les choix financiers et économiques, aussi bien pour les particuliers que pour l’État. Mais en tout cas, on ne peut plus continuer à projeter sur la cité antique l’image de l’État libéral contemporain, car, ce faisant, on en arrive à commettre une erreur d’aussi grande ampleur que les modernistes qui projettent sur le monde antique les catégories de l’économie politique du monde d’aujourd’hui.

D’aucuns considèrent qu’aujourd’hui les débats relatifs à la nature et à la place de l’économie antique sont dans une impasse totale et ne méritent plus qu’on s’y intéresse. Ce point de vue pessimiste et négatif est en réalité hors de saison. Bien au contraire, en parallèle avec de nombreuses études factuelles portant sur des domaines aussi divers que la circulation monétaire, les règlements commerciaux, la fabrication des amphores ou la production agricole, le regain d’intérêt pour les questions économiques dans les travaux récents laisse penser que des avancées décisives sont maintenant possibles[1044]. Si l’on fait définitivement abstraction des catégories conceptuelles modernes, c’est-à-dire si l’on va jusqu'au bout du chemin sur lequel Μ. I. Finley ne s’était engagé qu’à moitié, on doit pouvoir parvenir à construire un modèle de fonctionnement de la société et de l’économie antique qui évite tout à la fois le modernisme et le réductionnisme néo-primitiviste de la Nouvelle Orthodoxie pour enfin restituer à l'économie la place qui lui revient dans l’horizon des sociétés antiques, avec les catégories conceptuelles qui étaient les siennes.

Chapitre XII. Les cités grecques, le marché et les prix

Au cours du xxe s., de manière explicite ou implicite, la réflexion sur la spécificité et la place de l’économie dans les sociétés de l’Antiquité classique, et spécialement en Grèce ancienne, s’est développée en ultime ressort dans le cadre d’une interrogation plus vaste : celle de savoir en quoi a pu consister la spécificité de l’Occident. C’est en Occident, en effet, qu’est apparu un système économique dont le dynamisme a d’abord bouleversé l’équilibre social des sociétés européennes qui lui avaient donné naissance. Il s’est aujourd’hui étendu à toute la planète, en se subordonnant puis en transformant de manière apparemment irrésistible tous les autres systèmes sociaux préexistants.

Il y a certes une distance considérable entre les grandes conceptualisations couvrant l’histoire de plusieurs continents sur deux ou trois millénaires et les recherches des spécialistes, qu’elles portent sur la Grèce ancienne ou l’Orient musulman, l’Inde précoloniale ou la Chine mandchoue. Pourtant, que leurs auteurs le veuillent ou non (parfois aussi à leur corps défendant), les études ponctuelles trouvent souvent leur source d’inspiration dans les grandes synthèses qui ont tenté de répondre au problème évoqué précédemment, celui de l’origine et des formes de développement de l’économie marchande moderne. Il n’est donc pas superflu de commencer par situer ces travaux sur la “cité marchande” dans la perspective de ce débat. Mais c’est ensuite la question du rapport entre l’État et l’échange marchand et, surtout, celle du marché et de la formation des prix qu’il faudra aborder.

Polanyi ou weber ?

Ce sont incontestablement les travaux de Karl Polanyi qui ont le plus inspiré l’histoire économique des dernières décennies. C’est en effet Polanyi qui a fourni le cadre conceptuel d'explication le plus couramment accepté de l’apparition du système économique désigné sous le nom de “capitalisme”, système que l’on pourrait brièvement définir comme celui où l’accumulation du capital s’opère par un processus cumulatif qui se nourrit de lui-même. Si le capitalisme est né en Occident à la fin de l’époque médiévale et à l’époque moderne, il peut donc paraître légitime de s’interroger pour savoir pourquoi cette genèse ne s’est pas produite ailleurs, en d’autres temps et en d’autres lieux, par exemple en Chine ou en Inde, ou encore tout aussi bien en Grèce ancienne. On ne pourra ici rappeler que trop brièvement l’explication synthétique donnée par Karl Polanyi.

Selon ce dernier, on doit rejeter une vision évolutionniste de la genèse du capitalisme[1045]. Le capitalisme n’est pas né d’une extension progressive des échanges provoquée par la division du travail, selon le modèle d’Adam Smith. On peut certes imaginer un modèle théorique unilinéaire qui voudrait que des groupes familiaux ou des villages aient procédé à des échanges réciproques, que ces échanges se soient progressivement développés jusqu’à prendre une envergure régionale puis interrégionale, pour finir, par extension, par devenir un réseau mondial. Mais ce schéma ne correspond nullement à ce que l’on peut observer empiriquement dans le développement historique. En fait, selon Polanyi, le propre des “sociétés précapitalistes” est que l’économie n’y existe pas en tant que sphère autonome. Ce sont de tout autres motivations que le gain qui ont gouverné leurs “systèmes économiques” (qui n’étaient donc pas de vrais systèmes économiques) : dans les sociétés primitives, il s’agissait essentiellement d’un système de réciprocité fondé sur le don-contre don ; dans les sociétés d’empire, comme celles de la Mésopotamie antique, de l’Égypte pharaonique, de la Perse, de la Chine, de l’Inde et de même pour celles de l’Amérique précolombienne, qui pourtant connaissaient déjà un degré élevé de division du travail, c’était la redistribution sous le contrôle de l’État qui prévalait. C’était donc la parenté (dans les sociétés primitives) ou l’État bureaucratique et ses représentations politiques et religieuses (dans les sociétés d’empire) qui gouvernait “l’économie” de ces sociétés, et non pas le marché. Dans ces sociétés, l’économie n’existait donc pas comme sphère autonome : elle était en fait “immergée” dans les institutions sociales ou politiques.

Pour Polanyi, l’échange marchand pouvait certes exister dans les sociétés précapitalistes, mais il n’y jouait qu’un rôle mineur, aux marges d’un système qui l’ignorait et même s’en défendait vigoureusement. L’un des principaux traits qui caractérisaient alors l’échange marchand était la séparation entre commerce local et commerce international. Tandis que le commerce local répondait aux besoins d’échange immédiat des individus, des familles ou autres regroupements de faible envergure, le commerce international répondait pour l’essentiel aux besoins des élites et était aux mains de marchands spécialisés. Les lieux de marchés étaient des points de rencontre aux frontières de deux communautés, des sortes de lieux neutres où les procédures d’échange, et en particulier l’établissement du prix des denrées, s’opérait selon des conventions traditionnelles et non en fonction de la loi de l’offre et de la demande. En réalité, tout en étant séparés l’un de l’autre, commerce international à longue distance et commerce local fonctionnaient selon le principe de complémentarité et non selon le principe de concurrence. Dans les sociétés précapitalistes, il n’existait donc pas de “marché autorégulateur, où toute chose tend à se transformer en une marchandise dont le prix résulte de la confrontation d’une offre et d’une demande, qui rétroagissent elles-mêmes aux variations des prix”[1046].

Pour Polanyi, c’est seulement avec l’alliance des bourgeoisies marchandes et des monarchies centralisées, réalisée à l’époque moderne, que le système d’accumulation capitaliste put prendre son essor. Au cours du Moyen-Age, les marchands atteignirent un haut degré d’autonomie par rapport au pouvoir politique. L’exceptionnel essor des cités italiennes ne put toutefois déboucher sur un véritable capitalisme, sans doute du fait du caractère trop fragile et étroit de leur base politique. Mais, dans le Nord de l’Europe cette fois, l’alliance des bourgeoisies marchandes et des princes contrôlant de vastes espaces où ils faisaient effectivement régner un ordre légal, permit finalement la vraie apparition du capitalisme. Selon Polanyi, c’est donc par le haut, par le grand commerce, et non par le bas, par l’extension progressive des marchés locaux, que le capitalisme prit son essor. S’emparant finalement des processus de production eux-mêmes, alors que jusque là pour l’essentiel ils leur avaient échappé (dans la ville médiévale, la production artisanale était sous le contrôle des corporations, et la production agricole relevait de structures de type féodal), les processus d’accumulation capitaliste devenaient une force irrésistible, destinée à prendre le contrôle de toute la planète.

Le schéma global défini par Karl Polanyi possède une grande puissance de suggestion. En outre, la méthode a aussi permis des analyses institutionnelles solides et bien argumentées, comme par exemple sur les marchés des sociétés précolombiennes ou de l’Afrique traditionnelle du xviiie siècle[1047]. Mais, employée de manière rigide, elle présente cependant un risque indéniable. Étant donné l’objectif qui était le sien, lequel consistait dans un premier temps à essayer d’expliquer l’origine du système d’accumulation capitaliste, on comprend très bien que Karl Polanyi ait développé le concept de sociétés “précapitalistes”. Ces sociétés n’étaient donc pas analysées pour elles-mêmes, mais par rapport au système capitaliste, qui, avec son successeur annoncé le socialisme, jouait donc pour K. Polanyi le rôle de “fin de l’histoire”. En quelque sorte, la méthode consistait d’abord à utiliser une grille de lecture, à opérer une recherche des “manques” par rapport aux traits qui paraissaient pertinents pour expliquer l’essor de l’Occident. La question est de savoir si celte grille de circonstance peut avoir une valeur heuristique universelle. En fait, elle présente le risque de laisser passer l’essentiel de ce qui faisait la spécificité d’un système économique. Un filet aux mailles trop larges ne permet pas de ramener le commun des espèces qui font la richesse d’un fond marin : et l’on conclut que la mer est vide.

Si l’on pose au départ que seul le “système capitaliste” tel qu’il s’est développé dans l’Europe moderne correspond à des mécanismes économiques authentiques, toute société qui l’a précédé ne pourra qu’être considérée comme un échec par rapport à l’idéal qu’il est censé avoir pu atteindre. Plus grave, le concept classificatoire de “société précapitaliste”, qui écrase la perspective temporelle, peut finir par devenir un gigantesque fourre-tout, dans lequel la spécificité de chaque société risque de disparaître. Le danger principal auquel, à notre sens, ont peu ou prou succombé nombre des disciples de Polanyi étudiant les sociétés du monde classique, est celui du primitivisme, inhérent au concept même de société “précapitaliste”. Trop souvent, par un processus circulaire, on doit constater que des spécialistes ont refusé d’admettre l’existence de structures, institutions ou comportements, parce qu’ils les jugeaient non conformes à la représentation d’une société “précapitaliste”, donc nécessairement “primitive”, qu’ils s’étaient forgée.

On doit paradoxalement relever que K. Polanyi lui-même, très impressionné par les prix et la réflexion sur les prix en Grèce ancienne, faisait de la Grèce une semi-exception dans sa vision d’un monde précapitaliste ignorant le marché. Pour lui, c’est l’Athènes du ive s. qui aurait vu la naissance des prix de marché[1048]. Mais dans le domaine de l’histoire économique de l’Antiquité, ce sont les travaux de Johannes Hasebroek et de Moses Finley qui ont bénéficié de la plus grande audience au cours des dernières décennies. Avec la pléiade d’études auxquelles ils ont donné naissance, ils sont devenus une sorte de “Nouvelle Orthodoxie”, selon le mot de K. Hopkins, lui-même ardent défenseur de ces positions[1049]. Aussi bien Hasebroek que Finley (ce dernier se plaçant explicitement dans la filiation des travaux de Polanyi) ont pris des positions qu’il faut bien définir comme une forme de néoprimitivisme. L’historiographie du débat sur l’économie antique a été récemment exposée à plusieurs reprises et il est donc inutile d’y revenir[1050]. En outre, la question (bien plus complexe qu’on ne l’a longtemps cru) de la filiation allant de Weber à Polanyi, et de Polanyi à Finley, a fait l’objet de remarques approfondies de H. Bruhns[1051]. Ce dernier a souligné que M. Finley avait gardé pour l’essentiel l’aspect “type idéal” de la cité grecque, mais qu’il avait fini par donner une vision “incomplète et déformée” de la cité antique de Max Weber[1052]. Au point de départ et au point d’arrivée de la chaîne de filiation, et sur une question aussi décisive que celle du marché dans le monde de la Grèce des cités, Weber et Finley ont en réalité défendu des points de vue diamétralement opposés.

En effet, quoi qu’en dît Finley[1053]. Weber accordait au marché un rôle très important dans l’évolution du monde antique. En une thèse fort originale, ce dernier soulignait le rôle de l’échange marchand non pas comme développement tardif, mais bien aux origines de la civilisation antique, l’évolution ultérieure tendant au contraire à en réduire l’importance[1054]. Tout en montrant les différences structurelles d’avec le système économique contemporain, il n’hésitait pas à admettre “le caractère largement ‘capitaliste’ d’époques entières de l’histoire antique (et précisément des plus grandes)”[1055]. Au demeurant, cette définition n’avait rien à voir avec une quelconque attitude moderniste, car Max Weber s’efforçait de donner des définitions précises et techniques qui montraient que, dans son esprit, il n’y avait nulle assimilation du “capitalisme” antique au “capitalisme” de l’époque contemporaine. Au contraire, il polémiquait sans cesse contre les collages typiquement modernistes d’Eduard Meyer, qui, par exemple, croyait retrouver trait pour trait le xviiie s. européen dans la Grèce hellénistique et sa supposée “industrialisation”[1056].

En revanche, M. Finley considérait que l’échange marchand, quantitativement négligeable, ne jouait aucun rôle structurel dans l’Antiquité classique et niait catégoriquement l’existence d’une quelconque forme de structure de marché dans les mondes anciens[1057]. Bien que les références à Weber dans L’économie antique soient élogieuses, le point important est le non-dit, l’appréciation radicalement différente du rôle du marché[1058]. Sur ce point, Finley était donc aux antipodes de Weber[1059].

Mais l’opposition tient aussi à la méthode. Pour ce qui est de la conception même de l’économie antique, M. Finley croyait possible de définir une économie antique - ou plutôt de trouver les traits distinctifs à cette période connue sous le nom d’Antiquité qui faisaient que l’économie y était gouvernée par des contraintes extra-économiques spécifiques[1060]. Au contraire, dès son étude sur Les causes sociales du déclin de la civilisation antique de 1896[1061], M. Weber traitait l’économie antique non pas comme une structure intemporelle mais comme un processus historique dynamique. Il se donnait pour objectif d'en définir la logique, les étapes, en montrant comment les processus qui, selon lui, avaient permis l’essor des cités grecques puis celui de Rome, avaient fini par se bloquer et à conduire la civilisation antique à sa perte. En terme de méthode, et malgré des convergences incontestables sur un certain nombre de points, on doit donc aussi souligner la différence entre l’approche de Max Weber et celle de Moses Finley.

Le débat sur l’économie antique, et spécialement sur la question de l’échange marchand, ne doit cependant pas se ramener à un débat historiographique, combien salutaire certes, mais qui, si l’on s’en contentait, se trouverait en porte à faux par rapport aux réalités de la recherche historique en histoire ancienne, qui, dans tous les domaines (critique textuelle, épigraphie, papyrologie, archéologie, numismatique) a accompli d’énormes avancées au cours de ce siècle. H. Bruhns a eu raison d’insister sur la formule de Max Weber évoquée en introduction, qui aux généralisations abusives opposait la rigoureuse épreuve des faits[1062]. C’est à la lumière de ces études factuelles qu’il est possible de poser de manière différente la question des rapports entre État-cité et échange marchand ou celle du marché.

L'état et l’échange marchand

L'idée que les cités grecques, en tant qu’États, aient pu s’intéresser au commerce a rencontré une vive opposition[1063]. Au plan méthodologique, en effet, il a longtemps été admis à la suite des travaux de Johannes Hasebroek et Moses Finley que la cité n’avait décidément rien à voir avec le commerce, qu’elle s’en désintéressait totalement. Tout au plus pouvait-elle avoir une politique d’importation visant à assurer la trophè, l’alimentation des citoyens. De manière plus générale, l’un des concepts clé de cette théorie était que la cité (et de même tout État antique) ne pouvait avoir aucune politique économique au sens moderne du terme. Ainsi, selon Finley, on chercherait en vain dans les cités grecques une politique visant à stimuler les exportations pour dégager des excédents ou au contraire à limiter les importations au moyen de droits de douane[1064].

Relevons d’emblée qu’il y aurait en fait beaucoup à dire sur cette insistance mise sur les droits de douane et leur utilisation comme critère de définition d’une politique économique dans une société “capitaliste” développée. Il est clair aujourd’hui qu’il ne faut voir là qu’une phase transitoire dans l’histoire de la politique économique des sociétés européennes. L’utilisation des droits de douane comme instrument de guerre économique est certes une pratique qui n’a pas disparu. Mais la vision libérale héritée de l’Angleterre du xixe s., qui est aujourd’hui dominante (autre phase transitoire peut-être, mais là n’est pas la question), veut que les droits de douane soient une entrave au développement, un héritage au sein des sociétés contemporaines des pratiques des États de l’Europe moderne, et non pas un critère de l’existence d’une “politique économique au sens achevé du terme”, si tant est que ce concept ait un sens[1065].

Un des points nodaux des thèses de la “Nouvelle Orthodoxie” relativement au commerce est que la cité avait seulement une politique d’importation visant à assurer au meilleur compte l’alimentation de ses citoyens. Indubitablement, une telle politique existait bel et bien. Vu l’importance de la dépendance envers l’extérieur des cités du monde égéen, il était en effet vital que les cités fissent tout pour éviter une rupture brutale de leurs approvisionnements, qui risquait d’avoir à très brefs délais les plus graves conséquences. C’est naturellement au premier chef Athènes qui était concernée par cette dépendance envers les marchés extérieurs[1066]. Cependant, on sait aussi qu’Athènes n’était pas la seule dans ce cas et que les grandes cités maritimes développées du monde égéen étaient peu ou prou dans la même position, même si les petites avaient un horizon d’approvisionnement plus limité[1067]. On serait bien en peine de fixer le taux de dépendance extérieure d’Éphèse. de Chios, ou de Mytilène. Mais, pour Rhodes, on relèvera seulement qu’au xviiie s., dans les conditions d’une occupation turque plus rude que dans les autres îles du Dodécanèse mais avec une charge de population moindre qu’à l’époque hellénistique et une agriculture beaucoup moins orientée vers l’exportation, l’île ne se nourrissait que huit mois sur douze[1068].

Dans l’Antiquité, on sait que Rhodes importait du grain de l’extérieur, sans doute principalement d'Égypte, même si cette source ne devait pas être unique : en 170, Rhodes demande à Rome une licence d’exportation de 100 000 médimnes de grain de Sicile, sans doute parce qu’à cette époque, l’Égypte était aux prises avec Antiochos IV et du fait de cette guerre ne pouvait plus ou ne voulait plus exporter[1069]. En elle-même, cette dépendance à l’égard des approvisionnements extérieurs doit être relevée comme un fait majeur. Malgré les incertitudes pouvant toujours peser sur les lignes maritimes, le fait que pendant plusieurs siècles les populations des cités aient compté sur ces échanges extérieurs pour ce qui était la hase même de leur alimentation suppose ainsi une confiance raisonnable dans leur pérennité[1070]. Dans l’histoire des sociétés humaines, c’est la première fois que l’on voit de grandes concentrations de population accepter comme un état normal et ordinaire de dépendre aussi directement, pour leur survie même, d’approvisionnements aussi lointains, reposant non pas sur des tributs imposés par une quelconque forme de domination politique, mais sur des échanges de type commercial, assurés par une multitude de décisions individuelles d’achat et de vente.

Que les cités grecques aient pu mener une politique visant à assurer la permanence de ces achats n’a donc rien pour surprendre. Il ne s’agit même pas d’une spécificité des cités grecques antiques. Tout État se trouvant de manière analogue dans une grande dépendance à l’égard d’une source d’approvisionnement extérieure est amené à avoir une attitude similaire. A long terme, la dépendance de la plupart des sociétés développées à l’égard du pétrole importé est un fait incontournable[1071] : or, ils ont presque tous développé une politique de cet ordre. Dans l’Antiquité comme de nos jours, tout en comptant sur le marché, les états les plus puissants mènent officiellement ou officieusement une politique de contacts directs de nature politique pour s’assurer soit des parts de marché qui leur garantiront un minimum d’arrivages en toute circonstance, soit la sécurité des routes d’approvisionnement, éventuellement en occupant des points d’appui sur les routes maritimes pour faire face à toute éventualité en cas de crise.

Mais la seule politique d’importation ne saurait suffire à rendre compte de l’attitude des cités à l’égard du commerce extérieur. C’est ainsi qu’on doit mettre l’accent sur des accords internationaux, conclus entre cités pour s’assurer des avantages réciproques, dont il est vain de vouloir nier la nature commerciale[1072]. La réflexion d’Aristote montre que l’autarcie n’était nullement une fermeture au commerce extérieur : il s’agissait en fait d’une pratique consistant à offrir à une autre cité, donc de préférence dans un rapport dual, le surplus d’une production qui se trouvait être excédentaire, la cité partenaire fournissant de son côté de la même manière le surplus d’une production différente qu’elle avait en excès, chacune important ce qui lui manquait[1073]. Une cité ayant des excédents de blé et manquant de vin pouvait ainsi nouer un accord profitable avec une cité se trouvant dans le cas inverse. De la sorte, dans la conception d’Aristote, la cité pouvait éviter de tomber dans la “chrématistique”, dans l’attitude consistant à faire du commerce non pas pour satisfaire des besoins, mais pour la simple recherche de gain. En somme, ce qu’Aristote refusait était que le commerce et l’accumulation ne devinssent une fin en soi, hors de tout cadre civique et ne pussent au contraire menacer le cadre de la vie civique.

L’intérêt de la cité pour le commerce extérieur ne se manifestait pas seulement, si cela paraissait utile, par la conclusion de traités d’importation et d’exportation, mais aussi par une politique de réglementation pouvant aller jusqu’à l’interdiction d’importer un produit qui aurait été susceptible de faire concurrence aux produits du pays : c’est de cette manière que l’on peut expliquer les restrictions mises par la cité de Thasos, grande cité viticole, à l’importation de vin dans la zone commerciale qu’elle contrôlait[1074].

Enfin, les cités qui comptaient en leur sein des communautés importantes de marins ou de commerçants pouvaient aussi être amenées à développer des structures institutionnelles leur permettant d’exercer leurs activités dans un cadre juridique favorable. Le cas de l’emporion de Naucratis, en Égypte, révèle que c’étaient bien neuf cités d’Asie Mineure, en tant que cités, et non de manière informelle des marchands originaires de ces cités, qui assuraient la gestion du sanctuaire de l’Hellénion[1075]. On doit mesurer pleinement la signification de cette constatation. D’abord, Naucratis était sous la 26e dynastie le seul port égyptien ouvert aux commerçants grecs. En outre, dès avant le milieu du vie s. des cités grecques – celles qui étaient alors les plus avancées et les plus engagées dans les processus d’échanges – étaient suffisamment impliquées dans les échanges extérieurs pour nouer ensemble et avec le pharaon d'Égypte un accord international qui permettait de donner à leurs représentants sur place, en Égypte, un rôle de contrôle administratif sur les échanges du port, naturellement sous la haute main des autorités égyptiennes. Au delà du rôle global de régulation des échanges, la possession d’un siège dans l’Hellénion conférait du prestige mais assurait aussi certainement à la cité qui en était titulaire une position lui permettant d’accorder une aide particulière à ses propres commerçants. C’est la raison pour laquelle les cités qui n’étaient pas membres de l’Hellénion désiraient tant pouvoir aussi en faire partie, comme l’indique Hérodote[1076]. L’inscription relative à l’emporion de Thrace intérieure révèle des mécanismes de nature identique[1077].

Sans l’ombre d’un doute, on voit que les cités pouvaient développer des politiques d’importation, mais on voit aussi combien il serait réducteur de considérer que les cités grecques, en tant qu’États, ne manifestèrent jamais d’intérêt pour le commerce extérieur, sinon pour assurer l’alimentation de leur population.

Cependant, la “Nouvelle Orthodoxie” dispose encore apparemment en dernier recours d’une carte maîtresse : l’analyse selon laquelle, dans les sociétés antiques, comme au reste dans toutes les sociétés préindustrielles, les faits économiques étaient “immergés dans le social” et n’avaient pas d’autonomie propre. En fait, cette conception repose sur une double dichotomie implicite : d’une part, sur l’opposition entre économie concrète et structures sociales ; d’autre part, sur la distinction qui est celle des économistes libéraux contemporains selon laquelle l’économie relève de la sphère de l’activité privée, tandis que l’État doit se borner à son rôle d’autorité régalienne. Or, dans l’Antiquité, le partage entre le public et le privé était fort différent de ce qu’il est aujourd’hui[1078]. La distinction du système libéral contemporain entre le public. i.e. l’État, et le privé, i.e. l’économie, n’existait pas dans le monde de la cité grecque antique. C’est en fait la catégorie des prosodoi qui est décisive pour pouvoir analyser ces sociétés.

L’État-polis n’était nullement “à l’écart de l’économie”. Il n’était pas seulement un État arbitre, cette fonction n’étant au demeurant apparue que peu à peu, en un long développement historique. Bien au contraire, au même titre qu’un particulier mais en utilisant des moyens qui lui étaient propres et qui ne devaient pas se confondre avec ceux du particulier, il se devait d'acquérir des prosodoi, des revenus. C’est naturellement la guerre comme moyen d’établir une domination sur les autres collectivités qui en était le vecteur principal[1079]. La cité grecque, comme État, était donc sur ce point fort différente des États contemporains. La polis, qui était une sorte de club de citoyens, était un moyen d’enrichissement collectif, car c’était directement au bénéfice de ses membres que devaient fonctionner les institutions civiques. Le C. Callimaque d’Isocrate (§ 58-60) décrit la situation de découragement des triérarques athéniens après la bataille d’Aigos Potamoi, leur regret d’avoir tant investi pour rien et leur repli sur leurs activités privées. Même pour les riches, dépenser son argent pour la collectivité était en quelque sorte faire un investissement collectif dont ils savaient pouvoir à terme être les bénéficiaires du fait de la prospérité générale de la cité. C’est là, on le voit, un facteur d’altérité par rapport aux principes qui régissent les rapports entre la sphère du privé (l’économie) et du public (État) dans le monde contemporain.

Certes, il serait tout à fait erroné de penser qu’il existait un modèle unique, non contradictoire, de la cité grecque. De même que les modalités par lesquelles l’État pouvait s’enrichir, l’utilisation de l’argent public faisait objet de débat. Fallait-il distribuer des misthoi, des rétributions pour les services rendus à la cité par les magistrats ou commissaires ? La démocratie athénienne le fit très largement, au grand dam des éléments conservateurs, qui considéraient que le service de la cité devait être assuré gratuitement, manière pour eux de réserver l’accès aux magistratures aux seuls membres de couches possédantes. De manière générale, les cités démocratiques avaient beaucoup plus de magistrats que les cités conservatrices. De même, si l’on compare les cités démocratiques de l’époque classique et les cités à tendance plus conservatrice de l’époque hellénistique (même si elles étaient officiellement des démocraties), on constate une réduction du nombre des magistratures. Cependant, par delà les différences très importantes qui pouvaient les séparer sur la manière de les acquérir et sur la manière de les utiliser, le point commun entre toutes les cités grecques était toujours le principe que la cité devait engranger des prosodoi. Mais la question de fond qui subsiste encore est celle de l’existence ou de l’absence de structures de marché dans la Grèce des cités.

Le marché et la cité

La “Nouvelle Orthodoxie” considère que le marché n’existait pas dans les sociétés anciennes. Or, non seulement le marché existait bel et bien, mais on peut même dire que, comme structure politique et sociale, il était un élément clé du dynamisme des sociétés civiques, et faisait toute leur spécificité par rapport aux sociétés orientales, qui. elles, fonctionnaient principalement sur le mode de la redistribution. On voit que, sur ce point, le désaccord ne saurait être plus net.

L’agora comme structure de marché

On connaît le mot de Cyrus qui. selon Hérodote (1.153). définissait les Grecs en disant que c’étaient des gens qui au milieu de leur ville avaient un endroit où ils pouvaient se tromper mutuellement par des serments, désignant ainsi l’agora où l’on pouvait acheter et vendre[1080]. La formule était polémique, mais pas inexacte. Ce qui dans le monde grec fondait l’existence du marché était l’égalité juridique et politique entre des partenaires libres et formellement égaux, rapport dont l’agora était la matérialisation. Naturellement, le groupe des citoyens était plus ou moins large, et il suffirait de renvoyer ici aux concepts d’oligarchie ou au contraire de démocratie. De l’archaïsme à l’époque hellénistique, les communautés civiques ont toute une histoire, qu’il serait vain de vouloir évoquer en quelques mots et qui au demeurant est bien connue dans ses grandes lignes, parfois aussi dans le détail, du moins pour une cité comme Athènes. Ces communautés étaient plus ou moins ouvertes, les unes comme Sparte “archaïques”, restrictives et hiérarchisées, d’autres comme Athènes, nombreuses et égalitaires. Cependant, pour ce qui est de la circulation des biens, même si c’était à des degrés fort divers, elles partageaient toutes les mêmes caractéristiques de fond : d’où la tentation de séparer agora politique et agora marchande, puisque sur cette dernière le statut n’intervenait plus dans les rapports d’achat et de vente[1081]. Pas de cité grecque, y compris Sparte, sans agora, sans espace défini et contrôlé par la cité, où pouvait s’effectuer l’échange des biens par achat et vente entre partenaires formellement égaux en droit dans le cadre de cette relation. On a défini (à juste titre) la cité grecque comme un club de guerriers. Mais on pourrait aussi la définir comme un club fermé d’acheteurs et de vendeurs.

Dans les sociétés du Proche-Orient asiatique, la Phénicie mise à part, c’était la redistribution qui réglait encore l’essentiel de la circulation des biens et des richesses, l’échange marchand ne jouant qu’un rôle structurellement secondaire[1082]. En Grèce, depuis le temps des palais, la redistribution avait disparu. Dans le monde des cités, c’était l’achat et la vente qui réglaient la circulation des biens. Ce principe de marché était lié a la capacité pour tout homme libre de conclure une transaction ayant pleine valeur légale. De même, il était possible de passer librement un contrat qui aurait une valeur juridique absolue dans le cadre de la communauté où il avait été conclu et qui pouvait éventuellement aussi avoir une forme de reconnaissance juridique dans d’autres cités[1083]. Au plan des échanges, le contrat (συμβολαῖον, συγγραφή, συνάλλαγμα ou συνθήκη) était un élément essentiel du fonctionnement social de la cité grecque. Certes, la notion de contrat n’est nullement spécifique à la Grèce : la Babylonie ou l’Égypte pharaonique ont elles aussi connu un système de contrat qui. dans la forme, n’était pas très éloigné de celui que connaissait la Grèce. Mais là n’est pas l’essentiel : la différence entre le monde grec et le monde des empires tient au fait qu’en Grèce tout homme libre était susceptible de passer un contrat ayant valeur juridique universelle, alors qu’en Babylonie ou en Égypte le fait du prince pouvait de droit annuler tout contrat passé par des particuliers. En outre, dans le monde des cités, un contrat avait valeur légale pleine et entière même s’il était passé avec un étranger, et le fait que le contractant soit grec ou non ne lui donnait même aucun caractère particulier. Le système des procès d’affaires (dikai emporikai), qui se met en place à Athènes au ive s., est le point d’achèvement d’une tendance de fond qui voulait que ce type de procès ne soit pas jugé en fonction de la personne mais en fonction de la nature de la cause[1084].

Le rapport politique fondateur de la cité était donc aussi constitutif du marché. La spécificité de la société grecque par rapport aux sociétés orientales ne tenait pas à l’existence de lieux d’échange ou d’une catégorie de marchands : l’Assyrie par exemple avait été très en avance par rapport à la Grèce et. au premier millénaire, il existait en Mésopotamie des groupes de marchands actifs et dynamiques[1085]. La richesse globale ne peut davantage être un critère déterminant. Si les Grecs disposaient d’un net avantage technologique dans certains domaines précis, ceux ci restaient limités – une question qu’on ne saurait traiter ici –, et ce n’étaient certes pas les richesses naturelles dont ils pouvaient disposer qui leur auraient donné une quelconque supériorité : au contraire, le potentiel agricole de l’Égypte ou de la Mésopotamie était très largement supérieur à celui de la Grèce. L’essentiel est ailleurs et réside dans la différence de rapport juridique entre la Grèce et les sociétés orientales.

On voit qu’a été ici mise entre parenthèses la distinction entre le marché au sens de “lieu de marché” – concrètement, dans les cités grecques, il s’agissait de l’agora – et le principe abstrait de marché, où s’opère la formation des prix par le jeu de la loi de l’offre et de la demande. En fait, en Grèce ancienne, l’existence de l’agora était l’une des conditions de l’existence du marché. La fixation des prix de gros, s’effectuait à l’emporion, celle des prix de détail à l’agora selon des règles fixes et précises et sous le contrôle des magistrats de la cité. Or. fondamentalement, elle s’établissait selon la loi de l’offre et de la demande, c’est-à-dire selon le rapport entre les quantités effectivement disponibles et la demande solvable. La question clé demeure en effet celle du mode de formation de prix, aussi bien à l’échelle locale qu’à l’échelle internationale. On se concentrera ici sur la question des prix du grain, une denrée fondamentale dans les échanges en Grèce ancienne[1086].

Au point de départ, le problème est double. Il s’agirait de connaître d’une part la proportion de la production qui, à l’intérieur d’une cité, était mise sur le marché local, d’autre part la proportion du grain exporté sur les marchés extérieurs (quels qu’ils soient) par rapport à l’ensemble de la production.

La part de l’autoconsommation

Certes, de l’époque archaïque au Bas-Empire, les exemples ne manquent pas de paysans vivant en autoconsommation[1087]. Mais on pourrait objecter qu’Hésiode déjà donnait aussi le conseil de ne pas hésiter, “pour fuir les dettes et les tenaillements de la faim”, à prendre la mer pour vendre au dehors[1088]. Les sources attestant l’existence de l’autoconsommation pourraient aisément être contrebalancées par d’autres, qui montrent au contraire l'importance de la vente. Pour ce qui est du marché intérieur, dès le ve s., un homme comme Périclès pouvait mettre toute la production de ses domaines sur le marché[1089]. Il se peut que l’attitude de Périclès n’ait pas été un modèle fréquemment imité et que d’ordinaire les propriétaires se soient contentés de mettre sur le marché leurs surplus : mais ce comportement est néanmoins révélateur du rôle structurel que le marché intérieur pouvait jouer dès cette époque, et qui au reste n’était que l’aboutissement d’un processus déjà engagé à l’époque archaïque[1090]. De toute façon, les quantités de grain (et de vin ou d’huile) que l’on voit circuler sont d’une telle ampleur qu’elles supposent des structures de mise sur le marché qui ne peuvent correspondre à quelques livraisons occasionnelles de la part d’une paysannerie vivant normalement en autoconsommation.

L’idée d’une autoconsommation exclusive a comme présupposé l’existence omniprésente d’une classe de paysans propriétaires autosuffisants. En ce cas, l’échange serait pour l’essentiel un échange non-marchand, fondé sur la réciprocité au sein de la famille ou de réseaux de proximité[1091]. Nul doute que le schéma a une grande part de réalité et que, partout ou presque, l’essentiel de la production, ou du moins une part importante, était consommé dans un cercle local. Mais le schéma est loin d’embrasser toute la réalité et le problème se pose précisément de manière cruciale pour la proportion de la production (quelle qu’en soit la nature) qui dépassait les capacités de consommation locale. Il resterait à prouver que les paysans propriétaires aient été autoconsommateurs de manière exclusive, et surtout que les exploitants aient toujours possédé les champs qu’ils cultivaient. Même pour la petite paysannerie, cette vision intemporelle et idyllique d’un univers de petits paysans propriétaires indépendants néglige la question clé de la rente : loyers en nature, que les maîtres du sol étaient à leur tour susceptibles de mettre sur le marché si leur volume dépassaient leurs propres besoins ; loyers en argent, que les locataires ne pouvaient verser qu’en mettant sur le marché au moins une part du produit de la terre. C’est aussi par le biais des dettes et des emprunts qu'ils avaient dû contracter que pouvait se former un produit exportable. Dans le cadre interne de la cité, la nécessité de se payer un armement d’hoplite et, surtout, chaque année, le paiement de taxes, obligeaient aussi les paysans à vendre au marché pour se procurer des liquidités.

Si l’on prend en considération le niveau civique et si l’on songe non plus à Athènes mais à toutes les cités qui étaient ses tributaires, au ve s. et même plus tard au ive s., on voit qu’elles devaient exporter pour se procurer l’argent nécessaire au paiement du tribut. Or, en dehors même de l’empire athénien, nombre de cités connurent successivement des périodes de domination étrangère, que ce soit celle de Sparte, de la Perse pour les cités d’Asie Mineure, plus tard celle des rois à l’époque hellénistique. Il faudrait enfin ajouter les contributions plus ou moins forcées à diverses expéditions militaires, aux frais des multiples guerres menées dans le monde grec, que ce soit pour payer les soldats-citoyens, pour entretenir des mercenaires ou pour construire des fortifications. Tout cela est parfaitement contradictoire avec une économie de pure autoconsommation.

Selon les lieux et les époques, la part de la production consommée par les producteurs ou mise sur le marché intérieur dut varier sensiblement sans que jamais l’autoconsommation ne cessât d’être un modèle dominant (ce qui ne veut pas dire un modèle exclusif). Mais même l’autoconsommation n’est pas contradictoire avec la mise sur le marché d’une proportion importante de la production. Il pourra être intéressant le moment venu, avec toute la prudence de rigueur, de tenter une estimation globalisante, mais la question méritera une étude spéciale. Du moins ne fait-il aucun doute qu'elle n'était pas négligeable, plus importante sans doute qu’à l’époque moderne. On a pu estimer que la production mise sur le marché international au xviiie s. ne dépassait pas 1 % des quantités produites[1092]. Pour faire une telle comptabilité pour la Grèce ancienne, tout dépendra de la manière dont on l’établira : il conviendra en particulier de savoir si l’on doit y faire entrer des régions productrices comme l’Egypte, dont la Grèce bénéficiait des exportations, mais qui en fait représentait un monde totalement clos ; de même, on devra poser la question de savoir ce que l’on peut définir comme “exportation”, passage d’une région à l’autre, ou bien stricto sensu exportation d’une cité à l’autre, même s’il s’agit d’une cité voisine. En tout état de cause, si l’on adopte une définition stricte de la notion d’exportation, puisque chaque cité était en soi un État pouvant gérer ses importations et ses exportations, il semble probable que Ton aura alors des chiffres supérieurs à ceux de l’Europe du xviiie s. A titre de comparaison, de nos jours, 18 à 20 % de la production mondiale de blé sont mis sur le marché international, mais on remarquera que le chiffre ne dépasse pas 3 à 4 % pour le riz[1093].

Pour ce qui est de l’existence d’un seul “grand marché méditerranéen unifié” qui aurait vu toutes les productions mesurées à la même aune et au même prix, il est clair qu’il n’a jamais rien existé de tel. La Méditerranée antique, celle du ve s. a.C. mais aussi celle de la fin de l’époque hellénistique et du début de l’empire, était encore pour l’essentiel un monde formé de zones homogènes qui communiquaient entre elles, et non pas à proprement parler un monde unifié[1094]. C’est précisément sur ces différences que pouvaient jouer les commerçants internationaux qui passaient sans cesse d’une zone à l’autre, tâche dans laquelle excellèrent les emporoi grecs, particulièrement à l’époque archaïque et à l’époque classique, lorsque l’aire méditerranéenne leur était ouverte en totalité. Cependant, pour certaines denrées qui avaient un rapport valeur / poids élevé comme au premier chef les grains, mais aussi l’huile et le vin (on n’en dirait pas autant pour les briques ou les tuiles, qui ne pouvaient circuler que dans un horizon limité), la tendance était bien cependant à la constitution d’un vaste marché où les denrées allaient s’offrir là où les prix étaient potentiellement les plus élevés. Il convient aussi de distinguer l’approvisionnement des grandes cités par le marché international et celui des petites cités par des marchés régionaux, mais sans négliger l’articulation de ces deux niveaux.

Les grandes cités et le marché international

Soulignons donc d’abord que, dès la fin de l’archaïsme sans doute et plus encore naturellement à l’époque classique et à l’époque hellénistique, les importations de grain dans les grandes cités égéennes avaient un caractère massif. Au ve s., sans même évoquer les périodes ordinaires, on relèvera que la stratégie consistant à ramener toute la population de l’Attique derrière les murailles d’Athènes et du Pirée suppose que son promoteur, Périclès. tablait sur le fait que, quoi qu’il arrive, les importations de blé seraient suffisantes pour approvisionner la ville. Au ve s., Athènes comptait vraisemblablement un minimum de 40 000 citoyens mobilisables au début de la Guerre du Péloponnèse[1095]. Cet effectif n’était plus que de 20 à 30 000 citoyens au ive s.[1096] Si l’on projette des effectifs correspondant à ceux des familles des citoyens et à celles des non-citoyens en proportion de ceux des citoyens, on peut se faire grossièrement une idée des importations nécessaires en période de guerre. Si Athènes importait au minimum 800 000 médimnes au ive s. en période ordinaire (et peut-être davantage) et que ces importations représentaient au minimum la moitié du grain consommé à Athènes[1097], elle dut importer pas moins de 1,6 à 2 millions de médimnes pendant les périodes les plus difficiles de la Guerre du Péloponnèse. Même compte tenu de nombre de circonstances particulières (comme le fait que les invasions péloponnésiennes, du moins pendant la guerre d’Archidamos, n’ont pas nécessairement empêché toute récolte en Attique, et que l’épidémie du début de la guerre avait creusé des pertes sérieuses dans la population), on voit que le montant des importations ne peut qu’avoir été largement supérieur à celui du ive s.

Le fait que ces importations aient eu lieu dans un contexte de guerre touchant le territoire même de l’Attique n’a au demeurant aucune incidence sur la constatation que l’on peut faire que la plus grande cité de la Grèce savait pouvoir compter sur les importations pour nourrir la totalité de sa population. Indépendamment du grain provenant des îles à clérouques, qui prenait obligatoirement le chemin d’Athènes – au demeurant lui aussi transporté par des commerçants privés, comme le montre, si besoin était, la nouvelle loi attique de 374/373[1098] – le reste provenait de cités où il était librement vendu aux commerçants venant approvisionner Athènes. Certes, Athènes tenant la mer et les Détroits, le grain ne pouvait guère prendre d’autres directions[1099]. Mais de cela, dans les cités productrices, on ne devait guère avoir souci et l’on devait se contenter de constater les beaux bénéfices qu’on pouvait faire. On peut même considérer que la demande athénienne a dû avoir un effet dynamisant de première importance pour les régions productrices de blé, en particulier le royaume du Bosphore.

En tout état de cause, aussi longtemps qu’Athènes contrôla la mer, le grain importé à Athènes parvint en quantités suffisantes pour nourrir la population. C’étaient alors les Mégariens qui souffraient, non les Athéniens, et il fallut attendre le blocus péloponnésien consécutif à la défaite d’Aigos Potamoi pour que les Athéniens connaissent les affres de la famine[1100]. Pour l’Athènes du ive s., ces importations représentaient régulièrement la moitié du grain consommé dans la cité, ne répondant en rien au schéma d’un commerce quantitativement négligeable, qui se serait ramené à quelques produits de luxe destinés à la clientèle limitée d’une élite aristocratique. Les 230 navires de commerce venant du Pont Euxin à destination de la mer Égée que Philippe II saisit en 340 a.C.[1101] transportaient nécessairement autre chose et plus que les quelques capes ou paires de chaussures que pouvait vendre à Cyrène un marchand venu d’Athènes vers 400 p.C.[1102] Ironiquement, M. Finley feignait de vouloir faire de ces quelques pantoufles un exemple de “vente courante” dans un soi-disant “marché mondial”. Il s’agissait en fait de sommer les tenants de l’existence du marché dans les sociétés anciennes d’abattre leurs cartes, ce qui après tout était une attitude recevable[1103]. Le défi mérite d’être relevé.

A Athènes, au moins la moitié du grain nécessaire à la cité était donc importée. De ce fait, il est clair que la valeur marginale du grain offert était déterminée non par l’approvisionnement local mais par le grain importé. Ce dernier pouvait avoir des sources variées et lointaines : Égypte, Cyrénaïque. Pont Euxin, Sicile. Cette situation montre que les approvisionnements provenant du bassin égéen, comme le grain provenant des îles à clérouques Imbros, Lemnos et Skyros ou de Chersonnèse, mais aussi sans aucun doute d’une série d’autres provenances proches, n’était pas suffisant, et de très loin, pour satisfaire les besoins de la consommation athénienne.

On sait aussi que d’autres cités égéennes pouvaient faire venir leur blé de régions non égéennes. Ainsi, pour le Pont Euxin, le hasard des sources révèle qu’à l’époque archaïque Égine pouvait entre autres faire venir son grain du Pont, pour manifestement le réexporter vers d’autres consommateurs péloponnésiens, comme le montre la formulation d’Hérodote, qui signale que le grain allait “vers Égine et le Péloponnèse”[1104]. Il en allait de même au ve s. pour Mytilène[1105], Méthônè de Macédoine (en Piéric) et Aphytis (sur la Péninsule de Pallène, en Chalcidique)[1106] et au ive s. de nouveau pour Mytilène, Maronée[1107] et Acanthos de Chalcidique[1108]. Au ive s., le privilège de préemption au Bosphore des commerçants ayant Athènes pour destination ne se comprend que s’il y avait d’autres cités qu’Athènes qui faisaient venir leur grain des emporia de ce royaume[1109]. La saisie des navires de commerce à Hiéron en 340 laisse supposer que, si une large majorité d’entre eux avait pour destination Athènes (ou les cités qui lui étaient alliées), 20 % d’entre eux avaient une autre destination[1110].

Quoi qu’il en soit, on voit que nombre d’autres cités importaient donc elles aussi du grain du Pont. Pour ce qui est des autres sources d’approvisionnement extérieures à l’Égée, un document exceptionnel, la stèle de Cyrène, dresse la liste des destinataires du grain exporté par cette cité à destination de la Grèce. Il s’agit certes d’une période de disette exceptionnelle et il pourra paraître légitime de supposer qu’un certain nombre de ces cités n’aient pas en temps ordinaire été importatrices de grain cyrénéen. Athènes ne représente alors que 12,5 % du total et l’on aperçoit une grande diversité parmi les destinataires. On sait aussi que, selon Thucydide, c’est en réalité entre autres pour couper l’approvisionnement en grain des Péloponnésiens en provenance de Sicile qu’Athènes lança en 427 une expédition au secours de la cité sicilienne de Leontinoi. bloquée par les Syracusains[1111].

La consommation de grain non-égéen dans les grandes mais aussi dans les petites cités du monde égéen doit donc être considérée comme un fait assuré. Si l’on n’était pas dans une période de guerre et s’il n’y avait pas des accords privilégiant un seul partenaire, le grain circulant à l’échelle internationale pouvait ainsi passer d’une zone à l’autre (par exemple du Pont ou de Sicile vers la Grèce égéenne) et aller au plus offrant sur les grands marchés qui étaient régulièrement dépendants de l’extérieur pour leurs approvisionnements.

Marchés régionaux ou approvisionnements de proximité ?

Il est vrai cependant que la part des importations de provenance lointaine n’était certainement pas partout la même et c’est dans cette perspective qu’il faut poser la question de la formation de marchés régionaux. Dans le cas de Délos et des Cyclades, dont on admettra ici qu’il constitue un exemple de situations qu’on aurait pu retrouver dans les autres régions du monde grec, G. Reger[1112] a eu raison d’en souligner l’importance. Ainsi, à Délos. il est probable que les approvisionnements en provenance des îles voisines, c’est-à-dire des Cyclades, jouaient un rôle essentiel. Dans une étude qui fait date, G. Reger a établi de remarquables comparaisons avec la situation de la Grèce moderne, où les paysans produisaient d’ordinaire plus que la consommation qui leur était nécessaire pour accumuler des réserves et pouvoir ainsi faire face en cas de difficulté les années suivantes[1113].

Les Cyclades n’ont pas la réputation d’être riches, mais, en s’appuyant sur des estimations de production et des parallèles modernes, G. Reger considère qu’elles devaient parvenir à l’autosuffisance alimentaire et ainsi pouvoir sans difficulté alimenter la petite agglomération de Délos indépendante. Dès avant l’augmentation en flèche de la population de la colonie athénienne après 166 (en fait surtout après 140), la population de Délos devait cependant compter sur les importations du fait de l’étroitesse de son territoire (en y incluant Rhénée et les domaines d’Apollon à Mykonos), qui ne devait guère pouvoir nourrir régulièrement plus de 50 % de la population[1114]. Mais, selon G. Reger, Délos aurait à cet égard été exceptionnelle dans les Cyclades. Les autres îles auraient en revanche pu atteindre l’autosuffisance et même avoir des surplus[1115]. En ce cas, la formation des prix du grain dans la zone insulaire n’aurait pas été liée aux importations depuis l’extérieur de la zone, mais à une situation purement régionale. Cette conclusion doit cependant être nuancée.

Il est certes exact que le rôle de l’approvisionnement de proximité doit être réévalué. Ainsi, les cités côtières d’Asie Mineure devaient sans doute de la même manière chercher à s’approvisionner dans leur arrière-pays immédiat[1116]. On voit de même l’île de Samothrace chercher son grain dans la Chersonnèse voisine[1117]. Les exemples pourraient être multipliés. Dans le cas des Cyclades, il faut donc se méfier du topos sur la pauvreté du monde insulaire[1118]. A juste titre. G. Reger a fait justice de l’idée que, grandes ou petites, les cités du monde égéen aient toutes été chroniquement dépendantes du grain importé d’un lointain outre-mer. Mais l’existence d’une circulation régionale interne aux Cyclades ne devrait cependant pas amener à nier les importations extra-cycladiques, qui. certaines années, devaient être importantes, même si les habitants des Cyclades faisaient tout pour les éviter. En effet, on ne voit pas comment les Cyclades auraient pu faire face aux mauvaises récoltes sans importer de l’extérieur.

La disette est en effet une situation qui se reproduit périodiquement dans les conditions d'une agriculture traditionnelle[1119]. En année creuse, il n’est pas évident que les réserves des années précédentes aient partout été suffisantes pour satisfaire les besoins des populations, cela d’autant plus que, d’une île à l’autre, voire d’un village à l’autre, les situations pouvaient être très changeantes[1120]. En ce cas, les cités des Cyclades devaient donc importer de la zone extra-égéenne. Hérodote rapporte déjà comment une série d’années de famine avait poussé les habitants de Théra à partir fonder Cyrène[1121]. La stèle de Cyrène de 325 confirme que les difficultés pouvaient être suffisamment grandes pour contraindre les cités insulaires à recourir à des importations extra-cycladiques[1122]. Qu'en était-il dans les années ordinaires ? Les îles étaient-elles toutes autosuffisantes et leurs échanges réciproques suffisaient-ils à alimenter leurs populations ?

La réponse à cette question dépend de beaucoup d’estimations : de la charge de population des surfaces cultivées (même si l’on ne doit pas douter que la fin de l’époque classique et l’époque hellénistique fut une époque de mise en exploitation maximale), de la productivité, des rations effectivement consommées, de la valeur nutritive des céréales, etc., en ayant recours de manière systématique aux parallèles avec la Grèce moderne[1123]. Mais le commerce du grain autour de Rhodes au xviiie s., tel qu’il a été reconstitué par M. Efthymiou-Hadzilacou peut aussi fournir un parallèle intéressant[1124]. On observe tout d’abord la diversité, la complexité et la variabilité des situations. Certaines îles étaient manifestement excédentaires. Ainsi, Astypalée et Carpathos pouvaient exporter leur grain assez facilement. D’autres, comme Nisyros ou Chalkè, n’étaient pas autosuffisantes et dépendaient des réexportations en provenance de Rhodes, qui elle-même, on l’a vu. ne produisait pas assez pour nourrir sa population et faisait venir son grain de Caramanie, c’est-à-dire des régions du Sud de l’Asie Mineure allant du golfe Céramique à la Cilicie, mais aussi de Chypre et de Syrie. Cos, en général exportatrice, pouvait elle-même se trouver certaines années en position d’importer du grain. On constate le même phénomène pour Ténus, en général exportatrice, mais parfois contrainte de faire venir du grain de Caramanie[1125]. En revanche, Kythnos exportait sans doute régulièrement le quart de son orge au xixe s.[1126]

Cela ne signifie pas que ce tableau doive être projeté directement dans l’Antiquité, car, entre autres différences, la charge de population n’était pas la même. Ainsi, Carpathos antique, avec ses trois agglomérations de type urbain, était peut-être plus peuplée qu’à l’époque moderne. On tient là néanmoins une indication précieuse de la complexité des échanges, même pour le commerce du grain. A l’époque moderne, des quantités notables de blé (surtout) étaient exportées vers les marchés extérieurs, essentiellement vers la France. “L’Archipel” (par quoi il faut entendre aussi bien les îles proches de Rhodes que les Cyclades) était indubitablement exportateur, mais laissait la première place (dans une proportion de 2/3 - 1/3 peut-être) au grain venant de “Caramanie”[1127].

Fermeture des marchés et formes d’interdépendance

Pour revenir à la situation de l’Antiquité et plus particulièrement à celle de la haute époque hellénistique, on observe incontestablement divers indices d’importation extracycladique. Certes, notre documentation ne nous permet guère ordinairement de savoir d’où venait le grain transporté par un commerçant. De là à conclure qu'il s’agissait nécessairement de grain venant d’une île voisine, il y a cependant un pas qu’il est plus difficile de franchir. L’activité des marchands rhodiens à Éphèse où ils importent du grain, leur rôle presque sans aucun doute analogue dans les Cyclades à Amorgos et à los[1128], a plus de chance de correspondre à du grain importé d’Égypte (avec laquelle Rhodes entretient alors des relations privilégiées) qu’à du grain qu’ils auraient transféré d’une île à l’autre.

On relèvera aussi que le marchand de grain Épianaktidès de Théra honoré à Arkésinè d’Amorgos[1129] n’importait évidemment pas du grain depuis son île d’origine, toujours au bord du déficit alimentaire[1130]. Théra se retrouve naturellement parmi les cités importatrices dans la stèle des céréales de Cyrène[1131]. On a certes ainsi une fois de plus la preuve que l’ethnique ne garantit nullement l’origine de la cargaison du commerçant, mais, en renversant l’argument, on voit que ce commerçant originaire des Cyclades mais qui est honoré sur la même pierre que des Rhodiens peut aussi bien être allé s’approvisionner à Rhodes. En outre, c’est sur la même pierre que celle où étaient gravés les décrets pour Épianaktidès de Théra et Agathoklès de Rhodes, que fut inscrit un décret de proxénie pour trois Rhodiens, trois frères, dont le mérite était de se dévouer “pour les Arkésiniens qui se rendent à Rhodes”[1132]. Nous avions supposé que ces Arkésiniens se rendant à Rhodes pouvaient entre autres être des sitônai. En ce cas, on voit combien il est encore plus difficile de considérer que les commerçants rhodiens ne faisaient que transporter du grain de provenance micro-régionale.

Au reste, aurait-on vraiment pris des décrets pour remercier des commerçants rhodiens s’ils avaient simplement importé du grain d’une Cyclade voisine ? On se souviendra aussi de ce que les inscriptions ne sont nullement des archives et que ce sont les seuls marchands que l’on voulait honorer pour susciter l’émulation avec les autres qui apparaissent dans nos sources[1133]. Les multiples transports de grain ou autres denrées allant d’une île à l’autre dans de petits caboteurs, dont pourtant implicitement la notion d’approvisionnement régional présuppose l’existence (au demeurant à juste titre), n’ont en revanche guère laissé de trace dans les sources épigraphiques. Le doute méthodologique sur l’origine du grain mentionné dans les inscriptions pourra certes toujours subsister, mais la probabilité joue de manière écrasante en faveur de grain de provenance lointaine. Le parallèle avec l’époque moderne et avec le rôle redistributeur de Rhodes pour les grains de Caramanie pousse fortement à adopter ce point de vue.

Pour ce qui est enfin du rôle de Délos comme centre régional de transit et de redistribution de grain au iiie s. et au début du iie s., sur lequel on verra le dossier rassemblé par G. Reger[1134], rien ne prouve que ce grain ait nécessairement eu une provenance exclusivement insulaire. Il est probable encore une fois que la réalité est plus complexe. Délos se trouvait sur la route traversant l’Égée et son sanctuaire en faisait un point d’attraction pour toute la région. Ces facteurs peuvent largement suffire à considérer que des marchands en grain de tous horizons ont pu trouver commode d’y retrouver leurs clients potentiels. En tout cas, les hommes d’affaires qu’on voit à l’œuvre à Délos dans ces opérations de financement des achats de grain ne sont pas à proprement parler des gens du cru, mais d’une part un Rhodien[1135], d’autre part un banquier de Syracuse résidant à Délos[1136]. Délos attirait donc des hommes d’affaires d’un horizon plus vaste que celui des Cyclades. De la même manière, il n’y a nul inconvénient à considérer que le grain négocié ait pu avoir tantôt une origine régionale, tantôt une origine plus lointaine : peu importait pourvu que tout le monde y trouvât son compte.

Enfin, le meilleur argument contre l’idée que Délos eût été un marché fermé au grain non cycladique se trouve dans les courbes de prix de cette denrée. Ainsi, en 282, on voit le prix du froment monter en flèche avant la soudure, de 4 dr. 3 ob. et 10 dr., pour finir par n’être même plus coté[1137]. Une telle courbe de prix est la preuve d’une insuffisance d’approvisionnement, régional ou non. Mais en tout état de cause les prix déliens étaient suffisamment attractifs pour attirer des commerçants en grain de toute provenance, qui étaient susceptibles de faire sur ce marché des profits substantiels.

On retiendra donc que, même si probablement elles n'étaient pas toutes autosuffisantes y compris en année ordinaire, les Cyclades assuraient sans aucun doute une part importante de leur alimentation. Elles devaient cependant aussi importer des régions extra-cycladiques, les unes peut-être assez régulièrement, d'autres seulement dans les années difficiles. Mais les contacts avec le monde extra-cycladique ne se limitaient pas aux importations : leurs exportations de denrées alimentaires (non pas seulement les grains, mais aussi le miel, le vin le fromage, etc.), qui sont bien attestées, mettaient les cités des Cyclades en liaison avec divers marchés extérieurs, proches ou lointains. A l’époque classique et au début de l’époque hellénistique, les Cyclades occidentales, en particulier Kéos ou Kythnos par exemple, si proches de l’Attique, regardaient certainement plutôt vers Athènes que vers Délos, de même que plus tard les Cyclades orientales étaient manifestement dans l’orbite de Rhodes, ce qui contribue aussi à remettre en cause le concept de marché régional clos.

Pour Kéos, on doit ainsi relever que 25 noms de Kéiens apparaissent dans les inscriptions ou sources littéraires attiques des ve-iiie s. a.C.[1138] De même, pour ce qui est de la circulation des monnaies des cités de Kéos ou du koinon kéien, le contraste est frappant entre les 4 pièces provenant des Cyclades (2 à Ténos, 1 à Kionia. 1 à Délos), et les 18 pièces provenant d’Athènes[1139]. C’est seulement de la fin de l’archaïsme au début du iiie s. (semble-til) que les cités de Kéos ont eu un monnayage d’argent[1140]. L’attrait pour Athènes a donc dû être un facteur important dans l’orientation de la production et des échanges de ces îles. A long terme, le cas de Kéos est exemplaire en ce que manifestement le ive s. y fut celui d’une occupation maximale du terroir agricole, tandis que, dès le iiie s., on constate un recul qu’il faut certainement lier à celui d'Athènes[1141]. L’île n’a apparemment pas connu dans l’Antiquité le passage à une agriculture spécialisée[1142]. Il n’en est que plus remarquable que Kéos ait néanmoins vécu au rythme de la prospérité ou du déclin de sa grande voisine, ce qui est incompatible avec un modèle d’économie fermée et d’autoconsommation exclusive. L’évolution sur le long terme des cités de Lesbos amène à tirer les mêmes conclusions, puisque les cités ouvertes sur la mer et sur l’échange extérieur ont surclassé et même fait disparaître les cités enclavées de l’intérieur de l’île[1143]

En outre, dans le monde insulaire de l’époque moderne, on observe des mécanismes complexes qui, si on les rapporte à l’Antiquité, doivent éviter de tomber dans le piège du choix dichotomique entre “fermeture” ou “ouverture sans contrôle”. Ainsi par exemple, au xviiie s., les autorités ottomanes de Rhodes se livraient à des manipulations spéculatives qui donnent à réfléchir : les marchands de blé plus ou moins complices des autorités mettaient la main sur le blé produit localement dans l'île, qui était de haute qualité et qui se vendait à prix élevé sur les marchés extérieurs, et vendaient en revanche à la population locale du grain de mauvaise qualité importé de la côte sud de l’Asie Mineure[1144] N’est-il pas légitime de penser que de même, dans l’Antiquité, mais cette fois à leur profit, il pouvait arriver que les paysans des îles ou d’ailleurs en manque de liquidité vendent à l’extérieur le froment qu’ils avaient produit pour se contenter eux-mêmes d’orge importé ?

Segmentation des marchés et spéculations

En tout cas, c’est parce que certains, cédant à l’attrait pour les prix élevés des marchés extérieurs, étaient susceptibles d’y vendre du grain que nous possédons une série de documents émanant d’autorités civiques ou de satrapes interdisant de manière temporaire ou permanente l’exportation de grain[1145]. C’est dans le même esprit que la loi de Téos prévoyait la peine de mort pour ceux qui auraient essayé d’empêcher les importations de grain dans la cité ou spéculé à la hausse sur le prix du grain importé[1146]. L’interdiction d’exporter ressort bien évidemment de la volonté de conserver son grain pour soi. Mais ce point mérite cependant une justification complémentaire. En effet, en cas d’approvisionnement insuffisant du marché local, les prix y étaient nécessairement élevés, de sorte que producteurs et marchands de grain ne pouvaient que tirer largement bénéfice de la situation. Dès lors, pourquoi était-il de surcroît nécessaire d’interdire les exportations de grain ?

En fait, lorsque la disette régnait un peu partout, même si ce faisant ils nuisaient directement à l’approvisionnement de leurs concitoyens, ceux qui avaient des réserves encore disponibles étaient tentés d’aller les vendre sur de grands marchés extérieurs où le niveau des prix était plus élevé que sur le marché local et où en outre, éventuellement, les prix nominaux étaient payés en monnaie de valeur pleine[1147]. Les interdictions d’exporter le grain se conçoivent donc par l’existence de prix inégaux sur les différents marchés, et il était tentant d’encaisser des profits exceptionnels sur ces différences. En nous obligeant à deviner les comportements des acteurs, les législations civiques nous donnent ainsi de précieux renseignements sur le jeu des marchés.

La formation des prix dans les petites cités qui n’étaient que temporairement dépendantes des importations dépendait de facteurs spécifiques. Le caractère très rural des petites villes des Cyclades et la préférence pour l’autoconsommation était certainement un élément clé. Posséder des liquidités en monnaies d’étalon attique, ou temporairement, d’étalon rhodien au iie s. jusqu’en 166, était de fait indispensable, pour pouvoir acheter sur le marché international. Pour ce qui est de l’argent disponible, les Insulaires en avaient comparativement peu. ce qui en temps ordinaire devait suffire à établir un niveau moyen des prix, même nominaux, inférieur à celui des grands centres égéens. Chacune de ces petites îles formait potentiellement un univers clos, comme un isolat. Il se peut que, dans les années ordinaires, une disette dans une région voisine n’ait pas eu d’incidence sur les prix d’une cité autosuffisante (on inscrira Délos dans cette catégorie, puisqu’elle se trouvait dans une situation privilégiée dans les Cyclades du fait de la puissance financière qu’elle représentait)[1148]. Dans la mesure où une cité pouvait à sa guise bloquer les exportations, il n’y avait pas de raison que les prix connaissent une évolution à la hausse si le marché pouvait être normalement approvisionné.

Pour les années creuses en revanche, puisque l’approvisionnement dépendait alors de marchands faisant le grand commerce, qui n’avaient pas de raison de faire des cadeaux aux insulaires, le constat est évident. En cas de disette, un manque de liquidités devait tout simplement empêcher d’importer un volume suffisant de nourriture, avec toutes les conséquences que l’on connaît pour les populations traditionnelles (sous-alimentation de certaines catégories de populations, etc.), mais le prix des quantités effectivement disponibles n’en devait pas moins rester élevé. Du fait de leur possibilité de se fermer aux échanges extérieurs (en l’occurrence à l’exportation), les marchés régionaux n’étaient donc pas concernés par les fluctuations de prix si leurs approvisionnements internes étaient suffisants. En revanche, ils subissaient pleinement la loi du marché s’ils devaient avoir recours au grain circulant à l’échelle internationale. Il va de soi cependant que même ces marchés régionaux ne pouvaient être déconnectés des mouvements à long terme qui traversaient l’ensemble du monde grec. Ainsi, à l’époque hellénistique, le recul d’Athènes et son impact sur la population et l’activité du monde égéen en est un bon exemple[1149].

La formation des prix sur les différentes places égéennes ne peut donc s’être opérée de manière totalement indépendante d’une cité à l’autre, avec les nuances que l’on vient d’apporter selon qu’un marché soit dépendant de l’extérieur seulement de temps à autre, ou au contraire de manière chronique[1150]. L’idée selon laquelle il faudrait qu’il n’y ait qu’un seul “prix mondial” pour qu’on puisse justifier de l’existence d’une structure de marché n’est pas acceptable[1151]. L’établissement d’un prix uniforme (qui au reste n’exclut pas des modèles plus complexes[1152] est seulement liée aux conditions si particulières de la mondialisation contemporaine et ne concerne au demeurant qu’un nombre limité de biens. Un bref regard sur la situation actuelle suffira à éclairer les différences. De nos jours, dans le cas des céréales, on se trouve en présence d’une demande éclatée entre une multitude de consommateurs, face à une offre concentrée entre quatre ou cinq zones exportatrices, les échanges étant eux-mêmes aux mains d’un nombre très restreint de grandes sociétés spécialisées, dont les deux premières contrôlent plus de 50 % du blé mis en circulation sur la planète. De ce fait, la fixation des prix du blé s’effectue aisément sur un petit nombre de marchés à terme, en fait principalement le Chicago Board of Trade[1153]. De la sorte, il existe effectivement un prix mondial de référence (qui varie fortement d’une année à l’autre) des diverses céréales.

En Grèce, à l’époque classique et à la haute époque hellénistique, malgré l’existence d’une multitude de petits exportateurs régionaux, quelques grandes zones (Pont, Egypte, Cyrénaïque, Sicile) concentraient certes l’essentiel de la production mise sur le marché. Pour ce qui est de la demande, elle était également éclatée entre une multitude de cités, mais un marché, celui d’Athènes, écrasait cependant tous les autres par les approvisionnements qui lui étaient nécessaires. Mais pour ce qui est de l’échange, du fait de la très petite taille des entreprises en Grèce ancienne (pas seulement des entreprises commerciales), il était en revanche entre les mains d’une multitude d’acteurs opérant chacun pour son compte, ce qui était comparativement un facteur très favorable aux consommateurs. La spéculation organisée par Cléomène de Naucratis eut des effets particulièrement ravageurs précisément parce qu’elle tendait à concentrer l’offre effective en provenance d’Égypte en une seule main.

Les conditions qui expliquent l’existence de “prix mondiaux” n’existaient donc pas dans l’Antiquité, même si les prix sur la place d’Athènes, nécessairement connus de tous les acteurs, devaient influencer fortement la tendance générale des prix. Dans les cités de Grèce égéenne dépendant des approvisionnements extérieurs, il n’existait donc pas un seul prix, mais des prix divers sur des marchés segmentés, qui étaient toutefois en interdépendance les uns avec les autres. Il est évidemment dommage que le manque de sources empêche de faire des comparaisons année par année d’une place à l’autre, mais le moins que l’on puisse dire est que les trop rares sources de la fin du ive s. et du iiie s. paraissent donner des indications de prix du grain plutôt convergentes que radicalement divergentes, ce qui aurait été le cas si les divers marchés n’avaient eu aucune interconnexion. On pourra trouver la comparaison périlleuse, mais, faute de mieux, on doit constater qu’à Athènes vers 329 les prix “raisonnables” tournent autour de 5-6 dr., et qu’à Ephèse autour de 300 ils sont à 6 dr. ou moins de 6 dr.[1154]

Au ive s., les mouvements spéculatifs sur le grain destiné aux cités égéennes dépendant de grain importé, au premier chef à Athènes, qui mettaient en jeu aussi bien l’Égypte ou Cyrène que le royaume du Bosphore ou la Sicile, sont donc la preuve de l’existence non d’un marché unique, mais d’un “marché global”, où, pour reprendre les définitions qui avaient été posées au départ, les niveaux de prix, certes divers, étaient pourtant in fine issus de la confrontation d’une offre et d’une demande rétroagissant elles-mêmes aux variations de prix sur une large zone[1155]. Un topos de la littérature antique qu’on retrouve chez Cicéron était le cas de conscience du marchand qui, arrivant dans un cité où les prix des grains étaient très élevés par suite d’une disette, se demandait s’il devait révéler que d’autres navires chargés de grain étaient en route ou bien vendre le sien le plus cher possible[1156]. Naturellement, la circulation de l’information sur les prix dans les différentes places et sur les flux d’approvisionnement se faisait donc par bien d’autres canaux que ceux d’une spéculation organisée comme celle grâce à laquelle, selon le plaideur du C. Dionysodoros, Cléomène de Naucratis entreprit de faire des profits spéculatifs éhontés[1157].

Il n’y a donc nulle raison de rejeter le témoignage apporté par ce plaidoyer ou d’en avoir une vision réductrice[1158]. Le comportement d’anticipation des marchands qui dirigeaient leurs cargaisons sur les places où les prix étaient les plus élevés est la preuve d’un comportement de marché. Cette interdépendance des différentes places acheteuses est précisément une caractéristique de base de la structure des marchés en Grèce ancienne, qui coexiste avec la segmentation, potentielle ou réalisée, en marchés clos parce qu’autosuffisants. Au ve s., grâce à sa domination politique, Athènes avait temporairement réussi à constituer une vaste zone non seulement politique mais aussi économique sous sa direction, avec une seule législation et une seule autorité centrale, naturellement à son bénéfice, même si les cités de l’empire pouvaient aussi tirer avantage de l’existence de ce vaste marché ainsi constitué[1159]. Seule l’issue catastrophique de la Guerre du Péloponnèse était venue remettre en cause cet extraordinaire réseau de nature tout autant économique que politique qu’Athènes était parvenue à établir. Au ive s., cette cité était seulement de facto le point nodal du marché international.

Cependant, le fait que l’idéologie civique, dont Aristote est un des représentants éminents, mais dont le témoignage n’est pas unique, ait manifestement tenu pour le principe de complémentarité dans les échanges extérieurs vient encore d’une autre manière poser la question de l’existence du marché.

Flux ou surplus ?

Le principe de complémentarité, qui consiste à troquer ses surplus contre ceux du partenaire, si possible, selon Aristote, dans le cadre d’accords commerciaux officiels entre cités (vin contre blé, fer contre bois, etc.) était certes à la base d’une société où la production des principaux objets de commerce – produits agricoles, miniers ou autres produits du sous-sol, les marbres par exemple – dépendait étroitement des conditions naturelles. Pourtant, cela ne signifie nullement que l’économie grecque en soit restée à une sorte de troc plus ou moins primitif ou plus ou moins amélioré. Ce point mérite d’être examiné plus à fond.

Les Étrusques et Carthage : le commerce sans monnaie d’argent

Certes, les conventions d’échanges bilatérales avaient la faveur d’Aristote car, selon lui, elles permettaient d’éviter que le commerce ne donnât lieu à un développement de type chrématistique, c’est-à-dire à des formes d’échanges qui n’avaient pas pour fin la satisfaction immédiate des partenaires mais bien le pur profit.

Mais on s’est à juste titre posé la question de savoir pourquoi Aristote avait choisi comme exemple le cas des accords bilatéraux entre Étrusques et Carthaginois. Le fait qu’il s’agisse de partenaires non-grecs a fait douter de l’exemplarité du cas proposé[1160]. En réalité, pour les Grecs, Étrusques et Carthaginois, partenaires familiers d’échanges établis depuis des siècles, étaient des Barbares d’une nature particulière puisque leur organisation politique était celle de la cité[1161]. Héritier d’une longue tradition, Polybe rapporte que c’était un lieu commun chez les historiens grecs de vanter l’excellence des constitutions des Lacédémoniens, des Mantinéens et des Carthaginois[1162]. Le propos d’Aristote aurait été sans objet si le cas des cités étrusques et de Carthage n’avait pas été assimilé à celui des cités grecques. Mais outre le caractère exemplaire pour son propos du contenu de ces accords, il y avait une raison supplémentaire à l’intérêt d’Aristote : le fait que les échanges entre Carthage et les Étrusques avaient pu se développer sans qu’aucun des deux partenaires n’ait connu le monnayage d’argent.

En effet, l’apparition du monnayage d’argent en Étrurie ou à Carthage fut tardive. Bien que depuis le viiie s. sa civilisation se soit développée en osmose avec la Grèce, ce n’est qu’au iiie s. que l’Étrurie, alors passée sous contrôle romain, entra véritablement dans le cycle d’une économie utilisant le monnayage d’argent[1163]. Certes, Vulci émit quelques monnaies d’argent au ve s., des monnaies d’argent sont attestées sporadiquement au ive s. (ainsi à Populonia). Il est cependant clair que ces rares monnaies, de même que les quelques monnaies grecques qui pouvaient pénétrer en Étrurie, ne jouaient qu’un rôle marginal dans les échanges. Comme instrument d’évaluation, d’accumulation et de transfert de valeur, la société étrusque utilisait de manière préférentielle des lingots de cuivre ou d’alliage de cuivre. Pour ce qui est de Rome elle-même, selon la tradition depuis le roi Servius Tullius au milieu du vie s., l’unité de référence était un poids déterminé de bronze[1164]. Ce ne fut que par le contact avec le monde plus évolué et composite de la Campanie et de la Grande Grèce que Rome, à partir de 310-300, émit son propre monnayage, et encore s’agissait-il d’émissions isolées. Et ce fut seulement à partir de la guerre contre Pyrrhus, dans les années 270, que les émissions (argent et bronze) commencèrent à devenir plus régulières[1165].

Pour ce qui est de Carthage, un monnayage d’argent émis à son nom mais en Sicile apparut lors des guerres contre Syracuse et son tyran Denys l’Ancien, qui mena la résistance à l’avancée punique[1166]. Il s’agissait manifestement de solder des dépenses de guerre, et en particulier de payer des mercenaires habitués à recevoir une solde en argent. Les premiers tétradrachmes d’argent, sur étalon attique comme toutes les monnaies d’argent carthaginoises jusqu’aux guerres contre Rome, datent donc des années 409-390 environ. D’autres émissions d'argent eurent lieu dans les années 350-340 et 317-290, dans le contexte des guerres contre Timoléon, puis contre Agathoclès. Il fallut attendre la première moitié du ive s. pour que Carthage inaugure un monnayage propre, d’or puis d’électrum, frappé à Carthage ou en Sicile sur l’étalon du sicle, mais peu abondant (sauf à la fin du ive s.) et toujours lié à un contexte de guerre. En revanche, un monnayage de bronze circula de plus en plus largement au cours du ive s. dans l’ensemble du domaine punique.

Ainsi, tant à Rome et en Étrurie qu’à Carthage, non seulement les échanges locaux mais aussi le commerce international utilisèrent pendant des siècles d’autres modes de règlement que les monnaies d’argent. Or, la tradition grecque n’ignorait pas ces réalités. Ainsi, dans un exposé sur le caractère conventionnel de la valeur chez des peuples différents, le Ps-Platon signale l’adoption d’un système de monnaie fiduciaire de cuir à Carthage : “De même, les Carthaginois utilisent ce type de monnaie conventionnelle : dans un petit sac de cuir est cousu quelque chose de la taille d’un statère ; ce qui est cousu à l’intérieur, personne ne le sait, sauf ceux qui le font ; ensuite, une fois qu’il est scellé, ils lui donnent conventionnellement le rôle de monnaie, et celui qui en a acquis le plus passe pour avoir acquis le plus de biens et être le plus riche”[1167]. En outre, l'archéologie a montré la réalité de ces échanges étrusco-carthaginois, attestée entre autres par des textes épigraphiques[1168]

De fait, comme le montre le premier traité entre Rome et Carthage, celui de 508/507, l’échange entre les deux partenaires s’était développé en recourant à des procédures qui faisaient appel aux autorités de la cité, hérauts et secrétaires jouant le rôle de greffiers[1169]. Ainsi, les commerçants romains qui se rendaient dans les zones où le commerce leur était autorisé devaient se soumettre à des règles précises de transaction : “Pour ceux qui viendront faire du commerce, que la transaction soit nulle si elle est faite hors la présence d’un héraut ou d’un secrétaire ; pour ce qui a été acheté en leur présence, que le règlement au vendeur bénéficie de la garantie de la cité, pour les ventes effectuées en Libye ou en Afrique”[1170].

Il s’agissait donc d’assurer les commerçants romains de la garantie de la cité carthaginoise sur le paiement des ventes qu’ils pourraient effectuer[1171], cette garantie étant indispensable du fait que le vendeur ne pouvait sans doute recevoir immédiatement la contrepartie physique de ce qu’il avait vendu. Sans monnaie d’argent, il ne pouvait exister d'autre système de garantie de vente, un point qui, sauf erreur de notre part, n’a pas été perçu par la critique moderne. On voit aussi qu’il y avait sans aucun doute possible usage de documents écrits. A travers ses représentants, les hérauts et secrétaires qui jouaient le rôle de témoins et de garants dans les transactions, c’était la cité qui s’engageait à faire respecter la pistis, qui était donc la confiance dans les transactions, mais plus encore même ici un véritable crédit : la cité s’engageait ainsi à contraindre un acheteur à payer son dû[1172]

Dans ces opérations, on ne doit pas douter également qu’on faisait usage d’instruments d’évaluation de valeur, les prix des marchandises vendues et achetées étant très probablement exprimés en poids de bronze ou d’argent. L’échange se ramenait à une sorte de troc, mais un troc qui devait pouvoir être direct ou différé, impliquant deux partenaires seulement mais aussi peut-être plusieurs intermédiaires, rendant nécessaire le rôle de la cité comme garantie de crédit. La monnaie fiduciaire de cuir, dûment scellée, décrite par le Ps-Platon reposait nécessairement sur une garantie qui en dernier recours ne pouvait être offerte que par l’État : sans la contrepartie physique immédiate de l’argent monnayé, le rôle de la cité devenait essentiel pour contraindre les parties prenantes à respecter leurs engagements. Les échanges pouvant s’opérer sans que l’on fasse appel à des espèces monétaires, on comprend comment une grande cité commerçante comme Carthage put si longtemps se passer d’avoir un monnayage d’argent. Le système était loin d’être primitif. Cependant, aux yeux d’Aristote, c’était bien l’argent monnayé qui était cause du développement chrématistique, par la souplesse qu’il avait introduit, puisque, entre autres raisons, il était utilisable partout et par n’importe qui, ce qui induisait un possible échange à partenaires multiples échappant à tout contrôle de la cité. C’est cette différence que relevait le Ps-Platon, lorsqu’il remarquait qu’à Athènes la monnaie carthaginoise n’aurait pas eu plus de valeur que les cailloux de la montagne[1173].

Dans ce type de commerce, bien évidemment, le profit n’était pas exclu et l’on ne sache pas que les Carthaginois, pour ne citer qu’eux, aient pratiqué l’angélisme en matière commerciale. Selon Polybe, chez les Carthaginois tout était bon pour s’enrichir, quand, à Rome, on répugnait aux moyens jugés déshonorants[1174]. Pour Pline, les Carthaginois avaient été les inventeurs de l’activité marchande[1175]. Certes, il faut faire la part du topos chez ces auteurs bien postérieurs à l’époque de référence, mais il n’en reste pas moins que la des Carthaginois ne peut n’avoir correspondu à aucune réalité[1176]. Les échanges si fructueux qu’ils pratiquaient avec les Agrigentins au ve s., vantés par Diodore qui les décrit explicitement comme des échanges réciproques, ne reposaient pas sur l’usage de la monnaie d’argent[1177]. Mais ce n’était nullement le profit qui était le souci d’Aristote : s’il citait cet accord en exemple, c’est qu’il savait que traditionnellement l’inquiétante souplesse liée à l’usage de la monnaie d'argent (ou d’or) n’intervenait pas entre ces deux partenaires. Au contraire, le Stagirite liait de manière explicite et directe l’émergence de la chrématistique à l’apparition et à l’usage de la monnaie d’argent, qui permettait une accumulation indéfinie[1178].

Ce n’est pas le lieu d’évoquer cette question en détail mais, sans vouloir rouvrir ici le dossier de la question de l’origine du monnayage, il reste pour le moins piquant que ce soit à Égine, cité marchande par excellence, que, dans les années 520 sans doute, soient apparues les premières monnaies d’argent en Grèce d’Europe. La cartographie des cités égéennes ayant émis un monnayage avant 480 montre que, les cités thraco-macédoniennes mises à part (il s’agissait de la principale région productrice de métal), ce furent de manière écrasante les cités maritimes et tournées vers le commerce international qui émirent alors un monnayage d’argent. Certes, il est clair aussi que nombre d’émissions monétaires servirent d’abord à payer les dépenses de l’État, principalement les dépenses de guerre, non à solder les échanges extérieurs[1179]. Mais ce serait un faux dilemme que d’opposer une “théorie marchande” à une “théorie étatique” de l’origine de la monnaie. Car c’est seulement dans les cités “marchandes”, où à la fois le métal argent affluait par le commerce et était reconnu par la société comme équivalent général en raison de rapports sociaux plus ou moins formellement égalitaires, qu'il était possible à la “cité politique” d’avoir un monnayage.

Il fallait en effet que, dès l’émission destinée à solder les dépenses de l’État, l’argent monnayé puisse être immédiatement utilisé dans les transactions marchandes intérieures ou extérieures à la cité. L’argent monnayé procurait la nécessaire articulation du jeu des entrées et sorties (prosodoi et analômata) d’une part de l’État, d’autre part des particuliers. En d’autres termes, l’État et les particuliers utilisaient le même mode de règlement financier : c’est ce qui faisait le dynamisme du marché en Grèce ancienne, sans que jamais la différence faite entre gestion des revenus d’État et gestion des revenus privés soit abolie, selon le principe du parallélisme entre public et privé déjà évoqué[1180]. Il est donc tout à fait logique que, en règle générale, l’État ait fixé le rythme des émissions en fonction de ses propres impératifs, et non en fonction de ceux des acteurs privés. On se trouve là au cœur de la différence entre le monde grec et les empires asiatiques, puisque chez ces derniers – sauf sur les marges occidentales où ils pouvaient se trouver en contact avec les Grecs – l’État continuait à opérer ses règlements en termes réels (rations, attributions de terres, etc.) et non en monnaies pouvant entrer à leur tour dans le système d’échange.

La monnaie autorisait en effet les jeux entre des partenaires multiples, elle permettait d’échapper au caractère limitatif des échanges bilatéraux qui n’étaient que des processus de troc améliorés, elle constituait la richesse en capital abstrait, insaisissable, grâce auquel on échappait au cadre civique. Aristote redoutait cette abstraction opaque que finissait pas constituer le monde des affaires et des opérations d’échanges multiples, c’est-à-dire en définitive l’univers du marché où c’était le prix qui dictait sa loi, et non pas des relations directes relevant de la solidarité immédiate entre membres d’une communauté civique ou à l’échelle internationale, sur des relations reposant sur un cadre strictement défini avec une cité partenaire. C’est donc le modèle de développement d’Athènes et de son marché où l’on pouvait tout acheter et tout vendre qui se trouvait ipso facto condamné[1181].

La meilleure traduction que l’on pourrait donner de “chrématistique” serait peut-être “accumulation de capital”, pour éviter d’employer le mot inadapté de “capitalisme”, qui suggère que c’est l’ensemble d’une société qui vit au rythme du capital. La différence radicale d’avec le capitalisme contemporain est en effet que dans ce dernier type de rapport social les facteurs de production sont eux mêmes tendanciellement indépendants des conditions naturelles, alors que c’était l’inverse dans le cas de l’économie antique. Le marché réglait la circulation des biens, il influait sur la nature des productions, mais, malgré le savoir technique spécialisé et le travail humain qui pouvait être énorme pour défricher, amender le sol, etc., ce n’était pas en dernier ressort le capital mais bien la terre qui était le principal facteur de production, le principal créateur de valeur. De là découle à la fois le caractère décisif de la guerre comme mode d’appropriation des biens de production et aussi la réification des hommes comme facteur de production, c’est-à-dire l’esclavage. Aussi longtemps qu’il en fut ainsi, on ne peut parler de capitalisme. C'est l’extraordinaire intuition d’Aristote[1182] : si les navettes pouvaient hier toutes seules et agir de manière autonome comme les statues d’Héphaïstos, on n’aurait plus besoin d’esclaves.

On voit ainsi l’intérêt mais aussi les limites de l’analyse aristotélicienne : il s’agit d’un point de vue normatif, tout à fait révélateur de l’idéologie civique et donc des tensions qui existaient entre l’univers de la cité et celui de l’échange, qui permet de comprendre comment pouvaient être conclus des accords commerciaux entre cités, mais qui est loin d’épuiser la réalité d’échanges marchands qui débordaient très largement de ce cadre institutionnalisé. Une cité se réservait certes le droit d’accorder des licences d’exportation ou d’importation (ἐξαγωγή et εἰσαγωγή). Mais le commerce entre cités ne se ramenait pas en totalité à ces échanges définis de manière très officielle entre deux cités ou deux états partenaires. Ce point de vue se trouve exprimé avec vigueur dans le discours Sur lHalonèsos du Ps-Démosthène. L’orateur s’oppose ainsi à la proposition de Philippe d’établir des traités avec Athènes, en affirmant que “ni Amyntas, le père de Philippe, ni les autres rois n’ont jamais conclu avec notre cité des traités de ce genre. Pourtant, nos rapports commerciaux étaient alors bien supérieurs à ce qu’ils sont aujourd’hui, parce que la Macédoine était alors notre sujette et qu’elle nous payait tribut, et que nous fréquentions alors beaucoup plus qu’aujourd’hui nos places de commerce respectives, et il n’existait pas ces procès commerciaux (dikai emporikai), comme il y en a avec le terme rigoureux d’un mois, qui rendent superflu des accords formels entre contractants aussi distants”[1183]. Ainsi, tout le commerce n’entrait pas dans le cadre d’accords internationaux. De l’époque archaïque à l’époque hellénistique, le commerce libre, “à l’aventure”, resta naturellement toujours une donnée fondamentale du commerce international[1184]. En outre, même le commerce qui était effectué dans le cadre des traités et conventions entre cités était entièrement le fait de commerçants privés, à qui il pouvait arriver de ne pas en respecter les clauses[1185]. Surtout, l’idée que la production mise sur le marché ait exclusivement correspondu à des surplus ne correspond manifestement pas à ce qu’était la pratique de la constitution de l’offre.

La constitution de l’offre

A l’échelle internationale, ce fut dès l’époque archaïque et la haute époque classique que Chios, Thasos, Lesbos, plus tard Cos et Rhodes, se lancèrent dans une viticulture dont les productions étaient destinées au marché extérieur et faisaient la réputation et la fortune de ces îles[1186]. On peut en outre relever que certaines cités allèrent même jusqu’à une spécialisation non dans le domaine agricole, mais dans celui de l’artisanat : ce fut le cas de Mégare pour le textile. d’Athènes (puis de Tarente et sa région à partir du ive s.) pour la céramique décorée[1187]. L’artisanat spécialisé était sans doute d’abord un remède au chômage, mais il était aussi comme tel créateur de biens exportables, bien qu’en valeur ses productions ne puissent même de loin être comparées au produit de l’agriculture[1188]. On ne faisait pas fortune en produisant céramiques ou textiles, mais, à condition de travailler de l’aube à la nuit et de jouer sur la quantité, on pouvait atteindre le minimum vital, parfois aussi une honnête aisance, et c’était déjà quelque chose.

Ainsi, même si partout prévalait l’agriculture produisant pour l’autoconsommation familiale ou pour le marché local, on doit constater qu’il existait aussi des formes de “division du travail” par la spécialisation des centres de production. C’est dire que le “déterminisme” naturel n’était en réalité qu’une détermination, qu’il était loisible ou non d’exploiter, en fonction des réseaux d’affaires dont on pouvait disposer et de la rétribution par le marché que l’on pouvait espérer. Car l’exploitation agricole coûtait cher par le capital qu’il fallait mobiliser pour la constituer (défrichement de terre, accompagné éventuellement de la construction de terrasses ou de travaux d’amendement des sols, construction de bâtiments agricoles, achat d’esclaves comme main d’œuvre, etc.)[1189]. Il s’agissait donc de choix d’investissement qui supposaient une forme de rentabilité et un calcul économique : la chose est évidente lorsqu’il s’agissait d’agriculture spéculative[1190]. Tel est le thème du dialogue entre Ischomaque et Socrate dans l’Économique du même Xénophon, qui montre comment l’agriculture n’était plus seulement conçue comme une activité “naturelle” puisque déjà le père d’Ischomaque pouvait acheter des terres en triche pour les revendre à un prix beaucoup plus élevé après les avoir mises en culture, tandis que d’autres faisaient de même avec les maisons, en faisant construire non pour les habiter mais pour les revendre[1191]. Ce comportement novateur n’était évidemment pas une norme, mais il n’était possible qu’en raison des nouvelles conditions d’échange qui étaient offertes. C’était donc le prix du marché qui, par un effet en retour, déterminait l’offre et ses variations. Le raisonnement est valable dans le cadre de la cité tout autant qu’à l’échelle internationale.

Au ive s., Xénophon tenait comme une vérité d’évidence que le niveau des prix avait une incidence directe sur l’activité de production et que c’est en fonction du niveau des prix que l’on se tournait vers une activité artisanale ou vers une autre, ou, si l’on était agriculteur, qu’on décidait de développer telle production ou même de chercher une autre source de revenus en changeant d’activité : “Lorsque les bronziers sont en nombre trop élevé et que le prix de leurs productions est en baisse, ils abandonnent leur métier, et il en va de même pour les forgerons ; et si le grain et le vin sont en abondance et que le prix de ces productions est bas, leur culture ne s’en trouve plus rentable, si bien que nombreux sont ceux qui abandonnent le travail de la terre et se tournent vers le grand commerce, le commerce de détail et le prêt à intérêt”[1192].

Le point qui est précisément le plus remarquable est que Xénophon fixe son attention sur les prix et non pas sur telle ou telle forme de contrainte “extra-économique”. L’analyse de Xénophon a pourtant paru étrange en ce qu’elle paraît ne pas prendre en compte les échanges extérieurs[1193]. Si les prix sont trop bas, pourquoi ne pas exporter ? Si Xénophon n’y songe pas, ne tient-on pas la preuve du primitivisme soit de la pensée économique de l’auteur, soit de l’économie antique, ou plutôt même des deux ? En réalité, Xénophon raisonne déjà en termes abstraits et non pas en termes d’économie concrète ou de débrouillardise que tel ou tel pourra manifester pour faire face aux circonstances qu’il décrit. Le prix est ici conçu comme une résultante, le montant auquel le producteur vendra le fruit de son travail, que l’acheteur soit un grossiste alimentant le marché de la cité ou bien un exportateur : car peu importe au producteur pourvu qu’il puisse vivre de son travail. S’il ne le peut pas, c’est tout simplement que, compte tenu de ses frais, il n’y a pas pour lui un marché qui lui rapporte de manière suffisante.

A l’époque classique ou à l'époque hellénistique, un bronzier d’Athènes ou d’ailleurs, ou un paysan ayant du vin à écouler en quantité savait bien qu’il ne pouvait plus faire comme le paysan hésiodique qui, en cas de famine, pouvait prendre sa barque pour exporter les surplus dont il disposait encore. Les temps étaient changés : au moins dans les grandes cités, on était dans un autre monde, aux structures juridiques et politiques plus évoluées, qui connaissait déjà une grande spécialisation des tâches et était exigeant en capital. On pouvait certes vendre son bien familial pour tenter fortune sur mer, comme l’avait fait le père de Charinos dans la comédie de Plaute Le marchand[1194]. Mais en ce cas on n’était plus bronzier ou paysan, mais commerçant maritime : tel est très exactement le sens du propos de Xénophon.

Le concept de sociétés vivant exclusivement en autoconsommation contribue à l’illusion que les productions antiques étaient immuables, en particulier que les campagnes étaient vouées à un parfait immobilisme, puisque les contraintes du marché n’y jouaient aucun rôle. On a vu déjà ce qu’il fallait penser de ces schémas en fonction de ce que l’on sait des spécialisations viticoles de certaines régions, en particulier de certaines îles de l’Égée. Il y a une multitude d’évolutions à plus petite échelle qui nous échappent mais qui faisaient de cet univers certes tendanciellement stable, car soumis à des déterminismes naturels, un monde qui n’en connaissait pas moins à sa manière les contraintes du marché. On s’autorisera ici à recourir brièvement à un rapprochement avec l’économie de l’île de Kythnos telle qu’elle est décrite par A. Vallindas à la fin du xix e s., antérieurement aux grandes transformations sociales et économiques qui ont bouleversé la Grèce au cours du siècle suivant[1195]. Le parallèle avec ce que l'on peut savoir des situations antiques est très instructif.

Kythnos était autosuffisante en orge – un orge de bonne qualité très apprécié pour la panification, selon l’auteur (originaire de l’île...) même meilleur qu’un froment ordinaire – et pouvait ainsi exporter le quart de sa production, ce qui lui rapportait 20 000 drachmes. En revanche, plus qu’aucune de ses voisines, l’île connaissait un déficit en huile d'olive, dont A. Vallindas chercha à rendre raison. Restes de pressoirs, toponymie et vieilles traditions conservées d’âge en âge lui montraient qu’autrefois l’île produisait beaucoup plus. Pour tenter d’expliquer ce déclin, A. Vallindas avançait l’idée que les oliviers avaient dû subir le “châtiment" de la hache après de mauvaises récoltes et être coupés lors d’invasions étrangères (des incursions de pirates sont effectivement attestées à Kythnos jusqu’au début du xixe s.). Il signalait aussi des tentatives d’installations de nouvelles oliveraies, “mais leur revenu n’est pas assez encourageant pour susciter une grande ardeur pour une culture de l'olivier à grande échelle, et à cause de ce déficit les Kythniens exportent chaque année plus de 20 000 drachmes en approvisionnement d’huile et d’olives [i.e. en importent pour 20 000 drachmes]”[1196].

Même si les échanges extérieurs de l’île ne se limitaient pas à l’orge et à l’huile d’olive ou à l’olive, il est saisissant de constater que le volume financier des deux principaux postes à l’importation et à l’exportation était équivalent, l’un étant compensé par l’autre. La loi d’airain était que l’on ne pouvait pas importer plus que ce qu’on importait. Mais pour ce qui est de l’abandon de l’olivier, A. Vallindas donne un indice fort utile : le “châtiment” pour une productivité insuffisante, confirmé par le fait que même ceux qui se lançaient dans l’oléiculture au xixe s. n’atteignaient pas un revenu suffisant, i.e. qu’il n’était pas rentable de produire sur place une huile qu’on avait meilleur compte à acheter. Dans le cadre de son étude générale sur les productions insulaires, P. Brun a noté que “la concurrence d’îles vouées à la monoculture de l’olivier à partir du xviie siècle par la volonté des Italiens explique sans doute que celui-ci ait été chassé des régions où sa productivité était moindre”[1197]. On voit que cette explication s’applique de manière idéale au cas de Kythnos.

C’est de manière analogue que l’on doit penser les contraintes du marché dans l'Antiquité. Même pour le tout venant des cités où l’on ne s’était pas tourné vers une agriculture spéculative et où fondamentalement on continuait à pratiquer une agriculture d’autoconsommation, si l’on savait pouvoir compter régulièrement sur les revenus d’exportations négociables sur le marché, il devenait possible de pratiquer une agriculture spéculative “à la marge”. Le parallèle de Kythnos moderne a montré que si l’essentiel de l’orge était évidemment consommé sur place, un quart de la production pouvait être régulièrement exporté. On peut imaginer qu’il pouvait en aller de même dans l’Antiquité. En outre, cette autoconsommation prévalante était parfaitement compatible avec une certaine forme de spécialisation. Ainsi. Kythnos antique était célèbre pour ses fromages, qui avaient une valeur élevée. Cette réputation bien connue par les sources littéraires est corroborée par les sources papyrologiques, qui montrent que ces fromages étaient exportés jusqu’en Égypte[1198]. Ces exportations apportaient les revenus monétaires susceptibles de procurer en retour les importations de produits dont on était déficitaire.

En fait, si l’on se place au niveau d’une cité, ce n’est que si l’on n’avait rien à offrir sur les marchés extérieurs que l’on pratiquait une autoconsommation exclusive. En ce cas, comme le résumait lapidairement Platon, “Et si l’intermédiaire part les mains vides, sans rien apporter de ce dont manquent ces cités où il va chercher ce dont ont besoin ses propres concitoyens, il reviendra les mains vides, n’est-ce pas ? — Il me semble. — Il faut donc non seulement produire des denrées en quantité appropriée au pays, mais encore, en nature et en quantité, celles dont manquent les partenaires ? — Il le faut, en effet”[1199]. L’absence d’importation n’était alors que la traduction de l’incapacité à exporter : c’est faute de pouvoir importer que l’on était contraint de produire, selon le cas et si même les données naturelles le permettaient, céréales, vin ou huile de mauvaise qualité, au prix d’un surtravail considérable. L’établissement des prix à l’agora de la cité se faisait alors en fonction des seules denrées produites localement. On était condamné à la médiocrité et à la pauvreté, on sortait du devant de la scène pour l’abandonner à ces cités ouvertes à l’échange, urbanisées, monétarisées, qui menaient le cours de l’histoire. Ce qui vaut pour le paysan vivant en économie fermée sur une exploitation isolée[1200] vaut tout autant pour les cités.

Ainsi, pour ce qui est de la composition de l’offre, on voit que la notion de flux se combine avec celle de surplus, que l’un ne peut être pensé en dehors de l’autre. Au delà d’une détermination liée pour la production agricole aux conditions naturelles, c’étaient des choix liés au marché qui conditionnaient la constitution du surplus marchand. La règle vaut pour les régions qui avaient fait le choix d’une agriculture spéculative, produisant une denrée bien au delà de toute nécessité locale, comme le grain pour le royaume du Bosphore ou le vin pour Rhodes hellénistique, mais aussi pour les cités ordinaires qui pratiquaient encore une agriculture orientée prioritairement vers l’autoconsommation.

les prix en grèce ancienne et dans la france moderne

En s’appuyant sur les analyses fournies par les antiquisants, J.-Y. Grenier, historien spécialiste de l’économie de l’époque moderne[1201], a récemment tenté un bilan comparatif entre la formation des prix du grain dans l’Antiquité gréco-romaine et dans la France d’Ancien Régime pour en présenter un tableau fort contrasté. Il considère que le prix du grain à l'époque moderne obéit pour l’essentiel à la loi de l’offre et de la demande et que même les interventions publiques se faisaient étroitement en liaison avec le prix du marché. La “police des grains” ne consistait pas à fixer arbitrairement des prix de manière autoritaire et administrative : “Elle intervient au contraire en amont du marché, de façon plus ou moins contraignante, pour en favoriser l’approvisionnement (contraintes de stockage pour les communautés ou les particuliers), soit directement sur le marché pour assurer la régularité des échanges et permettre la formation d’un prix... Cette réglementation imposait un ensemble de mesures considérables puisqu’il ne s’agissait pas de contrôler le seul marché – ce qu’une simple politique de contrôle et de fixation des prix aurait exigé – mais de suivre et de baliser le parcours du grain de la production jusqu’au stockage et au commerce”[1202].

Au delà de cette réglementation, qui sans doute avait finalement un rôle plus parasitaire que bénéfique[1203], et de manière beaucoup plus essentielle, J.-Y. Grenier considère que la formation du prix des grains dans la France moderne obéissait aux règles d’une économie de circuit. Ce principe veut que. en dehors de l’influence de facteurs exogènes pouvant venir peser sur l'offre, comme la météorologie ou autres, il est possible de déduire le prix courant à l’issue d’une période θ (“durée du circuit, délai nécessaire à la formation du revenu”) si l’on connaît le revenu disponible issu de la période précédente et le prix moyen au cours de cette même période, dans la mesure où pour l’essentiel le niveau de l’offre s’établit en fonction du prix moyen de la période précédente[1204].

La formation du prix du grain dans les cités grecques classiques et hellénistiques aurait obéi à des règles bien différentes. Selon J.-Y. Grenier, on devrait distinguer quatre, voire cinq types de formation ou fixation des prix[1205]. Le premier correspondrait à l’échange intervenant sur l’agora entre les commerçants en grains athéniens, les sitopôlai, et les consommateurs. Lui seul serait un “prix du marché", malgré des dispositions réglementaires comme l’obligation faite aux importateurs de transporter un tiers de leurs cargaisons de grain à l’agora du Pirée, et les deux tiers à celle d’Athènes. Le second correspondrait au fruit d’une négociation entre les magistrats responsables des marchés, agoranomes et sitophylaques, et les marchands, emporoi ou sitopôlai. Un troisième type de prix serait celui qui était fixé lors des fêtes des panégyries ou autres circonstances particulières. Un quatrième type serait celui du grain acquis par la cité soit par l’intermédiaire de sitônai, soit livré par des bienfaiteurs, cités étrangères ou généreux donateurs. Une extension de ce type serait à trouver dans les ventes à prix réduit effectuées par des bienfaiteurs, personnes privées, marchands ou agoranomes eux-mêmes.

J.-Y. Grenier appuie son raisonnement en particulier sur les prix rapportés dans le C. Phormion où “la différence sur laquelle [Chrysippos, le bienfaiteur] insiste entre le prix du courant du médimne de blé (16 drachmes) et celui auquel il a vendu aux citoyens d’Athènes les 10 000 médimnes qu’il a importés (5 drachmes) montre qu’il s’agissait d’un taux qui n’avait aucun rapport avec celui du marché, comme probablement celui des ventes de blé public”[1206]. Même si ces prix ne pouvaient être totalement indépendants les uns des autres, il est clair que l'on (ne pourrait pas) “parler d’un système de prix au sens d’une interdépendance régulière reflétant, d’une façon ou d’une autre, la tension entre l’offre et la demande”[1207]. Les interventions des magistrats sur les différentes catégories de marchands, que ce soit par la contrainte ou la persuasion, refléteraient plus un rapport de force entre les parties qu’un rapport normal entre acheteur et vendeur. Les prix publics sans rapport avec la situation du marché auraient eu pour effet de rendre la formation des prix encore plus chaotique. D’où la conclusion que “la discontinuité caractérise les paramètres de la formation des prix sur le marché libre". L’opposition serait donc totale entre une économie de circuit, étroitement liée au marché, et une économie de surplus, avec des approvisionnements rendus anarchiques et désorganisés par des interventions extérieures de nature non-économique.

Pace J.-Y. Grenier, on doit brosser un tableau fort différent. Tout d’abord, on doit souligner un point d’une importance majeure, qui introduit une différence radicale entre l'approvisionnement des marchés de la France d’Ancien Régime et ceux de la Grèce ancienne. De manière écrasante, les marchés de la France d’Ancien Régime trouvaient leur approvisionnement dans un rayon local ou régional, en faisant venir éventuellement en cas de mauvaise récolte des blés d’autres provinces, le recours à du grain importé étant exceptionnel[1208]. En France, depuis le xiiie s., les producteurs avaient obligation d’apporter leur grain au bourg ou à la ville proche[1209]. De fait, le fermier était en principe obligé de vendre au marché local et la seule arme dont il disposait était la rétention de grain dans une perspective spéculative, mais au risque d’être arrêté[1210]. Certes, il en allait de même sans aucun doute dans une grande majorité de cités grecques, dont les besoins étaient satisfaits en bonne part par la production locale. Mais la situation des grandes villes du bassin égéen était autre : quel que soit le niveau de production de leur territoire, ces dernières étaient contraintes à l’importation de manière régulière et pour des quantités importantes, le cas d’Athènes, vivant de grain importé dans une proportion d’au moins 50 %, n’étant que la forme extrême d’une situation qui peu ou prou se posait dans les mêmes termes à Éphèse, à Rhodes, à Mytilène ou à Chios.

Or, cette séparation entre production et consommation trouvait sa solution dans le marché. Comme on l’a vu, le grain se dirigeait vers les places qui offraient le prix le plus intéressant pour les commerçants. C’était “la main invisible du marché” qui assurait les approvisionnements extérieurs et non des transferts autoritaires. La condition de la naissance de l’économie marchande en Grèce ancienne était précisément l’existence d’une multitude d’états formellement indépendants les uns des autres – plus de mille –, beaucoup d’entre eux ayant un débouché direct sur la mer. De la sorte pouvait se constituer un réseau d’échange marchand à la fois dense, multipolaire et extrêmement complexe. A priori, tout le monde pouvait communiquer avec tout le monde, éventuellement d’un bout à l’autre de la Méditerranée. Des marchands massaliotes ou carthaginois fréquentaient les ports du Pirée ou de Rhodes tout aussi bien que des commerçants venus du Pont Euxin ou de Chypre.

On voit la différence avec la situation de la France du xviiie s., où les intendants royaux pouvaient veiller à l’acheminement du grain depuis la production et opérer autoritairement des transferts d’une province à l’autre. On observera que, dans un cadre bien entendu fort différent, les rois, dynastes et satrapes de l’époque hellénistique, pouvaient opérer de manière autoritaire sur les cités sous leur contrôle en leur faisant acheter le grain dont ils disposaient eux-mêmes directement grâce au tribut en nature dont ils disposaient et en contrôlant leur politique d’approvisionnement[1211]. En revanche, les cités grecques les plus importantes, donc les plus dépendantes des échanges extérieurs, n’avaient aucune autorité politique sur la production d’une part essentielle des quantités de grain qui leur étaient nécessaires.

La seule pression qui pouvait s’exercer, raison pour laquelle on la voit jouer un rôle décisif dans les plaidoyers attiques, était celle du capital. Ainsi, à Athènes, pour le grain, on ne pouvait prêter pour une autre destination qu’Athènes elle-même, et réciproquement le preneur s’engageait donc par contrat à ne pas décharger ailleurs qu’au Pirée le grain qu’il achèterait sur une place étrangère[1212]. Enfreindre cette loi, c’était risquer une sévère condamnation. Certes, le marchand pouvait alors ne pas prendre le risque de revenir à Athènes. Mais, ce faisant, il se privait ipso facto non seulement de l’accès au marché consommateur athénien, de très loin le plus important du monde grec, mais aussi des futurs emprunts qu’il aurait pu contracter sur cette place, c’est-à-dire de l’accès au capital. Or, à l’époque classique, Athènes jouait un rôle fondamental comme place financière (ce rôle étant repris par Rhodes à l’époque hellénistique). Ailleurs, on risquait fort de ne trouver que des taux d’emprunt moins avantageux, voire pas de capital à emprunter, ce qui pour le marchand revenait à la paralysie. Manifestement, certains pourtant n’hésitaient pas à courir le risque de la fraude si le profit escompté semblait réellement avantageux.

Il reste que l’approvisionnement des marchés dans la France d’Ancien Régime obéissait à des principes fort différents. Si l’alimentation du marché d’Ancien Régime pouvait en quelque sorte se faire de manière régulière, puisqu’elle relevait du même espace politique, et si, sauf en cas de récolte exécrable, le marché du bourg ou de la ville était assuré de recevoir des quantités plus ou moins suffisantes pour son alimentation, il n’en allait pas de même pour la Grèce ancienne, de sorte que l’organisation du marché ne pouvait pas être la même. Une ville française d’Ancien Régime pouvait se permettre de mettre en prison un fermier spéculateur[1213] : au pire moment d’une crise frumentaire, une cité grecque ne pouvait au contraire que songer à flatter les commerçants importateurs pour les attirer vers son emporion[1214]. Des événements de toute nature, le plus souvent non économiques comme la guerre ou la piraterie, pouvaient venir perturber les circuits marchands et compromettre gravement les approvisionnements. Mais au delà, quelle que fut la nature des perturbations, le seul enjeu était les quantités effectivement disponibles sur le marché, qui in fine déterminaient le niveau des prix. De fait, conformément à l’effet de King, selon lequel les oscillations du prix du grain sont dans un rapport exponentiel aux quantités manquantes sur le marché, les oscillations des cours étaient souvent très fortes.

En analysant l’évolution des prix du blé, G. King, un généalogiste britannique du xviie s., fut le premier à établir ce principe dans un ouvrage paru en 1696. L’effet de King “peut être observé pour les matières premières qui font l’objet d’un marché international, et surtout, et plus généralement, dans le domaine agricole. Le phénomène est lié, en effet, à l’existence concomitante de plusieurs conditions, dont les principales sont l’existence d’un marché fermé, ou isolé (quelle que soit sa dimension, mondiale, nationale ou régionale) : la rigidité à court terme de l’offre (c’est-à-dire du volume de la production, soit que celui-ci dépende des conditions naturelles aléatoires, soit qu’il procède d’une utilisation non modulée de la capacité de production) ; une demande inélastique (produits agricoles) ou dont les fluctuations sont commandées par des motivations étrangères à la considération des prix (matières premières stratégiques).... L’effet King, d’abord relevé à propos du fonctionnement des marchés agricoles, semble bien traduire en fait un phénomène économique caractéristique des économies de marché suivant lequel les effets d’un facteur causal ne lui sont pas directement proportionnels”[1215]. Les fortes variations que l’on rencontre pour le prix des grains dans la Grèce des cités sont donc caractéristiques de structures de marché et ne sont pas des variations erratiques. En Grèce ancienne, le marché intervenait donc déjà en amont de l’approvisionnement des marchés des grandes cités, alors que dans la France d’Ancien Régime le jeu du marché n’intervenait pour l’essentiel que dans la halle aux grains, où se faisait la confrontation de l’offre et de la demande finale.

Il y a aussi à cet égard une autre différence essentielle entre la Grèce des cités et la France d’Ancien Régime. L’analyse du mécanisme des kathestèkuiai timai athéniens au ive et au iiie s. montre que ces “prix officiels” correspondaient en fait à des “prix de gros”. Ces “prix officiels” étaient le fruit d’une négociation permanente entre commerçants importateurs et magistrats de la cité. Même si les autres cités du monde égéen n’avaient pas un système institutionnel aussi fixe que celui d’Athènes, tout montre que le mécanisme devait en gros être le même ailleurs. Les marchands pouvaient ainsi savoir quel était le prix de gros en vigueur dans telle ou telle cité. Une des caractéristiques fondamentales du système du marché en Grèce ancienne était que, tant pour le commerce local que pour le commerce de gros, la cité s’efforçait de maintenir la concurrence dans un cadre étroitement défini.

A l’agora, de façon générale, il est manifeste que le marchandage était possible entre acheteur et vendeur[1216]. Cependant, pour protéger le consommateur, des dispositions réglementaires pouvaient venir empêcher une concurrence incontrôlable entre détaillants, comme, éventuellement, celles qui pour certaines catégories de produits pouvaient interdire aux commerçants de modifier leurs prix dans la même journée[1217] : le but était manifestement d’éviter que les commerçants ne commencent leur journée en fixant des prix trop hauts. En certaines circonstances et pas seulement pendant les fêtes, les cités pouvaient même aller jusqu’à fixer le prix des produits, comme le montre l’inscription agoranomique du Pirée[1218].

Pour les prix de gros, le système était sensiblement différent. A l’emporion, du moins pour le grain, le système des prix officiels, du prix unique du grain en gros, rendait impossible le marchandage individuel entre vendeurs et acheteurs. Qu'on ne se trompe pas cependant : la concurrence existait bel et bien. Elle jouait dans la négociation entre les magistrats qui représentaient la cité et les marchands importateurs. En fait, la vraie concurrence mettait en présence d’une part les marchands, comme vendeurs, et d’autre part les différentes cités entre elles, comme acheteurs. C’est ce qui explique les comportements décrits dans le C. Dionysodoros : selon que le prix payé par le marché importateur était plus élevé ou plus faible, le grain avait tendance à aller vers lui ou à s’en détourner. Le Socrate mis en scène par Xénophon dans l’Économique tenait encore une fois cette attitude pour vérité d’évidence[1219] : “Ces marchands aiment tellement le grain que, s’ils apprennent qu’il abonde quelque part, ils prennent la mer pour aller le chercher au loin, en franchissant la mer Égée, la mer Noire et la mer de Sicile. Puis après s’en être procuré le plus qu’ils peuvent, ils le transportent à travers la mer, et cela en l’embarquant dans le bateau sur lequel ils naviguent eux-mêmes. Quand ils ont besoin d’argent, ils ne s’en défont pas au hasard dans le premier endroit venu, mais ils le transportent là où ils ont entendu dire que le grain atteint le plus haut prix et où les gens le paient le plus cher, et c’est à eux qu’ils l’apportent et le livrent”.

Pour ce qui est des marchés, ils faisaient donc l'objet de contrôles attentifs des autorités civiques. En Grèce ancienne, du moins à partir de la fin de l’archaïsme, il n’y avait pas dichotomie entre commerce international et commerce local, entre deux circuits de circulation distincts qui auraient porté sur des denrées de nature différente et qui auraient été opérés par et pour des personnes de statut radicalement différent, comme on le trouve par exemple dans certaines sociétés africaines[1220]. A l’agora confluaient le grain d’origine locale et le grain importé. C’est là que se faisait physiquement le contact entre les deux sources d’approvisionnement en grain. De manière générale, les cités réglaient approvisionnement du marché et vente au détail par une série de dispositions réglementaires. Ainsi, comme Athènes disposait de deux grosses agglomérations urbaines, elle faisait en sorte qu’un tiers du blé aille au Pirée, les deux tiers à la ville d'Athènes, ceci pour équilibrer l’offre. C’est ainsi également que les cités pouvaient fixer diverses règles pour empêcher ou tenter de limiter la spéculation, comme l’interdiction faite aux vendeurs sur l’agora de modifier leur prix en cours de journée, ou la constitution d’un fonds de réserve de blé qui ne serait pas vendu avant une certaine date, comme le montre pour Athènes la nouvelle loi attique de 374/373[1221]. Tout cela évoque cette fois directement les mesures que pouvait prendre une ville d’Ancien Régime : “Délimitation précise du moment et du lieu du marché afin d'assurer une confrontation physique et visible de l’offre et de la demande, obligation faite aux marchands de laisser pour le marché suivant les grains non vendus le jour même afin de freiner les manœuvres spéculatives et favoriser les mouvements de baisse...”[1222] Selon J.-Y. Grenier, cependant, ces réglementations de l’Ancien Régime avaient en fait sans doute davantage un effet pervers qu’un effet positif : l’effet régulateur ne pouvait intervenir que lorsque les prix étaient dans une zone de stabilité, mais l’inflation se trouvait stimulée “car l’intérêt du marchand est de pouvoir vendre plus cher à terme, et de fixer un prix initial élevé pour ne pas risquer de vendre au-dessous de ce qu’autorise la tension du marché”[1223]. Il est vraisemblable que des mesures du même ordre, même pour certaines totalement identiques, aient eu des conséquences analogues dans l’Antiquité.

En revanche, du moins à l’époque classique et à la haute époque hellénistique, une différence capitale d’avec la ville d’Ancien Régime était l’existence d’une catégorie de privilégiés, celle des citoyens. Cela ne signifie pourtant nullement que les prix du grain des diverses sources d’approvisionnement réservées aux citoyens aient été totalement déconnectés du marché, comme si les prix pratiqués en faveur des citoyens avaient introduit un paramètre chaotique : on a vu par exemple qu’il ne fallait en aucun cas considérer que, par exemple à Athènes en 330/329, on ait vendu du grain aux citoyens à 5 dr. le médimne tandis que “le cours du marché libre” aurait été de 16 dr. Bien au contraire, loin d’être déconnecté du prix du marché, le prix de 5 dr. le médimne n’était autre que le cours officiel à l’importation à Athènes, le privilège des citoyens étant à la fois de pouvoir disposer d’un droit de préemption par les distributions particulières (en l'occurrence en un lieu distinct de l’agora) qui était organisées pour eux et de pouvoir y avoir droit au prix de gros. Quant aux distributions faites par la cité elle-même, avec son propre grain, on voit que la nouvelle loi attique de 374/373 laisse l’assemblée libre de fixer son prix[1224]. Cependant, en 329/328, la cité fixe les prix du froment et de l’orge auxquels les épistates d’Eleusis doivent vendre leurs surplus à respectivement 6 et 3 dr., ce qui pourrait à ce moment avoir correspondu (on ne saurait être plus affirmatif) à un prix du marché, ou à un prix proche de celui du marché[1225]. Il est tentant de penser que, en règle générale, il en allait ainsi pour les distributions de grain public : plutôt vente au prix de gros que vente à un prix totalement déconnecté du marché.

En tout état de cause, il est vrai qu’en cas de grande disette des prix franchement en dessous des cours pouvaient être pratiqués, mais ils ne peuvent guère avoir joué un autre rôle que celui d’aider à apporter une ration de survie. L’évergétisme de la deuxième moitié de l’époque hellénistique ou de l’époque romaine relève déjà d’une autre structuration de la cité, au sein de laquelle les écarts sociaux s’étaient approfondis[1226]. De façon générale, les ventes du grain public (ou les ventes dans les mois difficiles dont témoigne la loi de 374/373) portaient de toute façon sur des quantités limitées, comme l’a montré L. Migeotte[1227]. Ces ventes contribuaient à stabiliser les prix sur l’agora, ou à limiter quelque peu les fluctuations dues aux aleas du marché, mais en aucun cas on ne peut dire qu’elles aient créé des fluctuations chaotiques ou bien des conditions où les prix auraient fluctué séparément, sans rapport les uns avec les autres, sur l’agora ou dans les ventes réservées aux citoyens. On remarquera enfin que l’évolution des prix du grain sur une année à Délos correspond au rythme saisonnier, comme dans les sociétés d’Ancien Régime, ce qui ne saurait être le cas si des interventions de toute nature étaient venues fixer des niveaux de prix totalement arbitraires[1228].

Pour finir, on peut dire que le rôle perturbateur des variables exogènes pesant sur l’offre de grain, et sur l'offre en général, était beaucoup plus important en Grèce ancienne que dans la France d’Ancien Régime. Il est clair aussi que le système du surplus existait. Mais, en tant que telle, la notion de surplus à elle seule est insuffisante pour décrire la constitution de l’offre. D'une part, tant au niveau de la production que de l’échange, le poids des variables exogènes n'empêchait pas le développement tendanciel de conduites d'anticipation ayant pour but le profit et tenant compte de pures variables économiques, comme le montre entre autres le propos de Xénophon, tant dans les Poroi que dans l’Economique. D’autre part, on ne peut affirmer que la fixation du prix du grain et des autres denrées offertes ait échappé à toute logique de marché, ce qui serait le cas si l'offre avait correspondu à de simples surplus par définition aléatoires. Il y avait au contraire clairement une division du travail et les régions déficitaires comptaient régulièrement sur un approvisionnement extérieur. On soulignera aussi fortement l'interaction entre offre et demande par l’intermédiaire des prix, selon le propos de Xénophon dans les Poroi (voir supra) qui expliquait de la manière la plus explicite que le niveau des prix retentissait sur l'offre, et cela pas seulement pour le grain.

L’économie de la Grèce ancienne n’était donc que partiellement une économie de surplus. Avait-elle donc aussi des traits d’une économie de circuit ? Avant de pouvoir donner une réponse à cette question, c’est une véritable théorie de la formation des prix en Grèce ancienne qu’il faudrait d’abord établir, mais aussi une théorie de la rente, de la valeur et de la monnaie : on voit que la tâche est vaste.

Le marché, les marchés

L’économie de la Grèce des cités relève donc pleinement de la catégorie des économies à marché, même s’il s’agissait d’un marché qui fonctionnait différemment du marché contemporain (c’est un truisme que de le dire). Une véritable histoire économique de la Grèce des cités n’est donc pas conceptuellement une chose absurde. La tentative de J.-Y. Grenier de mettre en valeur les structures spécifiques du marché d’Ancien Régime s’inscrit explicitement dans la même perspective de rupture avec les schémas polanyiens[1229]. C’est de même tout l’intérêt des travaux récents de Jack Goody de tenter une réévaluation globale de la place de l’économie dans les sociétés orientales, particulièrement en Inde : circulation marchande et production pour le marché apparaissent sous un jour tout différent de celui qui avait été présenté dans la perspective de Polanyi[1230]. Dès lors qu’on n’étudie plus les sociétés dans une perspective classificatoire, on découvre une complexité que leur prise en compte comme sociétés “précapitalistes” ne laissait pas prévoir, ou plutôt ne laissait pas apparaître. De la sorte également, il n’est pas nécessaire de vouloir opposer deux systèmes d’échange, dont l’un serait traditionnel ou “archaïque” (liens de réciprocité entre partenaires, etc.), l’autre, “moderne”, fondé sur la recherche du profit[1231]. Le point important paraît être en tait de rechercher l’articulation entre deux phases d’un processus unique. Ainsi, des relations traditionnelles étaient susceptibles d’être utilisées pour obtenir la livraison d’une denrée, qu’ensuite on pouvait, ou non, mettre sur le marché[1232]. Il n’y avait donc pas opposition de deux systèmes d’échange mais deux phases spécifiques de circulation des biens, la deuxième consistant éventuellement en la mise sur le marché (pour de faibles quantités, il pouvait y avoir seulement circuit court et autoconsommation dans l’oikos).

Pour la Grèce ancienne, à la différence de l’Europe moderne, il est vrai que les sources manquent cruellement pour asseoir les études statistiques qu’il serait souhaitable de pouvoir mener. La disparition de toutes les archives publiques et privées provenant de la Grèce des cités n’est pas un fait négligeable. Les papyrus égyptiens, qui pour la plus grande partie d’entre eux datent de l’époque romaine, font deviner ce “monde que nous avons Perdu”[1233]. L'Égypte, on ne saurait l’oublier, n’était pas un monde de cités, et les documents dont on peut aujourd’hui disposer, si passionnants pour l’histoire économique, renvoient cependant à un univers passablement différent de celui de la Grèce classique et hellénistique. Pourtant, même en Égypte romaine, l’économie monétaire et le marché paraissent là aussi avoir été un facteur déterminant dans la formation des prix[1234].

Pour le reste du monde contrôlé par les Grecs, les inscriptions ne permettent que trop rarement de suppléer a la perte des masses d’archives publiques ou privées qui auraient permis d’écrire une histoire détaillée de l’économie de la Grèce antique (c’est là une raison de plus pour publier et analyser avec un soin particulier ces trop rares documents). Mais en aucun cas, naturellement, on ne doit considérer que le manque d’archives serait au fond imputable a la “nature des cités grecques. Certes, l’absence de “mercuriales” antiques qui auraient été analogues à celles du monde de la France d’Ancien Régime mérite d’être relevée[1235]. Mais, à Athènes, l’existence de registres des sitophylaques est bien attestée et l’on doit donc être très prudent avant de considérer que sitophylaques ou agoranomes ne conservaient aucun document contenant des indications de prix, même s'ils étaient sans doute il est vrai organisés sur une tout autre base que celle des mercuriales[1236]. On insistera en outre sur le rôle de l'écrit dans les comptabilités, dans les procédures de contrats, etc., qui est intervenu plus tôt et de manière différente de ce qu’on a imaginé jusqu’ici : vers 560 a.C., Arcésilas de Cyrène avait sans doute déjà à ses côtés son “comptable”[1237]. A l’époque classique, a fortiori, l'écrit jouait un rôle central dans les procédures commerciales[1238]. Cette piste devra être poursuivie et développée.

Au plan méthodologique, on devrait enfin se débarrasser une fois pour toutes de l’habitude de juger des structures d'une société en termes de “manque” par rapport aux structures d’une société qui lui est postérieure de vingt-cinq siècles[1239]. Pourtant, la question de savoir pourquoi les sociétés antiques n’ont pas connu la Révolution industrielle ou le “passage au capitalisme” hante encore la réflexion historique, comme si le fait que les cités grecques ou Rome “ne soient pas parvenues à ce stade” devait être porté à leur débit. Cette comptabilité négative et cette perspective finaliste ne sauraient être fructueuses. Les structures de marché segmenté de la Grèce des cités peuvent paraître “primitives” par rapport à celles du marché contemporain, mais elles étaient alors absolument révolutionnaires. Ce sont ces structures de marché consubstantiellement liées à la cité et au réseau que l’ensemble des cités formaient entre elles qui furent à la base du “miracle grec”. Ce sont elles encore qui donnèrent à la Grèce sa supériorité temporaire sur les autres sociétés du monde méditerranéen, alors même que, par la faiblesse relative de sa population, la Grèce ne paraissait nullement destinée à jouer ce rôle.

Il faut donc replacer en leur temps les structures de marché de la Grèce des cités. Pour autant, on ne doit pas hésiter à observer les similitudes systémiques que l’on peut relever entre sociétés à marché. Des comparaisons transhistoriques peuvent alors légitimement être effectuées. Au reste, il ne s’agit pas de dresser une liste de curiosités, comme des amateurs peuvent constituer une collection de timbres ou de papillons, mais de permettre de déterminer ce que peuvent être les traits structurels des sociétés fondées sur le marché, par delà des différences qui peuvent être très importantes dans l’organisation de leur système de production et autres paramètres fondamentaux.

On doit donc aujourd’hui dépasser définitivement l’alternative entre un modernisme comme celui d’Eduard Meyer, qui projetait dans l’économie de l’Antiquité des doctrines économiques de circonstance du monde industriel du début du xxe s., et un primitivisme ou un néo-primitivisme qui refusait toute réalité au marché. Johannes Hasebroek et Moses Finley avaient parfaitement raison de contredire Eduard Meyer ou Michael Rostovtzeff et leur modèle “d’industrialisation” du monde hellénistique. Mais ils avaient tort de rejeter le concept même d’économie antique. La théorie des “facteurs extraéconomiques” pesant sur l’économie grecque faisait de l’économie de la Grèce ancienne un non-être. En réalité, la Grèce ancienne a constitué la première économie à marché monétarisé qui ait existé de manière organisée et sur plusieurs siècles. Cela ne signifie nullement que l’on doive réduire l’économie de la Grèce des cités au marché. La question clé est précisément l’articulation du comportement prédateur de la cité grecque antique comme moyen collectif d'acquisition de revenus ou d’appropriation du moyen de production essentiel qu’était la terre, avec le rôle du marché comme instrument de circulation des biens. Si l’on ne retient que l’un ou l’autre des deux termes, on ne peut obtenir qu’un tableau déséquilibré, “moderniste” ou “primitiviste”.

Au reste, les conditions mêmes d’existence du marché n’ont rien de “naturel”. L’existence de réglementations civiques n’est pas la preuve de l’absence de marché : au contraire, c’est la cité qui, par l’ordre qu’elle faisait régner, créait les conditions d’existence du marché. Si l’expérience de la Grèce ancienne est si passionnante, c’est que, après un essor fulgurant, ce qui fut la première économie à marché monétarisé de l’histoire finit aussi par se transformer profondément au sein du nouvel espace romain, puis par s’effondrer lorsqu’eurent disparu les conditions politiques et juridiques qui l’avaient fait naître – égalité formelle dans l’échange à l’intérieur de la cité, multiplicité des cités commerçant entre elles. C’est aussi en ce sens que l’analyse des économies à marché qui ont précédé l’économie de notre temps peut donner à réfléchir.

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Index des sources

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(47) C. Platon, en défense des quatre

147 Dindorf 222 n. 62

Alciphron

Lettres

1.9 177 n. 118

Alexis

Le chaudron

125-126 Edmonds 177 n. 120

Adespota

276 Edmonds 129

Anaxandride

Les cités

39 Edmonds 23

Andocide

Sur son retour

11 193-194

Androsthenes

FGrHist711 F1 223 n. 65

Appien

Guerre Civile

2.89 44 n. 122

Apulée

Métamorphoses

1.24-25 174

Aristagoras de Milet

FGrHist 608 F8 19 n. 24, 34, 66

Aristophane

Acharniens

500 sq. 127

758-759 277

Nuées

18-24 144

Oiseaux

1040-1041 229 n. 95

1212-1215 146

Thesmophories

347-350 237

Ploutos

925 26n. 9

Scholies Aristophane

Cavaliers

137 168

Guêpes

718 = FGrHist 328 F119 210, 256

Paix

145 = FGrHist 370 F1 170

Ploutos

925 86 n. 9

Aristote

Atliènaiôn politeia

7,1 164 n. 44

10,2 225

22,7 251 n. 40

51,1 173

51,3 134 n. 9,204.213

51.3-4 189-190. 204

51,4 203-204

55,5 164 n. 44

Éthique à Nicomaque

1.7.6 1097b 111 n. 10

3.9.3 1117b 2 170

5.5.13 1133b 114

5.5.14 1133b 115 n. 28

Histoire des animaux

8.12 597b 89 n. 32

Politique

1.1-2 1252a-1253a 111

1.4.3 1253b 292

1.8.4-8 1256a 112 n. 14

1.9.1 1256;» 112 n. 16

1.9.1-13 1256b-1257b 291

1.9.5 1257a 114

1.9.6-7 1257a 112 n. 15

l.11.1-4 1258b 114 n. 21

3.9.6 1280a 121 n. 47

3.9.7 1280a 114 n. 23

3.9.12-14 1280b-1281a 111 n. 10

6.5.8 1320a 253

6.5.9 1320b 257

6.8.3 1320b 113 n. 18

6.8.7 1321b 145

6.8.21 1322b 145

7.5.1 1326b 112 n 12

7.5.2 1326b 112 n 13

7.5.4 1327a 113 n 19

7.6.1 1327a 113 n. 20

7.6.4 1327a 114,117

7.12.3-7 133 la- 1331b 272

Rhétorique

1.4 1359b- 1360a 134

1.4 1360a 1 10. 114. 119 sq.

1.9 1367b 29 170

2.7 1385a 115 n. 27

Ps-Aristote

Économique

1.6.2 et 6 1344b-1345a 247

2.1.1 1345b 247

2.1.2-6 1345b-1346a 247

2.2.3c 1346b 203

2.2.7 1347ab 203

2.2.8 1347b 197

2.2.10 1347b 203

2.2.13a 1348a 191

2.2.16a 1348b 115 n 28, 202 n 81

2.2.17 1348b- 1349a 202

2.2.18 1349a 208,253

2.2.23c 1350b 249

2.2.33c 1352b 196

Arrien

Anabase

3.5.4 35

Athénée

Banquet des Sophistes

3 39b 223 n. 65

3 74f-75a 208

4 149d 78

4 149d-f 54 n. 161

6 224c-228d 177 n. 119

6 226ab 177 n. 120

7 299f-300a 23 n. 43

13 596b-d 21 n. 36

15 675f sq. 61 n. 182, 25 n. 52

15 675f-676a 18 n. 19

Callicratès-ménéclès

Périégèse d'Athènes

FGrHist 370 F1 170

Cicéron

De lege agraria

2.16 40 102

Des devoirs

3.1250 287

Lettres à Atticus

6.2.3 117 n. 35

Pro Roscio Comoedo

28 180

République

2.49 117 n. 35

Code Théodosien

14.26.1 166 n. 54

Cornelius Nepos

Thémistocle

2.2 251

Démosthène et Ps-démosthène

(7) Sur l'Halonèsos

11-13 292-293

(8) Sur les affaires de Chersonnèse

24-25 140 n. 51

(18) Sur la couronne

72 131

(20) C. Leptinès

13 222 n. 62

31 137

31-33 209-210

31-33 276, 278 n. 66

33 133

36 137

37 122

passim 137

(24) C. Timocratès

11 58 n. 171

11-12 29 n. 66

(32) C. Zénothémis

1 139

9-14 139-140

16 145

passim 139-140

([34]) C. Phormion

5

147 n. 86 6

139 8

144 n. 70 10

147 n. 86 29

144 n. 70 36-37

147 36

278 37

195, 300 n. 167 38-39

184 39

183, 191-192 42

139 50-52

184

passim 298

([35]) C. Lacritos

3 139

6 139

10 131

13 139

18-19 189 n. 27

50-51 300

passim 138-139

([42]) C. Phainippos

20 195

([50]) C. Polyclès

17 131

20-21 278

30 144

(54) C. Conon

26 164 n. 44

([56]) C. Dionysodoros

6 139

7 187

8 183,187

9 188

10 183, 188

30 44

47 140 n. 48

passim 287

([58]) C. Théocrinès

8-9 et 12 300 n. 167

([59]) C. Néaira

27 207 n. 97

Denys D'halicarnasse

Antiquité romaines

4.15.6 222

Didymos

Commentaire sur Démosthène

11.1 col. 10-11 132, 277

Diodore

1.68 42 n. 114

1.70.1 170-171

1.83.2 223

3.34.7 44 n. 122

13.81.4-5 291

16.42-45 27 n. 65

20.84.6 249

Dion Cassius

54.7.2-3 172 n. 90

57.4.3 180 n. 132

67.3.5 180 n. 134

Dion Chrysostome

13.110 222 n. 62

35.15-16 176 n. 112

31.51 145

Dioscorides Pedanios

De materia medica

1.19.1-2 223 n. 65

éCritures Genèse, 43.32

56 n. 166 Ézéchiel, 5

223 n. 67 II Samuel, 14.26

223 n. 67 Luc, 15.8

181

Enée le Tacticien

10.8 146

Etienne de Byzance

s.v. Ἠιών 81

s.v. Γυναικόσπολις 19 n. 24

Flavius Josèphe

Antiquités Judaïques

14.418 171 n. 87

Ps-galien

Sur les poids et mesures

60.1-4 216 n. 33

Harpocration

s. v. λίθος 164

Hérodote

1.141 45 n. 125-126

1.142 41 n. 111

1.143 43 n. 119

1.144 41-42

1.145 41 n. 110

1.149-150 43 n. 119

1.151 105-106

1.152-153 45 n. 125

1.153 272

1.167 57 n. 168

2.30 17

2.39 30 n. 74. 56 n. 166

2.41 56 n 166

2.47 38 n. 102

2.65 223

2.91 56 n. 166

2.107 17

2.112 22. 56 n. 165

2.125 36

2.134-135 21 n. 36

2.154 16. 34 n. 87.36. 67 n. 16

2.159 48

2.161 89 n. 28

2.163 57 n. 167

2.164 36

2.169 18.57n. 167

2.178 41. 106.270

2.178-179 1384,7475

2.180 31 n. 75. 54 n 161. 58 n. 173

2. 182-182 48

2.182 38 n. 102. 42 n. 114

3.4 42 n 114

3.39 41 n. 112

3.47 38n. 102.49

3.57 251

3.157 120 n. 44

4.151 280

4.159 89 n. 28

4.160 88 n. 24

4.196 88

5.35-38 45 n. 125

5.49-50 249

5.99 41 n 112

5.99-103 45 n. 125

5.108-109 45 il 126

6.5 278 n. 60

6.7 45 n. 126

6 11-14 45 n. 125

6,26 278 n. 60

6.46 251

6.86 145 n. 77

7.49-50 71

7.56-57 71

7 93-94 40 n. 107

7.113 81

7.136 71

7.144 251

7.146-147 70-71

7.147 278

7.153 38

9.106 16

Hérondas

2.55-59 148

Hésiode

Travaux

618-694 274

Hesychius

s.v. Κουρεῶτις 223 n. 67

s.v. Ἐμπορῖται 223 n. 67

s.v. Βάττου σίλφιον 86 n. 9

Homère

Iliade

1.106-187 248

11.668-707 248

Odyssée

6.163 88, 142

14.257 44 n. 121

14.265 15 n. 8

14.287-298 62

Hypéride

C. Athénogénès

3 60 n. 181

Isocrate

(4) Panégyrique

4.42 116

76 222

(7) Aréopagitique

24-25 251-252

32-35 256

(8) Sur la Paix

117 126

(9) Evagoras

47 25 n. 52

(17) Trapézitique

20 142

(18) C. Callimaque

58-59 271

59-61 277

Justin

9.1.1-6 132 n. 4

Lactance

Mort des Persécuteurs

7.6-7 178

Lycurgue

C. Léocratès

18 138

27 300 n. 167

Lysias

(22) C. les marchands de blé

5-6 190

8 197

11 197

12 199

17 203

21 203

Fragments

20 CUF 201

Memnon D’héraclée

FGrHist 434 F3.1 253

Nicolas de Damas

FGrHist 90F 103z 7-9 289 n. 122

Périple de la mer Érythrée

passim 148 n. 89

Philochore

FGrHist 328 F21 164 n. 44

FGrHist 328 F162 132, 277

Philomnestos

FGrHist 527 F2 (Περὶ τῶν ἐν Ῥόδῳ Σμινθείων)

208

Philostrate

Vie d’Apollonios de Tyane

4.32 142 n. 57

Traité sur la gymnastique

p. 24 (Jüthner) 19 n. 28

Pindare

Olympiques

7.94 40 n. 106

Pythiques

8.98-100 48 n. 138

Isthmiques

8.16-18 48 n. 138

Néméennes

8.6-7 48 n. 138

Péans

6.123-126 48 n. 138

Platon

Phèdre

274c 53

République

2.11 369b-371a 118

2.11 370d-371a 296-297

Lois

8 847b-d 116

8 847d 129

12 949e-953e 111 n. 11

11 917b 301

11 917e 166

Ps-platon

Eryxias

399c-400a 289-290

400d 164 n. 44

Plaute

Mercator

64-79 295

Miles gloriosus

727-729 173

Trinummus

770-819 142

passim 148

Pline

Histoire Naturelle

5.39 139 102, 105

7.56 199 290

19.3 38-45 86 n. 5

19.15 44 86 n. 6

33.13 45 180 n. 130

Plutarque et Ps-plutarque

Vies

Solon

8 164

22.1 297 n. 154

25.8 164

Thémistocle

4.1 251

Périclès

16 247

16.4 274

37.4 210

12.5-6 252

Cimon

10.8 252

12.3-4 42 n. 114, 68

Antoine

45.8 223

Moralia

Aetia Graeca

297f 290 n. 127

De tranquillitate animi

470 f 180

([121]) Vie des Dix orateurs

Lycurgue 843de 251

Decreta 2 851e 210 n. 112

Pollux

3.78 164

3.126 164 n. 43

4.171-172 226 n. 79

7.14 201

Polybe

1.83 137

3.22.8-9 289

4.38.8-9 117, 123 n. 58

4.39.6 131

4.43.1 131

4.50.2-4 131

5.90.3. 257

6.39.12-14 180

6.43.1 288

6.51.1 288

6.56.2 290

9.27 38

11.4.5-7 250

12.25d 6 141, 148 n. 89

28.2.1-2 137, 269

30.31.4 250

30.31.6-8 250

33.6 256

Polycharme de Naucratis

FGrHist 640 60-61

Polyen

Stratagèmes

7.23.1 191 n. 40

Ptolémée

Géographie

5.2.19 105

Sophocle

Oedipe à Colone

1170 120 n. 44

Souda

s.v. Βάττου σίλφιον 86 n. 9

Stobée

4.2.20 290 n. 127

Strabon

3.4.8-9 82 n. 97

9.4.5 106

10.4.5 44 n. 121

13.2.4 105

14.2.23 171 n. 87

14.3.9 68 n. 25

17.1.18 51 n. 146

Suétone

Jules César

26.5 180

Synèsios

Lettres

52.1 277

Tacite

Annales

1.17.4-6 180

Térence

Phormion

149-150 142 n. 61

Théophraste

Histoire des Plantes

6.3.1-7 86 n. 5

6.3.2 86 n. 6

9.6.4 222-223

Caractères

4.13 214 n. 17

23.4-5 137

30.15 181

Fragments

650 Fortenbaugh 290 n. 127

Théopompe

FGrHist 115 F292 132, 277 n. 57

Thucydide

1.37-3-4 123, 29 n. 66

1.42 126 n. 67

1.67 126 n. 67

1.98 81 n. 86

1.115 41

1.120.2 116

1.139-140 126 n. 67

1.144 126 n. 67

2.27 16 n. 10

3.2 278

3.70 123 n. 57

3.73-74 123 n. 57

3.86.4 279

4.50.1 81 n. 86

4.56 16

4.102.3 81

4.104.5 81 n. 86

4.106.3-4 81 n. 86

4.107.1-2 81 n. 86

4.108.1 81 n. 86

5.6.1-2 81 n. 86

5.103.8 et 10 81 n. 86

6.5 49 n. 141

7.35 41

7.113.1 81

8.6 et 8 49 n. 141

8.14-16 41

8.31.3 41 n. 112

8.44 29

Tite Live

23.33.4-12 147

23.34.1-7 147

23.39.1-2 147

34.9 82

37.23.1 68 n. 25

45.31.13 106

Vitruve

De l'architecture

4.1.4-5 45 n. 126

Xénophon

Helléniques

3.3.5 272 n. 36

3.4.1 70

6.1.11 116

Mémorables

3.6.3-12 251-252

Économique

8.19 248

20.22 294

20.27-28 302

20.28 188

20.29 294

passim 304

Anabase

7.5.14 143

Cyropédie

7.4.2 42 n. 114

8.6.8 42 n. 114

Poroi

1.4 116 n. 30

2.1-7 61 n. 186

3.2 194 n. 46, 203

3.3-4 61 n. 186

3.6 253

3.8 249

4.6 294

4.30 257

5.1-13 250

passim 304

Ps-xénophon

Constitution d’Athènes

2.11-13 117 n. 37

Sources Épigraphiques

Accame, ClRh. 9. 1938

p. 219 sq. 28

p. 221 27-28

AE

1925, 126 202 n. 83

1994, 15 165 n. 47

1994, 1706a 222

1995, 1594 213

Alcshirc 1989

III 227

IV 226-227

V 227 n. 86

Bernand & Masson 1957

1 34

2 et 4 27 n. 64. 34 n. 87

3 34 n. 87

6bis 34 n. 87

Bernand 1970

707. n. 659 26

753, 18 54 n. 161

755-756, 20 54 n 161

Bernand 1984

67 169

Bielman 1994

24 185, 201

Bogacrt. Epigraphica. III

22 181 n. 139

28 175, 181 n. 139

CID. II

4 52 n. 153. 77. 79

75 231 n. 104. 235 n. 125

77-78 231 n. 104. 235 n. 125

CIG

3705 165 n. 49. 167 n 60

Dow 1937

162-165, nº 96 162 n. 23

Durrbach. Choix Délits

46 282 n. 89

48 282 n. 90

50 282 n. 90

FD. III 1

114 52 n.154

419 52 n. 153

FD. III.2

26 162

57 161 n. 13

FD. III.5

2-3 52 n. 153

3 52-53

49 231 n. 104

67-68 231 n. 104

Herrmann 1965

p. 91 222

IC

IV. 162 181 n. 139

ID

101 228 n. 91

104 213. 228 n.92. 232

298 228

313 228 n. 94

3I4B 228

421 231 n. 103

427 228 n. 93

428 228 n. 93

439a 228 n. 93

442B 217 n. 36, 228.231 n. 103. 233 n. 113

455Ba 217 n. 36

509 145. 167. 174 n. 101. 214-215, 229 n. 97

1432 Ah 226 n. 79

1441A 226 n. 79

1442B 226 n. 79. 227 n. 87

2632 154

IG, I3

4 163

10 42 n. 114. 69 n. 30

61 278 n. 62

62 201 n. 80, 278 n. 62

63 278 n. 62

110 15 n. 8

117 125

248 256 n. 65

1032 283 n. 94

134 Ibis 34. 67 n. 16

1453 229 n. 95

1454 37 n. 99

IG, II-III2

43 108

206 59.61 n. 186

206 61 n. 186, 77

313 166 n. 56

360 + Add. p. 660 190

400 185 201

499 185 n. 12. 201

657 210

839 220-221

903 184n. 10. 189 n. 27, 197. 201

1012 225 n. 74

1013 164. 215-216, 225-226.230

1025 154 n. 4

1040 154 n. 4

1043 154 n. 4

1407+1414 226-227

1495 221

1533 227

1534A 226

1534B+1535 227 n. 86

1629 140

1672 196, 303

2338 161 n. 13

2886 165 n. 48

2983 162

3173 154 n. 7. 162 n. 26

3493 154 n. 7. 163 n. 29

4038 169 n. 71

4497 169 n. 71

4519 169 n. 71

4741 169 n. 71

4773 169 n. 71

5172 169 n. 71

7967 34

9034 67

9035 67

9984 52 n. 153

9985 52 n. 153

9986 52 n. 153

9987 52 n. 153

IG, V. 1

245 169 n. 71

1390 174 n. 104

IG, VII

3376 169

4262 185 n. 12

IG. XI.2

103 233 n. 113

158 196

159 196

161A 220

161B 227 il. 89. 232

164 233 n. 113

208 233 n. 114

287B 217 n. 36. 229-231. 234

IG. XI 4

561 52 n. 154

5X8 31-32

627 282 n. 89

666 282 n. 90

1055 282 n.90

IG. XII.1

3 166 n. 55

66 50 n 14 3

104c 50 n. 143

222a 99

367 99 n. 15

760 28

784 50 n 14 3

977 37 n. 99

IG. XII.2

3 125 n. 65

526 106

IG. XII.3

170 166 n, 55

IG. XII.5

19 53,78

8+1009 98 n. 13

817 282 n. 90

1010 61 n. 187. 98

IG. XII.7

8 95,281

9 95

10 95

11 95,281

221 99

IG. XII.Suppl

139 104

M7 143

348 95 n. 1

IGRR. IV

146 174n. 101. 176 n. 111

657 165 n. 49

IGUR

111 169 n. 76

IK. 1l. la-Ephesos

27 218 n. 40. 222 n. 61

IK. 15 5-Ephesos

1455 95, 196

1656 166 n. 55

IK. 34-Mylasa

301 222

IK. 36-Trallcis

77 164

146 166 n. 55

IK. 38-Rhodische Perain

13 52 n. 153

21 52 n. 153

352-354 294

355 211-212

ILS

5586 164

Inscriptions de la coupe d'Arcésilas 87-89

IosPE2

130 97 n. 6

IPrient

37 45 n. 126

55 45 n. 126

139 45 n. 126

Labraunda

III.2, 42 146 n 78

Lindos

2 (Clin mi que du Temple) 23 n. 44,38 n. 102,42 n. 114

16 26. 28.61.74

app au nº 16 27, 46. 61. 74. 77

97 97 n. 6

103 97 n. 6

190 97 n. 8

252 97 n. 8

384c 50 n. 143

470 97 n. 6

582 47 n. 132

Muiuri. ASAA. 2. 1916, p. 137. nº 4 50 n. 143

Meiggs-Lewis

5 280 n. 77

31 42 n 1 14 69 n. 30

34 72 n. 145

65 278 n. 62

90 15

91 125

Meritt 1934

87. nº 105 34

Migeotte 19X4

271 272, nº 82 202 n. 81

304-311. nº 97 257

Migeotte 1992

20-21. nº 8 190 n. 34

185-191. nº 62 254 n. 60

Milet.1.3 (Delhinion)

124 257

147 128

147 257

N Choix

7 127128,258

10 35 n. 92

OGIS

4 183

120 75

484. et II. p. 552 175, 181 n. 139

674 169

724 52 n 154

Oliver, Greek Constitutions

11 177 n. 115

84 175, 181 n. 139

Peraea

11a 211-212

Perdrizet & Lcfcbvrc 1919

536 53 n. 156

614 53 n.156

Pérée

48 211-212

49-51 294

174 52 n. 153

175 52 n. 153

Pleket, Epigraphica. I

9 95 n. 1

10 214-215, 229-230,

167 n. 63

14 225

Pouilloux 1954

147-150, nº 35 256 n. 65

Pouilloux, Choix

27 108

34 254

Rehm, Didyma, II

(étalons monétaires) 236-237

(poids des offrandes) 236-237

(offrandes avec ou sans inscription) 239

424 238-239

452 52 n. 154

J. Robert & L. Robert 1983

192. nº 16 257

210. nº 25 257

L. Robert & J. Robert 1954

303-312. nº 167 257 n. 72

Schwenk 1985

334-344.68 190 n. 34

SEC

9. 1938.2 280

14. 1956.687a 211-212

26. 1976-1977. 72 218 n. 40

26. 1976-1977. 845 88 n. 20

28. 1978.60 210

32. 1982. 1586 27

37. 1987. 634 88 n. 20

37. 1987. 994 76

44. 1994.810 165 n. 47

44. 1994. 867A 222

44.1994. 1008 165 n. 47

44.1994. 1011 165 n. 47

Segre. Cos

ED 178 140-141

Shear 1978 210

Sokolowski. LSCG

65 174

Steinhauer 1992 (inscription d'Acharnes) 221

Steinhauer 1994 (inscription agoranomique du Pirée) 151-181

Stroud 1974 (loi sur la monnaie) 218 n. 40

Stroud 1998 (loi sur le blé) 190, 199, 201-202, 207-208, 277, 302-303

Syll.3

110 28 sq.

110 n. 4 27-28 sq.

185 145 n. 77

212 278 n. 61

218 163

281 194 n. 46

304 138 n. 40, 184 n. 7, 190-191, 194-195, 201

354 95,196

368 45 n. 126

374 210

424 52 n. 154

736 174

799 174 n. 101, 176 n. 1 11

821 168 n. 67

952 134

975 134 n. 10, 145 n. 76, 167 n. 63, 174 n. 101.214-215, 229 n. 97

976 254

TC

4 a-b, c, d 160 n. 12

5 160 n. 12

18 96

30 96

33 96

41 96

105 146 n. 78

Tod2

108 35 n.91

111 124

113 45 n. 126

117 35 n.9l

133 35 n. 91

139 35 n. 89

163 137 n. 35. 278 n. 61

168 125 n. 65

196 280

200 140

Vatin 1966 174

Welles, RC

5 238

7 45 n. 126

Wiegand & Wilamowitz 1904 254

Sources Papyrologiques

Papyri égyptiens

Papyrus d'Anhaï 91-93

Papyrus d'Hunefer 91-93

Papyri araméens

Grelot 1972

89 et 97-100 22 n. 39

Porten & Yardeni 1993 67-73, 134

Papyri grecs

BGU

6,1311 224 n. 72

Edgar & Hunt, Select Papyri

204 186 n. 14

PAmh

31 224 n. 72

PCairoZen

59012 134

59090 224 n. 70

PGur

1.7 224 n. 72

PHütoi

1.11 III et IV 224 n. 72

PHih

51 224 n. 70

109 224

PKoeln

5.220 224 n. 72

PMasada

722 180 n. 134

PRevLaws 148 n. 90. 186. 204

PTeb

703 186

Sammelbuch

4481 167

Index des noms

Abdére 148

Abou Simbel 27, 34

Absalom 223 n. 67

Abydos (Égypte, Memnonion) 53

Abydos (Hellespont) 70, 208, 253

Acanthos 278

Achaïe (province d') 168

Acharnes 221

Achille 248

Adriatique 140

Afrique — v. Libye

Agamemnon 248

Agathoclès 289

Agdistis 154 n. 4, 161

Agonippos (tyran d'Érésos) 106

Agricente 38, 122, 291

Agrionia (fête à Thèbes) 175 n. 110

Agylléens 57

Aigai 104

Aigos Potamoi 277

Aischylos (agoranome d’Athènes) 161-162, 168-169, 171-172, 178-179

Akmonia (Phrygie) 165 n. 49

Akraiphia (Béotie) 174-177, 179

Al Mina 18 n. 19, 55 n. 163

Alalia (bataille d’) 57

Alexandre le Grand 5, 136, 184, 209

Alexandre le Molosse 135

Alexandrie 32, 55 n. 161, 134, 148 n. 90, 186-187, 204

Alphabet Laconien 94

Amasis 14-26, 30-31, 34 n. 87, 38, 40-42, 48-49, 53-54, 57-59, 66, 80, 94, (stèle d'A.) 18, (nom porté par des Grecs) 52 n. 153

Ambracie 50 n. 143

Amon-Rê-Baded 66-67

Amorgos 281, (Arkésiniens d'A. à Rhodes) 95, 97, 281-282 (Minoa d'A.) 99

Amos (Pérée rhodienne) 211-212, 217-218, 221-222, 240-242, 294

Amphictionie pyléo-delphique 45-49, 74

Amyntas III de Macédoine 124, 292

Anaia, Anaïtide 254-256

Andania (Messénie) 174-178

Andropolis 18

Antinooupolis 21

Antioche de Pisidie 166-167, 202 n. 83

Antiochos ier (prince héritier) 238

Antiochos III 250

Antiochos IV 128, 137, 269

Antipater 137

Antissa 95-108

Antistius (L. Antistius Rusticus) 202 n. 83

Antoine 171, 223

Apamée de Phrygie 176

Apatouries (Athènes) 223 n. 67

Aphrodite 18, 40 n. 106, (sanctuaire à Naucratis) 2, 18 n. 19, 23, 26, 48, (à Gravisca 24 n. 47), (A. Pandamos, Cos) 140, (A. Pontia, Cos) 140-141 — v. Astarté

Aphytis 201, 278

Apollon (A. de Milet et de Didymes) 48-49, (sanctuaire à Naucratis) 14, 24-25, 48, (A. Gryneios) 78, (A. Kômaios à Naucratis) 78, 54 n. 161, (A. Pythien) 54 n. 161

Apollonia (Thrace) 82, 260

Apollonia de la Salbakè 257

Apollonia du Rhyndakos 165 n. 49, 167

Apriès 18, 42, 57-58, 60 n. 180, 65-66

Arcésilas ier 85 n. 3

Arcésilas II 85-94, 305

Archélaos de Macédoine 125

Archidamos (guerre d') 276

Arisbè 101-107

Aristagoras 249

Aristonikos (Athènes, loi d') 177

Artabane 70

Artaxerxès ier 68

Artaxerxès II 67

Artaxerxès III 75

Artémis de Pergé 50 n. 143, 52 n. 153

Artémis Kithônè (Milet) 237 n. 134

Asclépiéion d'Athènes 226-227, 240

Aspendos 52 n. 153

Assyrie 142, 273

Astarté 23, 67, 289 n. 123, (Aphrodite Étrangère) 56 n. 163

Astraiousioi 108

Astymédès de rhodes 250

Astypalée 166 n. 55, 280

Athéna (A. de Cyrène) 48, (A. de Lindos) 37-38, 48-49, (sanctuaire à Athènes) 222, (statue chryséléphantine à Athènes) 226, (trésor à Athènes) 232

Athènes (approvisionnement en grain) 207-210

Athènes (“prix officiels”) 183-206

Athènes, Athéniens passim et 42, 50-52, 59-60, 65 n. 2, 67, 69, 106-107, 116, 122, 125, 130, 131-149, 213, 215-223, 225-227, 229, 232, 234, 240, 245-254, 268, 272, 275, 277, 282-283, 286-287, 292-293, 298-299, 301-303, (sac de Sylla) 161-162, 172 n. 91, 179 —v. Le Pirée

Auguste 171-172

Aventicum (Avenches) 217 n. 36

Babouin 89-94

Babylone, Babylonie 58 n. 173, 120 n. 44, 142, 273

Bargylia 222

Basileiea (fête à Lébadée) 175 n. 110

Battiades — v. Arcésilas 1er - II

Bérézan 55 n. 163, 124 n. 59, 142

Borysthène 138

Bosphore 125, 297

Bosphore Cimmérien 106, 125, 133, 137, 142, 144 n. 70, 147, 195, 197, 208-210, 278, 286 — v. Pairisadès

Bosporos (Panticapée) 209

Bostra 213

Bouches du Nil (Canopique) 14, 17, 19, 56, (Pélusiaque) 17 n. 16, 134, 148 n. 90, (Bolbitine) 51

Brikindara (Ialysos de Rhodes) 148

Briséis 248

Brutus et Cassius 171

Byblos 58, 62

Byzance 117, 121, 131, 203

Caeré 289 n. 123

Calabre 147

Callipolis d'Épire 146 n. 80

Calynda 32

Cambyse 72-73

Camiros 37-38, 96-99, 146

Camp des Tyriens (à Memphis) 22, 56 n. 165

Campanie 288

Cappadoce-Galatie (province de) 202

Caramanie 280-282

Carie, Cariens 250

Carpathos 99, 280

Carthage 121-122, 137, 146, 288-291

Carystos d'Eubée 138

Caunos, Cauniens 32, 250

Céphallénie 139

César 180

Césariens (parti césarien) 171

Chalcédoine 203

Chalcidique 124, 138

Chalcis 54 n. 161

Chalkè 280

Charès 131

Chéronée 169

Chersonnèse de Thrace 129, 277

Chersonnèse rhodienne 211

Chios 14, 40-42, 49-51, 65 n. 2, 68-69, 134, 140, 268, 293, 299

Chrysippos (bailleur de fonds à Athènes) 183-185, 190-200

Chypre 25 n. 52, 42 n. 114, 48, 50, 60, 72, 136 n. 25, 299 — v. Salamine

Cimon 68

Clazomènes 14, 37, 40-41, 49, 202 n. 81

Cléomène Ierde Sparte 249

Cléomène de Naucatis 35, 59-60, 75, 187, 196, 200, 286-287

Cléopâtre (sœur d'Alexandre) 135

Cnide 14, 37 n. 99, 49, 67 n. 16

Colophon 34, 41

Conon 37 n. 37

Convention judiciaire 42 n. 114

Coptos 169, 171

Corcyre 29 n. 66, 121, 123, 142, 290 n. 127

Corinthe 29 n. 66, 65 n. 2, 116, 122, 126 n. 67

Cos 37 n. 99, 41, 140-141, 146 n. 78, 280, 293

Crésus 59 n. 175

Crète, Crétois 37-38

Crocodilopolis 55 n. 161

Cyclades 135 n. 19, 279-285, 295-297

Cyclopes 119

Cyrène, Cyrénaïque, Cyrénéens 48, 50-51, 85-94, 135-137, 144, 146-147, 196, 277-278, 280, 286

Cyrus le Jeune 76

Cyzique 175-176

Daphné (Égypte) 17 n. 14, 22, 53, 77

Délos, Déliens 31-32, 52 n. 153-154, 104, 134, 136, 142, 145, 154, 196, 213-214, 217, 220, 222, 226-235, 279-285, 301

Delphes 31 n. 75, 45-46, 48-49, 52, 54 n. 161, 58 n. 173, 79, 168 n. 67, 174-177, 179, 208, 221 n. 58, 231, 235

Démétrios II de Macédoine 282 n. 90

Démétrios Poliorcète 249

Dèmostheneia (fête à Oinoanda) 174, 176

Denys d’Héraclée 194

Denys l’Ancien de Syracuse 35, 288

Détroits 106, 126 n. 67, 131-133

Dicéarque (géographe) 117 n. 35

Didymes 52 n. 154, 217, 222, 224 n. 73, 236-240

Dikéopolis 188

Dionysios d'héraclée 138, 140

Dionysodoros (commerçant) 188

Dionysos 54 n. 161

Dionysios de Byzance 282 n. 89

Dioscures (sanctuaire à Naucratis) 25 n. 52, 48 n. 136

Diphilos 251

Dodécapole ionienne 41, 43 n. 119, 45 n. 126

Domitien 168-169, 202 n. 83

Dor 63 n. 190

Doriens 14, 40-43, 54 n. 161

Égine, Éginètes 16, 29-30, 32-33, 48-51, 67, 70, 172, 277-278, 291, (Sôstratos d’É.) 44 n. 124

Égypte 13-84, 133-134, 137, 145 n. 74, 148 n. 90, 167, 169, 182 n. 145, 186-187, 196, 203-205, 223-224, 269-270, 273, 275, 286, 293 n. 142, 305, (Égypte au ive s.) 55 n. 162, (objets égyptiens à Rhodes) 26, (Basse Égypte) 18, 37 n. 95 —v. Piankhi, Psammétique I-III, Néchao, Apriès, Amasis, Nectanébo I-II

Égyptiens (contingent égyptien) 34 n. 87, (marine de guerre), 60, (É. de Naucratis) 28, 32-35, 67, (É. de Thèbes à Athènes) 34, 60 n. 181

Eirénias (Milésien) 127, 258

Éléphantine 15 n. 8, 17 n. 16, 21, 56-57, 76

Éleusis 177, 230, (aparchè) 196, 208, 303

Emporion d’Ibérie 81-83

Emporion de Thrace intérieure 82-83, 270

Emporion-Tanaïs 82

Éoliens 40

Épéens 248

Éphèse 41, 95-98, 166 n. 55, 175-176, 222 n. 61, 268, 286, 299

Épianaktidès de Théra 281

Épicharès (stratège à Rhamnonte) 185, 192-193

Épidamne 290 n. 127

Épire 135 — v. Callipolis

Érésos 95-107

Érétrie 172, 214 n. 21

Érythrées 41, 140

Étolie, Étoliens 250

Étrurie, Étrusques 24, 50 n. 144, 56-57, 121, 288-289

Eubée 138, 282

Eubule 251, 258

Eumène II 76

Eurymédon (bataille de l') 42 n. 114, 69

Fayoum 55 n. 161

Flamininus (T. Quinctius Flamininus) 228-229

Gazôros (Macédoine) 196

Géla 38 n. 100

Glaukos de Sparte 145 n. 77

Gorgôn de Rhodes 40 n. 106

Gortyne, 88 n. 20, 181

Grande Grèce 288

Gravisca 24, 55-57

Grèce d'occident 50

Grèce de L’est 26, 55, 58, 72

Guerre de Chrémonidès 185

Guerre du Péloponnèse 287

Guerre Punique (2e) 180

Guerres Médiques 72

Gygès 59 n. 175

Gynaikospolis 66 n. 5

Hadrien 175

Halicarnasse, Halicarnassiens 14, 42-43, 49, 98, 138

Hébryzelmis 35

Hécatée de Milet 80-81

Hègestratos (capitaine de navire) 145

Hélios 38,40 n. 106, 47

Hellénion de Naucratis 14, 25-30, 36, 38-51,73, 106, 270

Hellènomemphotai 21 n. 35

Hellespont 70-71

Henwe 17 n 15

Héra (sanctuaire à Naucratis) 14, 24, 48, (de Samos) 48-49, 254

Héraclée du Pont 138, 194, 197, 253

Hèrakleia (fête à Thèbes) 175 n. 110

Hérakleidès de Salamine 138, 185 n. 12, 190-191, 193-195, 198-200

Hérihor 62

Hermeias (de Méthymna) 78, (de Kourion) 78, (de Samos) 78

Hérodas de Syracuse 70

Hérodote (publication des Histoires) 31 n. 75, (en Égypte) 35-36, (logos) 37, (en Égypte) 73

Héron d'héliopolis 92

Hérostratos de Naucratis 25 n. 52

Hestia Prytanitis (à Naucratis) 78, 54 n. 161

Hexapole dorienne 41-43

Hiéron (place à l’entrée du Bosphore) 131-133, 148-149, 278-279

Himère 54 n. 161

Histria 55 n. 163

Homère 248

Horus 66, 89-93

Hypata (Thessalie) 173

Ialysos, Ialysiens 26-27, 34 n. 87, 37-38, 40 n. 106 — v. Brikindara

Iasos 237 n. 135

Imbros 199-200, 207-208, 277

Inde 143 n. 67, 304 — v. Mouziris

Ioniens, Yawan 14, 16,40-41, 45, 54 n. 161, 68

Ios, Iètains 52-53, 61, 78, 98, 281

Ischomaque 248

Isis 60, 66

Israël 223 n. 67

Jason de Phères 116

Judée 171 n. 87

Juifs (communauté d’Éléphantine) 21-22, 56-57

Kallias de Sphettos 136 n. 25

Karomemphitai 21 n. 35

Kéos 283, 297

Khépri 92

Kios 237 n. 135

Kition 60, 67

Kyparissisa 134-135

Kythnos 281, 283, 295-297

Ladispoli, Toscane (épave de) 143 n. 67

Lagides 129

Lampsaque 203

Laurion 251

Lazbaz (Lesbos ?) 104

Le Pirée 67, 80, 151-181, 230, 298-302

Lébadée 175 n. 110

Lébédos 41

Lemnos 199-200, 207-208, 277

Leontinoi 279

Lesbos 95-108, 129, 283, 293 — v. Antissa, Astraiousioi, Érésos, Lazbaz (?), Méthymna, Mytilène, Messon, Napè, Plômarion, Pyrrha, Thermi

Leukôn 208-210, 278 n. 61

Libye 122, 186, 204, 289

Lindos, Lindiens 27-30, 37-38, 46-47, 74, 217 — v. Vroulia

Livius (G. Livius) 228

Lycie 50-51, 134, 250

Lycurgue (d’Athènes) 251

Lydie 59 — v. Sardes

Lysimaque 210

Macédoine 116, 130, 141, 147, 196, 282 n. 90, 291-293 — v. Archélaos, Amyntas III, Philippe II, Alexandre le Grand, Démétrios II, Philippe V, Persée

Madrague de Giens (épave de La) 143 n. 67

Mallos 50-51

Mantinée 288

Maronée 82, 260, 278

Marseille 49,129

Mausole 191

Mégare, Mégariens 70, 126-127, 188, 277, 293

Méliè 45n. 126

Memphis 17, 21-22, 53-56, 76-77

Mendè 65 n. 2, 138

Ménélas 248

Mesembria 234

Mésopotamie 273 — v. Babylone

Messon 104-105

Méthônè de Macedoine 278

Méthymna 95-107

Milet 14, 40-41, 45 n. 126, 48-51, 104, 128-130, 236-240, 257-258 — v. Didymes

Momemphis (bataille de) 18

Mouseia (fête à Thespies) 175 n. 110

Mout 66

Mouziris 134

Mykonos 279

Mylasa 171, 222

Myonte 41,45 n. 126, 222

Myra 146

Mytilène 40, 49-50, 95-107, 125, 137 n. 35, 268, 278, 299

Nabuchodonosor II 58

Napè 107

Naucratis 13-84, (plan de la vile) 18-19, 65, (fondation militaire) 35-36, 65-66, (nom égyptien de N.) 66, (ville ou cité) 15-25, 51-55, 74-79, (monnaies) 75, 79, (prytanée) 54, 78-79, (artisanat) 60, 62, (endogamie) 21 n. 36, (prostitution) 21 n. 36, (autels et sanctuaires) 23, 48-49, (palestre) 54, (prostatai de l'emporiori) 33, 36, 43-51, 54 n. 161, (“phylai ethniques”) 33, (rôle commercial) 57-63, 73 — v. Nokradj, Apollon, Aphrodite, Apollon Kômaios, Dioscures, Héra, Hestia Prytanitis, Zeus, Égyptiens de N., Hellénion, Cléomène

Naxos, Naxiens 31-33

Néchao 48, 60 n. 180

Nectanébo Ier (stèle de) 17, 24, 58-59

Nectanébo II 27

Neith 17, 67 n. 15

Nekhthoreb 17, 19-20

Némésis 256

Nestor 248

Nil, — v. Bouches du Nil

Nisyros 280

Nokradj 66

Noumènios-Benhodes 67

Noumènios-Mahdas 67

Odéon 192 n. 41, 195

Oinoanda 174-176

Oiseau Bennu 92

Olbia 97 n. 6

Olympias (mère d’Alexandre) 135

Olympie 213, 215, 230-231

Oropos 185 n. 12

Osiris 89-92

Ouerkatel 63

Ounamon 58-59, 62-63

Pairisadès Ier 147

Paix de Callias 70, 72

Palestine 68

Pamboiotia 175 n. 110

Pamménès I-II d’Athènes (famille de) 153-154, 161-163

Pamphylie 50 n. 143

Panagjusriste 240 n. 144

Panaitios 287

Panionion 41

Parmeniskos (commerçant) 188

Paroikoi 140

Paros 95, 145 n. 74

Parthes 223

Pech Maho 81

Pehu An 18

Peintre d'Arcésilas 86

Péloponnèse 70, 278

Pentapole dorienne — v. Hexapole

Penthilos, Penthilides 104

Pergame 175, 177, 181 n. 139

Pergè 50 n. 143 — v. Artémis de P.

Périclès 126, 247, 276

Périnthe 131

Perse 22-23, 30, 33-34, 37 n. 95, 42-43, 45, 56-57, 60 n. 180, 67-73, 120 n. 44, 275 — v. Xerxès Ier, Artaxerxès I-III

Persée (roi de Macédoine) 105

Phasélis 14, 41-42, 49-50, 68-73, 138, 141, 272

Phénicie, Phéniciens 17 n. 16, 21-22, 24 n. 47, 27, 56 n. 165, 58, 60-63, 67-68, 72, 248 n. 21 — v. Byblos, Kition, Sidon, Tyr, Phoinikaigyptioi

Philippe II de Macédoine 131-133, 141, 148, 277, 292-293

Philippe V 147, 250

Phocée 14, 41, 49

Phocidiens 208

Phoinikaigyptioi 21 n. 35

Phormion (commerçant) 144 n. 70, 183-184

Physkos (Pérée rhodienne) 241

Pi-emroye 17 n 15

Ρiankhi (stèles de) 56 n. 166

Pisistrate 229

Pladasa 146 n. 78

Plômarion 102-103

Polianthès (envoyé de Seleucos Ier) 238

Polis (notion de) 74-84

Polis (ville) 15-16, 37, (cité) 38-39 — v. Naucratis

Polycrate de Samos 49

Pompéi 166-167

Pompéion (Athènes) 184, 192 n. 41, 198

Pont Euxin 132-133, 143, 196, 277, 286, 299

Populonia 288

Poseidonia 51

Pozzino (Toscane, épave de) 143 n. 67

Priène 41, 164

Prusias Ier de Bithynie 131 n. 2

Ps-Skylax 81

Psammétique (dynaste égyptien) 192 n. 43, 210

Psammétique Ier 16, 18 n 19, 59, 66-67, 76

Psammétique III 27 n. 64

Psychostasie 89-94

Ptoia (fête à Akraiphia) 175 n. 110

PtoléméeIer 182 n. 145

Ptolémée II 50 n. 143, 66 n. 12, 136 n. 25, 210

Ptolémée XII 54 n. 161

Pyrènè 81

Pyrrha 95-107

Pyrrhus 288

Ras El Bassit 50 n. 144, 55 n. 163

Résidents (à Naucratis) 14-20

Résidents grecs en Égypte 30, 31 n. 75, 34, 34 n. 87

Révolte de L’ionie 45 n. 125, 69

Rhamnonte 185, 192-193, 200, 256

Rhénée 279

Rhodes 14, 26, 40 n. 106, 49-52, 134-138, 166 n. 55, 188, 216, 221, 249-250, 257, 268-269, 280-282, 293, 295, 297, 299, (formes d’unité avant le synœcisme) 36-40, (synœcisme) 29, (anciennes cités) 96, (place de commerce) 97 — v. Camiros, Ialysos, Lindos, Amos, Physkos

Rhodiens 26-28,95-99, 196

Rome 105-106, 121, 136-138, 141, 146, 180, 222, 225 n. 74, 228, 245, 250, 269, 288-289

Saïs 17 n. 14, 56, 67

Salamine de Chypre 52 n. 153

Salmydessos 143

Samos 14, 40-41, 48-51, 59, 65 n. 2, 104, 193, 249, 253-257 — v. Anaia

Samothrace 279

Sardes 45 n. 125

Satyros du Bosphore 142

Scarabée 89-92

Scipion (L. Cornelius Scipion) 228

Sekhet Mafek 18

Séleucides 128-130

Séleucos Ier 238

Sélymbria 202

Servius Tullius, 222, 288

Seuthès de Thrace 143

Sicile 35, 133, 137, 185 n. 12, 188, 196, 269, 279, 286

Sidè 50

Sidon, Sidoniens 35 n. 89, 67, 145

Siphnos 251

Skias (tholos des prytanes d'Athènes) 230

Skionè 138

Skyros 199-200, 207-208, 277

Smendès 59 n. 177, 62-63

Smyrne 43 n. 119

Socrate 118,180

Solon 225, 246

Sparte 37 n. 95, 45 n. 125, 70, 116, 136, 145 n. 77, 169 n. 7, 172 n. 90, 249, 272, 275, 288, (peinture laconienne) 86 n. 10 — v. Cléomène 1

Spartokides 125

Stratôn-Abd Astart 67

Stratonicée 250

Stratonikè 231

Stratopéda 16, 22, 60 n. 180

Strepsiade 144

Syène 56 n. 165

Syracuse 35,49-51, 54 n. 161, 70, 279, 282, 288 — v. Denys, Agathoclès, Timoléon

Syrie, Syriens 17 n. 16, 134

Tanaïs — v. Emporion

Tanis 62

Tarente 240 n, 144, 293

Tarquinia 24, 57

Tell Soukas 2l, 55n. 163, 57

Ténos 281

Τentamon 59 n. 177, 62

Téos, Téiens 3, 14, 34 n. 87, 41, 49

Thasos 82, 95, 128, 134, 143, 260, 270, 293

Théangéla 134

Thèbes d’Égypte 62

Thèbes de Béotie, Thébains 35, 175 n. 110, 184

Thefarie-Velianas 289 n. 123

Thémistocle 251

Théodosia 209

Théra, Théréens 95, 280-281

Thermi 104

Thesmophorion de Délos 227 n. 87

Thespies 175 n. 110

Thessalie, Thessaliens 116, 135, 142, 272 n. 37

Thot 92

Thrace 35, 51 n. 145, 260, 270, 291

Thrasycratès 250

Thyréa 16

Tibère 180

Timée 122

Timoléon 289

Timon de Syracuse 282 n. 92

Timothée 249, 253

Timouques 54 n. 161

Tissapherne 70

Tralles 164, 166 n. 55

Triopion 42

Tyr, Tyriens 22, 58, 60 n. 180

Tyriaion 76

Tyrrhéniens — v. Étrusques

Udjat Ailé 92

Ulu Burun 142

Uruk 58 n. 173

Vibius (C. Vibius Salutaris) 222 n. 61

Vroulia 66

Vulci 288

Xanthos 146

Xerxès Ier 40 n. 107, 60 n. 180, 67, 70-72

Zénon (archives de) 144

Zénothémis (commerçant) 145

Zeus (Z. Atabyrios) 37-38, (d’Égine) 48 n. 138), (Z. Labraundeus) 171, (Z. Thébain à Naucratis) 50 n. 143, (sanctuaire à Naucratis) 14, 25 n. 52, 48

Index thématique commerce et société

Accords commerciaux 110-130, 287, 292-293

Achat en gros 125, 197

Agora 272, 301-303 (Athènes et Le Pirée) 183-206, (a. comme “marché”) 126

Agoranome 95, 98, 162, 173-178, 189 n. 27, 196, 204, 213-214, 298, 301, (agoranome de nome) 204

Agoranomion 166, 178 n. 123

Agriculture 101-108, 109, 293-294

Alimentation d'Athènes 135 n. 21-22, 276-279

Alun 58 n. 173

Ambassadeurs 146-147

Appropriation collective de terres 248

Approvisionnement de proximité 279-281

Archives 136-137, 143-146

Aristote et les échanges 109-130, 269

Armes 59, 129

Art d’acquisition 112 — v. κτητική

Artisanat 84, 126, 212, 220-221, 241, 293-294 — v. Métiers, Textiles

Autarcie 112-113, 123, 269

Autoconsommation 274, 295-296, 305

Autosuffisance 279, 295-297

Balances 85-94, 166-167, 217-218, 225

Balances à tare fixe (pour peser les monnaies) 217 n. 39

Banque et sanctuaire 256

Banquiers publics (à Pergame) 175

Bâtards (nothoi) 140

Baume de la Mecque 222-223

Baux de terre 294 n. 145

Besoin 115, 118 — v. χρεία

Blé v. Grain

Bois 17 n. 15, 42 n. 1 14, 58-60, 62, 73, 113-114, 116-117, 120, 124-126, 128-130, 132, 229, 287, (charbon de bois) 220, 229 (bois et charbons, loi délienne) 214-215, 301 n. 172, (bois et rames) 193-194

Bourgeoisies marchandes 264-265

Bronze et argent 181

Calcul économique 294-297

Capitalisme 263-266

Céramiques 13, 17-18, 25-26, 41, 44 n. 124, 49-51, 65-66, 71-73, 293, (prix) 293

Chrématistique 112-113, 290-292

Cigogne 89

Cité — v. Polis

Commerce à l'aventure 65

Commerce local vs international 264, 302

Communautés de commerçants étrangers 59-63, (colonies marchandes assyriennes) 273

Comptabilité 88, 94, (comptabilité de bord) 88, 141-144 — v. Écriture et commerce

Concurrence 301-302

Conditionnement des marchandises 143

Contrats maritimes 138-141, 145, 189 n. 27

Contrôle des navires 70-71

Convention judiciaire 69

Convois de navires marchands 131-133

Coupe d'Arcésilas 85-94

Couronnes d’or 194, 227-235, 232-234

Décret de Mégare 70, 126-127

Demande 177, 300-301, 304, (demande du marché égéen) 278 — v. Offre

Dépendance extérieure 268, (dépendance cités égéennes) 195 n. 56

Destination et identité des navires 131-141, 147-148

Dikai emporikai (procès d'affaires) 273, 292

Disette 190-191, 193, 195, 208-210

Division du travail 293-297

Dôdekatè (taxe-rente athénienne) 207-208

Douanes 148 n. 90 — v. Taxes douanières

Droit international 139-140, 145

Échange marchand 57, 267

Échanges réciproques 114-122

École de Chicago 258

École de Copenhague 74-84

Économes de nomes (Égypte) 186, 204

Économie tributaire 57

Écritures et commerce 141, 148, 290, 305 —v. Comptabilité

Édit du Maximum 178

Effet de King 300-301

Eisphorai (impôts directs sur le capital) 249

Empire athénien 117, (poids et mesures) 229

Emporion (en général) 25, 36 n. 94, 74-84, 141, 260, 301-302

Emporion d'Athènes 190

Émulation 194

Enregistrement des contrats 145

Épaves 142-143

Épices 143 n. 67

Epigamia 21-22, 54 n. 161

Épimélètes du port (Athènes) 190, 204, 225 n. 74

Espionnage 70

Étalon attique 234, 282 n. 92, 285, (étalon attique plein) 228-230, 235

Étalon rhodien 216, 219, 221 n. 58, 239

État bureaucratique 264, 272

État et économie 109-130, 243-261,268-273

Étrangers et commerce 126

Europe du xviiie s. 275

Évergètes, Évergétisme 190-191, 193-194, 196

Exemption fiscale 137-138, 145, 147, 176, 125-130, 278 n. 61

Exportations 112-130, 275 (égyptiennes) 59 n. 177, (comptabilité) 135-137 — v. Importations, Interdiction, Licences

Finley, Μ. I. 109-110, 243-244, 261,266, 268, 277, 306

Flux 287-297

Foires 175-178

Fouilles des navires 146-148

Frai des monnaies 221

Goody, J. 304

Grain (commerce) 60, 71-71, 116, 125, 129, 132, 135-138, 141, 183-210 253-257, 278-279, (blé public) 98, (fonds d’achat de grain) 200, 255, (formation des prix) 284-287, 297-304 — v. Prix, Rente en grain

Grue 89

Guerre et commerce 26 n. 60, 68-73, 126

Guerre et économie 248-250

Hasebroek, J. 43, 243-244, 266, 268, 306

Hérauts 290, (pierre des hérauts, Athènes) 164

Hiéropes (Camiros) 96

Homo politicus vs œconomicus 259

Huile 73, 84, 116, 134, 148, 185-186, 213, 274, 276, 295-296 — v. Monopole de l'huile

Hydries d'argent 222, 232

Identité des commerçants 131-134, 137

Importations 112-130, (en Égypte) 42 n. 114, 58, (en Babylonie) 58 n. 173, (grain à Athènes) 205 n. 89, 208-210, (vin) 270 — v. Bois, Grain, Vin, Exportations, Interdiction, Licences

Inscription et offrande 239-240

Interdiction d’exporter ou importer 111-130, 284

Intérieur des terres 116

Interprète 28, 33, 35-36, 61, 67

Inventaires DES SANCTUAIRES 211-242

Inviolabilité (privilège d’) 29, 70

Juste prix 205

Lettre sur plomb 124 n. 59

Lettres- passeports 146

Lettres d'affaires 144, 187-188

Lex Hafniensis — v. École de Copenhague

Licences d’exportation et importation 120, 128, 136-137, 202, 269, 292-293

Livres romaines 225 n. 74

Loi de l'offre et de la demande 183, 190-192, 202-203, 273

Loyers de la terre 274

Macro- vs microéconomie 260

Maîtrise de la mer 116-117

Manques — v. Surplus

Marchands de grain 95-99, 190, 298

Marché aux poissons 164, 174-179

Marché égéen 279-285

Marché en France médiéviale et moderne 287, 297-304

Marché et cité 272-307

Marché international 198

Marché libre 188, 197-198

Marine de guerre 144

Médimnes (éginétiques) 135-136, (laconiens) 135-136

Mercenaires 59-60

Mesures (légales) 164, (mesures étalons) 213, 229, (mesures des liquides) 237 — v. Métronomes

Métaux 58, 73, 113, 287

Métèques 77, 83, 140 n. 48

Métiers 34-35, 67 — v. Artisanat

Métronomes 213

Mine monétaire vs pondérale 215 n. 28, 225-226, 229

Misthoi (salaires) 249, 251-252, 271, 283 n. 94

Monnaie (d’argent) 288-292, (fiduciaire) 289-290. (origines de la monnaie) 112, 291, (commerce et monnaie) 112-113, 115, 284, 288-292 (change des monnaies) 144, 180, (poids théorique et poids effectif des monnaies) 221 — v. Frai, “Pesée par les monnaies”. Trésors monétaires

Monnaie a Carthage 288-291

Monnaie en Étrurie 288

Monnaies a Naucratis 26, 50, 65

Monnaies amphictioniques 235

Monnaies attalides 234

Monnaies attiques (dans le Pont Euxin) 125 n. 66, (Nouveau Style ou stéphanéphores) 22, 162, 182 n. 144, (monnayage athénien au ie r s. a.C.) 172 n. 90, — v. Étalon attique

Monnaies d’Alexandre 215 n. 29, 221 n. 57, 234, 236-237

Monnaies d’Emporion 81

Monnaies de Kéos 283-284

Monnaies de lesbos 104, 106

Monnaies de Milet 236-237

Monnaies de Naucratis 53-54, 75

Monnaies de Phasélis 68

Monnaies de Rhodes 26, 38, 212-213, 216-217, 219, 221, 236-237, 240-241, 282 n. 92, 285, (en Égypte) 26 — v. Étalon rhodien

Monnaies de Syracuse 50

Monnaies des Cyclades 284

Monnaies ptolémaïques 221 n. 57

Monnaies séleucides 234

Monnaies symmachiques du ive s. 236

Monopole de l'huile (Égypte) 186-187

Moyen Age 264-265

Navigateurs grecs en Égypte 15, 43-44

Nationalité d’un navire 62-63

Navigation en mer Égée 107

Nauklèroi 141

Neutralité 29 n. 66, 70

Nikai d’or (Athènes) 255

Nomophylaques 129

Nouvelle Orthodoxie 109-110, 120, 244-245, 268, 270, 272

Objets de commerce 117, 127-128, 132

Offrandes dans les sanctuaires 211-242

Offre 177, 293-297, 300-301, 304

Oikonomia Αttikè 247

οIkonomiaii du Ps-Aristote 247

Oikos (foyer domestique) 248

Onomastique (double nom grec-indigène) 36, 67 (juive) 22, (égyptienne portée par des Grecs) 34 n. 87, 52 n. 153, (anthroponyme et ethnique) 49

OPEP (OPEC) 206

Οr 17 n. 15, 58, 93, 218, 220, 223, 228, 231-232, 249, 289, 291,

Orge — v. Grain

Ostraka 141-142

Panégyries — v. Foires

Papyrus 141, 143-144

Parenté 264

Pentécostologues 134

Pentèkostè (taxe athénienne) 207

Pesée des cheveux 223-224

“Pesée par les monnaies” 211-242

Pesées de contrôle 232-233

Pétrole 206

Phiales (poids et fabrication) 211-213, 219-222, 240

Pierres précieuses 223 n. 65

Piraterie 65

Places centrales (théorie des) 105-107

Platon et les échanges 112, 118

Plomb (documents sur) 141-142

Poids et poids-étalons 213-219, 225-226, 230-231, (poids en argent) 230

Poissons — v. Marché aux poissons

Polanyi, K. 57, 243-244, 263-266, 304, 306

Polis (ville et cité à Naucratis) 14-16, 20-26, 30, 33-36, 74-84

Polis comme communauté 245-247

Politique d’importation 269

Population d'athènes classique 276

Port of trade 57

Précision des pesées 213-219

Prêt maritime 183

Priorité à l’embarquement 125

Privilèges aux commerçants 61

Privilèges d’exportation 137-137, 147-148

Prix (prix au détail) 197, 200, 203, 301, (prix de gros) 197-200, 203, 301-302. (prix à l'importation) 200, (prix de référence) 189, 202-203, (fixation et contrôle des prix) 173-179, 301-303, (prix officiels) 183-206, 273 n. 42, 301, 303, (prix officiel vs “prix conventionnel”) 273, (prix coûtant) 193-194, 197, (prix du marché) 183, 189, 191, (prix des grains) 95, 195-196, 199, 204, 223, 273, 277, 282-283, (prix du pain) 175, (prix du vin) 180, 195, 201-202, (prix de l'huile) 186-187, 189 n. 27, 197, 201-202, (à Rhodes) 216, (évolution des prix à Athènes) 180-182 — v. Spéculations

Production en vue de l’échange 1 1 8, 293-297

Production mise sur le marché international 275

Prosodoi (revenus) 248, 250, 257-260, 271, 291

Prostatai (Naucratis) 33, 36, 41,43, 46, 54-55

Proxène 28-29, 34, 46-47, 59, 95-96, 99

Public et privé 271

Quantités de grain importé à Athènes 276, 278 n. 66

Rations de grain 192

Registre douanier 67-73, 133-134, 136

Règles de nomination 163 n. 27

Rente en grain (loi d’Athènes de 374/373) 207-210, (loi de Samos) 253-257

Représailles 139

Réseau commercial méditerranéen 299

Rostovtzeff, M. 306

Saisie sur mer 29 n. 66

Salaire des artisans 212, 220

Salaire des esclaves (Rome) 180

Sceaux 142, 146

Sanctuaires (place des étrangers) 23-24

Sécurité sur mer 140

Sémantique et typologie 79-80

Silphion 85-94

Sitônai 97-98, 281-282, 298

Sitophylaques 133, 185, 191, 204, 298, 305

Smith, A. 258, 264

Sociétés précapitalistes 265, 304-306

Solde des légionnaires romains 180

Spéculation sur les prix 187-188, 283-284, 286

Statut social des commerçants 95-99

Structures de marché 275-276

Surplus 115, 287-297 — v. Manques

Symbola — v. σύμβολα

Tables de pierre de l'agora 163-164

Tablettes de bois 141-142 — v. λεύκωμα

Taxe portuaire 110

Taxes douanières 17, 59, 72-73, 169, 268 — v. Douane, Exemption fiscale

Territoire (chôra) 128

Textiles 34, 60, 73, 293 — v. Vêtements

Théorique (Athènes) 251-252

Tolérance religieuse 56-57

Tonnage des navires 95,

Traités entre Rome et Carthage 121, 288-290

Trésor dans un sanctuaire 49

Trésors monétaires (Égypte) 26 n. 60, 50, 68, 73, (Levant) 68 n. 28, 73

Triérarques 144

Triperie 151-158, 163, 172, 177

Trophè (alimentation, “subsistances”) 110, 114, 1 19-120, 128, 254, 268

Ventes et distributions publiques de grain 183-185, 189, 192-193, 199-200, 256-257

Vêtements (prix à Athènes) 180

Ville — v. Polis

Vin 58-59, 73, 106-107, 112, 115, 122, 128-129, 189 n. 27, 197, 208, 269-270, 274, 276, 283, 287, 293-295, 297 — v. Prix

Voyages en mer 143

Weber, M. 244, 266, 268

Xénophobie 56-57, 60 n. 181

Index des mots grecs

ἀγωνάρχης (agoranome en Béotie) 175

ἀδικία (préjudice) 124 n. 59

ἁθρόα πώλειν (vendre en gros) 197

Αἰγύπτιος ἐγ Ναυκράτιος (Égyptien de Naucratis) 28, 32-35, 67

αἴτησις (demande) 171

ἀνθίστημι (opérer une pesée de contrôle) 226-227

ἀπισόω (équilibrer) 87

ἀπουσία (“déficit”) 221, 231, 235

ἀργύριον Ἀττικὸν ὁλοσχερές — v. Étalon attique plein

ἀσυλεὶ καὶ ἀσπονδεί (avec privilège d’inviolabilité et neutralité) 29, 70

ἀτέλεια — v. Exemption fiscale

ἀφορμή (capital de départ) 253

βίβλοι γεγραμμέναι (papiers de bord) 143

βουστάσιον, βουστασία, βούστασις (étable) 165

γνώμων (tarif fiscal) 169

διαγεγραμμμέναι τίμαι (prix fixés par l’autorité dans l’Égypte lagide) 186

διαγραφαί (ordonnances dans l’Égypte lagide) 186

διαμετρέω (distribuer par rations) 192 — v. Rations

ἐμπόριον — v. Emporion

ἐμπορῖται (“emporites”, habitants d'un emporion) 81-82

έπιγράφειν τὰς τιμάς (afficher, fixer les prix) 175

ἐπίσταθμος? (surveillant des pesées ?) 88

ἐπιταγή (κατ’ ἐπιταγήν : sur injonction de) 167-173

ἐπώνιον (taxe sur les ventes) 173, 179

ἐξετασμός (contrôle de poids des offrandes) 226

ἑστηκυῖα τιμή (prix fixé dans l’Égypte lagide) 186

ζυγόν (balance) — v. Balance

ζυγοστάσιον, ζυγοστασία, ζυγόστασις (support de balance) 164-167

ζυγοστάτης (préposé aux pesées) 213, 218

θέρμος (2/3 d’obole) 216 n. 33

ἱπποστάσιον, ἱπποστάσια, ἱππόστασις (écurie) 165

ἰσόφορτος (équilibre, charge égale) 87-88

καθεστηκυῖα τιμή — v. Prix officiels

καθιστάναι (déterminer un prix) 185, 189 n. 27

κεράτιον (1/3 d’obole) 216 n. 33

κανοῦν (corbeille sacrificielle) 226-227

κιβώτια (coffres sur les navires) 143

κίστης (caisse embarquée sur un navire) 143 n. 67

κλῖναι (couchettes de navires) 143

κοτυλίζειν (vendre au détail) 197

κτητική (art d’acquisition) 112

κύκλος (“marché aux produits alimentaires”) 168, 170

κύκλῳ (οἱ/τὰ) 168-172

κωδωνοστάσιον (gr. mod. : “campanile”) 167

λεπτοῦ δρ(αχμαί) (drachmes légères) 182 n. 144

λεύκωμα (tablette blanchie) 178-179

λευκòν χρυσίον (or blanc) 228 n. 91

λίθοι (“pierres” de l’agora) 163-164

λόγοι οἰκονομικοί (traités de gestion) 247-248

μέτρα (instruments de mesure) 165

μέτρα ἀνθρακηρά (mesures pour le charbon de bois) 229

μηχανοστάσιον (support d’une machine d’irrigation en Égypte) 167

μνήμων (φόρτου μ. : comptable de bord) 88, 142

Ναυκρατίτης ἐξ Αἰγύπτου (Naucratite d’Égypte) 53, 78-79

νόμισμα (numéraire) 224 — v. ὁλκῆς καὶ νομίσματος

οἰκονομία βασιλική (économie royale) 247

οἰκονομία ἰδιωτική (économie privée) 247

οἰκονομία πολιτική (économie civique) 247, 251

οἰκονομία σατραπική (économie satrapique) 247

οἰκῶν ἐν Αἰγύπτῳ (résident en Égypte) 27-34, 74, 77, 82

οἰκῶν ἐν Δήλωι / Δελφοῖς (résident à Délos, à Delphes) 77

ὁλκῆς καὶ νομίσματος (“selon le poids et l’unité de référence”) 236-240

ὀρυξός (déterreur ?) 88

περίστασις (circonstances) 170

πλεονάζω (jouir de surplus) 117

πλουτέω (être riche) 117

πόλις — v. Polis

προστάται (à Naucratis, “présidents du port”) — v. Prostatai

πρὸς ἀργύριον (“au poids de l’argent”) 181 n. 139, 222-235

πρὸς χρυσίον (“au poids de l’or”) 223 n. 65

σηκώματα (mesures légales) 164

σιτοδεία (disette) 137

σιτοπομπία (transport de blé) 140

σιτωνία (commissariat au grain) 195

σλιφομαχος (balance à silphion ?) 88-89

σπανοσιτία (disette) — v. Disette

σταθμὰ ξυληρά (poids pour peser le bois) 229

σταθμός (balance) 88

σταθμίον (poids de balance) 226

συγγραφή (contrat écrit) 145, 273

συγγραφοφύλαξ (notaire) 75

σύμβολα (signes de reconnaissance) 145-146

σύμβολα (conventions réciproques) 114 n. 23, 124

σύμβολα (mesures étalons) 230

σύμβολα (reçus, quittances) 148 n. 90

συμβολαί (conventions) 120-124

συμβολαῖον (contrat) 273

συνάλλαγμα (contrat) 273

συνθήκη (convention, contrat) 273

συνθῆκαι (conventions, accords) 120-124

συνθῆκαι περὶ τῶν εἰσαγωγίμων (conventions d'importation) 114 n. 23, 121-122, 125

σφραγίς (sceau) 146

τάττειν (fixer un prix) 185, 189 n. 27, 198

τεῖχος (fortin) 51

τεταγμένη τιμή (prix fixé) 202

τροφή (alimentation, “subsistances”) — v. Trophè

ὑπόχαλκος (doré) 227

φόρμοι (charges de grain à Athènes) 190

φόρτος (cargaison) 88, 142

φυλακός (garde) 87

φορμοφόρος (portefaix) 88

χαλκός (1/8 d'obole) 216 n, 33

χρεία (besoin) 115, 118

χρυσοῖ (unité et monnaies d’or) 231